Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Il me revient de clôturer ce forum. Et je le fais avec d'autant plus de plaisir que, vous les savez, les questions dont vous avez débattu depuis hier sont à mes yeux prioritaires.
Avec Jean-Louis Borloo, nous avons en effet voulu redonner toute sa place au travail. C'est le fil conducteur du Plan de cohésion sociale actuellement en cours de discussion au Parlement. Cela suppose toutefois que le travail soit entouré de toutes les garanties nécessaires tout particulièrement en termes de santé et de sécurité.
Or, chaque année en France, ce sont encore près de 700 travailleurs qui décèdent à la suite d'un accident du travail, ce sont plus de 46.000 salariés qui sont victimes d'accidents graves, ce sont près de 35.000 personnes qui sont reconnues atteintes d'une maladie professionnelle.
C'est dire l'importance des sujets abordés lors de ce forum.
Les enjeux sont considérables. Ils doivent pourtant être mieux reconnus et devenir, pour tous, des évidences.
Nos sociétés ont des exigences croissantes et légitimes en matière de sécurité et de santé publiques. Le sondage réalisé à l'occasion de ce forum en témoigne avec force. Il serait vain et dangereux de croire que ces exigences s'arrêtent aux portes de l'entreprise.
- Il en va bien entendu de l'intérêt du salarié. Le premier droit du salarié - je le réaffirme avec force - est le droit à sa santé ; c'est son intégrité et parfois aussi sa vie qui sont ici en cause.
- Il en va aussi de l'intérêt des entreprises, tant le coût de l'insécurité est élevé et porte atteinte à leur compétitivité, sans qu'elles n'en prennent toujours vraiment la mesure, en raison notamment des effets différés des risques professionnels.
- Il en va enfin de l'intérêt général puisque les grands équilibres économiques et démographiques supposent une action résolue en matière d'amélioration des conditions de travail. Equilibres économiques : parce que le coût des mauvaises conditions de travail est estimé entre 2.6 % et 3.4% du PIB. Equilibres démographiques aussi : parce que l'on ne peut espérer faire face au vieillissement de la population sans améliorer les conditions de travail, tout au long du parcours professionnel, dans une politique de gestion des âges active.
Les questions de santé et de sécurité au travail sont donc essentielles. Elles connaissent, actuellement, des réformes profondes portées par le ministère dans une logique d'approche globale et d'anticipation. Je pense, par exemple, à l'évaluation des risques, à la pluridisciplinarité, à la stratégie et aux structures de la prévention. Elles vont s'accélérer encore, très prochainement, au travers d'un nouveau plan d'action gouvernemental en matière de prévention des risques professionnels. Je ferai en sorte, soyez-en sûrs, que ce plan à la hauteur des enjeux et de leur caractère prioritaire.
Mais ces enjeux doivent, à l'évidence, prendre en compte la dimension européenne.
L'Europe joue en effet un rôle déterminant en la matière- même s'il est trop peu connu du grand public. L'Europe vient de s'élargir à 25 pays qui forment, ensemble, la première puissance de travail au monde. Nous sommes donc entrés dans une ère nouvelle où nos actions nationales, sont désormais structurées par des progrès coordonnés au niveau européen. Nous sommes désormais appelés à poursuivre des objectifs cohérents, fondés sur la " stratégie communautaire en matière de sécurité et de protection de la santé " lancée en 2002.
L'action européenne est impressionnante d'ampleur et de rapidité. Elle s'inscrit à la confluence d'une double logique.
- La première, d'inspiration sociale, consiste à protéger ce qu'il y a de plus précieux et fondamental : la vie et le bien-être de l'homme. La construction communautaire a commencé par fixer des règles très strictes, comme dans le droit français. Il importe, en effet, de préserver l'intégrité physique et psychique des travailleurs. Le principe est simple : l'Europe fixe un plancher commun à tous les États, mais pas de plafond : c'est l'harmonisation dans le progrès. Les premières règles ont été inspirées par cette démarche : c'est le cas des principes généraux de prévention adoptés en 1989, comme les règles particulières qui ont suivi, visant les catégories plus sensibles (jeunes, femmes enceintes) ou des situations à risque, telles que les chantiers ou encore la sécurité des produits et équipements utilisés au travail.
- La seconde logique met, quant à elle, la dimension économique a sa juste place. Outre le coût de mauvaises conditions de travail - dont je rappelais il y a un instant le poids incroyable (2,6 et 3,4 % du produit intérieur brut) - il importait d'empêcher que des conditions de protection inégales ne deviennent l'objet d'un " dumping social ", inadmissible et préjudiciable à nos entreprises et par conséquent à nos emplois, dans un marché intérieur de plus de 400 millions de consommateurs.
En conjuguant logique sociale et logique économique, l'Europe nous permet de jouer " gagnant ". Et la France y a gagné. Elle a su exporter plusieurs de ses conceptions, en particulier dans le domaine de la sécurité dite " intégrée ". Elle a su aussi s'enrichir de concepts et d'outils efficaces. C'est le cas de l'évaluation des risques a priori en milieu professionnel comme celui du principe de substitution qui impose de remplacer ce qui est dangereux, en " collant " au plus près à l'évolution permanente des technologies.
Ce chantier n'est jamais achevé et il faut en permanence veiller à une actualisation des données scientifiques et techniques. C'est l'un des aspects majeurs du futur système REACH sur l'évaluation des dangers des molécules chimiques. Le défi de la connaissance est ici vital, pour éviter la reproduction de catastrophes comme celle de l'amiante.
Des normes seront toujours nécessaires, simplifiées au besoin, mais toujours dans le souci d'élever le degré de protection. Mais l'Europe s'est tournée, ces dernières années, vers une stratégie plus complète en vue de promouvoir une véritable culture de prévention dans toutes les entreprises. Elle consiste, d'une part, à combiner les directives avec d'autres formes d'action (guides pratiques, campagnes d'information, évènements) et, d'autre part, à associer la politique de santé et de sécurité au travail à une série d'autres politiques, telles que la recherche ou la formation, par exemple, dans une démarche plus connue sous son nom anglais de " mainstreaming ".
C'est pourquoi nous avons souhaité faire appel à de nombreux représentants - que je remercie tout particulièrement - venus de diverses instances européennes ou de pays partenaires nous faire partager un autre regard sur ces questions essentielles. Nous avons en effet voulu - et c'est l'un des intérêts majeurs de ce forum- favoriser la diffusion des " bonnes pratiques ". Je souhaite, à cette occasion, saluer l'action de la présidence néerlandaise de l'Union européenne et adresser mes encouragements à la future présidence luxembourgeoise.
J'attache pour ma part une très grande importance à un tel " décloisonnement " des approches en matière de santé et sécurité au travail.
C'est à mes yeux une logique de " bon sens " parce que - par nature - l'activité au travail se conjugue avec de multiples problématiques : la santé publique, le développement durable, l'emploi, la politique industrielle, la formation et la liste n'est pas close !
La prévention des risques professionnels exige, certes, de l'expertise - elle en exige même davantage qu'aujourd'hui pour relever les défis de l'innovation et répondre aux attentes sociales croissantes - mais elle se condamnerait elle-même, en restant une affaire d'experts. Pour atteindre ses objectifs, il lui faut acquérir plus de visibilité auprès du public, des décideurs économiques et établir des liens, toujours plus actifs, avec d'autres politiques. C'est pourquoi je crois fermement au rôle que jouent - et doivent jouer avec plus d'intensité encore- les partenaires sociaux dans la conduite des politiques de prévention des risques professionnels.
Ce " décloisonnement " des approches prendra dans les années à venir - je n'en doute pas - une dimension très grande. C'est même la condition pour donner une impulsion nouvelle à la prévention. Il s'agit, en effet, d'impliquer d'autres politiques publiques, de les interroger au regard des bénéfices attendus en matière d'amélioration des conditions de travail et de les insérer plus concrètement que par le passé, dans une véritable stratégie globale impliquant la cohésion des actions et des acteurs.
Je prendrai 2 exemples simples, au niveau des politiques publiques et de l'entreprise :
- comment développer une vraie " culture de prévention en entreprise " si rien n'est fait à l'école, au lycée professionnel ou dans les écoles d'ingénieurs ?
- comment " mettre en oeuvre une politique de prévention efficace " dans l'entreprise, si celle ci reste du ressort exclusif des spécialistes et si elle n'est pas réellement intégrée dans l'organisation du travail et dans le dialogue social ?
Un tel " décloisonnement " commence à se concrétiser. Je m'en réjouis.
C'est vrai au plan international et européen et c'est vrai au plan national. Le gouvernement français a présenté en juin 2004, lors de la conférence du Budapest, un plan national santé environnement. Ce " PNSE " témoigne à mes yeux de tout l'intérêt d'une telle démarche collective associant scientifiques et différents départements ministériels, dans une approche globale, pluridisciplinaire et décloisonnée. Des objectifs cohérents et des échéances précises ont été fixés.
La santé au travail y a gagné, car les mesures arrêtées dans ce plan sont significatives par leur importance : elles élargissent les bases nationales du développement de la connaissance des dangers et des risques liés aux substances chimiques, cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, dans le cadre du projet européen REACH. Elles insistent également sur l'effectivité de l'application des mesures de protection des salariés exposés à des risques, en augmentant le rôle de prévention des inspecteurs, en valorisant le travail pluridisciplinaire des médecins du travail qui travailleront en liaison étroite avec, par exemple des ingénieurs, des techniciens ou des ergonomes. Cette logique est aussi celle du futur " plan santé travail ". J'y reviendrai.
A cet égard, vos travaux, tout au long de ce forum, me confortent dans l'idée qu'il nous faut encore avancer avec détermination dans une double direction.
La première est, bien sûr, celle des grandes problématiques abordées par le FITS qui sont autant d'objectifs de progrès : l'impact économique et social de la prévention des risques professionnels, la connaissance des risques, la gestion des âges, l'approche globale qui sera aussi discutée, au plan mondial, à l'OIT, en juin 2005. Tous ces sujets sont centraux pour le monde du travail. Et, je n'oublie pas, bien sur, les travaux des ateliers sur les troubles musculo-squelettiques, première cause de maladies professionnelles, ou la prévention dans le bâtiment - dont l'évolution des conditions de travail est essentielle pour l'emploi : il s'agit de faits incontournables. Les discussions autour du management de la santé-sécurité, celles portant sur la fixation des valeurs limites d'exposition pour les substances chimiques posent, pour leur part, de vraies questions sur le choix de nos instruments pour faire reculer les risques professionnels.
Je demanderai d'ailleurs au directeur des relations du travail de tenir compte des travaux de ce Forum dans les propositions à venir.
La seconde dimension est celle de l'organisation de l'action. C'est le point central du " Plan santé-travail " auquel nous mettons la dernière main.
Les plans d'action gouvernementale sont un nouvel outil - que je crois efficace et donc durable - pour faire bouger les choses. Les succès obtenus en matière de sécurité routière, par exemple, en attestent. C'est pourquoi, Jean Louis BORLOO et moi-même avons- le lendemain même de notre prise de fonction- décidé d'appliquer cette méthode aux risques professionnels.
Ce plan mettra l'accent sur trois priorités :
- D'abord, et c'est fondamental, la nécessité de développer les connaissances qui restent encore insuffisantes. Cela passera notamment par une intégration de la santé au travail dans notre dispositif de sécurité sanitaire au travers d'une agence publique en charge de cette question ;
- Ensuite le besoin de renforcer l'effectivité des contrôles, parce que s'il y a un domaine où la règle porte une légitimité supérieure, c'est bien celui de la protection de l'intégrité des personnes : cela suppose -à l'évidence- de " techniciser " l'inspection du travail ;
- Le besoin enfin de revoir, avec les partenaires sociaux qui sont particulièrement concernés et investis dans ce champ, les modalités du pilotage des actions et des objectifs, tant au plan national qu'au plan local. Je crois que, par une meilleure coordination, nous pouvons rendre nos actions plus cohérentes et donc plus efficaces.
Vous l'avez compris, l'idée centrale de ce plan est de fonder une véritable perspective stratégique pour les années à venir en fixant et en déclinant les objectifs structurants. C'est aussi, je crois, le grand message du FITS 2004.
Voilà pourquoi je souhaite ici remercier chacun d'entre vous pour votre participation. J'avais voulu que vos travaux soient placés sous le signe de la plus grande ouverture, que vos discussions soient sans tabou. Je crois que vos débats, par leur diversité et par leur richesse, ont pleinement répondu à cette exigence.
Je vous remercie.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 1e décembre 2004