Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec la deuxième chaine de télévision israélienne, sur le dialogue israélo-palestinien, la situation au Liban et le dossier iranien concernant l'arme nucléaire, à Jérusalem le 7 février 2005.

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Circonstance : Voyage en Israël et dans les Territoires palestiniens, les 7 et 8 février 2005

Texte intégral

Q - Monsieur le ministre, merci de nous recevoir ici
R - Vous êtes les bienvenus.
Q - Nous sommes à la veille du sommet de Charm el-Cheikh. Comment la France compte-t-elle soutenir les efforts pour faire avancer la paix dans notre région ?
R - La France et les autres pays européens veulent absolument encourager le dialogue qui se renoue entre Ariel Sharon et le nouveau président, Mahmoud Abbas. Il n'y a pas de paix sans dialogue entre les Palestiniens et les Israéliens. Et c'est d'abord l'affaire des Palestiniens et des Israéliens que de dialoguer entre eux. Il n'y a pas non plus de paix si des réformes, des actions concrètes, ne sont pas engagées. Et voilà pourquoi j'ai déjà dit au mois d'octobre, quand je suis venu à Jérusalem, que la décision d'Ariel Sharon de se retirer de Gaza est une décision courageuse et qu'il faut aider à la réussite de ce retrait de Gaza. Et l'Europe est prête à accompagner cette réussite. En même temps, le nouveau président palestinien, qui est un interlocuteur, un partenaire pour la paix, qui a une autorité démocratique et légitime - le résultat de ces élections a été une belle preuve de maturité de la part du peuple palestinien -, lui aussi doit prendre des décisions. Nous voulons accompagner ces deux mouvements, et nous sommes prêts, nous, Européens avec les Américains et avec d'autres partenaires, à soutenir cette reprise du dialogue.
Q - Il paraît que votre nouvelle homologue américaine, Condoleezza Rice, est avide de montrer quelques progrès entre les Israéliens et les Palestiniens pour réchauffer les relations avec l'Europe. Est-ce que cela suffira pour guérir les blessures transatlantiques, pour accomplir une réconciliation franco-américaine ?
R - D'abord, je pense que les progrès entre les Israéliens et les Palestiniens sont d'abord l'affaire des Palestiniens et des Israéliens. Tout naturellement, comme ce conflit est un conflit central, l'instabilité au Proche-Orient est notre propre instabilité, parce que nous sommes proches. J'ai dit en allant à Washington et je redirai au Dr Rice que je reçois à Paris mardi, demain, que la priorité dans ce nouveau dialogue transatlantique doit être d'aider à la reprise du processus de paix. Nous avons besoin de la paix. La paix est un préalable indispensable pour le progrès économique, pour la réforme, pour la démocratie dans cette grande région du Proche et du Moyen-Orient. C'est pour moi la priorité. Ce n'est pas le seul sujet dont nous devons parler avec les Américains, nous devons lutter contre le terrorisme, et nous sommes ensemble contre le terrorisme ; nous devons lutter pour le développement, contre la pauvreté ; nous sommes ensemble dans beaucoup de régions, en Afghanistan, au Kosovo, à Haïti, en Afrique.
Q - Pas en Irak ?
R - Nous sommes ensemble pour la reconstruction politique et économique de l'Irak. La France et d'autres pays qui n'ont pas approuvé cette guerre à l'origine sont, maintenant que nous sommes dans le cadre du droit international, dans le cadre des Nations unies, disponibles pour accompagner la reconstruction politique et économique de l'Irak. Nous l'avons dit au président irakien quand il est venu à Paris, nous avons participé à la Conférence de Charm el-Cheikh. Nous avons participé à l'allègement de la dette de l'Irak. Nous sommes dans une attitude constructive et, là comme ailleurs, nous voulons regarder devant nous avec les Américains.
Q - Monsieur Barnier, votre première visite ici a eu lieu à Ramallah. Vous aviez choisi de rencontrer Arafat avant de rencontrer Sharon. Est-ce que vous êtes prêt aujourd'hui à admettre que c'était une erreur ?
R - Je n'ai pas choisi de rencontrer Yasser Arafat avant de rencontrer Ariel Sharon. J'avais souhaité faire deux visites en Israël et dans les Territoires palestiniens. Le calendrier a fait que je suis d'abord allé à Ramallah, pour rencontrer le président élu par les Palestiniens. Je n'ai pas été le seul par le passé à dialoguer avec Yasser Arafat. Le président des Etats-Unis l'a reçu à la Maison Blanche, il a été reçu à Bruxelles par l'Union européenne. Donc, nous avons dialogué et respecté le président que les Palestiniens avaient choisi. Aujourd'hui, Yasser Arafat est mort. Il y a un nouveau président qui a été élu démocratiquement par les mêmes Palestiniens et c'est une page nouvelle qui s'écrit et nous devons et nous voulons travailler avec lui.
Q - L'ancien Premier ministre, Lionel Jospin, a dit ici en Israël que le Hezbollah est une organisation terroriste. Il en a payé le prix. Pourquoi la France d'aujourd'hui hésite à les déclarer terroristes ?
R - C'est un débat très difficile, beaucoup plus difficile que vous ne le pensez à l'intérieur des pays européens. Pourquoi ce débat existe ? Parce que le Hezbollah a une dimension parlementaire et politique au Liban. Ils ont des députés qui participent à la vie parlementaire. Vous savez que la vie politique au Liban est difficile, fragile. Nous sommes d'ailleurs très attentifs à ce que le Liban, dans le cadre de son intégrité territoriale, retrouve sa souveraineté qui est l'objet de la fameuse résolution 1559 qui vise à établir cette souveraineté du Liban. C'est une première raison de la difficulté de ce débat. La deuxième raison, c'est que nous voulons, nous sommes vraiment attentifs aux exigences et aux préoccupations d'Israël en matière de sécurité. Voilà les termes de ce débat qui continue au niveau européen.
Q - Votre ambassadeur à Tel Aviv a dit publiquement, et pas diplomatiquement, que les Israéliens ont une névrose anti-française. Etes-vous d'accord avec lui ?
R - Ce qu'a voulu dire notre ambassadeur, avec ses mots, franchement, parce qu'il faut se parler franchement, c'est que ce que nous faisons, ce que nous sommes en France, n'est pas toujours bien compris ou bien décrit. Il y a eu parfois des mots exagérés, parfois des mots que nous n'avons pas compris pour parler de la France. Et parfois même, c'est vrai dans l'autre sens aussi. Je pense que nos deux sociétés ont besoin de se parler davantage, qu'il y a une relation très affective entre le peuple israélien, qui est un peuple ami, et le peuple français. Donc, je viens souvent et je reviendrai souvent pour parler ce langage, ce dialogue de vérité et de franchise, et entretenir un dialogue amical. Mais je veux aussi qu'il y ait davantage de relations entre la société israélienne et la société française.
Q - Comment la France réagirait si Israël bombardait les installations nucléaires d'Iran ?
R - Franchement, je ne crois pas, et Mme Rice l'a dit elle-même, qu'il soit question aujourd'hui d'opération militaire contre l'Iran. Ce n'est pas la démarche que nous avons engagée. Nous avons engagé une démarche politique rigoureuse, intransigeante, pour que l'Iran renonce à l'arme nucléaire, dont ce pays n'a pas besoin, dont cette région n'a pas besoin. Et, en même temps que nous demandons à l'Iran de renoncer à cette arme nucléaire, nous offrons à l'Iran un dialogue industriel, y compris pour l'énergie dont il a besoin, un dialogue commercial, un dialogue politique. Et nous espérons que, dans cette démarche où nous avançons les yeux ouverts, nous allons aboutir avec le soutien des pays de la région, avec le soutien des Américains et des Russes, parce que franchement, la solution politique est préférable à toutes les autres.
Q - Monsieur le Ministre Michel Barnier, je vous remercie.
R - Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2005)