Interviews de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à RMC le 4 mai 2004 et à France-Inter le 28, sur la réforme de l'Unédic et la réintégration des 600 000 "recalculés" et les perspectives de l'unité syndicale lors des conflits sociaux et la réforme de l'assurance maladie.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - France Inter - RMC

Texte intégral

F. Chérèque (CFDT) RMC - Le 4 mai 2004
Q- O. Truchot-. J.-L. Borloo a donc donné raison aux 600 000 recalculés : ils sont réintégrés dans leurs droits. il s'agissait, dit le ministre, de réparer une injustice sociale provoquée par la réforme de l'Unedic, que vous avez voulu avec le Medef. Donc, cette victoire des recalculés est-elle un échec pour vous ?
R - "La CFDT demandait que l'on remette les chômeurs dans la durée d'indemnisation initiale. Pour une raison simple : cette réforme avait été faite en 2000 et en 2002, avec un objectif : accompagner le chômeur en demande d'emploi vers le travail, c'est-à-dire un accompagnement pour qu'il trouve un travail plus rapidement. La situation économique de 2003, qui, bien évidemment, n'était pas prévue - en tout cas, les syndicats n'ont pas une boule cristal et ne pouvaient pas le prévoir - a connu une croissance très très faible avec une suppression de 70 000 emplois dans notre pays, ce qui ne s'était pas vu depuis dix ans. Pire : le Gouvernement avait, dans le même temps, supprimé les emplois-jeunes et 70 000 jeunes se sont retrouvés sur le marché de l'emploi, en concurrence avec les autres. On s'est donc retrouvé dans une situation de l'emploi pas prévue et catastrophique, qui a provoqué, cet effet de réduction de la durée d'indemnisation, au lieu d'avoir un retour à l'emploi, ce qui est quand même notre objectif premier. A partir du moment où une réforme, qui est voulue pour aider les chômeurs à retourner à l'emploi, ne produit pas les effets qui étaient prévus, il est de notre devoir de demander de revenir dessus. C'est ce que nous avons fait. C'est donc une bonne chose que le Gouvernement soit revenu sur cette réforme. C'était notre demande."
Q-Vous reconnaissez que la réforme était injuste ?
R - "On reconnaît que la réforme que nous avions mise en oeuvre - en 2000, je le rappelle, la croissance était de 4 %, et en fin 2002, la prévision de croissante était de plus de 2 % pour 2003 -, on reconnaît que cette réforme n'a pas produit les effets que l'on recherchait, c'est-à-dire, aider les chômeurs à retourner à l'emploi. il était donc utile de revenir sur cette situation. En plus, il y avait une situation juridique nouvelle. Nous demandons en plus, aujourd'hui, au Medef et à l'Unedic, d'arrêter les appels - parce que l'Unedic a déposé des appels par rapport au jugement de Marseille - et que l'on arrête cette situation. Mais maintenant, que l'on réfléchisse et que l'on travaille ensemble sur ce que l'on va mettre en oeuvre pour que ces gens retrouvent un emploi. Parce que certes, c'est une bonne chose qu'ils aient un, deux, trois ou quatre mois d'indemnisation en plus, mais s'ils sont au chômage au bout de ces quatre mois, ils seront dans une situation qui est mauvaise. Il faut les aider à retrouver un emploi."
Q-La réforme ne passait pas dans l'opinion publique, et surtout pour ces 600 000 recalculés, on peut bien le comprendre. Et finalement, une fois de plus, c'est l'Etat qui doit payer l'addition, qui doit payer cette fameuse dette de 1,2 milliard d'euros, cette créance qui, aujourd'hui, est oubliée. C'est le cadeau de l'Etat fait à l'Unedic ?
R - "Ce n'est pas tout à fait cela. D'abord, le regret de la CFDT, c'est que nous on souhaitait que le Gouvernement prenne la décision d'augmenter les cotisations patronales de 0,2% jusqu'à la fin de l'année, parce que c'est quand même les entreprises qui sont responsables du chômage et pour financer cette nouvelle dépense."
Q-Vous dites au Medef de mettre la main à la poche ?
R - "Pas le Medef particulièrement, mais les entreprises. O,2 % de cotisations en plus jusqu'à la fin de l'année nous permettait de passer l'année. Le Gouvernement a préféré remettre une dette que l'Unedic a vis-à-vis de l'Etat. Encore une fois, il a financé cette mesure à crédit, parce que l'Unedic paiera quand même cette dette dans deux-trois ans. Et on va reculer le retour à l'équilibre de l'Unedic et ce sont les chômeurs de demain, qui vont, en définitive, le payer."
Q-Justement, que fait-on pour combler le trou de l'Unedic ? Parce que finalement, il est toujours là !
R - "Qui est responsable du déficit de l'Unedic ? Le responsable, c'est la politique de l'emploi, c'est le chômage qui est responsable du trou de l'Unedic. Donc, l'objectif, c'est bien évidemment que le Gouvernement ait une politique de l'emploi cohérente, ce qui n'est pas le cas depuis qu'il est arrivé au pouvoir. Il a préféré baisser les impôts et se priver de recettes utiles pour avoir une action sur l'emploi. Baisse des impôts qui a permis de l'épargne pour les personnes les plus riches de notre pays, plutôt qu'une relance du pouvoir d'achat. Et c'est bien ça le problème ! Pas de politique européenne de l'emploi et puis, les entreprises qui utilisent l'Unedic comme une caisse d'ajustement de leurs effectifs au lieu d'avoir une gestion anticipée des emplois et d'aider les salariés à rester dans le monde du travail. Donc, si on veut faire baisser ce déficit de l'Unedic, il faut avoir une vraie politique de l'emploi en France et en Europe, et faire en sorte que les entreprises soient un peu plus responsabilisées."
Q-J.-L. Borloo propose de réunir tous les partenaires sociaux autour de cette question.
R - "Nous, nous avons proposé des états généraux de l'emploi et du chômage. C'est-à-dire réfléchir à comment on fait en sorte pour accompagner les chômeurs de leur situation difficile vers l'emploi. Définir les rôles de l'Unedic qui est, pour le moment, la seule structure qui aide les chômeurs - l'Etat s'est désengagé -, voir le rôle de l'Etat qui peut aider l'Unedic, mais aussi, quelle est le rôle des nouvelles régions, qui ont une responsabilité sur l'emploi, la formation et aussi, éventuellement, l'accompagnement des chômeurs. Comment tout le monde peut se mettre à l'oeuvre pour faire en sorte que l'on aille faire plus vite ce retour à l'emploi."
Q-Reconnaissez quand même que la période n'est pas facile pour vous. Deux réformes que la CFDT a signés avec le Medef sont remises en question, la réforme de l'Unedic et celle sur les intermittents. Certains vous accusent même d'être aujourd'hui le bras armé du Medef. Avez-vous songé à démissionner ?
R - "Non, jamais. La CFDT s'engage dans des situations économiques difficiles. Il est toujours plus facile de critiquer la CFDT quand on s'engage sur les actions qui ne sont pas faciles, dans des périodes comme celles-là, plutôt de faire comme par exemple la CGT qui n'a jamais signé un seul accord Unedic et qui n'a pas signé d'accord intermittent depuis trente ans. Donc, c'est vrai qu'ils ne peuvent pas être critiqués pour leur signature, ils ne le font jamais. Donc, notre responsabilité, c'est de regarder les choses telles qu'elles sont en face, et d'essayer de trouver des solution pour les salariés et leur proposer des choses concrètes. Vous parlez des intermittents. On a quand même, nous, la CFDT, l'honneur de défendre ce régime, qui est unique en Europe, qui fait en sorte que ce sont les salariés du privé qui, solidairement entre eux, financent un régime pour une partie des salariés intermittents."
Q-Ce n'est pas ce que disent les intermittents, et à deux jours du Festival de Cannes, on se demande si le rendez-vous du 7ème art ne sera pas la prochaine manifestation culturelle sabordée...
R - "On a fait une proposition très claire de faire une caisse complémentaire ou additionnelle, ou un fonds pour la culture, pour qu'enfin, l'Etat, les collectivités locales et les producteurs du secteur, qui font quand même beaucoup de bénéfices dans le milieu, financent ce qui est leur part de la politique culturelle, parce qu'il n'est pas normal que ce soit la caisse de chômage qui finance la politique culturelle dans notre pays. Donc, là, il y a une solution à portée de main. On sait que le Gouvernement réfléchit sur cette solution. S'il va vers cette solution, premièrement, ce serait une bonne chose pour les intermittents, parce que non seulement la CFDT aura maintenu leur régime et on aura une amélioration par cette caisse. Deuxièmement, ce sera une bonne nouvelle pour les chômeurs qui ne financeront pas entre eux cette caisse et [parce] que l'Etat participera. Troisièmement, cela montrera que la CFDT fait de bonnes propositions."
Q-Un accord est-il possible dans les jours qui viennent ?
R - "Nous, cette proposition, on la fait depuis six mois. Donc, maintenant, il serait temps de la mettre en oeuvre."
[2ème partie]
Q-On va parler maintenant de la lutte contre la fraude à l'assurance maladie. C'est l'un des objectifs prioritaires de D. Douste-Blazy - il nous l'a dit hier soir. [...] Il a dit qu'il y avait 10 millions de cartes Vitale en surnombre, c'est aussi ce qui provoque le trou de la Sécu.
R - "C'est la mesure miracle que vient de trouver le ministre de la Santé. S'il imagine qu'il va régler le trou de la sécu avec cette mesure,c'est un illusion. d'autant plus que la CNAM avait déjà proposé au ministère de la Santé de mettre cette photo, et celui-ci l'a refusé, parce que cela coûte plus plus cher que les économies qui vont venir."
Q-Mettre une photo d'identité sur la carte Vitale, doit coûter entre 200 et 300 millions d'euros.
R - "Oui, parce que ce sont des cartes sécurisées avec des puces, et inévitablement, il faut toutes les refaire. Il suffirait simplement de demander une carte d'identité avec la carte Vitale et le problème serait réglé. C'est d'ailleurs ce que font certains hôpitaux. Donc, si le ministre s'imagine qu'il va trouver des solutions de cette façon, ce sont des solutions gadgets. C'est parfois utile, mais ce n'est pas à la hauteur des besoins et des solutions que l'on attend."
Q-Autre solution avancée par le ministre de la Santé : le dossier médical informatisé pour tous les Français. Qu'en pensez-vous ?
R - "Ca, par contre, c'est une bonne proposition. Là aussi, les administrateurs syndicaux de la CNAM ont fait cette proposition depuis un moment, mais on entend parler depuis des années, maintenant, il faut faire les choses. On ne peut pas dire d'un côté que la caisse d'assurance maladie est mal gérée, et au passage, montrer du doigt, en particulier les syndicats qui gèrent cette caisse, qui ont gardé leurs responsabilités alors que le Medef a quitté les caisses, et d'un côté, refuser toutes les propositions qu'ils font et puis ensuite, dire que ce sont de bonnes propositions, et qu'il faut les mettre en oeuvre. Donc maintenant, il faut arrêter de tourner en rond ; on a besoin d'une vraie réforme. Premièrement, est-ce que tout le monde aura accès au soin de la même façon, c'est-à-dire, est-ce que tout le monde aura une mutuelle demain, parce qu'il y en a qui n'en ont pas et ce sont les plus modestes ? Deuxièmement, est-ce que l'on va réorganiser le système non pas avec des mesures gadgets mais ce sont des parcours de santé dans le système - comment les gens se font soigner et comment ils vont dans les soins -, et troisièmement, le financement. Ce sont ceux-là les vrais sujets, ce ne sont des petits sujets parallèles."
Q-Donc, là, se sont des mesurettes pour vous, ce n'est pas la grande réforme de l'assurance maladie attendue par tout le monde ?
R - "Si le ministre s'imagine qu'il va économiser 23 000 euros par minute en mettant une photos sur les cartes Vitale, il se trompe ! Le problème, c'est que l'on a une organisation du système de soins - prenons un exemple clair que l'on connaît et dont tout le monde parle : c'est le lien entre la ville et l'hôpital, la difficulté, parfois, de trouver, une réponse pour des petites urgences en médecine de ville, un médecin disponible, parce qu'il y a des problèmes, à certains endroits, d'installation de médecins. Alors tout le monde va aux urgences et elles sont engorgées. Cela coûte très cher. Pourquoi les Français consomment plus de médicaments que d'autres pays ? Pourquoi, par exemple, y a-t-il 130 personnes qui sont hospitalisées tous les ans, parce qu'elles consomment trop de médicaments ? Voilà, ce sont des solutions qui sont, d'une part de bonnes solutions pour la santé et qui sont des solutions d'économies."
Q-Faut-il augmenter la CSG ? La question a été posée à P. Douste-Blazy, il botte toujours en touche, et vous ?
R - "Parce qu'il est mal à l'aise, le Gouvernement est mal à l'aise. Le Gouvernement a réduit les impôts progressifs pour les personnes qui ont les revenus les plus élevés - les 50 % qui ont les revenus les plus élevés -, alors que l'on sait très bien que la CSG, c'est un impôt égal sur tous les revenus. Donc, si on augmente la CSG alors que l'on a baissé les impôts, on va d'une part maintenir le pouvoir d'achat des gens qui ont les revenus les plus élevés, et on va baisser le pouvoir d'achat des plus modestes, qui, eux, ont besoin de moyens pour consommer. Donc, là, il y a une espèce d'injustice qui est entrain de s'installer. Donc, nous disons au Gouvernement : "discutons de la CSG", qui est le moyen le plus solidaire parce qu'il concerne tous les revenus..."
Q-Vous êtes donc favorable à l'augmentation de la CSG ?
R - "A condition que l'on revoie la politique fiscale, que l'on fasse pas des cadeaux aux personnes [qui disposent] des revenus les plus élevés et que l'on fasse payer tout le monde par derrière ! Là, il y a quelque chose d'illogique. Il faut donc revoir le problème de l'imposition globalement. Et là, le Gouvernement est gêné. On voit bien que monsieur Sarkozy va annoncer aujourd'hui la fin des baisses des impôts, parce que l'on voit très bien que ce n'est plus possible, que l'Etat..."
Q-Vous avez un scoop que je n'ai pas !
R - "Ce n'est pas un scoop, c'est le scoop dont on parle..."
Q-N. Sarkozy va annoncer ce matin la fin de la baisse de l'impôt sur le revenu ?
R - "Ecoutez ! Je ne sais pas. J'espère que je ne suis pas allé trop vite."
Q-C'est un engagement de J. Chirac.
R - "Le président de la République a dit qu'il fallait continuer la baisse des impôts, à condition que la situation économique s'y prête. Or, la situation économique ne s'y prête pas et le budget de l'Etat ne s'y prête pas. il est donc temps de revoir cette démarche, parce que c'est une démarche inégalitaire. On fait des cadeaux aux personnes qui ..."
Q-Enfin, c'est un engagement qui a été pris devant les Français, et devant
les électeurs ?
R- "Quand un engagement est pris devant les Français dans une situation donnée et que la situation change, eh bien, on revient sur les engagements, de la même façon, comme je vous disais tout à l'heure, quand une réforme de l'Unedic ne produit pas les effets concernés, il faut savoir revenir en arrière. Et si la CFDT et les syndicats savent constater qu'il faut parfois revenir en arrière, il serait bien que le Gouvernement fasse pareil."
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mai 2004)
F. Chérèque (CFDT) France Inter - Le 28 mai 2004
Q- S. Paoli -. Est-ce un front syndical qui est en train de se mettre en place ? Forte participation à la manifestation des électriciens et des gaziers hier derrière les principales centrales, dont la CGT, CFDT et Force Ouvrière. Les mêmes, mais avec aussi, la CFTC, la CGC, l'UNSA, FSU, se retrouveront le 5 juin prochain contre la réforme de l'assurance maladie. Mais cette unité affichée reflète-t-elle la réalité syndicale ? Sur les questions de santé, réorganisation des soins, financements nouveaux, les mots d'ordre ne seront pas les mêmes.
Invité de Question Directe, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT. D'abord la manifestation d'hier, quand vous entendez N. Sarkozy à la télévision donner de nouvelles garanties, c'est-à-dire une recapitalisation de 500 millions d'euros, l'Etat dont il assure que la présence sera maintenue au minimum à 70 % dans le capital, des engagements pris sur les effectifs, est-ce que tout cela vous rassure ou pas ?
R - "Cela montre déjà qu'on a eu raison de se mobiliser et que cette manifestation d'hier était utile et qu'elle a amené des premiers résultats. Cela montre aussi que M. Sarkozy sait trouver de l'argent quand il en cherche et qu'on lui en demande. Ce qui n'est pas toujours le cas par exemple pour le traitement social du chômage. Mais cela montre aussi qu'on a toujours un désaccord avec M. Sarkozy, c'est l'utilité de cette transformation du statut d'EDF-GDF sur lequel la CFDT est toujours en opposition."
Q- On a beaucoup entendu dans les slogans hier, que ce changement de statut, c'était en fait une privatisation masquée. Est-ce que c'est vraiment ce que vous pensez ?

R - "M. Sarkozy nous dit l'inverse, mais ceci dit, on a d'autres expériences dans l'histoire, où on a vu que le changement de statut à France Télécom n'était pas une garantie pour l'emploi - on voit les difficultés, c'est une entreprise endettée aujourd'hui -, n'était pas une garantie pour les usagers. Et on sait que pour EDF, cela ne sera pas une garantie de baisse de la facture d'électricité et ce n'était pas obligatoirement une garantie pour l'avenir de l'entreprise. Et nous avons un deuxième désaccord avec M. Sarkozy, c'est que la seule justification économique de changement de statut et de l'ouverture du capital, c'est de pouvoir financer sa politique énergétique du tout nucléaire. Or, la CFDT est en opposition, non pas avec le nucléaire, avec le tout nucléaire. Il nous semble qu'au moment où l'Allemagne fait des choix totalement inverses et va faire supporter à la France son choix énergétique de ne plus investir dans le nucléaire, on va, nous, investir dans le nucléaire pour vendre de l'électricité à l'étranger. Il me semble que ce débat sur le nucléaire n'est pas bon et on veut avoir un débat sur la politique énergétique. Donc on a aussi un désaccord sur ce point-là. C'est l'avenir de l'entreprise, on n'est pas d'accord sur la façon dont il le traite, mais aussi sur l'avenir de la politique énergétique, où là, on est en désaccord de fond."
Q- Et sur les questions que vous posez, y a-t-il un accord par exemple avec la CGT sur les questions posées par le statut d'EDF-GDF ? Dans quel terme êtes-vous maintenant avec M. Thibault ?
R - "Cela ne se discute pas entre B. Thibault et moi, mais entre nos fédérations. Et ils sont en accord, je dirais, sur l'évolution du statut, mais ils sont en désaccord sur la politique nucléaire. Donc on voit bien que la CGT est pour le tout nucléaire, pour cette démarche nucléaire. Nous, on est opposé, non pas qu'on est contre le nucléaire, parce que ce serait vivre dans un autre temps... Et ça, c'est culturel pour la CFDT, il y a besoin de faire une vraie réflexion sur d'autres énergies qui compléteraient l'énergie nucléaire, et là, on a des accords avec la CGT."
Q- Vous dites que ce sont vos centrales qui se parlent, mais néanmoins, vous rencontrez B. Thibault. Est-ce que cela a été difficile pour vous de prendre la décision d'engager la CFDT, le 5 mai prochain, sur un mot d'ordre qui a été lancé auparavant par la CGT ?
R - "Cela n'a pas été difficile, mais la CFDT, avant de se lancer dans une manifestation, dans une action, on est dans le dialogue, on est dans la discussion, dans la négociation éventuelle. Une réforme est bonne, par exemple pour la réforme des retraites, parce qu'elle réduit les inégalités : inégalité sur le niveau des pensions, pour les plus basses pensions. Inégalité, parce qu'il y en avait qui cotisait jusqu'à 46 ans, qui vont pouvoir partir avant 60 ans, les carrières longues. On la soutient et on prend nos responsabilités."
Q- Et vous l'assumez encore aujourd'hui ?
R - "Et on l'assume et on l'assumera jusqu'au bout et même mieux : on veut que cette réforme s'applique pour tous les salariés qui ont commencé à travailler jeunes, y compris dans les fonctions publiques. C'est pour cela que l'on fera une manifestation le 2 juin sur ce sujet-là. Mais quand une réforme est insuffisante, insuffisante par exemple pour l'organisation du système de soins. Quand une réforme est injuste, par exemple sur le problème du financement de cette réforme d'assurance maladie, parce qu'elle fait peser sur les familles et les usagers le principal financement, mais surtout parce qu'on rejette la dette sur les futures générations, on n'est pas d'accord, et à ce moment-là, on le dit dans la rue. On le dit dans la rue pour modifier le projet de réforme et pour continuer à amener des résultats. Nous nous engageons en fonction des résultats qu'on nous propose et des résultats qu'on veut obtenir."
Q- Mais vous le dites dans la rue comment ? Est-ce que vous le dites ensemble, mais finalement chacun de son côté ? C'est-à-dire que la CFDT donnant son analyse de la situation, la CGT une autre, sans parler de la CFTC ? Au fond, est-ce que c'est une unité de façade, ou est-ce qu'en gros, vous avez une approche, une démarche collective ?
R - "Je crois qu'il n'y a pas d'unité, il n'y a pas d'unité. Parce que nous avons travaillé dans une intersyndicale depuis six mois avec toutes les organisations syndicales et la Mutualité pour essayer de trouver des solutions. La CGT est la première organisation qui a quitté cette intersyndicale et je regrette aujourd'hui qu'elle ait quitté cette intersyndicale et qu'on n'ait pas trouvé d'unité - ce qui nous affaiblit d'ailleurs devant le ministre. Et nous, on a choisi d'aller dans cette manifestation, je le dis, parce qu'on a des points de désaccord qu'on veut faire évoluer, qu'on veut faire améliorer pour lutter contre les inégalités. On n'a pas choisi d'aller dans une manifestation ou dans une démarche avant même d'avoir connu les textes du Gouvernement. Donc on est dans une démarche de toujours amener des résultats pour les salariés, et là, en l'occurrence amener des résultats pour les assurés sociaux."
Q- Mais les textes du Gouvernement, d'abord quels sont-ils, puisque vous avez un ministre qui vous dit aujourd'hui, je le cite mot à mot : "voilà un texte qui peut encore bouger très largement" ; qu'est-ce que c'est que le texte ?
R - "S'il dit que le texte peut encore bouger largement, cela veut dire qu'il faut effectivement qu'on manifeste et il nous appelle pratiquement à manifester pour le faire bouger, comme hier, EDF-GDF. Mais nous, on a un texte maintenant, un projet de loi, et on a, je dirais, plusieurs points de désaccord. Tout d'abord une mauvaise organisation du système de soins ou insuffisante. Le carnet de santé pour tout le monde, c'est une bonne chose, mais si on n'organise pas l'installation de la médecine libérale partout sur le territoire, on aura encore des zones sans médecin. Si on n'organise pas un meilleur comportement des professionnels à côté de celui des usagers, on n'y arrivera pas. Le lien ville-hôpital n'est pas concerné dans cette réforme et on sait très bien que là, on a un nud fondamental. Deuxième problème, on n'a pas de possibilité d'avoir une aide pour tout le monde pour avoir une mutuelle, et c'est important la mutuelle, dans le système. Et là, on a une inégalité importante, c'est pour ça qu'on veut l'avoir. Troisième problème : un financement totalement inégalitaire. On demande la principale aide sur les familles et les usagers, mais pire : la CFDT ne pourra pas accepter que nous soyons la génération de l'égoïsme. C'est-à-dire qu'on dit : les dépenses qu'on a faites hier et aujourd'hui, on va les faire payer à nos enfants demain. On est dans un pays où il y a 20 % des jeunes de 20 à 25 ans qui sont au chômage, on est incapable de leur donner du travail et on va leur dire : ce qu'on dépense aujourd'hui, vous allez le payer demain. Je ne peux pas
l'accepter !"
Q- Et la question de l'hôpital, est-ce qu'elle est posée suffisamment à vos yeux aujourd'hui ?
R - "La question de l'hôpital est posée dans le cadre de la réforme "Hôpital 2007" ; c'est l'organisation interne de l'hôpital. Mais le problème qui n'est pas posé, c'est le lien de cet hôpital avec la médecine de ville ? Et on voit bien, et on l'a vu cet été, on l'a vu à chaque fois qu'il y a un problème d'épidémie : on a problème d'installation, d'une part, de la médecine libérale, donc les gens vont à l'hôpital - et là, on avait des expériences intéressantes, par exemple les maisons de santé pour faire en sorte que les urgences n'aillent pas tout à l'hôpital. Le carnet de santé va pouvoir permettre de suivre les personnes de la ville à l'hôpital, mais cela n'est pas suffisamment posé dans la réforme et on regrette effectivement que ce lien ne soit pas abordé sur le fond."
Q- On entend là les mots que vous utilisez, votre détermination. Est-ce que c'est, après l'affaire de la retraite, après aussi les différends sur la question des recalculés, des intermittents, est-ce que c'est la fin, à vos yeux, du syndicalisme de négociation ? Parce que vous m'annoncez là, une manifestation le 2, vous serez présent le 5, il y aura probablement de nouvelles manifestations autour de la question d'EDF-GDF, ça bouge là...
R - "On refait toujours l'histoire dans notre pays, et on a un drôle de pays. Je n'oublierai jamais que le 13 mai 2003, il y avait plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de Paris, plus d'un million en France, c'était les plus grandes manifestations dans notre pays. Et cette manifestation, la CFDT l'avait faite pour peser dans les négociations. De la même façon, cette manifestation-là, on la fait pour peser dans les négociations qui sont ouvertes avec le Gouvernement. On refuse, nous, d'avoir d'un côté, un syndicalisme d'accompagnement systématique de la contestation et de l'autre côté, un syndicalisme qui ne ferait que de la négociation. Nous, on veut tenir les deux bouts de l'action syndicale. On est en négociation pour réduire les inégalités sur cette réforme et si c'est nécessaire, puisqu'on n'y arrive pas, on aide la protestation pour faire avancer nos idées. Je crois que c'est un ensemble de l'action syndicale, il n'est pas question de refuser l'un pour l'autre."
Q- Et la question du paritarisme, on ne l'a pas beaucoup abordée dans toute cette question de la remise à plat du système de santé français. Le Medef va-t-il revenir ? Est-ce qu'il peut faire marche arrière par rapport à la façon dont les centrales syndicales réagissent maintenant ?
R- "Je crois que si le Medef revient, c'est qu'il a perdu. Il faut regarder les choses. Le Medef est parti en disant : on ne veut plus gérer ce système-là. Le Medef voulait que l'on mette en concurrence les caisses d'assurance maladie avec le privé, il voulait la privatisation. Le Medef voulait sortir les caisses d'accident du travail-maladie professionnelle de la gestion de l'assurance maladie. Il voulait saucissonner les différents sujets, il a perdu là-dessus. Donc comme il a perdu, inévitablement, comme il veut toujours avoir un poids dans la gestion, il revient. Et c'est justement parce que nous, la CFDT, nous sommes restés au poste, nous avons gardé nos responsabilités dans le système, qu'aujourd'hui le Medef, qui a regardé le match se dérouler depuis les tribunes, aujourd'hui il est obligé de revenir sur le terrain. Mais sur le terrain, il aura une équipe décidée, c'est celle de la CFDT pour lutter contre les inégalités."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mai 2004)