Déclaration de Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, sur les mesures de la politique de lutte contre l'exclusion sociale en milieu rural, Paris le 16 novembre 2004.

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Circonstance : 87ème Congrès des Maires et des Présidents de Communautés de France, Paris le 16 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs les adjoints,
Mesdames, Messieurs,
La pauvreté en milieu rural, et l'exclusion sociale qui en découle sont des réalités silencieuses.
On en parle peu, les études font défaut et c'est sans doute ce qui rend ce problème mal connu. Pourtant je reste convaincue que les pouvoirs publics doivent être très vigilants envers cette partie importante de la population de notre pays, vivant dans le monde rural, mais qui reste parfois à l'écart du progrès social.
A la demande de Madame Jeannette GROS, je suis récemment intervenue lors de la journée de travail et de réflexion de la mutualité sociale agricole (MSA). A cette occasion, j'avais pu faire part de la préoccupation qui est la mienne et qui tend à ce que le département ministériel dont j'ai la charge s'investisse plus encore en direction du monde rural. C'est donc dans la suite de mon propos du 22 septembre que j'ai accepté avec grand plaisir de vous rencontrer ce matin.
Le Président de la République et le Premier Ministre m'ont fait l'honneur, depuis ma dernière prise de parole sur le sujet, de me confier le portefeuille de l'égalité des chances. Et c'est bien de cela dont il s'agit ici : l'égalité des chances entre les territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux, mais également l'égalité des chances entre les populations qui les habitent.
Elue d'une ville difficile de la banlieue parisienne, j'ai longtemps été confrontée aux problématiques spécifiques d'une grande métropole urbanisée. Elue au Sénat, j'ai toujours considéré que les problèmes exposés à la Haute assemblée par mes collègues sénateurs ruraux, étaient tout aussi importants et difficiles à résoudre que ceux auxquels je devais faire face. Ces problèmes, dont la nature diffère, nécessitent toutefois le même remède : une volonté sans faille des élus et surtout une parfaite coopération entre les différents acteurs publics.
La culture urbaine rend plus difficile l'établissement de relations entre les personnes. La solidarité s'y exerce de façon anonyme et plus diffuse. C'est une réalité : les campagnes ont toujours été un terrain où l'entraide entre les individus et entre les générations s'est exprimée. Nous devons nous inspirer de cet esprit de solidarité.
Pour autant dans le monde rural d'autres difficultés sont à affronter.
Il y a la question du regard de l'autre : dans les campagnes, tout le monde se connaît. Tout se sait, et très vite. Avoir un travailleur social qui vient à son domicile, ou devoir aller frapper à la porte de la permanence sociale suite à la perte de son travail, c'est difficile. Peut-être plus qu'ailleurs, on se sent stigmatisé. Peut-être plus qu'ailleurs, alors, on hésite à faire appel aux dispositifs d'aide sociale. De cela, tous, nous devons tenir compte.
Il y a aussi la question agricole : la France a connu une profonde mutation. Quand au sortir de la deuxième guerre mondiale, la profession agricole représentait encore une grande partie de la population active, à l'entrée du 21ème siècle, il en est tout autrement. Entre temps, des hommes et des femmes ont dû se reconvertir mais tous n'ont pas pu le faire. Par ailleurs, l'industrialisation de l'agriculture, les progrès technologiques coûteux ont laissé sur le bord de la route de nombreux salariés ou exploitants agricoles de sorte qu'aujourd'hui, le taux de pauvreté en milieu rural est supérieur à la moyenne nationale. La question de la modernisation agricole est prise en charge par mon collègue Hervé GAYMARD. Un premier texte a été examiné et traitait des territoires, un second est à l'ordre du jour et se penchera sur les activités. Ces deux nouvelles lois poseront désormais le socle d'une nouvelle attractivité pour le monde rural.
Il n'y a pas de superposition entre pauvreté agricole et pauvreté rurale. En effet, les loyers parfois disproportionnés, ou tout simplement la pénurie de HLM dans les centres urbains fait refluer des publics en grande précarité dans des zones péri-urbaines et déjà rurales. Les loyers des centres bourgs sont moins chers, les logements sont plus spacieux et permettent à des familles nombreuses de disposer d'un espace de vie confortable. Et souvent, en outre, la présence d'un jardin permet d'assumer une partie des besoins alimentaires. Le monde rural est accueillant, il peut ressembler parfois à un " petit paradis " pour des familles très modestes, mais ce " petit paradis " peut aussi se révéler un piège, car d'autres problématiques surgissent : manque de travail, isolement...
Aujourd'hui, ce n'est pas le moindre des paradoxes pour certaines communes que de voir leur population augmenter après avoir subi pendant de longues années la désertification. Mais ces nouveaux habitants viennent avec leurs problèmes et il est parfois très compliqué de les intégrer. Nous devons, et j'en suis convaincue, nous battre de toute nos forces pour réussir cette intégration : d'abord parce qu'elle est porteuse de mixité sociale et ensuite parce qu'il .s'agit pour les zones rurales de s'enrichir avec les apports de ces hommes et de ces femmes.
La conjonction de ces deux tendances que sont la paupérisation du monde agricole et une forme d'exode urbain, posent donc question.
L'isolement que j'évoquais plus haut et qui frappe les publics les plus vulnérables, les jeunes, les handicapés, les personnes âgées doit être combattu et c'est avec attention que j'ai relevé les propositions de Mme GROS en matière d'accueil de la petite enfance, de logements sociaux pour personnes âgées... La question de la mobilité est cruciale : demeurer privé de voiture dans des zones de montagne ou des hameaux isolés est un handicap majeur. C'est un handicap dans les relations sociales, c'en est aussi un dans l'insertion professionnelle. Le challenge à relever est grand. Il fait appel à l'ingéniosité et à la générosité. Il existe des initiatives, soutenues par les collectivités, de taxi social et de déplacements collectifs qui gagneraient à être mises en valeur.
Toutes ces problématiques et toutes ces questions sont transversales : j'ai donc décidé de mettre en place un groupe de travail, dont la mission sera d'identifier des thématiques prioritaires afin de formuler des propositions dans la perspective du prochain comité interministériel de lutte contre les exclusions qui se tiendra d'ici l'été 2005. L'association des maires de France, la mutualité sociale agricole, les acteurs de la question sociale seront associés à ce groupe de travail qui sera animé par la Direction générale de l'action sociale. Le CNLE (Conseil national de lutte contre l'exclusion) sera également amené à contribuer à cette réflexion.
La solidarité de tous est indispensable pour qu'à l'instar des villes, la France rurale participe à la reconquête de la cohésion sociale qui fait défaut dans notre pays.
Une grande nation comme la France ne peut se résoudre à accepter les blocages qui conduisent à ce que les jeunes ne trouvent pas de travail. Elle ne peut pas se résoudre à ce que des personnes ne se voient offrir comme perspective que le RMI. Elle ne peut pas être indifférente aux phénomènes de ghettoïsation de ses banlieues, sauf à accepter de voir monter des communautarismes dangereux. Elle ne peut pas davantage accepter que la population qui vit sur la plus grande partie de son territoire, dans les zones rurales, demeure à l'écart du progrès.
La voie choisie par le Gouvernement pour retrouver le chemin de la cohésion sociale passe par la solidarité et la restauration de la responsabilité. C'est cette démarche qui a prévalu dans le cadre de la préparation du plan de cohésion sociale dont le Sénat a achevé l'examen du volet législatif et dont l'Assemblée nationale débattra dès le 23 novembre prochain.
Aujourd'hui, la croissance repart. Nous le devons aux efforts et à l'engagement des Français ainsi qu'à la politique de réforme conduite depuis 2 ans. Il faut maintenant tout faire pour que cette croissance s'installe durablement et qu'elle se traduise par une forte création d'emplois.
Cela passe donc par une action résolue en faveur de la cohésion sociale, priorité définie par le Président de la République.
Le plan de cohésion sociale, préparé par Jean-Louis BORLOO adopte une démarche inédite, consistant à traiter ensemble les grands problèmes qui mettent en péril la cohésion de notre pays. Trop longtemps, une approche cloisonnée et morcelée des problèmes a prévalu. Le but du plan est d'agir simultanément sur tous les leviers. Il concilie la nécessité de traiter rapidement des situations d'urgence et celle de s'inscrire dans une perspective à plus longue échéance. Les engagements de l'Etat sont consacrés par une loi de programmation sur cinq ans dont l'effort est sans précédent. Avec cette loi, ce sont 13 milliards d'euros supplémentaires qui sont consacrés à la cohésion sociale. Mais je laisserai le soin à Jean-Louis BORLOO de vous présenter tout à l'heure les principale mesures du plan.
Je veux, pour finir mon propos, aborder la question de l'action sociale dans les zones rurales. Vous êtes tous élus, mais la capacité d'une commune à mettre en place des dispositifs d'aide sociale en direction des habitants dépend de son envergure financière. Ce n'est pas la même chose d'être maire d'une commune rurale de montagne de quelques centaines d'habitants ou maire d'une grande ville. Ce n'est pas tout d'avoir une compétence, encore faut-il pouvoir l'exercer. Sur ce point, je tiens à vous préciser la position du Gouvernement. Nous considérons que si le département est le niveau de référence de l'action sociale, pour autant, et dans le respect des libertés de chacun, l'échelon communal ou intercommunal donne une proximité particulière avec les administrés, proximité propre qui permet le plein exercice de la solidarité. Je sais que ce débat tient à coeur à beaucoup d'entre vous, c'est pourquoi, dans le cadre de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale le Gouvernement a étudié les propositions tendant à ouvrir la compétence optionnelle d'action sociale aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). De même, nous sommes soucieux de conforter le cadre juridique des centres intercommunaux d'action sociale (CIAS). Ainsi, en lien avec le Ministère de l'intérieur, une proposition sera faite à l'Assemblée nationale pour répondre à cet objectif tout en laissant la possibilité aux EPCI d'exercer cette compétence optionnelle selon les modalités qu'ils souhaiteront et dans le respect de la libre administration des communes. Encore une fois, c'est un point qui est important.
Mesdames, Messieurs, il nous faudra faire preuve d'un engagement de tous les instants, mais aussi de cur et d'imagination pour impulser cette nécessaire reconquête de la cohésion sociale.
Se mobiliser pour la Cohésion Sociale, c'est construire ensemble une société forte et solidaire pour donner à chacun sa chance pour éradiquer la pauvreté, l'inégalité et l'exclusion et restaurer l'égalité des chances entre les territoire et entre nos concitoyens.
(Source http://www.amf.asso.fr, le 19 novembre 2004)