Interview de M. José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne à RTL le 12 novembre 2003, sur les mouvements altermondialistes, le Forum social européen et la lutte contre le libéralisme et l'OMC.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie-. Le deuxième Forum Social Européen débute ce soir à Paris, à Saint-Denis, à Bobigny et à Ivry. Vous travaillerez jusqu'à samedi. Des militants et des responsables de 60 pays européens seront présents en région parisienne durant ces quatre jours. A. Duhamel vient de dire qu'au fond, ce serait "un rassemblement d'adolescents hétéroclites". La formule vous fait réagir ?
- "Non, elle ne me fait pas réagir parce qu'après tout, dans ce débat sur la question de la mondialisation, sur la façon dont aujourd'hui le monde s'organise, personne n'a de véritable réponse globale. Il n'en existe pas. On a dit : "Un autre monde est possible". C'était le slogan de Porto Alegre. Je fais partie de ceux qui disent : "d'autres mondes sont possibles". C'est-à-dire qu'on est dans une complexité et il n'y a pas qu'une seule solution. Alors il y a des problèmes au niveau économique, il y a à remettre en cause un certain nombre de dogmes. On a remis en cause celui du libre-échange, selon lequel plus on ouvre les frontières, plus ça va s'arranger. Mais, pratiquement, on se rend compte qu'il y a des problèmes. Donc il y a un certain nombre de problèmes qu'il faut régler, au niveau économique, au niveau social et au niveau des institutions."
Et vous en êtes au début de votre réflexion ?
- "On est au début... On a un certain nombre d'analyses, on a un certain nombre de réponses sur des points précis, des propositions qui commencent à être prises, puisqu'on voit que le président de la République, Monsieur Chirac, a dit avant-hier qu'il était pour une taxation sur les circuits financiers. Donc cela commence à venir. On se dit aujourd'hui que des choses doivent se mettre en place. Et c'est vrai que ce qui nous inquiète le plus, c'est que la plupart des hommes politiques n'ont absolument rien vu venir, et que quand on leur a parlé de cette problématique il y a quatre ou cinq ans, eh bien, ils ne croyaient absolument pas que nous étions rentrés dans une nouvelle ère."
Vous dites aussi vouloir - et ce sera au centre de vos réflexions durant ces quatre jours - "une autre Europe au service - je vous cite - des citoyens et des peuples". Mais en quarante ans, les peuples ont aussi beaucoup profité de l'Europe, la paix s'est installée, et puis une certaine richesse a tout de même profité à tout le monde. Vous conviendrez d'un bilan positif aujourd'hui de l'Europe, malgré tout ?
- "Comme je l'ai dit souvent, en tant que paysan et en tant que syndicaliste, nous avons participé depuis quarante ans à la constitution et à la création de l'Europe..."
Vous avez participé et vous avez profité de l'Europe...
- "On a participé, on a profité. Et c'est la Politique agricole commune qui a été le cur de la construction de l'Europe, puisque aujourd'hui, en fait, près de la moitié du budget européen est constitué par cette Politique agricole commune. Alors, à mon sens, cela veut dire qu'on peut faire une véritable Europe. La question de fond est qu'aujourd'hui que l'Europe n'est pas assez européenne."
Il n'y a pas que les agriculteurs qui ont profité de l'Europe ?
- "Justement. Mais je pense que, d'abord les paysans ont pu se développer grâce à l'Europe..."
Donc le bilan n'est pas que négatif ?
- "Le bilan n'est pas que négatif. Aujourd'hui, simplement, on rentre dans une nouvelle phase. On veut se doter d'une constitution. Cela veut dire que l'Europe devient un projet global pour tous. Qui dit Constitution, dit projet de société."
Cette Constitution vous va ou ne vous pas ?
- "C'est en fait ce qu'il n'y a pas dedans qui pose problème. C'est-à-dire que dans la Constitution, on nous parle de l'organisation, du rééquilibrage des pouvoirs et je pense que cela va dans le bon sens. Il y a des projets, y compris pour permettre des référendums européens, à partir d'un million de signatures par exemple. Tout ça, ça va dans le bon sens. Mais effectivement, il y a des grands vides, puisque sur tout l'aspect social et économique, eh bien, on se contente uniquement de retranscrire des traités qui sont en place."
Et ces vides pourraient justifier, selon vous, un rejet du projet de Constitution ?
- "Il me parait important qu'on puisse débattre de la façon dont les questions sociales, les questions de droit du travail, les questions effectivement fondamentales pour la vie quotidienne des personnes, soient discutées. On a vu le problème qui s'est posé à Barcelone, il y a deux ans, sur la question de l'énergie. On voit les problèmes sur le transport, on voit bien que sur beaucoup de sujets, sur la notion des services, il n'y a pas d'accord. Mais je crois qu'on peut avancer..."
Cela reste encore ouvert selon vous ? Si c'est un peu amélioré, après tout, vous pourriez convenir que ce projet est acceptable ?
- "Je pense qu'aujourd'hui, tout est encore ouvert. Et c'est pour cela que le débat du Forum Social Européen de Paris-St-Denis est fondamental. Parce que nous espérons, au cours de ce forum, pouvoir avancer un certain nombre de propositions et qu'elles soient entendues."
Le Parti socialiste sera présent à ce forum. "Nous portons les mêmes exigences que les altermondialistes", a dit récemment F. Hollande. Vous êtes d'accord avec cette phrase ?
- "Plus il y a de gens qui nous rejoignent ou qui nous disent qu'ils portent les mêmes aspirations que les altermondialistes, mieux ce sera."
Vous avez vu ce matin, dans Libération, qu'un sondage dit qu'il y a deux figures aujourd'hui qui incarnent l'altermondialisme : vous, à 67 %, mais devant vous, L. Jospin, à 68 %. Qu'est-ce que vous pensez de ce duo ?
- "Eh bien, c'est peut-être que je suis arrivé à le convaincre quand je l'ai rencontré, quand il m'a demandé de lui expliquer ce qui s'était passé à Seattle !"
Ah non, ce sont les gens qui pensent que vous et Jospin incarnez l'altermondialisme, ce n'est pas la même chose...
- "Non, j'ai bien compris ! Cela veut dire que peut-être que Jospin, par les discours qu'il a tenus... Simplement, la pratique, malheureusement, n'a pas été celle que nous aurions pu souhaiter. Mais ce qui aujourd'hui me fait plaisir, c'est de voir que, de Monsieur Besancenot à Monsieur Juppé, en passant par Monsieur Hollande et par Monsieur Mamère, aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire qu'il y a aujourd'hui une nouvelle situation dans le monde. Et c'est à partir de là qu'il va falloir essayer d'avancer."
Vous avez cité quelques noms, mais parmi vous aussi, durant ces quatre jours, il y aura T. Ramadan, un philosophe musulman qui vient d'écrire un texte controversé, où il stigmatise des "intellectuels juifs français". Que pensez-vous de la présence de T. Ramadan au Forum social ?
- "Qu'il soit là dans le Forum, dans un débat, ne me pose pas de problème..."
Vous avez lu le texte qu'il a écrit ?
- "Par contre, je l'ai dit d'une manière très claire et je le répète aujourd'hui, c'est que pour moi, ce texte n'avait rien à faire sur le site et que je ne crois pas qu'il soit sain de stigmatiser un certain nombre de journalistes ou d'intellectuels, en disant que ces gens-là sont de telle communauté ou de telle communauté, alors que même pour certains, ils n'en sont même pas..."
Certains qualifient ce texte d'"antisémite". Vous partagez ce qualificatif ?
- "Je ne pense pas que le texte, dans son fondement, soit antisémite, mais il est complètement communautariste. Et je pense que cela, il faut le condamner de manière très claire. C'est ce que nous avons fait. Et pour moi, les valeurs que nous portons au niveau de l'altermondialisation, ce sont des valeurs qui doivent être universelles et qui doivent s'exprimer de manière laïque dans leur expression politique."
Au mois d'août, depuis le plateau du Larzac, vous promettiez au Gouvernement une rentrée sociale brûlante. Vous vous êtes trompé ?
- "J'avais fait un constat par rapport à la situation et comment les gens vivaient cette situation. Aujourd'hui, je me rends compte qu'il y a énormément de frustrations, que les gens ne sont pas contents..."
Mais vous vous êtes trompé pour la "rentrée brûlante" ?
- "Mais effectivement, les gens ne sont pas descendus dans la rue, parce qu'ils sont effectivement imprégnés de cette frustration. C'est pour ça que je pense et que beaucoup d'observateurs pensent, qu'énormément de gens seront au Forum social, qui sera d'une certaine manière, depuis le rassemblement du Larzac, le moment où les gens se retrouveront."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 novembre 2003)