Texte intégral
Pierre-Luc SÉGUILLON : Michèle ALLIOT-MARIE bonjour.
Michèle ALLIOT-MARIE : Bonjour.
QUESTION : Par-delà les amabilités, les gestes qui ont été accomplis à Bruxelles pendant deux jours entre les Européens, George Bush, Jacques CHIRAC, est-ce qu'il y a quelque chose de vraiment changé, sur le fond dans les relations transatlantiques. Autrement dit, est-ce que vous estimez, vous, qu'aujourd'hui les Américains acceptent un rééquilibrage de l'OTAN, celui qui est souhaité par les Européens ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Je crois surtout que les Américains reconnaissent l'existence et l'utilité de l'Union européenne et de l'Europe de la Défense. C'est un fait extrêmement nouveau. Lorsque j'étais allée à Washington au cours des deux années précédentes, ce qui m'avait frappé, c'était l'absence de connaissance de cet aspect de la réalité européenne. Je me souviens de Donald RUMSFELD m'expliquant que l'Europe de la Défense qui existait depuis vingt ans, on n'en voyait pas les effets. Et je me souviens de sa surprise lorsque je lui ai dit qu'en réalité, il est vrai qu'il y a dix ans l'Europe de la Défense, c'était une belle utopie ; qu'il y a cinq ans, c'était un beau projet, mais que depuis deux ans, elle existait vraiment. C'est là vraiment, je crois, le point majeur : à partir du moment où les Américains reconnaissent qu'effectivement, il y a une défense européenne, que celle-ci a un rôle à jouer au sein de l'OTAN, mais d'une façon beaucoup plus générale, comme élément de maintient de la paix, dans le monde, et comme nous l'avons prouvé l'année dernière.
QUESTION : Mais ce n'est pas comme une force d'appoint
R : Ce n'est pas simplement une force d'appoint, puisque nous sommes à la fois, à l'intérieur de l'OTAN et le pilier le plus important de l'OTAN. Je rappelle qu'en contribution d'hommes sur les théâtres d'opérations extérieures menées par l'OTAN, c'est de très loin l'Europe qui intervient majoritairement. C'est par exemple l'Europe qui dirige aujourd'hui encore les forces de l'OTAN au Kosovo.
QUESTION : Mais sur les décisions stratégiques, est-ce que vous croyez que maintenant George Bush est décidé à faire davantage que consulter ses partenaires, la décision appartenant finalement pour les grandes décisions stratégiques à Washington ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Non, pas dans le cadre de l'OTAN, et c'est là que l'on se trompe souvent. Il ne faut pas oublier une chose, c'est que l'OTAN étant une alliance politique en même temps que militaire, c'est la règle du consensus qui prévaut. C'est-à-dire que lorsqu'un des pays de l'OTAN, principalement bien sûr si c'est un 'grand pays' qui s'oppose à une décision, elle ne peut pas avoir lieu. D'où, et c'est un autre problème, la tendance des Américains au cours de ces dernières années à faire ce que l'on appelle des coalitions ad hoc, c'est-à-dire à passer en dehors de l'OTAN, et à prendre quelques alliés pour mener une opération.
QUESTION : Ce qui s'est passé en Irak
Michèle ALLIOT-MARIE : Et c'est par exemple ce qui s'est passé en Irak.
QUESTION : Mais quand Gerhard Schröder souhaite une réforme de l'OTAN et notamment l'instauration d'un groupe de travail pour avoir de nouvelles relations, notamment au niveau politique, est-ce que vous avez le sentiment qu'il a été, ces derniers jours, entendu par George Bush ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Dans ce cadre-là, la présence de George Bush à Bruxelles est effectivement significative. George Bush s'est rendu compte, et nous verrons si l'avenir le confirme, qu'il était important pour lui de ne pas agir seul avec quelques-uns, mais d'avoir autant que possible ce consensus au moins de ses principaux alliés ; ils donnent davantage de légitimité, davantage de force aussi aux interventions qui peuvent être faites et surtout à une volonté commune d'avoir un monde plus apaisé et de lutter contre le terrorisme. Ceci implique aussi de lutter et pas seulement militairement, contre un certain nombre de sentiments, d'injustices, de manque de liberté dans un certain nombre de pays.
QUESTION : A Bruxelles, est venu le président IOUCHTCHENKO, le président de l'Ukraine. George Bush a souhaité que l'Ukraine rapidement intègre l'Union européenne. Est-ce que vous pensez que l'Ukraine comme la Turquie, ont vocation à rentrer rapidement dans l'Union européenne ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Ce dont je suis persuadée, Pierre Luc SÉGUILLON, c'est que d'ici une quinzaine d'années, nous serons face à une donne stratégique très différente de celle qui existe aujourd'hui. Elle commence tout juste à émerger. C'est-à-dire que d'ici quinze ans, nous verrons émerger un certain nombre de grands pôles dans le monde, qui seront des pôles démographiques et économiques. La Chine aura 1,3 ou 1,4 milliards d'habitants, l'Inde 1,6 ; l'Afrique 1,3 ; et sans oublier l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud autour du Brésil. Face à cela, l'Europe : aujourd'hui, même dans sa configuration actuelle, avec un peu plus de 400 millions d'habitants, elle représente quelque chose de 'petit'. Il va lui falloir s'élargir. S'élargir vers où ? Je dirais qu'assez naturellement, on a tendance à penser à la Russie et à ces pays autour de la Russie.
QUESTION : Donc vous, vous pensez par exemple que l'Ukraine - les négociations d'adhésion commencent à partir de 2007 comme le souhaite le président IOUCHTCHENKO - c'est quelque chose de raisonnable ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Je pense qu'il y a une réflexion qui doit commencer dans les prochaines années ; elle devra prendre en compte ce que sera la donne dans quinze ans. Il faudra voir à la fois la volonté des peuples, car vous ne pourrez agréger des pays contre leur volonté, voir leur capacité à arriver à un niveau économique similaire au nôtre, à un niveau social similaire au nôtre et également à une conception, en quelque sorte, de la société et de l'homme qui soit proche de nous. Le grand problème auquel nous allons nous heurter dans les prochaines années, c'est de savoir ce que fera la Russie. Est-ce que la Russie va essayer de constituer un pôle à elle toute seule ? Avec les pays voisins ? A ce moment-là, le risque, c'est d'avoir des tiraillements dans des pays comme l'Ukraine, la Géorgie, la Biélorussie et d'autres encore, une sorte de tiraillement entre deux choix qui leur seront proposés. Il faudra alors qu'ils choisissent en fonction de celui des pôles - européen ou russe - qui leur sera le plus proche, le plus favorable. Il y aura peut-être aussi un rapprochement de la Russie, sous des formes à voir. Aujourd'hui, nous n'en savons rien, mais c'est vrai que ce sont les vraies questions qu'il faudra se poser d'ici dix à quinze ans.
QUESTION : Vous avez dit, il y a quelques temps que les services français travaillaient sur la libération ou la recherche de libération de notre consur Aubenas. Est-ce qu'ils travaillent également sur la libération de madame Betancourt ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Oui bien sûr. Nous sommes vigilants pour tous nos concitoyens qui peuvent se trouver dans des situations difficiles à l'étranger. Et il est évident que ce sont des dossiers qui sont toujours ouverts.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Michèle ALLIOT-MARIE, merci beaucoup. Bonne journée.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 février 2005)
Michèle ALLIOT-MARIE : Bonjour.
QUESTION : Par-delà les amabilités, les gestes qui ont été accomplis à Bruxelles pendant deux jours entre les Européens, George Bush, Jacques CHIRAC, est-ce qu'il y a quelque chose de vraiment changé, sur le fond dans les relations transatlantiques. Autrement dit, est-ce que vous estimez, vous, qu'aujourd'hui les Américains acceptent un rééquilibrage de l'OTAN, celui qui est souhaité par les Européens ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Je crois surtout que les Américains reconnaissent l'existence et l'utilité de l'Union européenne et de l'Europe de la Défense. C'est un fait extrêmement nouveau. Lorsque j'étais allée à Washington au cours des deux années précédentes, ce qui m'avait frappé, c'était l'absence de connaissance de cet aspect de la réalité européenne. Je me souviens de Donald RUMSFELD m'expliquant que l'Europe de la Défense qui existait depuis vingt ans, on n'en voyait pas les effets. Et je me souviens de sa surprise lorsque je lui ai dit qu'en réalité, il est vrai qu'il y a dix ans l'Europe de la Défense, c'était une belle utopie ; qu'il y a cinq ans, c'était un beau projet, mais que depuis deux ans, elle existait vraiment. C'est là vraiment, je crois, le point majeur : à partir du moment où les Américains reconnaissent qu'effectivement, il y a une défense européenne, que celle-ci a un rôle à jouer au sein de l'OTAN, mais d'une façon beaucoup plus générale, comme élément de maintient de la paix, dans le monde, et comme nous l'avons prouvé l'année dernière.
QUESTION : Mais ce n'est pas comme une force d'appoint
R : Ce n'est pas simplement une force d'appoint, puisque nous sommes à la fois, à l'intérieur de l'OTAN et le pilier le plus important de l'OTAN. Je rappelle qu'en contribution d'hommes sur les théâtres d'opérations extérieures menées par l'OTAN, c'est de très loin l'Europe qui intervient majoritairement. C'est par exemple l'Europe qui dirige aujourd'hui encore les forces de l'OTAN au Kosovo.
QUESTION : Mais sur les décisions stratégiques, est-ce que vous croyez que maintenant George Bush est décidé à faire davantage que consulter ses partenaires, la décision appartenant finalement pour les grandes décisions stratégiques à Washington ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Non, pas dans le cadre de l'OTAN, et c'est là que l'on se trompe souvent. Il ne faut pas oublier une chose, c'est que l'OTAN étant une alliance politique en même temps que militaire, c'est la règle du consensus qui prévaut. C'est-à-dire que lorsqu'un des pays de l'OTAN, principalement bien sûr si c'est un 'grand pays' qui s'oppose à une décision, elle ne peut pas avoir lieu. D'où, et c'est un autre problème, la tendance des Américains au cours de ces dernières années à faire ce que l'on appelle des coalitions ad hoc, c'est-à-dire à passer en dehors de l'OTAN, et à prendre quelques alliés pour mener une opération.
QUESTION : Ce qui s'est passé en Irak
Michèle ALLIOT-MARIE : Et c'est par exemple ce qui s'est passé en Irak.
QUESTION : Mais quand Gerhard Schröder souhaite une réforme de l'OTAN et notamment l'instauration d'un groupe de travail pour avoir de nouvelles relations, notamment au niveau politique, est-ce que vous avez le sentiment qu'il a été, ces derniers jours, entendu par George Bush ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Dans ce cadre-là, la présence de George Bush à Bruxelles est effectivement significative. George Bush s'est rendu compte, et nous verrons si l'avenir le confirme, qu'il était important pour lui de ne pas agir seul avec quelques-uns, mais d'avoir autant que possible ce consensus au moins de ses principaux alliés ; ils donnent davantage de légitimité, davantage de force aussi aux interventions qui peuvent être faites et surtout à une volonté commune d'avoir un monde plus apaisé et de lutter contre le terrorisme. Ceci implique aussi de lutter et pas seulement militairement, contre un certain nombre de sentiments, d'injustices, de manque de liberté dans un certain nombre de pays.
QUESTION : A Bruxelles, est venu le président IOUCHTCHENKO, le président de l'Ukraine. George Bush a souhaité que l'Ukraine rapidement intègre l'Union européenne. Est-ce que vous pensez que l'Ukraine comme la Turquie, ont vocation à rentrer rapidement dans l'Union européenne ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Ce dont je suis persuadée, Pierre Luc SÉGUILLON, c'est que d'ici une quinzaine d'années, nous serons face à une donne stratégique très différente de celle qui existe aujourd'hui. Elle commence tout juste à émerger. C'est-à-dire que d'ici quinze ans, nous verrons émerger un certain nombre de grands pôles dans le monde, qui seront des pôles démographiques et économiques. La Chine aura 1,3 ou 1,4 milliards d'habitants, l'Inde 1,6 ; l'Afrique 1,3 ; et sans oublier l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud autour du Brésil. Face à cela, l'Europe : aujourd'hui, même dans sa configuration actuelle, avec un peu plus de 400 millions d'habitants, elle représente quelque chose de 'petit'. Il va lui falloir s'élargir. S'élargir vers où ? Je dirais qu'assez naturellement, on a tendance à penser à la Russie et à ces pays autour de la Russie.
QUESTION : Donc vous, vous pensez par exemple que l'Ukraine - les négociations d'adhésion commencent à partir de 2007 comme le souhaite le président IOUCHTCHENKO - c'est quelque chose de raisonnable ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Je pense qu'il y a une réflexion qui doit commencer dans les prochaines années ; elle devra prendre en compte ce que sera la donne dans quinze ans. Il faudra voir à la fois la volonté des peuples, car vous ne pourrez agréger des pays contre leur volonté, voir leur capacité à arriver à un niveau économique similaire au nôtre, à un niveau social similaire au nôtre et également à une conception, en quelque sorte, de la société et de l'homme qui soit proche de nous. Le grand problème auquel nous allons nous heurter dans les prochaines années, c'est de savoir ce que fera la Russie. Est-ce que la Russie va essayer de constituer un pôle à elle toute seule ? Avec les pays voisins ? A ce moment-là, le risque, c'est d'avoir des tiraillements dans des pays comme l'Ukraine, la Géorgie, la Biélorussie et d'autres encore, une sorte de tiraillement entre deux choix qui leur seront proposés. Il faudra alors qu'ils choisissent en fonction de celui des pôles - européen ou russe - qui leur sera le plus proche, le plus favorable. Il y aura peut-être aussi un rapprochement de la Russie, sous des formes à voir. Aujourd'hui, nous n'en savons rien, mais c'est vrai que ce sont les vraies questions qu'il faudra se poser d'ici dix à quinze ans.
QUESTION : Vous avez dit, il y a quelques temps que les services français travaillaient sur la libération ou la recherche de libération de notre consur Aubenas. Est-ce qu'ils travaillent également sur la libération de madame Betancourt ?
Michèle ALLIOT-MARIE : Oui bien sûr. Nous sommes vigilants pour tous nos concitoyens qui peuvent se trouver dans des situations difficiles à l'étranger. Et il est évident que ce sont des dossiers qui sont toujours ouverts.
Pierre-Luc SÉGUILLON : Michèle ALLIOT-MARIE, merci beaucoup. Bonne journée.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 février 2005)