Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, sur RTL le 15 juillet 2004, sur les mesures annoncées par M. J. Chirac, Président de la république, notamment l'assouplissement de la loi sur les 35h et "la pause" concernant la baisse de l'impôt sur le revenu.

Prononcé le

Circonstance : Déclaration de M. Jacques Chirac, Président de la république, à l'occasion du 14 juillet 2004

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J-M. Aphatie - Avant d'évoquer le fond des propos que J. Chirac a tenus hier, un mot relatif à la forme de son intervention : "Je décide, et il exécute", a dit le président de la République. Ce sont des propos, des attitudes de patron et on imagine que cela vous a plu ?
E.-A. Seillière - "Oui c'est vrai que le patron des patrons ne peut qu'apprécier qu'il y en ait un de plus ! Mais cela dit, cela va sans dire ... Qui a de l'autorité dans notre pays ? C'est bien le président de la République ! Donc je trouve que ce n'est pas une nouvelle !"
J.-M. Aphatie - Cela va sans dire mais il faut le dire ?
E.-A. Seillière - "Ecoutez, cela a été dit en tout cas..."
J.-M. Aphatie - Vous demandiez une modification de la loi sur les 35 heures, pour permettre - je vous cite - "à ceux qui le souhaitent de travailler plus s'ils le veulent". Hier, le chef de l'Etat a lié de nouveaux assouplissements des 35 heures à une négociation entre les partenaires sociaux, dans le cadre, a-t-il dit, des limites de la loi et des accords de branches, ce qui exclut une modification législative. Etes-vous déçu ?
E.-A. Seillière - "C'est une présentation politique très habile, et en tant que telle, il faut la saluer. Mais pour nous, Medef, c'est très clair : si on veut, comme le dit le Président, qu'il y ait de la négociation en entreprise pour pouvoir sortir des 35 heures, il faut modifier la loi ! Il faut que la loi puisse dire que les 35 heures s'appliquent, sauf accord entre partenaires sociaux dans l'entreprise qui disent le contraire. Alors là, nous aurons reconquis la liberté, comme le souhaite le Président, comme le souhaite la majorité des Français, et comme le souhaitent bien entendu les entrepreneurs. Mais dire que nous ne touchons pas à la loi, que c'est un acquis social, alors là, on ne le comprend pas !"
J.-M. Aphatie - C'est ce qu'a dit le Président hier, on est d'accord ?
E.-A. Seillière - "Oui, mais cette ambiguïté du propos est politique. Nous, nous rappelons très fermement à ceux qui nous dirigent, que si on veut éviter en effet des difficultés économiques liées aux 35 heures Les 35 heures vous savez, ce n'est pas la pente glissante : c'est le toboggan vers le recul économique un jour ou l'autre ! Et la pente glissante qui a été signalée, elle est beaucoup plus grave pour les 35 heures, que pour ceux qui décident en entreprise qu'on va travailler plus pour sauver son emploi. Il vaut mieux travailler plus pour sauver son emploi que travailler moins, et le perdre."
J.-M. Aphatie - On a vu, à Vénissieux, l'entreprise Bosch demander à ses salariés de travailler plus, pour le même salaire. Sinon, disaient les responsables de Bosch, on ira s'installer en République tchèque. Est-ce que vous redoutez que beaucoup de patrons, dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, aient cette attitude ?
E.-A. Seillière - "Je n'ai pas du tout à le redouter ni à le juger. C'est dans chaque entreprise que l'on peut dire : écoutez, Mesdames et Messieurs, je suis désolé, nous n'y arrivons plus, nos coûts du travail sont trop forts, nous ne pouvons pas continuer à produire, donc il va falloir faire quelque chose. Baisser vos salaires, on n'y songe pas. Les charges malheureusement, tout le monde dit qu'on les baisse, on ne le baisse pas et donc on va vous demander de travailler plus, comme dans l'Europe entière. Vous savez, avec les 35 heures, je le rappelle, nous sommes seuls au monde ! Alors dire qu'il faut négocier dans l'entreprise, ce n'est pas en même temps juger ce que font les entreprises. Laissez-nous nous faire. La liberté, s'il vous plaît."
J.-M. Aphatie - On appelle cela "le chantage à la délocalisation" ?
E.-A. Seillière - "C'est une formule sans but. Chaque entreprise est maîtresse de son destin. Il y a des moments où elle sait qu'elle ne peut pas rester là où elle est, parce que les conditions qu'on fait à l'entreprise ne sont plus acceptables pour qu'on puisse vendre son produit et son service. A ce moment-là, on n'a pas le choix. On le dit à ses salariés. On fait ce qu'on a à faire. Et on demande, s'il vous plaît, à ce qu'on ne soit pas jugé pour cela !"
J.-M. Aphatie - Vous souhaitez depuis longtemps une autre réforme, celle de l'instauration d'un service minimum dans les services publics. Hier, il n'en a pas du tout été question...
E.-A. Seillière - "Non, le 1er janvier, le président de la République avait inscrit ça à l'ordre du jour des choses urgentes à faire. Il n'en a pas parlé, nous le regrettons."
J.-M. Aphatie - Et vous demandez, vous espérez que cette réforme soit vite faîte ?
E.-A. Seillière - "Ce n'est pas nous qui demandons, c'est la France qui demande que ses services publics fonctionnent et que les entreprises puissent en bénéficier, encore une fois, comme dans l'Europe entière."
J.-M. Aphatie - Le chef de l'Etat a annoncé en revanche une baisse de l'impôt sur le revenu. Quelle est votre réaction ?
E.-A. Seillière - "Ah, il n'a pas annoncé une baisse de l'impôt sur le revenu !"
J.-M. Aphatie - La pause, ah, j'ai oublié le mot "pause" dans la question !
R - "Non, justement, la pause, pour nous, c'est le renoncement à l'engagement ! On appelle ça "pause", mais on ne le fait pas. Et nous avons besoin qu'on le fasse, parce que la baisse de l'impôt sur le revenu, on le sait, c'est la relance de l'économie. On ne le fait pas, pourquoi ? Parce que la réforme de l'Etat, bien entendu on l'indique comme une perspective, mais on n'indique rien de précis pour la faire. On préfère, là encore, la facilité de ne pas baisser. Pourtant, le Président l'a dit : dans notre pays, il y a beaucoup trop de prélèvements pour le compte de l'Etat. Et puis dans la suite, on dit qu'on arrête la baisse de l'impôt sur le revenu."
J.-M. Aphatie - Si on devait résumer votre état d'esprit, ce matin, on dirait : pas content ?
E.-A. Seillière - "Non, je crois que nous avons trois ans devant nous. Il faut avancer. On nous organise une élection de plus, européenne. On va bien entendu de ce fait ralentir l'action gouvernementale, c'est classique. Nous, nous disons : il faut agir de façon forte et urgente. Et cet appel-là, nous ne l'avons peut-être pas senti assez. On a fait peut-être trop de politique, pas assez de - "grand E" - : Entreprise, Emploi, Economie, Europe. Voilà les préoccupations du Medef. Et là peut-être, en effet, nous avons été un petit peu frustrés !"
J.-M. Aphatie - Donc vous n'êtes pas content quand : trop de politique. Vous étiez l'invité de RTL le 1er avril dernier, avec R. Arzt. N. Sarkozy venait d'être nommé aux Finances, et vous avez salué cette nomination d'une formule dont on a beaucoup parlé, en parlant de "Zidane à Bercy". Eh bien, hier après-midi, R. Domenech lui a un peu tiré les oreilles à Zidane. Cela vous a attristé ?
E.-A. Seillière - "Ecoutez, le capitaine peut tirer les oreilles d'un joueur, cela nous est égal. Mais Zidane, c'est un bon joueur, voilà ce que nous avons dit, c'est un bon joueur sur le terrain, il est sur le ballon. C'était ça la formule, et on ne la retire pas."
J.-M. Aphatie - Zidane est toujours un bon joueur et vous trouvez qu'on l'embête un petit peu, que c'est un peu dommage qu'on ne permette pas à N. Sarkozy de travailler sereinement aux Finances ?
E.-A. Seillière - "Je ne sais pas s'il ne travaille pas sereinement, je n'ai pas de jugement là-dessus. Et nous ne nous mêlons pas de cette affaire entre hommes politiques. Je crois qu'elle se réglera. En tout cas, les entrepreneurs, eux, ont besoin, dans les trois ans, qui viennent d'une gouvernance claire et forte, pour agir fortement, de façon à sauver en effet la croissance et l'emploi dans notre pays. C'est notre préoccupation, et elle est essentielle."
J.-M. Aphatie - Si N. Sarkozy souhaite être à la tête de l'UMP, J. Chirac l'a dit clairement hier, il devra quitter Bercy. Ce non-cumul de fonctions, vous paraît-il raisonnable ? Quand on est ministre des Finances, il faut l'être à plein temps ?
E.-A. Seillière - "Vraiment, nous les entrepreneurs, nous n'avons pas de jugement là-dessus ; on demande à ce qu'on ne se mêle pas trop de la manière dont nous organisons nos entreprises. On ne se mêle pas non plus de la manière dont l'Etat organise sa gouvernance là-haut."
J.-M. Aphatie - Donc si on vous prive de Sarkozy, vous ne ferez pas connaître publiquement votre sentiment ?
E.-A. Seillière - "Pourquoi pas ? Je ne sais pas. Je verrai ce jour-là..."
J.-M. Aphatie - On verra ce jour-là. Un référendum, vous en parliez tout à l'heure, sur l'Europe ?
E.-A. Seillière - "C'est une excellente chose. Parce que les entrepreneurs sont très européens. Ils savent que cette dimension est essentielle pour l'avenir. Cela dit, nous redoutons un peu une atmosphère politique retrouvée. On avait dit trois ans sans élection. On va en coller une en 2005. Nous redoutons en effet que, de ce fait, on ralentisse l'effort pourtant exigeant, vers la réforme de l'Etat notamment."
J.-M. Aphatie - Malgré tout, il faudra participer à cette campagne électorale, ce référendum. Le Medef donnera-t-il une consigne de vote ?
E.-A. Seillière - "Je pense que nous serons certainement en effet partisans du "oui". Ce n'est pas pour nous une option politique. C'est une option d'avenir, stratégique pour notre économie."
J.-M. Aphatie - J'ai lu dans Le Point que vous connaissiez J. Kerry et que vous étiez lié au couple Kerry, notamment par son épouse, T. Heinz. Alors, je ne sais pas quel est le lien...
E.-A. Seillière - "Je connais beaucoup de monde ! Et il se trouve qu'il y a une des personnes que je connais dans le monde, qui se présente aux élections présidentielles américaines. Voilà, c'est sans commentaires."
J.-M. Aphatie - J. Kerry ferait-il un bon président des Etats-Unis?
E.-A. Seillière - "Je n'ai pas de jugement là-dessus. Permettez-moi de vous le dire..."
J.-M. Aphatie - Vous avez un jugement, mais vous ne voulez pas nous le dire ?
E.-A. Seillière - "Non, non franchement pas !"
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 15 juillet 2004)