Texte intégral
I TELEVISION le 18 octobre 2004
Jean-Jérôme Bertolus : Sur les plans sociaux, le gouvernement semble avoir mis beaucoup de vins dans son eau depuis votre rencontre avec Jean-Pierre Raffarin jeudi et depuis que vous avez claqué la porte du ministère du Travail vendredi, vous êtes plutôt satisfait alors ?
Jean-Luc Cazettes : Lorsque le gouvernement se rend compte qu'il a fait un pas de clerc et qu'il revient sur ce pas de clerc pour présenter un projet qui soit un peu plus acceptable pour les salariés et pour les organisations syndicales, on ne peut que se réjouir. Alors savoir si c'est du fait de ceux qui sont restés en séance, du fait de ceux qui ont claqué la porte
JJB : Il y a une petite polémique là dessus, vous avez claqué la porte avec la CGT vendredi et la CFDT d'ores et déjà vous reproche cette politique de la chaise vide.
JLC : Je ne rentre pas dans cette polémique, que ce soit le fait de ceux qui sont restés en salle ou le fait de ceux qui ont claqué la porte, l'essentiel, c'est le résultat. Le résultat nous satisfait parce qu'il y a effectivement un recul de la part des pouvoirs publics, ceci étant j'ai tendance à penser que sur les sujets de cette nature, on obtient plus satisfaction en claquant la porte qu'en restant sagement assis derrière son bureau à écouter le maître.
JJB : Vous êtes globalement satisfait. Le gouvernement a reculé parce que c'est quand même le terme sur trois points essentiels de l'avant projet de loi sur les plans sociaux, donc ça veut dire que maintenant le texte tel qu'il est présenté vous satisfait ?
JLC : Je n'ai pas de texte pour l'instant, j'ai des fuites de Matignon, reprises par les médias qui nous disent qu'il y a eu un recul sur tel ou tel point. J'attends d'avoir un texte écrit, je suis un peu comme Saint Thomas, je préfère regarder pour voir qu'elle est l'ampleur des modifications par rapport au texte initial. J'ai cru comprendre effectivement qu'il y avait l'annulation de cette disposition qui était quand même scandaleuse sur les licenciements économiques qui permettait de qualifier d'économiques, tous les licenciements pour sauvegarder la compétitivité des entreprises.
JJB : Ca, c'est la définition même du licenciement économique.
JLC : Sauvegarder la compétitivité, ça n'était pas dans la définition actuelle : ça ouvrait la porte au fait de dire, "si je n'ai pas assez de rendement, si je n'ai pas assez de dividende, je licencie pour pouvoir en avoir un peu plus".
JJB : Ca légitimait en quelque sorte ce qu'on appelle les licenciements boursiers ?
JLC : Tout à fait. Ca a été a priori supprimé. Il y a également les délais de recours qui ont été modifiés, c'est vrai que la loi française est un peu exorbitante avec des délais de recours de 30 ans, vous pensez bien que vous faites un recours 30 ans après avoir été licencié par votre employeur, ce n'est pas très sérieux, ni pour vous même, ni pour l'employeur. Alors on nous proposait de raccourcir tout ça à deux mois, entre 30 ans et deux mois, à mon avis, il y a quand même une marge parce que deux mois, ça ne vous laisse pas le temps de voir un avocat, de préparer un dossier et d'aller devant le tribunal. Là, on nous parle d'un an, nous, nous souhaiterions aller jusqu'à deux ans, mais je pense que là dessus on va également avancer. Et puis il y a les histoires des licenciements, des négociations individuelles qui ne rentreraient plus dans le plan global.
JJB : Tout ça c'est à voir, justement Bernard Thibault dit "oui alors très bien, il y a peut-être effectivement certains points qui ont été assouplis", même si lui il considère qu'à 90 % le texte reste mauvais, mais il demande une nouvelle négociation. Vous, vous demandez une nouvelle négociation ou alors l'avant projet va suivre un petit peu son bonhomme de chemin jusqu'au parlement ?
JLC : Je pense qu'il faut être raisonnable, on est là dans la reprise des dispositions de la loi de modernisation sociale d'Elisabeth Guigou qui ont été suspendus par François Fillon. Cette suspension prend fin le 4 janvier prochain, alors est-ce qu'entre aujourd'hui et le 4 janvier prochain, on a le temps de tout renégocier, d'établir un nouveau projet, de soumettre ce projet au Conseil d'Etat, de le présenter en conseil des ministres et de le faire voter par l'Assemblée, non ce n'est pas sérieux. A partir du texte existant et des modifications apportées par le gouvernement, je pense qu'on doit pouvoir très vite trouver des aménagements satisfaisants pour tout le monde.
JJB : D'accord, alors parlons quand même d'un ou deux points très rapidement de cet avant projet dont vous avez eu des fuites et effectivement qui fait la une de tous les journaux ce matin. Par exemple quand un salarié va refuser quand même certaines fonctions, ou certaines modifications substantielles de son contrat de travail, il peut être licencié économique, ça c'est quand même un problème pour vous ou pas ?
JLC : Non, justement jusqu'à présent c'était le cas et le projet de loi qui nous était soumis, venait supprimer à partir du moment où on refusait d'être muté à 300 kms de là ou on refusait une baisse des salaires etc on était considéré comme licencié de droit commun.
JJB : Là ça sécurise au contraire la procédure.
JLC : Là ça sécurise, ça rentre dans un plan social, ça rentre dans un certain nombre de choses avec des garanties beaucoup plus fortes pour le salarié.
JJB : D'accord en revanche la définition alors du plan social ne prend pas en compte tout ce qui est reclassement à l'intérieur de l'entreprise dans les différentes filiales, ça c'est un problème ou pas.
JLC : Oui, ça c'est un problème parce que nous, on n'est pas très fermé sur le fait de dire, "les délais c'est vrai sont un peu longs, on va essayer de les raccourcir, ça ne sert à rien de gagner 15 jours ou de gagner 3 semaines, ça joue souvent à l'encontre d'ailleurs des intérêts des salariés qui ont intérêt à pouvoir se mettre tout de suite en recherche d'emploi". Mais en échange d'un raccourcissement de ces délais, on demandait qu'il y ait en amont une recherche de l'employabilité, de l'adaptabilité etc Or tout ce volet en amont n'apparaît plus. On a bien le raccourcissement mais on n'a rien comme obligation de l'entreprise avant l'annonce du plan et ça c'est quand même dommage parce que c'est avant qu'on doit régler les problèmes, ce n'est pas une fois qu'on a envoyé les gens à l'ANPE, et à l'UNEDIC qu'on vient s'occuper d'eux, il vaut mieux éviter qu'ils passent par cette case chômage.
JJB : Un dernier mot sur l'évolution de cet avant projet de loi : est-ce que c'est une claque pour Gérard Larcher, le ministre du Travail ?
JLC : Non, je ne pense pas. Je pense qu'il y avait un problème délicat d'arbitrage entre le ministère du Travail, Matignon, l'Elysée et que Gérard Larcher avec lequel on en avait longuement débattu n'était pas sur cette ligne là au départ. On lui a demandé de défendre cette ligne, il est ministre, il présente un projet dans ce sens et je pense qu'il doit être très heureux de voir que ce projet est maintenant modifié.
JJB : Très bien, alors parlons maintenant un petit peu des 35 heures, vous avez parlé d'ailleurs de l'assouplissement des 35 heures avec Jean-Pierre Raffarin jeudi ?
JLC : Oui puisque Jean-Pierre Raffarin nous a présenté en gros ses objectifs, son contrat 2005 : l'emploi, l'école, la lutte contre la vie chère et dans les problèmes d'emplois, il y avait bien évidemment l'assouplissement des 35 heures. Moi j'ai répondu que pour les gens que je représente essentiellement, c'est-à-dire tous ceux qui sont au forfait jour, le problème ne se pose pas parce qu'en échange de ces forfaits jour, les gens ont échappé à la règle des 10 heures maximales de travail par jour ouvré et maintenant ils sont susceptibles de faire 13 heures de travail, d'activité chaque jour conformément aux règles de Bruxelles. Donc ils sont effectivement des forfaits jour, globalement ils ont beaucoup plus de temps de travail qu'avant les 35 heures, donc pour eux le problème ne se pose pas. Il ne se pose pas pour les entreprises. Je lisais une déclaration de Jean-Martin Folz, le PDG de Peugeot qui disait " mais c'est idiot, on n'en a pas besoin ". Toutes les grandes entreprises se sont adaptées avec les 35 heures, elles ont à cette occasion là pu faire de la flexibilité, de l'annualisation etc, donc ça leur a amélioré leur productivité, la plupart des TPE, des PME ne sont pas intéressées, la preuve on leur a ouvert la possibilité de renégocier et il y a eu des renégociations dans 23 branches sur 172.
JJB : Donc c'est un problème idéologique que l'assouplissement des 35 heures ?
JLC : C'est purement idéologique, c'est une bataille de la part des ultra-libéraux.
JJB : Pour conclure : demain Nicolas Sarkozy rend public le rapport Camdessus sur la croissance française, en fait on connaît déjà un petit peu l'essentiel de ce rapport. Michel Camdessus préconise la fusion du CDD et du CDI.
JLC : Oui alors fusion du CDD et du CDI, moi je veux bien, si c'est l'abandon du CDD pour passer tout en CDI.
JJB : Non c'est plutôt le contraire j'ai l'impression.
JLC : Mais je considère qu'il y a quand même nos voisins d'Europe du Nord, qui ne connaissent pas l'intérim parce que tous les intérimaires sont en CDI.
JJB : D'accord, donc là déjà c'est une mauvaise piste et Nicolas Sarkozy qui a d'ores et déjà dit qu'il ferait de ce rapport son livre de chevet à la présidence de l'UMP. Ce rapport dit aussi, "pourquoi pas un bonus malus sur les cotisations sociales des entreprises", c'est-à-dire qu'elles paieraient plus si elles licenciaient, elles paieraient moins si elles embauchent ?
JLC : Oui ça je n'ai rien contre, sauf que je pense qu'il vaudrait mieux supprimer l'ensemble des cotisations sociales des entreprises et des salariés pour passer sur un système de cotisation sur la consommation.
(Source http://www.cfecgc.org, le 21 octobre 2004)
Le 27/10/2004 par Journaldumanagement.com
Sept cadres sur dix moins riches aujourd'hui qu'hier. Si vous n'avez pas obtenu d'augmentation de salaire de plus de 2 % en 2003, vous appartenez à cette catégorie des perdants. Et pour redresser la barre, ne comptez que sur vous. Les négociations collectives se raréfient, au profit du mérite et du cas par cas. Tels sont les grands résultats de l'enquête annuelle de la CFE-CGC sur les salaires des cadres, publiés en avant-première par le Journal du Management. D'après cette étude, la situation des cadres est tout simplement pire qu'en 2002. L'année dernière, seule la moitié de l'échantillon a bénéficié d'une augmentation de salaires, contre 63 % un an auparavant. Et pour 14 % des cadres interrogés, le salaire a même diminué, contre 11 % en 2002. Parmi ceux qui ont été augmentés, 42 % ont touché moins de 2 % de plus qu'en 2002. L'inflation ayant atteint l'année dernière 2,1 %, cette partie de l'échantillon a donc perdu en pouvoir d'achat. En ajoutant ceux dont la rémunération a baissé, on constate qu'en tout 71 % des cadres de l'échantillon ont perdu du pouvoir d'achat.
Autre enseignement de cette enquête : l'écart entre les hommes et les femmes se creuse. En 2003, comme en 2002, ce sont les hommes qui ont proportionnellement le plus bénéficié d'augmentations. En 2002, les femmes connaissaient proportionnellement moins de diminution de salaire que leurs collègues masculins. Le rapport s'est finalement inversé l'année dernière. Les seniors sont également les plus touchés par la stagnation ou la baisse des salaires.
Dans ce contexte, il est étonnant de constater que moins de la moitié de l'échantillon est mécontente de son salaire. Car, comme le note l'étude, la satisfaction n'est pas forcément liée à une rétribution réelle. La rémunération s'est en effet complexifiée. Parts fixe et variable, 13ème mois, formations, avantages en nature, plans d'épargne retraite, rendent difficile toute comparaison.
Reste, tout de même, une bonne nouvelle : en 2004 et 2005, la situation devrait s'améliorer. "La courbe démographique va s'inverser, note Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC. Les entreprises vont commencer à ressentir la pénurie de cadres. Le rapport de force sera différent."
Corentine Gasquet : Etes-vous étonné par les résultats de votre enquête annuelle qui démontre qu 'une majorité de cadres ont vu leur pouvoir d'achat baisser ?
Jean-Luc Cazettes : Nous ne sommes pas étonnés par la tendance mais par l'ampleur des résultats. Nous ne nous attendions pas à une baisse du pouvoir d'achat pour plus de 70 % de l'échantillon.
CG : Comment expliquez-vous cette baisse du pouvoir d'achat ?
JLC : Le transfert des augmentations générales aux augmentations individuelles laissent la moitié des cadres sur le bord du chemin. Par ailleurs, certains cadres ont eu une augmentation inférieure à l'inflation. D'autres bénéficient de rémunérations annexes ou de primes ponctuelles mais pas d'augmentation du salaire de base, par définition plus pérenne.
CG : A qui profite la négociation individuelle ?
JLC : En toute logique, la négociation individuelle s'avère plus profitable aux jeunes. C'est d'ailleurs l'effet recherché. Certains métiers, comme la vente ou la recherche, sont plus porteurs. Ils profitent de systèmes de primes, en plus des augmentations générales et individuelles.
CG : Les grands perdants restent les femmes et les seniors. Dans quel état d'esprit sont-ils ?
JLC : Les seniors sont complètement démotivés. Ils font la queue pour partir le plus vite possible de leur entreprise, dans le cadre de plans de départ anticipé. Cela ne s'explique pas uniquement par la stagnation de leur rémunération. Ils sont également bloqués dans leur activité professionnelle, voire même complètement mis au placard. Pour l'instant, aucune grande entreprise n'échappe à la règle. Elles baissent toutes leurs effectifs et portent en premier lieu leurs efforts sur les seniors, qu'il est plus facile de faire partir que les autres. Les femmes, quant à elles, bénéficient d'augmentations inférieures à poste égal et sont moins nombreuses à accéder aux postes les mieux rémunérés. L'écart entre hommes et femmes se creuse donc.
CG : La rémunération se considère aujourd'hui de manière globale. Est-il donc pertinent de raisonner en terme de salaire ?
JLC : La contre-partie du travail apporté à l'entreprise devrait permettre au salarié de vivre, de se projeter et de s'engager sur l'avenir. Le développement de la partie variable du salaire, sans pérennité, a des conséquences économiques. Cela limite par exemple les projets immobiliers. Par ailleurs, le manque de lisibilité des rémunérations empêche toute possibilité de comparaisons entre entreprises et même entre collègues. Même les intéressés ne comprennent pas tout. Cela contribue à renforcer le rapport de force en faveur des entreprises lors de négociations individuelles. Il faut être très précis dans la définition de sa rémunération. Les modalités de calcul de l'intéressement selon le chiffre d'affaires ou encore les économies réalisées doivent être normalisées et connues.
CG : Quelles composantes de la rémunération se développent-elles ?
JLC : L'intéressement et les primes se multiplient. Les avantages en nature restent marginaux.
CG : Individuellement, que peut-on négocier ?
JLC : Dans le contexte actuel, on ne peut pas négocier son salaire de base. Il faut donc se concentrer sur les avantages extérieurs comme les primes, l'intéressement ou la participation. Pour les jeunes, le meilleur moyen de développer leur rémunération et leur compétence reste la mobilité.
CG : Quelles sont les perspectives pour 2004-2005 ?
JLC : La situation devrait s'améliorer, la courbe démographique va s'inverser. Les entreprises vont commencer à ressentir la pénurie de cadres. Le rapport de force sera différent. Mais dans un premier temps, les seniors ne seront pas touchés par cette embellie.
CG : La tendance à l'individualisation des négociations va-t-elle se confirmer ?
JLC : Je crains que les négociations soient à l'avenir largement individualisées. Cela risque de creuser les écarts existants entre cadres.
CG : D'après Les Echos, votre entreprise, Total, vous verse 8.300 euros nets par mois, salaire qui vous place très largement en tête des leaders syndicaux. Comment expliquez-vous cet écart ?
JLC : Ce chiffre correspond en fait à l'ensemble de mes revenus et pas seulement à mon salaire. Je reçois par exemple une retraite du Conseil économique et social. Ma rémunération est d'environ 7.000 euros nets par mois. Cela s'explique par le fait que je suis cadre dirigeant. Cela correspond à peu près à ce que je touchais auparavant. Je n'ai bien sûr pas eu de revalorisation importante ces dernières années. D'une manière générale, le secteur pétrolier rémunère bien ses salariés.
Propos recueillis par Corentine Gasquet
(Source http://www.cfecgc.org, le 10 novembre 2004)
Jean-Jérôme Bertolus : Sur les plans sociaux, le gouvernement semble avoir mis beaucoup de vins dans son eau depuis votre rencontre avec Jean-Pierre Raffarin jeudi et depuis que vous avez claqué la porte du ministère du Travail vendredi, vous êtes plutôt satisfait alors ?
Jean-Luc Cazettes : Lorsque le gouvernement se rend compte qu'il a fait un pas de clerc et qu'il revient sur ce pas de clerc pour présenter un projet qui soit un peu plus acceptable pour les salariés et pour les organisations syndicales, on ne peut que se réjouir. Alors savoir si c'est du fait de ceux qui sont restés en séance, du fait de ceux qui ont claqué la porte
JJB : Il y a une petite polémique là dessus, vous avez claqué la porte avec la CGT vendredi et la CFDT d'ores et déjà vous reproche cette politique de la chaise vide.
JLC : Je ne rentre pas dans cette polémique, que ce soit le fait de ceux qui sont restés en salle ou le fait de ceux qui ont claqué la porte, l'essentiel, c'est le résultat. Le résultat nous satisfait parce qu'il y a effectivement un recul de la part des pouvoirs publics, ceci étant j'ai tendance à penser que sur les sujets de cette nature, on obtient plus satisfaction en claquant la porte qu'en restant sagement assis derrière son bureau à écouter le maître.
JJB : Vous êtes globalement satisfait. Le gouvernement a reculé parce que c'est quand même le terme sur trois points essentiels de l'avant projet de loi sur les plans sociaux, donc ça veut dire que maintenant le texte tel qu'il est présenté vous satisfait ?
JLC : Je n'ai pas de texte pour l'instant, j'ai des fuites de Matignon, reprises par les médias qui nous disent qu'il y a eu un recul sur tel ou tel point. J'attends d'avoir un texte écrit, je suis un peu comme Saint Thomas, je préfère regarder pour voir qu'elle est l'ampleur des modifications par rapport au texte initial. J'ai cru comprendre effectivement qu'il y avait l'annulation de cette disposition qui était quand même scandaleuse sur les licenciements économiques qui permettait de qualifier d'économiques, tous les licenciements pour sauvegarder la compétitivité des entreprises.
JJB : Ca, c'est la définition même du licenciement économique.
JLC : Sauvegarder la compétitivité, ça n'était pas dans la définition actuelle : ça ouvrait la porte au fait de dire, "si je n'ai pas assez de rendement, si je n'ai pas assez de dividende, je licencie pour pouvoir en avoir un peu plus".
JJB : Ca légitimait en quelque sorte ce qu'on appelle les licenciements boursiers ?
JLC : Tout à fait. Ca a été a priori supprimé. Il y a également les délais de recours qui ont été modifiés, c'est vrai que la loi française est un peu exorbitante avec des délais de recours de 30 ans, vous pensez bien que vous faites un recours 30 ans après avoir été licencié par votre employeur, ce n'est pas très sérieux, ni pour vous même, ni pour l'employeur. Alors on nous proposait de raccourcir tout ça à deux mois, entre 30 ans et deux mois, à mon avis, il y a quand même une marge parce que deux mois, ça ne vous laisse pas le temps de voir un avocat, de préparer un dossier et d'aller devant le tribunal. Là, on nous parle d'un an, nous, nous souhaiterions aller jusqu'à deux ans, mais je pense que là dessus on va également avancer. Et puis il y a les histoires des licenciements, des négociations individuelles qui ne rentreraient plus dans le plan global.
JJB : Tout ça c'est à voir, justement Bernard Thibault dit "oui alors très bien, il y a peut-être effectivement certains points qui ont été assouplis", même si lui il considère qu'à 90 % le texte reste mauvais, mais il demande une nouvelle négociation. Vous, vous demandez une nouvelle négociation ou alors l'avant projet va suivre un petit peu son bonhomme de chemin jusqu'au parlement ?
JLC : Je pense qu'il faut être raisonnable, on est là dans la reprise des dispositions de la loi de modernisation sociale d'Elisabeth Guigou qui ont été suspendus par François Fillon. Cette suspension prend fin le 4 janvier prochain, alors est-ce qu'entre aujourd'hui et le 4 janvier prochain, on a le temps de tout renégocier, d'établir un nouveau projet, de soumettre ce projet au Conseil d'Etat, de le présenter en conseil des ministres et de le faire voter par l'Assemblée, non ce n'est pas sérieux. A partir du texte existant et des modifications apportées par le gouvernement, je pense qu'on doit pouvoir très vite trouver des aménagements satisfaisants pour tout le monde.
JJB : D'accord, alors parlons quand même d'un ou deux points très rapidement de cet avant projet dont vous avez eu des fuites et effectivement qui fait la une de tous les journaux ce matin. Par exemple quand un salarié va refuser quand même certaines fonctions, ou certaines modifications substantielles de son contrat de travail, il peut être licencié économique, ça c'est quand même un problème pour vous ou pas ?
JLC : Non, justement jusqu'à présent c'était le cas et le projet de loi qui nous était soumis, venait supprimer à partir du moment où on refusait d'être muté à 300 kms de là ou on refusait une baisse des salaires etc on était considéré comme licencié de droit commun.
JJB : Là ça sécurise au contraire la procédure.
JLC : Là ça sécurise, ça rentre dans un plan social, ça rentre dans un certain nombre de choses avec des garanties beaucoup plus fortes pour le salarié.
JJB : D'accord en revanche la définition alors du plan social ne prend pas en compte tout ce qui est reclassement à l'intérieur de l'entreprise dans les différentes filiales, ça c'est un problème ou pas.
JLC : Oui, ça c'est un problème parce que nous, on n'est pas très fermé sur le fait de dire, "les délais c'est vrai sont un peu longs, on va essayer de les raccourcir, ça ne sert à rien de gagner 15 jours ou de gagner 3 semaines, ça joue souvent à l'encontre d'ailleurs des intérêts des salariés qui ont intérêt à pouvoir se mettre tout de suite en recherche d'emploi". Mais en échange d'un raccourcissement de ces délais, on demandait qu'il y ait en amont une recherche de l'employabilité, de l'adaptabilité etc Or tout ce volet en amont n'apparaît plus. On a bien le raccourcissement mais on n'a rien comme obligation de l'entreprise avant l'annonce du plan et ça c'est quand même dommage parce que c'est avant qu'on doit régler les problèmes, ce n'est pas une fois qu'on a envoyé les gens à l'ANPE, et à l'UNEDIC qu'on vient s'occuper d'eux, il vaut mieux éviter qu'ils passent par cette case chômage.
JJB : Un dernier mot sur l'évolution de cet avant projet de loi : est-ce que c'est une claque pour Gérard Larcher, le ministre du Travail ?
JLC : Non, je ne pense pas. Je pense qu'il y avait un problème délicat d'arbitrage entre le ministère du Travail, Matignon, l'Elysée et que Gérard Larcher avec lequel on en avait longuement débattu n'était pas sur cette ligne là au départ. On lui a demandé de défendre cette ligne, il est ministre, il présente un projet dans ce sens et je pense qu'il doit être très heureux de voir que ce projet est maintenant modifié.
JJB : Très bien, alors parlons maintenant un petit peu des 35 heures, vous avez parlé d'ailleurs de l'assouplissement des 35 heures avec Jean-Pierre Raffarin jeudi ?
JLC : Oui puisque Jean-Pierre Raffarin nous a présenté en gros ses objectifs, son contrat 2005 : l'emploi, l'école, la lutte contre la vie chère et dans les problèmes d'emplois, il y avait bien évidemment l'assouplissement des 35 heures. Moi j'ai répondu que pour les gens que je représente essentiellement, c'est-à-dire tous ceux qui sont au forfait jour, le problème ne se pose pas parce qu'en échange de ces forfaits jour, les gens ont échappé à la règle des 10 heures maximales de travail par jour ouvré et maintenant ils sont susceptibles de faire 13 heures de travail, d'activité chaque jour conformément aux règles de Bruxelles. Donc ils sont effectivement des forfaits jour, globalement ils ont beaucoup plus de temps de travail qu'avant les 35 heures, donc pour eux le problème ne se pose pas. Il ne se pose pas pour les entreprises. Je lisais une déclaration de Jean-Martin Folz, le PDG de Peugeot qui disait " mais c'est idiot, on n'en a pas besoin ". Toutes les grandes entreprises se sont adaptées avec les 35 heures, elles ont à cette occasion là pu faire de la flexibilité, de l'annualisation etc, donc ça leur a amélioré leur productivité, la plupart des TPE, des PME ne sont pas intéressées, la preuve on leur a ouvert la possibilité de renégocier et il y a eu des renégociations dans 23 branches sur 172.
JJB : Donc c'est un problème idéologique que l'assouplissement des 35 heures ?
JLC : C'est purement idéologique, c'est une bataille de la part des ultra-libéraux.
JJB : Pour conclure : demain Nicolas Sarkozy rend public le rapport Camdessus sur la croissance française, en fait on connaît déjà un petit peu l'essentiel de ce rapport. Michel Camdessus préconise la fusion du CDD et du CDI.
JLC : Oui alors fusion du CDD et du CDI, moi je veux bien, si c'est l'abandon du CDD pour passer tout en CDI.
JJB : Non c'est plutôt le contraire j'ai l'impression.
JLC : Mais je considère qu'il y a quand même nos voisins d'Europe du Nord, qui ne connaissent pas l'intérim parce que tous les intérimaires sont en CDI.
JJB : D'accord, donc là déjà c'est une mauvaise piste et Nicolas Sarkozy qui a d'ores et déjà dit qu'il ferait de ce rapport son livre de chevet à la présidence de l'UMP. Ce rapport dit aussi, "pourquoi pas un bonus malus sur les cotisations sociales des entreprises", c'est-à-dire qu'elles paieraient plus si elles licenciaient, elles paieraient moins si elles embauchent ?
JLC : Oui ça je n'ai rien contre, sauf que je pense qu'il vaudrait mieux supprimer l'ensemble des cotisations sociales des entreprises et des salariés pour passer sur un système de cotisation sur la consommation.
(Source http://www.cfecgc.org, le 21 octobre 2004)
Le 27/10/2004 par Journaldumanagement.com
Sept cadres sur dix moins riches aujourd'hui qu'hier. Si vous n'avez pas obtenu d'augmentation de salaire de plus de 2 % en 2003, vous appartenez à cette catégorie des perdants. Et pour redresser la barre, ne comptez que sur vous. Les négociations collectives se raréfient, au profit du mérite et du cas par cas. Tels sont les grands résultats de l'enquête annuelle de la CFE-CGC sur les salaires des cadres, publiés en avant-première par le Journal du Management. D'après cette étude, la situation des cadres est tout simplement pire qu'en 2002. L'année dernière, seule la moitié de l'échantillon a bénéficié d'une augmentation de salaires, contre 63 % un an auparavant. Et pour 14 % des cadres interrogés, le salaire a même diminué, contre 11 % en 2002. Parmi ceux qui ont été augmentés, 42 % ont touché moins de 2 % de plus qu'en 2002. L'inflation ayant atteint l'année dernière 2,1 %, cette partie de l'échantillon a donc perdu en pouvoir d'achat. En ajoutant ceux dont la rémunération a baissé, on constate qu'en tout 71 % des cadres de l'échantillon ont perdu du pouvoir d'achat.
Autre enseignement de cette enquête : l'écart entre les hommes et les femmes se creuse. En 2003, comme en 2002, ce sont les hommes qui ont proportionnellement le plus bénéficié d'augmentations. En 2002, les femmes connaissaient proportionnellement moins de diminution de salaire que leurs collègues masculins. Le rapport s'est finalement inversé l'année dernière. Les seniors sont également les plus touchés par la stagnation ou la baisse des salaires.
Dans ce contexte, il est étonnant de constater que moins de la moitié de l'échantillon est mécontente de son salaire. Car, comme le note l'étude, la satisfaction n'est pas forcément liée à une rétribution réelle. La rémunération s'est en effet complexifiée. Parts fixe et variable, 13ème mois, formations, avantages en nature, plans d'épargne retraite, rendent difficile toute comparaison.
Reste, tout de même, une bonne nouvelle : en 2004 et 2005, la situation devrait s'améliorer. "La courbe démographique va s'inverser, note Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC. Les entreprises vont commencer à ressentir la pénurie de cadres. Le rapport de force sera différent."
Corentine Gasquet : Etes-vous étonné par les résultats de votre enquête annuelle qui démontre qu 'une majorité de cadres ont vu leur pouvoir d'achat baisser ?
Jean-Luc Cazettes : Nous ne sommes pas étonnés par la tendance mais par l'ampleur des résultats. Nous ne nous attendions pas à une baisse du pouvoir d'achat pour plus de 70 % de l'échantillon.
CG : Comment expliquez-vous cette baisse du pouvoir d'achat ?
JLC : Le transfert des augmentations générales aux augmentations individuelles laissent la moitié des cadres sur le bord du chemin. Par ailleurs, certains cadres ont eu une augmentation inférieure à l'inflation. D'autres bénéficient de rémunérations annexes ou de primes ponctuelles mais pas d'augmentation du salaire de base, par définition plus pérenne.
CG : A qui profite la négociation individuelle ?
JLC : En toute logique, la négociation individuelle s'avère plus profitable aux jeunes. C'est d'ailleurs l'effet recherché. Certains métiers, comme la vente ou la recherche, sont plus porteurs. Ils profitent de systèmes de primes, en plus des augmentations générales et individuelles.
CG : Les grands perdants restent les femmes et les seniors. Dans quel état d'esprit sont-ils ?
JLC : Les seniors sont complètement démotivés. Ils font la queue pour partir le plus vite possible de leur entreprise, dans le cadre de plans de départ anticipé. Cela ne s'explique pas uniquement par la stagnation de leur rémunération. Ils sont également bloqués dans leur activité professionnelle, voire même complètement mis au placard. Pour l'instant, aucune grande entreprise n'échappe à la règle. Elles baissent toutes leurs effectifs et portent en premier lieu leurs efforts sur les seniors, qu'il est plus facile de faire partir que les autres. Les femmes, quant à elles, bénéficient d'augmentations inférieures à poste égal et sont moins nombreuses à accéder aux postes les mieux rémunérés. L'écart entre hommes et femmes se creuse donc.
CG : La rémunération se considère aujourd'hui de manière globale. Est-il donc pertinent de raisonner en terme de salaire ?
JLC : La contre-partie du travail apporté à l'entreprise devrait permettre au salarié de vivre, de se projeter et de s'engager sur l'avenir. Le développement de la partie variable du salaire, sans pérennité, a des conséquences économiques. Cela limite par exemple les projets immobiliers. Par ailleurs, le manque de lisibilité des rémunérations empêche toute possibilité de comparaisons entre entreprises et même entre collègues. Même les intéressés ne comprennent pas tout. Cela contribue à renforcer le rapport de force en faveur des entreprises lors de négociations individuelles. Il faut être très précis dans la définition de sa rémunération. Les modalités de calcul de l'intéressement selon le chiffre d'affaires ou encore les économies réalisées doivent être normalisées et connues.
CG : Quelles composantes de la rémunération se développent-elles ?
JLC : L'intéressement et les primes se multiplient. Les avantages en nature restent marginaux.
CG : Individuellement, que peut-on négocier ?
JLC : Dans le contexte actuel, on ne peut pas négocier son salaire de base. Il faut donc se concentrer sur les avantages extérieurs comme les primes, l'intéressement ou la participation. Pour les jeunes, le meilleur moyen de développer leur rémunération et leur compétence reste la mobilité.
CG : Quelles sont les perspectives pour 2004-2005 ?
JLC : La situation devrait s'améliorer, la courbe démographique va s'inverser. Les entreprises vont commencer à ressentir la pénurie de cadres. Le rapport de force sera différent. Mais dans un premier temps, les seniors ne seront pas touchés par cette embellie.
CG : La tendance à l'individualisation des négociations va-t-elle se confirmer ?
JLC : Je crains que les négociations soient à l'avenir largement individualisées. Cela risque de creuser les écarts existants entre cadres.
CG : D'après Les Echos, votre entreprise, Total, vous verse 8.300 euros nets par mois, salaire qui vous place très largement en tête des leaders syndicaux. Comment expliquez-vous cet écart ?
JLC : Ce chiffre correspond en fait à l'ensemble de mes revenus et pas seulement à mon salaire. Je reçois par exemple une retraite du Conseil économique et social. Ma rémunération est d'environ 7.000 euros nets par mois. Cela s'explique par le fait que je suis cadre dirigeant. Cela correspond à peu près à ce que je touchais auparavant. Je n'ai bien sûr pas eu de revalorisation importante ces dernières années. D'une manière générale, le secteur pétrolier rémunère bien ses salariés.
Propos recueillis par Corentine Gasquet
(Source http://www.cfecgc.org, le 10 novembre 2004)