Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales à "RTL" le 4 février 2004, sur la condamnation d'Alain Juppé, son maintien à la tête de l'UMP pour organiser la relève, sa défense.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Q- J.-M. Aphatie-. Bonjour H. Gaymard. A. Juppé avait laissé entendre qu'il cesserait son activité politique s'il était condamné dans l'affaire des emplois fictifs du RPR. Il a été condamné vendredi, et puis hier soir, surprise, il a annoncé qu'il conservait ses mandats de député de Gironde et de maire de Bordeaux, ainsi que sa fonction de président de l'UMP, jusqu'au renouvellement de novembre prochain. Donc A. Juppé ne change rien. A t-il raison, H. Gaymard ?
R- " Nous avons vu hier soir un homme à la fois libre et vivant, qui a fait un retour sur lui-même au cours de ces derniers jours. Il n'est pas au-dessus des lois, mais il n'est pas non plus en-dessous des lois. Et l'appel permet à chaque citoyen de faire valoir ses droits à la défense, et je pense qu'il a choisi la voie de la sagesse. "
Q- Il n'y a pas l'exemplarité de l'homme politique qui, le temps du procès, après la condamnation, aurait dû laisser la place ?
R- " Je crois qu'il s'en est lui-même très bien expliqué : la sévérité des attendus du jugement, les témoignages de sympathie - que j'ai pu moi-même constater sur le terrain dans mon département et dans ma région ce week-end - je crois que l'entourage de sa famille, de ses proches, de ses amis politiques, tout ça a joué pour qu'il prenne la bonne décision. "
Q- "Il est normal que la Justice soit plus sévère avec les hommes politiques. Ils font la loi, ils ont donc plus d'obligations que les autres de la respecter". Vous savez qui a dit ça, H. Gaymard ?
R- " Non. "
Q- C'est votre collègue, P. Devedjian mais c'était en 1996. Autres temps, autres murs.
R- " Oui, c'est vrai qu'un homme politique doit être exemplaire. Moi, c'est ce que j'appelle "une morale du comportement" et je crois qu'A. Juppé hier soir nous a donné, à tous, une grande leçon à la fois de démocratie, et tout simplement de classe. "
Q- Cette loi, trop sévère, il faut la changer ? Vous étiez député en 95, vous l'avez votée.
R- " Je ne sais pas si. "
Q- Vous étiez député.
R- " Oui, j'étais député parce que je suis rentré au Gouvernement au mois d'avril. Je réfléchissais sur la période de l'année - donc j'étais député - je l'ai votée. "
Q- Vous le regrettez ?
R- " Non je ne le regrette pas. "
Q- Il faut la changer ?
R- " Je ne pense pas que ce soit utile à court terme. Je crois que ce n'est pas le sujet aujourd'hui. Il y a une loi, il faut l'appliquer, il faut que la justice passe, dans la sérénité et dans le respect des hommes. "
Q- Vous disiez qu'A. Juppé s'était comporté en homme libre, et que vous l'aviez vu hier soir.
R- " Et vivant, parce que, vous savez on est dans une société bizarre, on est dans une société frénétique, avec une espèce de cocktail d'informations, de sondages, de déclarations péremptoires, où souvent l'homme politique n'est pas vivant, au sens de Bernanos, et où c'est souvent un acteur qui joue en play-back sous fond d'enregistrement d'applaudissements pré-enregistrés. Tandis que là c'est exactement le contraire. On a vu un homme dans sa nudité, dans son authenticité et, comme le disait A. Duhamel à l'instant, je crois que beaucoup de Français ont découvert un A. Juppé que nous étions un certain nombre à connaître.. "
Q- Vivant donc, mais libre aussi disiez-vous, et beaucoup de commentateurs, ce matin, voient derrière son changement d'attitude, la main, les mains de J. Chirac.
R- " Il est de notoriété publique que J. Chirac et A. Juppé ont une relation affective très forte. Mais comme l'a dit Alain lui-même à la fin de son intervention hier soir, il a pris sa décision en son âme et conscience. Il a parlé avec beaucoup de ses amis, il a beaucoup consulté ces derniers jours. Il a pris du recul sur lui-même en partant avec sa femme et sa fille en Normandie. Il a pris sa décision, et je pense que c'est la bonne décision, et on sent bien que les Français l'attendaient. "
Q- Pensez-vous que, dans sa décision, J. Chirac ait beaucoup pesé ces derniers jours ?
R- " Ca, il faut leur demander. "
Q- Et votre sentiment ? Vous regardez tout ça, vous connaissez l'un et l'autre.
R- " Oui mais, je ne peux pas vous dire, je n'étais pas avec eux dans leurs conversations. "
Q- Et peut-être que vous ne voulez pas non plus.
R- " Non, non, non, mais je n'étais pas avec eux. "
Q- Les Français ont témoigné de la sympathie à l'homme politique, à l'homme A. Juppé - il le disait lui-même. Mais en témoigneront-ils autant au dirigeant politique ? Un sondage IFOP/Paris Match : 58 % des Français souhaitent qu'A. Juppé ne joue pas de rôle politique à l'avenir contre 37% qui souhaitent l'inverse. Vous n'avez pas peur que ça se retourne aujourd'hui ?
R- " Vous savez, d'abord, les sondages, ça va ça vient. Je crois vraiment qu'on n'en est pas là aujourd'hui ! Comme l'a dit lui-même Alain hier devant le groupe parlementaire à l'Assemblée nationale, "le ciel lui est tombé sur la tête". Il ne s'attendait pas à une condamnation aussi sévère, avec des attendus aussi sévères et je crois que c'est ce qui l'a conduit à faire valoir ses droits de citoyen. Donc il a annoncé qu'il faisait appel. Il restera donc député et maire de Bordeaux. Et il a par ailleurs annoncé qu'il quitterait la présidence de l'UMP cet automne et que, d'ici là, il assurerait la mise en marche de notre mouvement politique pour que sa succession se passe dans les meilleures conditions. Je crois que c'est une attitude tout à fait digne d'estime et responsable. "
Q- Sur la présidence de l'UMP, A. Juppé a dit hier soir : "je veux organiser la relève". Alors c'est quoi la relève ? Quel est le profil idéal de celui qui peut succéder à A. Juppé, selon vous H. Gaymard ?
R- " Ca, nous verrons bien dans les mois qui viennent. La seule chose qu'on puisse dire, c'est que le président de l'UMP est désigné à bulletins secrets par les militants. L'échéance du mois d'octobre était prévue dans nos statuts, donc ce n'est pas un bouleversement du calendrier par rapport à la vie de notre mouvement. D'ici là, il y a de nombreux événements : les élections régionales, les élections européennes, les élections sénatoriales dans un tiers des départements au début du mois de septembre, donc on verra bien. "
Q- Cette succession d'A. Juppé peut tourner au "tout, sauf Sarkozy" ?
R- " Non, je pense qu'il y aura forcément plusieurs candidats qui essaieront de mériter la confiance de nos militants UMP, et le meilleur gagnera. "
Q- N. Sarkozy, dont vous n'êtes pas proche, peut-il être le successeur d'A. Juppé à la tête de l'UMP d'après vous ?
R- " Mais ça, l'avenir le dira. "
Q- Mais vous le souhaitez ? Est-ce qu'il vous parait potentiellement capable de faire ce travail ?
R- " Il faut qu'il soit candidat. Il faut qu'il soit élu. On n'en est pas encore là ! "
Q- Vous êtes inquiet des relations personnelles entre les deux hommes ? On a appris par exemple hier, au détour d'un article du Figaro, que de tous les appels qu'il avait eus, A. Juppé n'a pas retourné celui de N. Sarkozy. C'est dans le vide que le téléphone a sonné pour N. Sarkozy.
R- " Vous savez, moi je ne veux pas rentrer dans ces histoires. Je ne sais pas d'abord si c'est vrai ou faux. "
Q- C'est sans doute vrai. Vous le savez comme nous.
R- " Je sais que la société du spectacle, dont je parlais tout à l'heure, est friande de ces vrais ou faux petits faits vrais. Moi, ce n'est pas comme ça que je fais de la politique ! Je crois que ce n'est pas ce que les Français attendent. Ils veulent des gens authentiques, qui les écoutent, qui travaillent, qui essaient de faire bouger les choses. Bon, je comprends bien le clapotis parisien, mais je crois que passées les rives de la Seine, ça n'intéresse pas grand monde ! "
Q- Oh vous savez, ailleurs aussi on s'intéresse à tout ça. Est-ce que vous pensez pour finir que cette affaire peut avoir un impact sur le résultat des élections régionales ?
R- " L'avenir le dira. Moi je ne le crois pas. Je crois au contraire que, dans ce qui s'est passé ces derniers jours, on a pu voir qu'un homme, qui était vilipendé, a sauvé son honneur, et il est apparu tel qu'il était, c'est-à-dire un homme profondément libre et humain et je crois qu'A. Juppé, hier soir, a donné à tout le monde une formidable leçon de classe, d'humanité et de dignité. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2004)