Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté de clore le colloque que vous venez d'organiser sur l'indépendance de l'Europe et la souveraineté technologique. Je salue les différents parlementaires qui sont ici présents, les différents présidents d'entreprises ou d'organisations partenaires de l'Etat sur ces sujets stratégiques, et vous, cher Président Terrenoire. Je me réjouis d'abord que votre invitation me donne l'occasion de saluer le travail accompli par ce précieux laboratoire d'idées sur l'avenir de l'Europe qu'est Paneurope France et de rendre hommage à l'ardeur intacte avec laquelle sa maison mère, l'Union Paneuropéenne défend depuis 1926 la cause de l'unification de l'Europe.
Je me réjouis aussi de m'exprimer devant vous, car on ne pouvait sans doute choisir meilleur thème de réflexion.
Certes, l'attention est aujourd'hui largement mobilisée par d'autres enjeux, au moment où l'Europe est à la fois à un tournant décisif de son histoire institutionnelle et politique et à la veille, avec son élargissement, de changer de dimension.
Mais au-delà de cette évolution fondamentale de sa stature géopolitique, l'Europe tout entière vit aussi une révolution portée par les nouvelles technologies, une révolution qui est train de transformer en profondeur le quotidien des européens, nos pratiques économiques et notre vie culturelle.
L'Europe entre dans une société de l'intelligence, de l'information, de la connaissance, ou sa maîtrise des technologies et sa capacité à innover deviennent des ressorts évidents de sa puissance, de son indépendance et de sa souveraineté. Regardons autour de nous : il n'est plus de pays prospère et puissant qui ne soit innovant.
L'importance de cette révolution et la réalité de ces enjeux méritaient bien ce colloque. Elles méritent aussi une mobilisation forte et durable de la France et de ses partenaires pour prendre la mesure de ces enjeux et proposer des initiatives nouvelles, comme vous nous y invitez aujourd'hui.
D'autres pays ont sans doute perçu plus tôt que nous, européens, cette nécessité.
La France s'intéresse néanmoins au défi de la souveraineté technologique de l'Europe depuis de nombreuses années. Elle l'a prouvé en lançant des initiatives sectorielles importantes - notamment dans le spatial, l'aéronautique, l'électronique et l'armement, avec nos partenaires allemands, italiens, espagnols ou britanniques - qui ont permis à l'Europe de s'affirmer davantage sur le plan international.
Ensemble, les Européens ont ainsi pu donner naissance à des géants mondiaux de la technologie, tels que EADS, AIRBUS, ST MICROELECTRONICS ou ARCELOR.
L'Union Européenne doit poursuivre son action en faveur d'une maîtrise technologique commune plus structurée au niveau communautaire, dans un certain nombre de domaines stratégiques.
J'entends que la France soit un des moteurs de cette dynamique qui, après la réalisation de l'euro et du marché intérieur,- est sans doute une des nouvelles frontières qui s'offrent à l'Europe.
Car, ne l'oublions pas, sans maîtrise technologique, pas d'innovations garantes de notre compétitivité, pas de moyens d'assurer des formations d'excellence et un emploi suffisant, peu de croissance. Et sans croissance, pas de moyens de financer, tant de façon privée que publique, les moyens d'une maîtrise technologique suffisante.
Dans certains domaines, comme les technologies de l'information, cruciaux dans la société de la connaissance qui prend forme, ou certains aspects stratégiques liés à la santé, tout ou beaucoup reste par ailleurs à construire en Europe.
Dans d'autres domaines, de -nouvelles impulsions sont nécessaires. Je pense notamment à celui de la maîtrise technologique dans le domaine de la défense. La nouvelle donne en matière de sécurité qui a, en l'espace d'une décennie, transféré des conflits potentiels ou réels issus de la guerre froide des marches de l'Europe à des théâtres distants, ou à son sol même selon des modalités inédites jusqu'alors, rend nécessaire une réévaluation des priorités.
D'autant que notre pays, et l'Europe dans son ensemble, sont confrontés à une double concurrence : celle des États-Unis et celle des pays émergents.
Les États-Unis ont réagi à la crise financière du début de la décennie, et aux aléas géopolitiques, par une politique extrêmement active s'agissant des technologies : leur effort public est passé de 2000 à 2004 de 78 à 117 Mds $, avec une augmentation de 339 à 63MdsS pour la défense et la sécurité.
Sans réaction européenne, ce dynamisme américain risque d'aggraver une fracture technologique, et avec elle un différentiel de croissance, de prospérité et d'emploi,
Il faut également relever que le champ couvert par les technologies développées dans le cadre de cette politique d'investissement américain excède largement celui de la défense. D'autre part, des pays émergents comme la Chine et l'Inde font désormais preuve d'un très grand dynamisme technologique.
La préservation de notre indépendance et de notre souveraineté technologiques exige donc des réponses fortes. .
Le gouvernement français, face à cette nouvelle donne, n'est pas resté inactif. Il a agi, et agit encore, sur tous les fronts, européens, internationaux et nationaux.
Un nouvel outil au service de la souveraineté technologique : l'Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires
Dans le domaine des technologies de souveraineté liées à la défense trois pays en Europe effectuent aujourd'hui plus de 90 % de l'effort total au sein de l'Union. Et cet effort demeure loin derrière celui des États-Unis.
L'idée d'une coopération accrue sur une base plus large, renforçant la volonté des européens de maîtriser leur destin commun, est donc naturelle. C'est à cette fin que le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit la création d'une " Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires".
Cette agence, placée sous l'autorité du Conseil, permettra aux Etats qui le souhaitent de participer à des programmes additionnels. Sa création a fait l'objet d'une annonce forte lors du Conseil européen du 12 décembre dernier, en droite ligne avec la décision déjà prise en ce sens par le Conseil européen de Thessalonique en juin dernier.
Sa montée en puissance est en cours, et devrait aboutir, à un horizon proche, à des moyens significatifs, visibles parmi les priorités de l'Union.
Pour mémoire, je rappelle que demeure à côté de cette agence cet autre outil essentiel en matière de coopération et de stratégie industrielle qu'est l'Agence Spatiale Européenne.
La coopération avec les Etats-Unis
S'agissant de la recherche civile et de la maîtrise technologique qu'elle induit, les grands groupes en France, mais aussi dans les principaux pays industrialisés, conduisent près des quatre cinquièmes des efforts de recherche et développement privés, en symbiose étroite avec de jeunes entreprises innovantes, que souvent ils rachètent
Ces groupes gèrent leur politique d'innovation et de recherche sur une base mondiale, préférant s'installer là où le cadre est le plus propice à leur développement. Il nous appartient en l'espèce de conforter les échanges mutuellement fructueux et très denses qui existent avec les Etats-Unis, par un échange des cerveaux équilibré.
Il convient également de développer des pôles d'excellence, en France et en Europe, où ces cerveaux trouveront, dans des conditions d'accueil satisfaisantes, les moyens de leurs ambitions. Cette coopération est sans préjudice du légitime souci de disposer, dans des domaines sensibles, des moyens pour les Européens de mieux maîtriser leur propre avenir.
La participation active aux efforts européens
S'il est une leçon que nous a apprise la dernière décennie, c'est qu'en de nombreux domaines, les technologies sensibles se sont développées sur une base civile, leur ouvrant les marchés vastes qui permettent des économies d'échelle - quittes à ce que les technologies sensibles soient ensuite: "durcies", sécurisées, pour des applications de souveraineté.
Aussi, la problématique des technologies de souveraineté en Europe passe-t-elle, pour partie, par des réseaux technologiques et d'innovation, nationaux et transeuropéens, plus denses.
Les " clusters " Eurêka ont par exemple permis, dans les nanotechnologies, que nous disposions aujourd'hui d'une plate-forme majeure à échelle mondiale, là où nous étions tout simplement absents au début de la précédente décennie. Ils montrent aussi combien les collectivités locales et régionales peuvent - avoir un rôle significatif dans l'accompagnement, aux côtés de l'Etat, des initiatives industrielles.
La France a par ailleurs soutenu les initiatives visant à un accroissement de la part relative du PCRD au sein du budget de l'Union, pour mieux préparer l'avenir. Elle sera attentive à ce que leur pilotage stratégique demeure suffisamment ciblé pour permettre à des pôles d'attraction majeurs en Europe: de jouer pleinement leur rôle.
Pour répondre à l'objectif de long terme fixé dans ce cadre, notre objectif demeure, et vient d'être réaffirmé avec force par mon gouvernement.
Je formule le vu qu'au delà des divergences partisanes, l'intérêt général prévale pour que les régions contribuent, comme elles. le font déjà, à un tel effort, chaque fois que leurs atouts rendront cette contribution à l'évidence utile.
La prospective à long terme
Accroître les moyens dévolus à une. Plus grande autonomie européenne n'aurait pas de sens, sans feuille de route.
J'ai ainsi demandé voici un an à l'ANRT, conjointement avec les partenaires publics et privés concernés, d'organiser une tâche de prospective à long terme sur le système français de recherche et d'innovation. Une première phase vient de s'achever et d'être rendue publique.
Cette analyse fait apparaître, pour l'instant. à grands traits, les domaines dans lesquels il importe de rester actif, s'agissant des technologies de souveraineté. Elle est du reste corroborée par les travaux menés. récemment par l'OCDE sur les risques systémiques émergents au XXIe siècle.
L'espace continue d'y jouer un rôle majeur, ainsi que le nucléaire et d'autres moyens visant à réduire notre dépendance énergétique, alors même que le prix de l'énergie dominante tend à remonter structurellement, et que les risques latents sur les approvisionnements n'ont pas tendance à décroître.
Certains aspects des technologies de l'information y prennent de l'ampleur (nanotechnologies, certains logiciels, gestion de la connaissance. Et, de façon plus nette, le vivant y prend une part nouvelle.
Ce travail montre également la nécessité d'un pilotage stratégique des choix, pour tenir compte de la disponibilité des moyens humains et budgétaires. La loi de programmation et d'orientation de la recherche que le Président de la République a appelé de ses voeux devrait, d'ici la fin de l'année, être l'occasion de formuler de tels choix.
La priorité à la recherche et à l'innovation
Un des enseignements majeurs que nous pouvons retirer à la fois de l'exemple de nos partenaires les plus dynamiques, et des travaux de prospective ou d'analyse économique, c'est la nécessité d'un couplage fort entre l'effort national de recherche et l'innovation.
Sans souci de produire des applications innovantes qui sont de vraies sources de valeur, il n'est -pas de moyen de soutenir un effort de recherche à un niveau d'excellence mondial. Sans effort de recherche, y compris fondamentale, à un tel niveau d'excellence, l'innovation a peu de chances d'agir plus qu'à la marge sur notre dynamisme industriel et économique.
Nous savons que les innovations qui n'irriguent pas le tissu industriel, pour utiles qu'elles soient, ne sont pas celles qui suffisent à faire la différence à long terme pour la croissance et l'emploi.
Aujourd'hui la dépense intérieure de recherche et développement française avoisine 32Mdse, dont, en exécution, 39 % publics et 61 % privés. Ces montants nous permettent d'espérer exister sur la scène mondiale" de façon significative - à condition toutefois :
- d'une part de construire localement des pôles d'excellence, où travailleront en symbiose forte des laboratoires publics, des entreprises petites et grandes ;
- d'autre part de travailler en coopération., étroite avec les meilleurs dans le monde, et de conjuguer nos efforts au niveau européen.
C'est cette ambition qui doit nous porter.
Les formations d'excellence :
La France a su maintenir son indépendance en matière de technologies de souveraineté grâce à ses formations d'excellence. D'elles sont sortis les talents qui ont entraîné les équipes nécessaires, catalysé les moyens, mis en place les réseaux utiles.
Deux priorités s'imposent:
- Tout d'abord, il faut capitaliser sur notre acquis en ce domaine, et le valoriser internationalement, au besoin en regroupant les forces par des alliances appropriées. Ceci vaut tout particulièrement pour les grandes écoles.
- Ensuite, on a beaucoup fait état dans les années 2000 de la désaffection pour les métiers scientifiques et techniques. Ma conviction est qu'il ne faut ni surestimer, ni sous-estimer cette désaffection. Je, suis convaincu que nous allons vers une reprise. Elle est nécessaire. En effet, nous avons devant nous, dès 2006, une demande forte des entreprises dans les métiers scientifiques et d'ingénieurs. Pour relever ce défi, nous devons améliorer l'attractivité des formations supérieures qui répondent à ces besoins.
Cette action cohérente et forte pour préserver, avec nos partenaires européens, les conditions de notre maîtrise technologique passe aussi par la création en France d'un environnement favorable à l'innovation portée par les entreprises.
Nous avons redonné de la souplesse à l'innovation, à l'initiative et à l'effort. C'est le sens de notre plan pour l'innovation, de la refonte du crédit d'impôt recherche (5 % en, volume), de la création du statut de Jeune Entreprise Innovante (8 ans sans charge).
Au-delà de la multiplication des jeunes pousses fragiles, nous avons aussi besoin de favoriser l'émergence en France et en Europe de nouvelles grandes entreprises, leaders européens, leaders mondiaux dans l'informatique, les biotechnologies, les nanotechnologies, l'énergie, la défense, suffisamment musclées en capitaux.
Je suis conscient que, pour trouver un financement. en phase avec les ambitions de l'Europe dans ces domaines, les entreprises innovantes rencontrent encore des problèmes et ont sans doute besoin d'un marché des nouvelles technologies capable d'offrir les mêmes opportunités que le NASDAQ. Il me semble pertinent qu'une réflexion et une concertation soient encagées sur ce point par l'ensemble des acteurs concernés en Europe, et notamment par ceux des actuels nouveaux marchés.
Comme le montraient avant hier encore les chiffres sur les investissements étrangers, l'image de la France est en train de changer: la France commence à être plus largement perçue comme un pays qui innove et avance,. elle est en train de gagner le pari de l'attractivité et de l'ancrage dans la modernité.
Ma conviction est qu'elle ne pourra pleinement le réussir qu'en construisant en coopération permanente avec ses partenaires européens un espace où se déploiera, à l'échelle, de cette grande Europe aux frontières élargies, une société de l'intelligence, seule garante pour l'avenir de notre compétitivité et de notre indépendance collectives.
S'il est permis de citer une grande figure américaine pour clore un colloque européen, je voudrais conclure sur ces mots de Roosevelt " Chacun de -nous a appris les gloires de l'indépendance. Que chacun de nous apprenne les gloires de l'interdépendance ".
(Source http://www.admiroutes.asso.fr, le 3 août 2004)
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté de clore le colloque que vous venez d'organiser sur l'indépendance de l'Europe et la souveraineté technologique. Je salue les différents parlementaires qui sont ici présents, les différents présidents d'entreprises ou d'organisations partenaires de l'Etat sur ces sujets stratégiques, et vous, cher Président Terrenoire. Je me réjouis d'abord que votre invitation me donne l'occasion de saluer le travail accompli par ce précieux laboratoire d'idées sur l'avenir de l'Europe qu'est Paneurope France et de rendre hommage à l'ardeur intacte avec laquelle sa maison mère, l'Union Paneuropéenne défend depuis 1926 la cause de l'unification de l'Europe.
Je me réjouis aussi de m'exprimer devant vous, car on ne pouvait sans doute choisir meilleur thème de réflexion.
Certes, l'attention est aujourd'hui largement mobilisée par d'autres enjeux, au moment où l'Europe est à la fois à un tournant décisif de son histoire institutionnelle et politique et à la veille, avec son élargissement, de changer de dimension.
Mais au-delà de cette évolution fondamentale de sa stature géopolitique, l'Europe tout entière vit aussi une révolution portée par les nouvelles technologies, une révolution qui est train de transformer en profondeur le quotidien des européens, nos pratiques économiques et notre vie culturelle.
L'Europe entre dans une société de l'intelligence, de l'information, de la connaissance, ou sa maîtrise des technologies et sa capacité à innover deviennent des ressorts évidents de sa puissance, de son indépendance et de sa souveraineté. Regardons autour de nous : il n'est plus de pays prospère et puissant qui ne soit innovant.
L'importance de cette révolution et la réalité de ces enjeux méritaient bien ce colloque. Elles méritent aussi une mobilisation forte et durable de la France et de ses partenaires pour prendre la mesure de ces enjeux et proposer des initiatives nouvelles, comme vous nous y invitez aujourd'hui.
D'autres pays ont sans doute perçu plus tôt que nous, européens, cette nécessité.
La France s'intéresse néanmoins au défi de la souveraineté technologique de l'Europe depuis de nombreuses années. Elle l'a prouvé en lançant des initiatives sectorielles importantes - notamment dans le spatial, l'aéronautique, l'électronique et l'armement, avec nos partenaires allemands, italiens, espagnols ou britanniques - qui ont permis à l'Europe de s'affirmer davantage sur le plan international.
Ensemble, les Européens ont ainsi pu donner naissance à des géants mondiaux de la technologie, tels que EADS, AIRBUS, ST MICROELECTRONICS ou ARCELOR.
L'Union Européenne doit poursuivre son action en faveur d'une maîtrise technologique commune plus structurée au niveau communautaire, dans un certain nombre de domaines stratégiques.
J'entends que la France soit un des moteurs de cette dynamique qui, après la réalisation de l'euro et du marché intérieur,- est sans doute une des nouvelles frontières qui s'offrent à l'Europe.
Car, ne l'oublions pas, sans maîtrise technologique, pas d'innovations garantes de notre compétitivité, pas de moyens d'assurer des formations d'excellence et un emploi suffisant, peu de croissance. Et sans croissance, pas de moyens de financer, tant de façon privée que publique, les moyens d'une maîtrise technologique suffisante.
Dans certains domaines, comme les technologies de l'information, cruciaux dans la société de la connaissance qui prend forme, ou certains aspects stratégiques liés à la santé, tout ou beaucoup reste par ailleurs à construire en Europe.
Dans d'autres domaines, de -nouvelles impulsions sont nécessaires. Je pense notamment à celui de la maîtrise technologique dans le domaine de la défense. La nouvelle donne en matière de sécurité qui a, en l'espace d'une décennie, transféré des conflits potentiels ou réels issus de la guerre froide des marches de l'Europe à des théâtres distants, ou à son sol même selon des modalités inédites jusqu'alors, rend nécessaire une réévaluation des priorités.
D'autant que notre pays, et l'Europe dans son ensemble, sont confrontés à une double concurrence : celle des États-Unis et celle des pays émergents.
Les États-Unis ont réagi à la crise financière du début de la décennie, et aux aléas géopolitiques, par une politique extrêmement active s'agissant des technologies : leur effort public est passé de 2000 à 2004 de 78 à 117 Mds $, avec une augmentation de 339 à 63MdsS pour la défense et la sécurité.
Sans réaction européenne, ce dynamisme américain risque d'aggraver une fracture technologique, et avec elle un différentiel de croissance, de prospérité et d'emploi,
Il faut également relever que le champ couvert par les technologies développées dans le cadre de cette politique d'investissement américain excède largement celui de la défense. D'autre part, des pays émergents comme la Chine et l'Inde font désormais preuve d'un très grand dynamisme technologique.
La préservation de notre indépendance et de notre souveraineté technologiques exige donc des réponses fortes. .
Le gouvernement français, face à cette nouvelle donne, n'est pas resté inactif. Il a agi, et agit encore, sur tous les fronts, européens, internationaux et nationaux.
Un nouvel outil au service de la souveraineté technologique : l'Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires
Dans le domaine des technologies de souveraineté liées à la défense trois pays en Europe effectuent aujourd'hui plus de 90 % de l'effort total au sein de l'Union. Et cet effort demeure loin derrière celui des États-Unis.
L'idée d'une coopération accrue sur une base plus large, renforçant la volonté des européens de maîtriser leur destin commun, est donc naturelle. C'est à cette fin que le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit la création d'une " Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires".
Cette agence, placée sous l'autorité du Conseil, permettra aux Etats qui le souhaitent de participer à des programmes additionnels. Sa création a fait l'objet d'une annonce forte lors du Conseil européen du 12 décembre dernier, en droite ligne avec la décision déjà prise en ce sens par le Conseil européen de Thessalonique en juin dernier.
Sa montée en puissance est en cours, et devrait aboutir, à un horizon proche, à des moyens significatifs, visibles parmi les priorités de l'Union.
Pour mémoire, je rappelle que demeure à côté de cette agence cet autre outil essentiel en matière de coopération et de stratégie industrielle qu'est l'Agence Spatiale Européenne.
La coopération avec les Etats-Unis
S'agissant de la recherche civile et de la maîtrise technologique qu'elle induit, les grands groupes en France, mais aussi dans les principaux pays industrialisés, conduisent près des quatre cinquièmes des efforts de recherche et développement privés, en symbiose étroite avec de jeunes entreprises innovantes, que souvent ils rachètent
Ces groupes gèrent leur politique d'innovation et de recherche sur une base mondiale, préférant s'installer là où le cadre est le plus propice à leur développement. Il nous appartient en l'espèce de conforter les échanges mutuellement fructueux et très denses qui existent avec les Etats-Unis, par un échange des cerveaux équilibré.
Il convient également de développer des pôles d'excellence, en France et en Europe, où ces cerveaux trouveront, dans des conditions d'accueil satisfaisantes, les moyens de leurs ambitions. Cette coopération est sans préjudice du légitime souci de disposer, dans des domaines sensibles, des moyens pour les Européens de mieux maîtriser leur propre avenir.
La participation active aux efforts européens
S'il est une leçon que nous a apprise la dernière décennie, c'est qu'en de nombreux domaines, les technologies sensibles se sont développées sur une base civile, leur ouvrant les marchés vastes qui permettent des économies d'échelle - quittes à ce que les technologies sensibles soient ensuite: "durcies", sécurisées, pour des applications de souveraineté.
Aussi, la problématique des technologies de souveraineté en Europe passe-t-elle, pour partie, par des réseaux technologiques et d'innovation, nationaux et transeuropéens, plus denses.
Les " clusters " Eurêka ont par exemple permis, dans les nanotechnologies, que nous disposions aujourd'hui d'une plate-forme majeure à échelle mondiale, là où nous étions tout simplement absents au début de la précédente décennie. Ils montrent aussi combien les collectivités locales et régionales peuvent - avoir un rôle significatif dans l'accompagnement, aux côtés de l'Etat, des initiatives industrielles.
La France a par ailleurs soutenu les initiatives visant à un accroissement de la part relative du PCRD au sein du budget de l'Union, pour mieux préparer l'avenir. Elle sera attentive à ce que leur pilotage stratégique demeure suffisamment ciblé pour permettre à des pôles d'attraction majeurs en Europe: de jouer pleinement leur rôle.
Pour répondre à l'objectif de long terme fixé dans ce cadre, notre objectif demeure, et vient d'être réaffirmé avec force par mon gouvernement.
Je formule le vu qu'au delà des divergences partisanes, l'intérêt général prévale pour que les régions contribuent, comme elles. le font déjà, à un tel effort, chaque fois que leurs atouts rendront cette contribution à l'évidence utile.
La prospective à long terme
Accroître les moyens dévolus à une. Plus grande autonomie européenne n'aurait pas de sens, sans feuille de route.
J'ai ainsi demandé voici un an à l'ANRT, conjointement avec les partenaires publics et privés concernés, d'organiser une tâche de prospective à long terme sur le système français de recherche et d'innovation. Une première phase vient de s'achever et d'être rendue publique.
Cette analyse fait apparaître, pour l'instant. à grands traits, les domaines dans lesquels il importe de rester actif, s'agissant des technologies de souveraineté. Elle est du reste corroborée par les travaux menés. récemment par l'OCDE sur les risques systémiques émergents au XXIe siècle.
L'espace continue d'y jouer un rôle majeur, ainsi que le nucléaire et d'autres moyens visant à réduire notre dépendance énergétique, alors même que le prix de l'énergie dominante tend à remonter structurellement, et que les risques latents sur les approvisionnements n'ont pas tendance à décroître.
Certains aspects des technologies de l'information y prennent de l'ampleur (nanotechnologies, certains logiciels, gestion de la connaissance. Et, de façon plus nette, le vivant y prend une part nouvelle.
Ce travail montre également la nécessité d'un pilotage stratégique des choix, pour tenir compte de la disponibilité des moyens humains et budgétaires. La loi de programmation et d'orientation de la recherche que le Président de la République a appelé de ses voeux devrait, d'ici la fin de l'année, être l'occasion de formuler de tels choix.
La priorité à la recherche et à l'innovation
Un des enseignements majeurs que nous pouvons retirer à la fois de l'exemple de nos partenaires les plus dynamiques, et des travaux de prospective ou d'analyse économique, c'est la nécessité d'un couplage fort entre l'effort national de recherche et l'innovation.
Sans souci de produire des applications innovantes qui sont de vraies sources de valeur, il n'est -pas de moyen de soutenir un effort de recherche à un niveau d'excellence mondial. Sans effort de recherche, y compris fondamentale, à un tel niveau d'excellence, l'innovation a peu de chances d'agir plus qu'à la marge sur notre dynamisme industriel et économique.
Nous savons que les innovations qui n'irriguent pas le tissu industriel, pour utiles qu'elles soient, ne sont pas celles qui suffisent à faire la différence à long terme pour la croissance et l'emploi.
Aujourd'hui la dépense intérieure de recherche et développement française avoisine 32Mdse, dont, en exécution, 39 % publics et 61 % privés. Ces montants nous permettent d'espérer exister sur la scène mondiale" de façon significative - à condition toutefois :
- d'une part de construire localement des pôles d'excellence, où travailleront en symbiose forte des laboratoires publics, des entreprises petites et grandes ;
- d'autre part de travailler en coopération., étroite avec les meilleurs dans le monde, et de conjuguer nos efforts au niveau européen.
C'est cette ambition qui doit nous porter.
Les formations d'excellence :
La France a su maintenir son indépendance en matière de technologies de souveraineté grâce à ses formations d'excellence. D'elles sont sortis les talents qui ont entraîné les équipes nécessaires, catalysé les moyens, mis en place les réseaux utiles.
Deux priorités s'imposent:
- Tout d'abord, il faut capitaliser sur notre acquis en ce domaine, et le valoriser internationalement, au besoin en regroupant les forces par des alliances appropriées. Ceci vaut tout particulièrement pour les grandes écoles.
- Ensuite, on a beaucoup fait état dans les années 2000 de la désaffection pour les métiers scientifiques et techniques. Ma conviction est qu'il ne faut ni surestimer, ni sous-estimer cette désaffection. Je, suis convaincu que nous allons vers une reprise. Elle est nécessaire. En effet, nous avons devant nous, dès 2006, une demande forte des entreprises dans les métiers scientifiques et d'ingénieurs. Pour relever ce défi, nous devons améliorer l'attractivité des formations supérieures qui répondent à ces besoins.
Cette action cohérente et forte pour préserver, avec nos partenaires européens, les conditions de notre maîtrise technologique passe aussi par la création en France d'un environnement favorable à l'innovation portée par les entreprises.
Nous avons redonné de la souplesse à l'innovation, à l'initiative et à l'effort. C'est le sens de notre plan pour l'innovation, de la refonte du crédit d'impôt recherche (5 % en, volume), de la création du statut de Jeune Entreprise Innovante (8 ans sans charge).
Au-delà de la multiplication des jeunes pousses fragiles, nous avons aussi besoin de favoriser l'émergence en France et en Europe de nouvelles grandes entreprises, leaders européens, leaders mondiaux dans l'informatique, les biotechnologies, les nanotechnologies, l'énergie, la défense, suffisamment musclées en capitaux.
Je suis conscient que, pour trouver un financement. en phase avec les ambitions de l'Europe dans ces domaines, les entreprises innovantes rencontrent encore des problèmes et ont sans doute besoin d'un marché des nouvelles technologies capable d'offrir les mêmes opportunités que le NASDAQ. Il me semble pertinent qu'une réflexion et une concertation soient encagées sur ce point par l'ensemble des acteurs concernés en Europe, et notamment par ceux des actuels nouveaux marchés.
Comme le montraient avant hier encore les chiffres sur les investissements étrangers, l'image de la France est en train de changer: la France commence à être plus largement perçue comme un pays qui innove et avance,. elle est en train de gagner le pari de l'attractivité et de l'ancrage dans la modernité.
Ma conviction est qu'elle ne pourra pleinement le réussir qu'en construisant en coopération permanente avec ses partenaires européens un espace où se déploiera, à l'échelle, de cette grande Europe aux frontières élargies, une société de l'intelligence, seule garante pour l'avenir de notre compétitivité et de notre indépendance collectives.
S'il est permis de citer une grande figure américaine pour clore un colloque européen, je voudrais conclure sur ces mots de Roosevelt " Chacun de -nous a appris les gloires de l'indépendance. Que chacun de nous apprenne les gloires de l'interdépendance ".
(Source http://www.admiroutes.asso.fr, le 3 août 2004)