Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, dans "Les Echos" du 18 octobre 2004, "Le Télégramme de Brest" du 22 et "Le Journal du dimanche" du 24, sur le projet du gouvernement concernant le licenciement économique, l'assouplissement des 35 heures et les préconisations du rapport Camdessus.

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Média : Energies News - Les Echos - Le Journal du Dimanche - Les Echos

Texte intégral

Les Échos du 18 octobre 2004
Q - Êtes-vous satisfait des modifications annoncées par le gouvernement ?
Jean-Claude Mailly : Ces modifications vont dans le bon sens puisqu'elles concernent trois points essentiels. On ne peut que se féliciter que le gouvernement renonce à toucher à la définition du licenciement économique. L'élargir à la notion de sauvegarde de la compétitivité aurait rendu possible n'importe quel licenciement. De même, nous sommes évidemment satisfaits que soit maintenue la possibilité, pour les salariés dont le licenciement économique aura été annulé par la justice, de réintégrer leur entreprise. En outre, le gouvernement semble prendre en compte la demande de Force ouvrière d'un doublement du droit individuel à la formation pour les licenciés économiques, financé par l'employeur.
La mesure devrait inciter les entreprises à encourager la formation de leurs salariés en amont des restructurations. Sa prise en considération confirme que nous avons eu raison de ne pas pratiquer la stratégie de la chaise vide mais de pousser nos revendications, vendredi, au ministère du Travail.
Q - Vous jugez donc désormais la réforme équilibrée ?
R - D'abord, nous sommes extrêmement prudents et attendons de voir si tout cela va bien être inscrit dans le projet de loi. Mais surtout, ce n'est de toute façon pas suffisant pour Force ouvrière. Les amendements annoncés ne changent pas l'équilibre général du projet de réforme dont la balance penche encore trop en faveur du patronat. Le projet doit encore être amélioré. Nous rencontrons mardi Jean Pierre Raffarin. C'est un des points majeurs que nous évoquerons. Le gouvernement ne semble pas fermé à de nouvelles évolutions.
Q - Concrètement, sur quels points estimez-vous que le texte doit encore changer ?
R - Depuis le début, nous avons dit que nous n'étions pas contre apporter plus de sécurité juridique aux employeurs si, en parallèle, les salariés y trouvent de nouvelles garanties. Or le projet s'arrête, au milieu du gué sur ce point. La durée du congé de reclassement envisagée est trop courte, il faudrait la porter de six mois à un an. Quant à son financement, il est des plus flous. On nous renvoie à une négociation dans le cadre de l'assurance chômage qui n'a plus un sou. Le gouvernement doit reprendre la proposition de FO de créer un fonds de mutualisation. II permettrait, avec une cotisation patronale limitée (0,20 %), de garantir un véritable droit au reclassement en cas de réelle difficulté financière de l'entreprise, ainsi que pour les sous traitants. Il faut aussi faire encore un effort d'allongement des délais de recours et revenir sur le projet d'affirmer la prééminence de l'employeur dans la fixation de l'ordre du jour du comité d'entreprise.
Propos recueillis par Leïla de Comarmond
(Source http://www.force-ouvriere.org, le 18 octobre 2004)
Le Télégramme de Brest.
Q - Qu'il s'agisse de l'assouplissement des procédures de licenciement, des intermittents ou du service minimum, le gouvernement Raffarin recule sur presque tous les fronts sociaux. Cette posture nouvelle vous satisfait-elle ?
R - Dès lors que sur certains dossiers comme le SMIC, les pensions de réversion ou les restructurations, le gouvernement retire des choses qui fâchaient, que l'on appelle cela "recul" ou "dialogue", peu importe, nous y voyons une attitude positive. Pour autant, nombre de revendications fortes sont insatisfaites.
Q - Le gouvernement a renoncé à évoquer dans la future loi la notion de "sauvegarde de la compétitivité" comme justificatif de licenciements. Cette marche arrière est-elle suffisante à vos yeux ?
R - L'abandon de la référence à la compétitivité est positif, et nous n'allons pas faire la fine bouche. Mais il faut aller plus loin. FO a ainsi proposé la création d'un fonds de mutualisation pour les licenciements collectifs. Ce fonds permettrait de maintenir le contrat de travail pendant un an, aussi bien pour les salariés des entreprises touchées directement par les plans sociaux que pour les salariés des entreprises sous-traitantes.
Q - On assiste à un jeu de rôles au sommet de l'État. Face aux libéraux de l'UMP et au MEDEF, Jacques Chirac entend se positionner comme le gardien des acquis sociaux. Est-ce votre sentiment ?
R - Le garant des acquis sociaux, c'est le mouvement syndical. Cela dit, il n'est pas surprenant de constater que le président de la République intervient désormais dans les affaires intérieures, et donc sur les dossiers sociaux. C'est dans la logique du quinquennat.
Q - Un grand nombre d'élus de la majorité réclament un assouplissement des 35 heures, voire l'annulation de la loi. Ne convient-il pas de revenir sur les dispositions de la loi Aubry dommageables à la croissance ?
R - C'est un débat que l'on aborde généralement à partir d'une logique exclusivement libérale. On oublie trop souvent que le passage aux 35 heures a été payé de contreparties importantes de la part des salariés (la modération salariale et la flexibilité). Revenir en arrière aujourd'hui équivaudrait à leur infliger une double peine.
Q - Le ministre de l'Économie et des Finances entend faire du rapport Camdessus son "livre de chevet". Partagez-vous l'enthousiasme de Nicolas Sarkozy pour cette contribution à la réflexion sur l'état de la France ?
R - Nous avons été auditionnés par la commission Camdessus. Ce rapport est d'essence très libérale; s'il était appliqué, on ne serait plus dans une république.
Q - Le rapport Camdessus préconise la création d'un bonus-malus, qui consisterait à faire cotiser davantage les entreprises qui licencient. Comment recevez-vous cette proposition ?
R - L'introduction du bonus-malus s'inscrit dans une logique assurancielle. Elle nous semble tout à lait contraire aux exigences de solidarité qui inspirent le système de protection sociale français. Si une telle mesure devait être introduite, on verrait rapidement des entreprises qui, au prétexte qu'elles ne licencient pas, refuseraient de payer les cotisations chômage.
Q - Pour permettre de remettre au travail des travailleurs âgés, le rapport Camdessus propose la possibilité de cumuler un emploi avec une retraite. Cela va-t-il dans le bon sens ?
R - Là encore, il faut faire très attention. Il est souhaitable de permettre au plus grand nombre de travailler et, notamment, aux salariés plus âgés qui le souhaitent. Mais il ne faut pas qu'une mesure de ce type aboutisse à la création de sous-contrats de travail et qu'elle tire vers le bas l'ensemble des contrats de travail. Ce risque est également évident en ce qui concerne la proposition de fusionner les CDD et les CDI. Une telle disposition conduirait inéluctablement à aggraver la précarité dont les salariés en CDD souffrent aujourd'hui, puisqu'elle conduirait en réalité à aligner la situation des travailleurs actuellement protégés par des CDI sur celle des CDD. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place une formule tout à fait différente, qui consisterait à instaurer une surcotisation patronale sur le travail précaire.
Q - Comment réagissez-vous à la proposition Camdessus de modérer la progression du SMIC ?
R - La remise en cause du SMIC, ce vieux rêve du MEDEF, serait extrêmement dangereuse et aurait des conséquences sociales incalculables. Je rappelle que les salaires, jusqu'à 1,7 fois le SMIC, sont déjà exonérés de cotisations afin d'alléger les cotisations sociales des entreprises. Et, pour nous, le bon SMIC serait celui qui ne servirait à rien parce que tout le monde recevrait une rémunération plus importante.
Q - Le rapport Camdessus dénonce le poids excessif de l'Administration et préconise un abaissement de la dépense publique. Une telle politique serait-elle acceptable pour un syndicat comme FO qui est particulièrement implanté dans la fonction publique et les services publics ?
R - Cette mise en cause des services publics participe de la logorrhée libérale qui sous-tend le rapport Camdessus. Les politiques qui déclarent, au moment des élections, être "attachés aux valeurs républicaines" oublient trop facilement leurs promesses électorales. Sans services publics, il n'y a pas de république. Et si nous ne nous opposons pas à la réintroduction de Renault ou de la SNECMA dans le marché, nous entrerions en résistance si l'on touchait demain à EDF-GDF ou à La Poste. Sans services publics forts, il n'y a pas d'égalité.
(Source http://www.force-ouvriere.org, le 3 novembre 2004)
Le Journal du dimanche du 24 octobre 2004
Q - Quelles nouvelles modifications demandez-vous au gouvernement ?
Jean-Claude Mailly: Le gouvernement a fait évoluer ce texte, qui reprenait au départ toutes les idées patronales. Mais cela ne suffit pas. Nous proposons que les entreprises cotisent à un fonds de mutualisation, à hauteur de 0,2% de la masse salariale. En cas de difficultés, ce fonds garantirait le maintien du contrat de travail, et donc des salaires, pendant douze mois. Y compris pour les salariés chez les sous-traitants, eux aussi concernés lorsque les grandes entreprises font des restructurations. Je l'ai dit à Jean Pierre Raffarin. I1 a mis cette idée à l'étude.
Q - Vous critiquez le nouveau calcul des effectifs pour les plans sociaux, pourquoi ?
R - Prenons un exemple. Une entreprise veut licencier douze personnes. Dans la situation actuelle, elle doit faire un plan social. Si le projet du gouvernement est adopté, il suffira que le patron fasse accepter une modification du contrat de travail à trois salariés pour pouvoir alors licencier les neuf autres sans respecter les procédures sur le licenciement collectif. Cela risque d'augmenter le nombre de "petits" licenciements, déjà très nombreux.
Q - Le droit au reclassement pour les licenciés des entreprises de moins de 1000 salariés pose-t-il un problème ?
R - Le gouvernement demande à l'assurance chômage, très déficitaire, de participer à son financement. Cela nécessite une négociation avec le patronat. Or, le Medef refuse toute hausse de cotisations. Avant que les négociations n'aboutissent, de nombreux salariés licenciés risquent de passer au travers, ou d'attendre de longs mois. Ce n'est pas acceptable.
Q - Que pensez-vous de la proposition du rapport Camdessus de fusionner les CDI et les CDD ?
R - Cela développerait la précarité. Or, la précarité coûte très cher à la collectivité. Plus de la moitié des chômeurs indemnisés sortent de contrats précaires. Les entreprises embauchent en sachant que c'est l'Assedic qui va payer. Camdessus, c'est le contrat précaire pour tout le monde. Il a vécu trop longtemps aux Etats-Unis, il a oublié que la France était une République attachée à la solidarité et à l'égalité.
Le gouvernement entame en novembre des discussions sur les salaires des fonctionnaires. La réforme des licenciements collectifs fâche le patronat et les syndicats. Le gouvernement a déjà retouché son projet, qui passe au Sénat à partir de mercredi, dans la loi sur la Cohésion sociale de Jean-Louis Borloo. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, explique ses revendications au JDD.
Q - Quelles augmentations réclamez-vous ?
R - Le pouvoir d'achat des fonctionnaires a diminué de 5% depuis 2000. C'est notre base de négociation.
En outre, les fonctionnaires vont devoir supporter une hausse de leurs cotisations retraite et la hausse de la CSG. Le ministre de la Fonction publique (Renaud Dutreil, ndlr) nous dit que l'Etat n'a pas de marges dans son budget. C'est un problème de fond.
Q - Le Conseil d'État a refusé vendredi d'intégrer l'Unsa parmi les syndicats représentatifs des salariés. Approuvez-vous ?
R - Faudrait-il sept, huit, neuf syndicats ? Le paysage syndical français est déjà pluraliste. Il n'y a pas d'intérêt à étendre ce champ. L'éparpillement ne serait pas favorable aux salariés.
Propos recueillis par Nicolas Prisette

(Source http://www.force-ouvriere.org, le 26 octobre 2004)