Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, dans le journal israélien "Yedioth Aharonoth" du 4 février 2005, sur la position française face à la situation au Proche-Orient.

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Circonstance : Voyage en Israël et dans les Territoires palestiniens, les 7 et 8 février 2005

Média : Presse étrangère - Yedioth Ahronoth

Texte intégral

Q - Aujourd'hui, M. Sharon vous semble-t-il être comme le "de Gaulle" israélien ?
R - Je ne connaissais pas Ariel Sharon, j'ai eu un contact que j'ai trouvé très intéressant, j'ai eu un vrai dialogue, interactif, franc, constructif et c'est au terme de ce dialogue que j'ai qualifié la décision qu'il avait prise du retrait d'un premier territoire à Gaza de courageuse, parce que j'ai vu sur place, mieux que je ne l'avais compris à Paris.
Vous interrogez un ministre français qui s'est engagé pour de Gaulle très jeune, lorsque j'avais 14 ou 15 ans, j'ai toujours eu des scrupules en France, d'une part à faire parler de Gaulle alors qu'il est mort depuis maintenant 36 ans ou à faire des comparaisons. C'est un scrupule que j'ai en France même, donc je l'aurais encore plus à l'étranger. Je peux bien vous montrer dans mon bureau, ces trois photos qui prouvent que la réconciliation est possible même si elle paraît improbable.
(NDLR - Photos du général de Gaulle avec Konrad Adenauer, de François Mitterrand avec Helmut Kohl, de Jacques Chirac avec Gerhard Schröder)
J'ai montré ces photos à Mahmoud Abbas, lorsqu'il est venu à Paris et pour moi, cela ne consiste pas à donner des leçons car l'histoire ne se répète pas toujours et les contextes sont naturellement différents, géographiquement et politiquement, mais c'est la preuve que deux peuples qui, en Europe, se sont faits la guerre, à deux ou trois reprises, en deux siècles, trois reprises en un siècle, peuvent se réconcilier. J'ai espoir.
Q - En juin dernier, vous avez déclaré au centre culturel franco-allemand de Ramallah : "je suis venu dire à M. Arafat que nous comptions sur lui, que nous avons besoin de lui pour faire repartir ce processus." M. Arafat est mort 4 mois et demi après cette déclaration et depuis, les nouvelles positives ne sont pas une habitude chez nous. Peut-être n'était-ce pas possible de compter sur lui, peut-être était-ce une erreur, j'imagine que pour un homme d'Etat, c'est difficile de dire que l'on a tort, mais il semble quand même que le soutien appuyé à M. Arafat n'était pas bénéfique pour le Processus de paix ?
R - Je veux effectivement que l'on regarde devant nous. M. Arafat était le chef de l'Autorité palestinienne, choisi par les Palestiniens et pour cela, il était probablement le dirigeant le plus influent sur son peuple. Nous l'avons écouté et je pense que c'était normal de le faire. Il n'est plus là, le destin a voulu qu'il disparaisse, il y a un nouveau contexte, regardons devant nous. Je précise que la position française n'est pas et n'a pas été liée à tel ou tel dirigeant mais à une conviction liée d'une part, aux droits des Palestiniens à disposer d'un Etat et d'autre part, au droit imprescriptible d'Israël à son existence et à sa sécurité.
Q - Si j'insistais sur votre soutien appuyé à M. Arafat, c'est parce que d'un côté, c'est vrai qu'il était le responsable légitime des Palestiniens, mais peut-être que l'appui de la France était tel qu'il a aidé cette légitimité. Maintenant, nous pouvons porter un regard historique ; on peut se demander si cet appui a aidé ou si l'on pouvait faire différemment comme M. Bush l'a exigé ?
R - Ne regrettons pas, j'observe simplement que M. Arafat a eu le prix Nobel avec d'autres, qu'il a été reçu à la Maison Blanche à une certaine époque. Franchement, regardons devant nous et, encore une fois, je précise que la position française n'est pas et n'a pas été liée à tel ou tel dirigeant mais à une conviction liée d'une part, aux droits des Palestiniens à disposer d'un Etat et d'autre part, au droit imprescriptible d'Israël à son existence et à sa sécurité.
Q - C'est justement parce que l'on sait que la France soutient le Processus de paix, que votre position concernant le Hezbollah est surprenante. Selon vous, le Hezbollah est-il dans le camp des bons ou des méchants ?
R - L'Union européenne, comme la France continuent de faire pression sur le Hezbollah afin qu'il cesse ses opérations militaires contre Israël. Je veux rappeler que nous condamnons toutes les violences qui visent Israël. Je l'ai dit moi-même en Israël, en particulier lorsque j'ai vécu ce moment très émouvant, quand j'ai rencontré les victimes israéliennes du terrorisme. S'agissant de l'inscription du Hezbollah sur la liste que vous mentionnez, c'est une mesure qui est en discussion, depuis plusieurs années au sein de l'Union européenne
Vous le savez, le Hezbollah qui mène les opérations militaires que nous condamnons est aussi une organisation politique et sociale qui est représentée au parlement libanais par une douzaine de députés je crois aujourd'hui. Ils jouent donc un certain rôle dans un équilibre fragile dans ce pays où, je le rappelle, les Chiites représentent la première communauté.
Q - Mais, simplement, la distinction entre branche politique et armée a été utilisée par Paris concernant le Hamas et finalement, les esprits ont évolué et vous avez changé d'avis. Ce processus se terminera-t-il par la compréhension que la banche militaire est plus vengeresse que cette activité politique légitime ?
R - Nous ne défendons pas le Hezbollah. Si vous avez en tête la résolution 1559 que nous avons proposé avec les Etats-Unis, elle a pour objectif principal le rétablissement de l'indépendance et de la souveraineté du Liban.
Q - La situation a changé depuis que M. Abou Mazen a été nommé et depuis, le Hezbollah s'efforce de torpiller le cessez-le-feu. Abou Mazen vous a demandé de lui porter secours en freinant le Hezbollah. C'est M. Abou Mazen qui demande cela à l'Europe et à la France, ce n'est pas Israël.
R - Nous prendrons en compte, l'opinion, le sentiment, la demande d'Abou Mazen et je vous ai dit que la position de l'Union européenne était qu'elle est clairement déterminée à condamner toutes les violences d'où qu'elles viennent, notamment quand elles visent Israël. Nous condamnons toutes les violences.
Q - Hafez el Assad vous a déçu, c'était un énorme espoir lorsqu'il a été nommé ?
R - Nous avons été déçus que cet appel, cette ligne, ce souci permanent que nous exprimons depuis de longues années et que nous avons exprimé dans notre dialogue avec la Syrie pour que l'intégrité territoriale, la souveraineté du Liban soient respectées, que cet appel, que ce dialogue n'aient pas été mieux compris.
Q - (sur l'Iran)
R - Tous les pays de la région doivent savoir que la communauté internationale et en son sein la France, seront intransigeants sur le droit à l'existence d'Israël, à la sécurité d'Israël. Un point qui ne se discute pas et qui doit faire partie, qui fait partie de notre dialogue avec l'Iran. L'Iran doit renoncer définitivement à l'arme nucléaire. Et en parallèle à ce renoncement à l'arme nucléaire, nous avons proposé, et c'est l'objet de la médiation européenne que nous conduisons avec l'Allemagne et l'Angleterre, un dialogue sur la fourniture d'énergie nucléaire civile dont l'Iran a besoin pour son développement, une coopération économique et commerciale et un dialogue politique. Nous sommes dans cette démarche politique qui, je crois, vaut mieux que toutes les autres.
Q - Est-ce que la position européenne, que vous détaillez très bien, qui exclut à priori tout recours à la force, n'affaiblit pas, en fin de compte, votre poids vis-à-vis du régime iranien ?
R - Le gouvernement de Téhéran sait très bien que si nous échouons en cette médiation et dans le dialogue politique, s'il y a une rupture, s'il n'y a plus de confiance, le Conseil de sécurité sera saisi et nous le leur avons dit.
Q - Le vice-président Cheney a averti Israël de ne pas passer à l'action. Mais vous savez qu'en Israël, et aux Etats Unis, il y a un grand débat concernant l'usage de la force.
R - Il peut y avoir un débat, chacun est libre de mener le débat aux Etats-Unis, en Europe, en Israël, comme il l'entend. Nous ne sommes pas dans cet esprit, nous sommes dans une démarche diplomatique et les Russes qui suivent cette situation très précisément et qui sont solidaires dans notre démarche, et la Chine et les Etats-Unis que nous avons informés régulièrement, pensent qu'elle est la meilleure possible aujourd'hui et je crois même que le président Bush a dit que la démarche diplomatique était la bonne, à condition qu'elle soit menée à terme.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2005)