Texte intégral
Nicolas Devedjian... Pardon, veuillez m'excuser ! Décidément, vous voyez, la presse voit des "Nicolas" partout... Patrick Devedjian, bonjour.
- "Bonjour."
Q- On parlera politique politicienne tout à l'heure. On sait que vous êtes un excellent ami non seulement politique mais personnel de N. Sarkozy. Vous êtes ministre délégué à l'Industrie auprès du ministre de l'Economie, N. Sarkozy. Vous êtes combien à Bercy ?
R - "Cinq."
Q- Comment ça se passe ?
R - "Le "MINEFI", comme on dit, le ministère des Finances, c'est un ministre d'Etat et quatre ministres délégués."
Q- Donc, vous occupez chacun un étage ? Comment ça se passe ?
R - "A peu près oui. Sauf C. Jacob qui, lui, est dans le centre de Paris."
Q- Vous êtes à quel étage par exemple ?
R - "Je suis au quatrième."
Q- Et N. Sarkozy ?
R - "Il est au sixième."
Q- Donc, quand on est promu, on monte quelques étages ?
R - "Pas nécessairement. Le ministre d'Etat s'installe où il veut, mais généralement il est au sixième."
Q- Pour ceux qui ne connaîtraient pas Paris, Bercy c'est assez impressionnant. Nous en discutions hier, c'est un peu une espèce d'énorme péage à l'ancienne, les autoroutes qui passent dessous, symbole peut-être de ce que le ministère des Finances signifie pour la politique économique française, et puis la politique tout court. Vous êtes de retour, fin des vacances, premier Conseil des ministres dans quelques dizaines de minutes ; vacances à moins de deux heures de Paris ?
R - "Absolument. En Gascogne, pas de problème."
Q- Est-ce que vous pensez que utile cette mobilisation canicule a été utile alors que la météo nous menace d'inondations ?
R - "Il y a toujours, de toute façon, des problèmes. Et que les ministres soient prêts à réagir pour faire face aux difficultés n'est pas négligeable. Au ministère de l'Industrie, par exemple, on a eu la question du pétrole, le coût du pétrole, problème à suivre et d'être proche de Paris était bien utile."
Q- Mais c'est cette méthode de gouverner, c'est-à-dire on fait un plan ceci, un plan cela... Chaque année, la météo, les intempéries, la situation économique internationale apportent leur lot de problèmes à gérer. Finalement, il ne faudrait pas faire des plans, le Gouvernement devrait être prêt pour tout.
R - "Oui, mais cela n'existe pas. Personne n'est jamais prêt pour tout. Gouverner c'est, paraît-il, prévoir, mais il y a aussi des impondérables et donc il faut être disponible pour pouvoir réagir rapidement."
Q- Nous reparlerons politique politicienne tout à l'heure. Mais tout d'abord, puisque vous êtes ministre délégué auprès du ministre de l'Economie, N. Sarkozy, la question que tout le monde se pose : jusqu'où va t-il monter ?
R - "Il va sans doute se faire élire président de l'UMP."
Q- Non, je ne parlais pas de N. Sarkozy, le pétrole !
R - "Ah, le pétrole !..."
Q- Vous voyez que vous pensez aussi à N. Sarkozy...
R - "Forcément, vous m'en parliez. "
Q- Parce qu'il y a d'un côté une bonne nouvelle, un début de reprise économique internationale mais aussi en France, et puis de l'autre, le prix du pétrole.
R - "Le prix du pétrole, aujourd'hui, est artificiel. Dans le prix du pétrole actuel, il y a environ 10 dollars qui sont de la pure et simple spéculation de spéculateurs internationaux qui anticipent la hausse. Si on arrivait à briser cette spéculation, ce qui n'est pas facile, le prix du pétrole baisserait immédiatement. Cette spéculation est alimentée par deux phénomènes importants - enfin plusieurs, mais deux importants - : l'Irak où les approvisionnements sont menacés par l'instabilité et l'affaire Ioukos en Russie, qui, là aussi, laisse une incertitude sur les approvisionnements en pétrole. Donc, cela alimente les spéculateurs."
Q- On estime que la facture pétrolière française, en un an, a augmenté à peu près de plus de 43 %. Pour l'industrie française qu'est-ce que cela représente ? Est-ce que pour l'instant on peut dire que la France, parce que, elle est moins dépendante de pays, comme par exemple l'Allemagne, de ses importations de pétrole, est-ce que pour l'instant la croissance, la reprise est en danger ?
R - "La croissance n'est pas en danger aujourd'hui, mais il est sûr que si le prix du baril s'installait durablement autour de 50 dollars, cela nous coûterait peut-être près d'un point de croissance. Mais la France est moins affectée, et donc cela lui donne un avantage concurrentiel que la plupart des autres pays européens. D'une part, parce qu'elle a fait le choix du nucléaire dans les années 74, et elle a réduit sa dépendance en pétrole de 50 %. Et c'est un très grand avantage, évidemment. Notre électricité est d'origine nucléaire à 80 %, et donc, nos entreprises sont assurées d'une à peu près - pas tout à fait - mais à peu près stabilité des prix, donc c'est un grand avantage. Et deuxièmement, le succès de l'euro, qui fait que l'euro est surévalué de 20 % par rapport au dollar, fait que les Européens paient leur pétrole moins cher que les autres."
Q- Donc là, il faut préciser : en gros, encore aujourd'hui, le marché du pétrole est en dollar et le fait que l'euro soit fort par rapport au dollar, fait qu'en fait...
R - "...On paie moins cher."
Q- Nous payons moins cher. Donc, euro fort égale une conséquence heureuse pour les importations énergétiques, et puis moins grande dépendance de la France vis-à-vis des importations de pétrole ?
R - "Donc, on a deux avantages."
Q- Est-ce que finalement la droite n'a pas de chance ? A chaque fois qu'elle vient au pouvoir, d'abord on attend la croissance économique.
R - "Mais elle arrive..."
Q- Elle arrive mais avec une hausse du prix du pétrole.
R - "Avec nous et, d'une certaine manière, grâce à nous."
Q- Que voyez-vous venir en termes de croissance économique ?
R - "Les trois moteurs de la croissance économique ont démarré : la consommation des ménages qui est active, l'investissement des entreprises avec l'optimisme des chefs d'entreprise et les exportations qui commencent précisément à redémarrer. Donc, nous avons une croissance dont je rappelle que la prévision était de 1,7 ; nous sommes à 2,5 %. Je rappelle que la croissance de l'année dernière était de 0,5, donc nous sommes déjà à 2,5, c'est-à-dire cinq fois plus. On voit bien l'accélération. En fait, nous sommes sur un rythme annuel de 3 %. Ce qui est intéressant c'est que c'est à partir de 2,5 % qu'on crée des emplois. Donc, on est à 2,5 %, donc on va commencer à produire des emplois."
Q- Les derniers chiffres en termes d'emploi ne sont pas meilleurs, il y a une hausse très légère du chômage vraiment très très légère. Là, vous pensez que la tendance est en train de s'inverser ?
R - "Oui, parce qu'on arrive au seuil. Jusque-là, on n'y était pas."
Q- Parce que vous allez être jugé non seulement sur des chiffres économiques peut-être moins mauvais qu'il y a quelques mois, mais en termes de création d'emplois.
R - "Oui. Mais je rappelle que la France, en termes de croissance, fait mieux que les autres pays européens, fait beaucoup mieux que l'Allemagne, beaucoup mieux que l'Italie..."
Q-...Moins que la Grande-Bretagne.
R - "Un tout petit peu moins que la Grande-Bretagne, moins que les Etats-Unis."
Q-...Et avec des taux de chômage bien plus spectaculaires qu'en Grande-Bretagne.
R - "Mais mieux que l'Allemagne, mieux que l'Italie, mieux que l'Espagne qui pourtant est assez active."
Q- Qu'elle est l'influence réelle de votre travail, de votre impulsion de ministre délégué à l'Industrie, et puis, d'une manière générale, de Bercy sur cette reprise de la croissance ? Il y a des tas de caricaturistes qui vous représentent tous - N. Sarkozy, vous-même etc. -, regardant du côté de Bruxelles, en disant qu'aujourd'hui tout se joue, d'un point de vue économique, industriel, etc., au point de vue international, notamment à Bruxelles.
R - "D'abord, le train de la croissance est international. La France ne peut pas fabriquer la croissance à elle seule, mais le train de la croissance, ou bien on monte dedans ou bien on reste sur le quai avec ses valises en le voyant passer. Nous, nous sommes montés dedans et le Gouvernement, de ce point de vue, en a le mérite. Il en a d'autant plus le mérite qu'on a su faire une politique qui a activé la consommation, donc qui a aidé. On a su également faire une politique qui a relancé l'investissement industriel. Donc, je crois que le Gouvernement, sans être magicien, a malgré tout une part de mérite dans ce succès. Je vais vous dire une chose en plus : la défaite est orpheline, dit-on souvent, je ne sais pas grâce à qui la France est si brillante pour la croissance en ce moment, mais je sais bien à cause de qui il y aurait eu une récession. Donc, je n'ai pas d'état d'âme."
Q- Vous parlez de créations d'emplois, créations d'entreprises, etc. Il y a des vieux serpents de mer : en France, il est beaucoup plus difficile de créer une entreprise que, par exemple, en Grande-Bretagne. L'histoire de l'entreprise à un euro et en une heure c'est un vieux mythe ?
R - "Là aussi on a amélioré les choses. Le résultat, d'ailleurs, c'est que la création d'entreprises a fait un bond qui, malgré un fléchissement dans les deux derniers mois, de 18 % de plus pour l'année 2004. Donc, c'est considérable et cela aussi, cela contribue à la croissance."
Q- Vous voyez la croissance revenir, donc, à terme, vous dites l'emploi...
R - "Je ne suis pas le seul : tous les conjoncturistes, tous les instituts d'analyses..."
Q- Parlons emploi et parlons d'une entreprise, La Poste. Cela fait partie des réformes qui sont bouclées, comme souvent en France, pendant la moiteur de l'été, on ne les voit pas passer - sécurité sociale, décentralisation...
R - "Non, vous allez le voir, le texte vient au Parlement, vous allez le voir."
Q- Mais la réforme est à peu près bouclée et cela supposerait la fermeture de la moitié des bureaux de Poste.
R - "Ce n'est pas vrai. Ce qui est vrai, c'est que cela bouge, parce que l'implantation de La Poste correspond à une démographie qui a parfois 50 ans. Il y a eu un exil rural considérable..."
Q- Je disais que la philosophie, c'était que désormais ce n'est pas La Poste qui viendra à vous, mais vous qui irez à La Poste.
R - "Ce n'est pas tout à fait vrai non plus. En fait, le service du public s'est amélioré et s'améliore avec La Poste parce que par exemple vous aviez des bureaux de poste qui ouvraient une ou deux heures par jour. Ces bureaux de poste, on les ferme, c'est vrai, mais on les transforme en points de contact, c'est-à-dire en une collaboration avec, par exemple, la mairie ou un café-tabac, un commerçant, et vous avez une plage d'ouverture à ce moment-là qui est beaucoup plus considérable. Donc, le service est beaucoup plus rempli."
Q- C'est la réforme, donc on va en reparler.
R - "On va en parler pendant tout le dernier semestre."
Q- Autre aspect - et là on va revenir à la politique politicienne - : le budget, même si vous n'êtes pas en charge directement du budget. Il y a des rentrées fiscales un peu meilleures que ce qui était prévu. Certains parlent de petite cagnotte...
R - "Il n'y a pas de cagnotte, on est couvert de dettes !"
Q-...Certains disent - c'est la position de J.-L. Borloo - à J.-P. Raffarin qu'il faudrait peut-être donner une petite rallonge aux gens qui en ont besoin. D'autres, N. Sarkozy justement, disent comme vous : il n'y a pas de cagnotte.
R - "La France dépense 20 % de plus que ce qu'elle reçoit. Et là, parce qu'il y a de la croissance on a un peu de recettes supplémentaires, et tout de suite il y a des cigales pour dire : on va les dépenser."
Q- Les cigales, c'est J.-P. Raffarin ?
R - "Non, mais J.-P. Raffarin est parfaitement conscient qu'il faut réduire les déficits et l'endettement de la France. Nous sommes au-delà des critères de Maastricht, nous sommes au dessus des 3 % de déficit budgétaire. Il faut revenir en arrière et nous sommes au dessus des 60 % d'endettement."
Q- Dans quelques instants, vous nous quittez pour le Conseil des ministres à 10 heures ; qu'est ce que cela va être comme ambiance ? Règlement de compte à OK Corral ou bien embrassons nous ?
R - "Pas du tout. Le Conseil des ministres est un endroit où l'on travaille, où il y a un ordre du jour et où les dossiers sont suivis."
Q- Mais est-ce qu'on va parler, à l'ordre du jour, de élection à la présidence de l'UMP et compatibilité entre le poste de ministère des Finances et de présidence de l'UMP ?
R - "Mais ce ne sont pas des domaines qui sont à l'ordre du jour du Conseil des ministres, et fort heureusement. Le Conseil des ministres, c'est un lieu où on prend des décisions pour le pays"
Q- - "Quand il va rentrer, le Président de la République serrera avec la même chaleur la main de N. Sarkozy et celle de J.-L. Borloo ?"
R - "Mais bien entendu, bien entendu"
Q- Donc, pas de guerre dans une heure à l'Elysée ?
R - "Vous savez, je vais vous dire : le Gouvernement et l'UMP sont obligés de travailler ensemble et ils sont complémentaires. La politique gouvernementale a besoin du soutien du principal parti de la majorité. Jusqu'à maintenant, nous avons eu des difficultés au Gouvernement parce que l'UMP a perdu un certain nombre d'élections qui ont créé un mauvais climat. Donc, il faut que nous ayons une meilleure cohésion entre le Gouvernement..."
Q- Donc, pour vous, pas de problème : N. Sarkozy est au moins jusqu'à la fin du budget à Bercy et il continue sa candidature à la présidence de l'UMP. Il n'y a pas d'incompatibilité ?
R- "Je ne vois pas d'incompatibilité. Et je vous dis que l'action de l'UMP et celle du Gouvernement sont complémentaires et l'entente est inévitable. Que nos adversaires ne se réjouissent pas trop vite, il n'y aura pas de division. D'ailleurs, nous sommes traumatisés par ce qui s'est passé en 1997, cela ne se reproduira pas. Il ne faut pas qu'ils se fassent d'illusions."
Pas de dissolution. Je vous remercie, bon retour de vacances, bon premier Conseil des ministres.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 août 2004)