Texte intégral
Europe 1 le 4 janvier 2005
Q- C. Delay : Il y a toujours deux urgences essentielles dans les pays sinistrés : l'acheminement de l'aide et les risques d'épidémie. P. Douste-Blazy est en ligne avec nous du Sri Lanka. Ce qui vous a marqué, votre inquiétude, c'est la propagation des maladies...
R- P. Douste-Blazy : Ce qui est le plus marquant, c'est qu'il y a ici un risque considérable d'épidémies dû au manque d'eau potable. Ce que l'on a peut-être pas dit, c'est qu'il y a eu une seconde catastrophe, qui est une catastrophe d'inondation, juste avant et juste après le raz-de-marée, qui fait que la nappe phréatique est souillée, qu'il y a 800.000 personnes qui sont sans abri, 800.000 personnes sans toilettes, et donc il y a une contamination de la nappe phréatique. Donc ceux qui boivent de l'eau à même le sol sont sujets à faire des diarrhées, de la fièvre. Aujourd'hui, il y a des milliers de personnes qui ont une diarrhée et une fièvre. Et évidemment, la grande peur, c'est l'épidémie, et une épidémie due au choléra ou à la typhoïde. Donc il faut se battre très vite - toutes les heures comptent - pour qu'il y ait des systèmes de purification d'eau potable, y compris essayer de transformer l'eau de mer en eau potable. C'est ce que nous avons fait en amenant du matériel avec le savoir-faire français ; les ingénieurs, les techniciens, restent ici pour aller sur la côte orientale, là où encore des gens n'ont pas vu d'aide humanitaire.
Q- P. Douste-Blazy, il y a un vaccin contre le choléra, mais il est impossible aujourd'hui de l'appliquer ?
R- La seule solution, en réalité, c'est d'amener des comprimés de tétracycline, d'amoxycilline. C'est ce que nous avons fait, puisque nous sommes arrivés avec plus de 2,5 à 3 millions de comprimés d'amoxycilline, pour pouvoir les donner, certes à ceux qui pourraient avoir la maladie. Mais surtout, si la maladie se déclare, si l'épidémie se déclare, il faut alors les donner en préventif au niveau de toutes les
personnes qui sont susceptibles de boire de l'eau qui n'est pas potable.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 janvier 2005)
RTL le 5 janvier 2005
Q- Bonjour P. Douste-Blazy. Vous êtes rentré hier soir d'une visite de trente-six heures au Sri Lanka. Vous vous êtes rendu dans les localités du sud de ce pays, des localités lourdement touchées par le raz-de-marée. Quelles impressions avez-vous retirées de ce court déplacement ?
R- L'impression que nous avons tous, mais l'impression surtout d'une énorme urgence à réagir sanitairement. Il faut - c'est ce que nous essayons de faire - donner une réponse globale, une stratégie globale, pas uniquement humanitaire... sanitaire... parce que tout le monde sait aujourd'hui, l'OMS l'a dit hier, que la pire chose qui pourrait arriver, c'est de laisser mourir 50.000 personnes d'une épidémie de choléra ou de typhoïde qui arriverait, parce qu'il n'y a pas d'eau potable !
Q- Le risque existe t-il ? Des cas sont-ils déjà signalés qui peuvent laisser penser qu'une épidémie se profile ?
R- Il y a deux cas de choléra...
Q- ... ce qui est très peu...
R- Très très peu. Par contre, il y a des centaines, voire des milliers de personnes qui ont des diarrhées et des fièvres. Quand vous avez 800.000 personnes dans la nature, sans abri, sans toilettes, sans latrines ; quand vous avez des inondations qui ont suivi le raz-de-marée, quand vous avez malheureusement des cadavres, la chaleur, l'infection, tout est là... Tout est là pour que des enfants puissent prendre de l'eau de la nappe phréatique, qui est souillée. Et ça, c'est très grave.
Q- Et en fonction de ce que vous avez vu, les moyens pour lutter contre cela vous paraissent-ils déjà présents ? Pas encore ?
R- A. Duhamel l'a dit, c'est très simple : il faut que nous ayons - et tout ça nous le faisons avec des organisations humanitaires non gouvernementales - il faut très simplement maintenant mettre en place une force d'action rapide, humanitaire, et sanitaire. Le premier pôle de cette force d'action rapide, mondiale - il faut commencer par l'Europe, et vous avez raison de le dire - c'est d'abord un pôle logistique. Aujourd'hui, il y a des populations qui n'ont pas vu encore arriver l'aide humanitaire. C'est-à-dire des hélicoptères. Les Américains sont arrivés, là maintenant depuis quelques heures, avec un porte-avions, avec un porte-hélicoptères. Il y a une logistique avec des bulldozers et des hélicoptères pour acheminer l'aide. Cela ne sert à rien d'avoir des infirmières, des médecins et des médicaments, si vous ne les emmenez pas sur place ! Deuxième pôle : le pôle sanitaire, j'ai envie de dire des soins d'urgence, c'est-à-dire les médecins urgentistes, les secouristes et la sécurité civile. Celle-la, il faut l'amener tout de suite, via les moyens logistiques. Troisième pôle, c'est les épidémiologistes, les microbiologistes. Si vous ne les avez pas, vous ne savez pas quand commence l'épidémie. C'est la catastrophe sanitaire. Et enfin, dernier pôle : le pôle médico-social. Parce que, quand vous n'avez plus de maison, que vous n'avez plus de famille, que vous ne savez plus où aller, il faut que quelqu'un vous aide médicalement, sociologiquement, socialement et psychologiquement.
Q- Tout le monde est d'accord avec vous, P. Douste-Blazy. La question est de savoir si on a déjà du retard par rapport aux besoins immenses, ou est-ce qu'il vous semble que l'on est en mesure de maîtriser la situation ?
R- Vous savez, c'est une course contre la montre, de minute en minute, vis-à-vis de cette épidémie. Elle peut ne pas venir, elle peut venir. Quand la France, parce que c'est le deuxième laboratoire pharmaceutique du monde, décide - parce que le Président et le Premier Ministre le demandent - d'aller apporter plus de trois millions de comprimés d'Amoxycilline pour prévenir le choléra, ça, c'est du concret ! C'est-à-dire que si à un moment donné ça part, il faut que tout le monde en prenne, parce que soigner quelqu'un qui a le choléra, c'est déjà trop tard !
Q- Mais ça va être fait ? Ces colis vont être acheminés ? Les médicaments vont être acheminés ? Ils vont toucher les populations ?
R- Ça y est. Ce que nous avons fait d'abord, on les a amenés. On les a menés à Matara, on les envoie aux endroits où on peut les acheminer. Il faut maintenant des moyens logistiques. Vous avez vu que la Jeanne d'Arc - et c'est tout le travail que fait Mme Alliot-Marie - va arriver d'ici quelques jours....
Q- ... Dix jours. Ils sont partis hier, et ils vont arriver dans dix jours ! C'est un peu ridicule... Les Américains sont là-bas depuis dimanche !
R- Oui, mais il faut dire que l'île de Guam, les Américains y sont - c'est l'Océan Pacifique -, et Diego Garcia, c'est l'Océan Indien, et ils y sont aussi.
Q- On peut parler de Djibouti...
R- Mais la question, c'est ce que dit Monsieur Duhamel : tout le monde aujourd'hui est d'accord pour dire "il faut une force d'action rapide". Très bien. Dans quinze jours, dans trois semaines, je crains - ou dans trois mois - je crains qu'on l'oublie ! Donc il faut battre le fer tant qu'il est chaud. Moi, vendredi, au conseil des ministres européens de la Coopération et de la Santé, je vais proposer qu'on donne maintenant le calendrier pour savoir où nous mettons ces dix ou quinze avions dans les soutes desquels il y aura des hélicoptères en pièces détachées, pour pouvoir avoir une unité de projection rapide, n'importe où dans le monde en 48 heures. Parce qu'il faut que cela serve ! Il y a une émotion, c'est bien. Il y a des dons, c'est encore mieux. Mais maintenant il faut peut-être tirer les leçons politiques.
Q- Ce matin, vous évoquez une course contre la montre. Vous êtes inquiet ? Vous êtes optimiste ? Qu'est-ce qui l'emporte chez vous, P. Douste-Blazy ?
R- Ce matin, je suis très inquiet vis-à-vis de la catastrophe sanitaire possible. Un raz-de-marée, c'est absolument impossible à prévenir, même s'il y a des systèmes d'alerte à mettre en place. Par contre, une catastrophe sanitaire, tel que le risque épidémique cholérique, celui-là on peut vraiment le prévenir. Je vais dans quelques minutes à une réunion que le chef de l'Etat organise à l'Elysée autour des ONG. Eh bien, eux vont nous dire quels sont leurs besoins aujourd'hui, et quelle est la possibilité pour acheminer aussi leurs besoins.
Q- "Médecins Sans Frontières" indiquait hier qu'il suspendait ses dons pour l'Asie, en disant : "N'oubliez pas les autres crises. Donnez plutôt pour le Congo, le Darfour, parce que, là aussi meurent beaucoup de gens." Que pensez-vous de cette prise de position, P. Douste-Blazy ?
R- Tout don est par nature un geste de solidarité. Et par définition, moi je ne veux jamais qu'on aille contre un signe de solidarité. A deux conditions : qu'elle soit efficace sur le terrain, et rapidement efficace vis-à-vis des pays et des personnes qui en ont le plus besoin. MSF a dit ça par honnêteté vis-à-vis de leur travail. C'est un travail "d'urgence". Et c'est vrai que lorsque je vais à l'hôpital... Prenez cet exemple : je suis allé à l'hôpital de Matara il y a quelques heures. Qu'est-ce que j'ai vu ? Tous les enfants qui étaient très blessés, malheureusement sont morts. Donc, j'ai vu des enfants, qui avaient en effet des infections de plaies ouvertes, qui avaient des traumatismes des bras ou des jambes, qui ont été opérés, qui ont besoin maintenant, pas d'urgentistes, mais qui ont besoin par contre que l'on puisse jumeler des établissements français ou européens, avec des établissements hospitaliers du Sri Lanka ou d'Indonésie. Parce qu'une équipe stable pendant trois mois va pouvoir aider ces enfants à ne pas avoir des handicaps demain, et des arthrites post-chirurgicales. C'est cela qu'il faut faire. Alors ce n'est pas l'urgence proprement dite, mais c'est la mise en place d'un travail commun, et là, croyez-moi, il faut beaucoup d'argent pour pouvoir sauver ces dizaines de milliers d'enfants qui risquent d'avoir des handicaps.
Q- Votre collègue de l'Intérieur, D. de Villepin, disait le "JDD" de dimanche : "La France est chargée de coordonner l'ensemble des moyens européens". Ce n'est pas tout à fait comme ça que ça se passe...
R- En tout cas, l'Europe doit réagir... L'Europe montre qu'elle sait colliger les dons, montre qu'elle sait reconstruire et développer. Mais elle doit prouver maintenant qu'elle sait réagir, qu'elle a une réactivité efficace, sanitaire. Et ça, c'est à construire Monsieur Aphatie ! C'est à construire.
P. Douste-Blazy, de retour du Sri Lanka, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2005)
France Inter le 13 janvier 2005
Q- Les médecins généralistes boycotteront-ils la nouvelle convention médicale qui, selon eux, dévalorise et méprise la médecine générale ? Le médecin généraliste resterait-il le mal aimé du système de santé, l'écart se creusant encore entre son revenu et celui du spécialiste ? Quant au malade, s'y retrouvera-t-il dans cette nouvelle convention considérée par nombre de spécialistes, par exemple le président de la Mutualité française, J.-P. Davant, comme, je le cite, "une usine à gaz" ? Invité de Question Directe, P. Douste-Blazy, ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille.
R- Bonjour.
Q- "Dévalorisation et mépris de la médecine générale", voilà ce que disent, pas tous, mais enfin un certain nombre de médecins généralistes. Comment expliquez-vous qu'ils aient cette perception là de la dévalorisation de leur fonction ?
R- Pardonnez-moi de vous dire d'emblée que je suis un peu étonné par votre présentation. Cela fait 10 ans que l'on attend qu'une convention médicale soit signée dans ce pays. Cela fait 10 ans ! Et les trois plus grands syndicats médicaux l'ont signée hier, c'est-à-dire, plus de trois quarts des médecins ont dit oui à ce système. Alors quand on vous entend depuis ce matin, on a l'impression que tout le monde le rejette. Il y a une pétition...
Q- Ah ! Non, non, non...
R- ...de 3 000 médecins généralistes sur 120 000...
Q- Non, non. Monsieur le ministre, vous faites votre métier de ministre, mais moi celui de journaliste. Je ne dis pas tous les médecins, je dis "des médecins généralistes" considèrent qu'il y a une dévalorisation de leur fonction et je vous demande s'ils ont une raison de se poser cette question ?
R- D'accord, bien sûr. Je vais vous répondre. D'abord, il y a 120 000 médecins libéraux, il y a eu donc 3 000 personnes qui ont fait une pétition - MG-France, le syndicat que l'on connaît - qui refusent cela. D'abord il faut savoir que cette convention, entre l'assurance maladie et les médecins, ce n'est pas le Gouvernement, l'assurance maladie et les médecins, établit 1 milliard d'économie d'euros, et ensuite, il y a une revalorisation de certains actes. 240 millions d'euros - 240 millions d'euros ! - pour les spécialistes, 260 pour les généralistes. Donc, il ne faut pas dire que l'écart se creuse, ce n'est pas vrai, c'est même le contraire. Ensuite...
Q- Ce sont eux qui le disent, encore une fois.
R- Non, ceux ne veulent pas signer la convention, c'est-à-dire, la minorité, je le redis. Alors je leur réponds, ce matin. En fait, qu'es-ce que voulons ? Nous voulons au contraire aider, mettre en place un système dans lequel le médecin généraliste est le pivot, le patron. Le médecin de famille, j'y crois. Je crois que quelqu'un est beaucoup mieux soigné lorsqu'il a un médecin traitant, un médecin de famille, à qui il se confie, et je tiens à dire ici à tous ceux qui nous écoutent, qu'ils peuvent en changer quand ils le veulent, quand ils le veulent. Mais on leur dit : quel est le médecin que vous allez choisir ? Donc, ils choisissent leur médecin, et après, je vous assure que lorsqu'un médecin connaît vos antécédents, votre famille, vos ennuis, vos allergies, vos antibiotiques qui ont marché, ceux qui n'ont pas marché, il vous soigne beaucoup mieux. C'est tout ce que je veux faire.
Q- Oui. Alors on le sait très bien, il est donc au centre du système. Mais on a entendu tout à l'heure un médecin, le Dr. Lehman, vous dire : "Je suis au fond au centre du système. J'accompagne mon patient sans pouvoir lui garantir, disait-il - et donc je ne veux pas signer ce texte-là -, qu'il sera jusqu'au bout pris en compte tel qu'on le lui dit". Que répondez-vous au Dr. Lehman ce matin ?
R- Je lui dis que ce n'est absolument pas cela, au contraire. Tous ceux qui nous écoutent peuvent savoir que nous sommes justement totalement imbibés de ce que voulait le docteur Lehmann à l'époque : il s'appelait "le médecin référent", qui n'a pas fonctionné, il n'y a que 2 % des Français malades qui ont choisi le médecin référent. Nous, ce que l'on veut, c'est faire quoi ? Le remboursement sera exactement le même pour ceux qui vont passer par ce médecin traitant, et qui ensuite, s'ils en ont besoin, vont voir un médecin spécialiste. Je prends un exemple : quelqu'un est cardiaque, il a fait un infarctus il y a trois ans, il va voir son cardiologue tous les six mois. Bien évidemment, il continuera à aller voir son cardiologue directement tous les six mois sans passer par le médecin traitant. Ce que je peux vous dire, c'est que, passé un certain âge, il y a des gens qui se disent, alors qu'ils vont bien : tiens ! Je vais aller voir le gastro-entérologue aujourd'hui, je vais aller voir le cardiologue, tiens, je vais aller voir l'urologue, et puis je vais aller voir peut-être celui qui s'occupe des personnes âgées. Et tout cela, ce n'est pas coordonné. Il n'y a aucune raison... Si on doit continuer à rembourser à 100 % des médicaments anticancéreux, comme le dernier qui est sorti, qui est de 31 000 euro par personne, si je veux le rembourser à tout le monde, je suis obligé quand même de faire un peu attention pour ne pas obligatoirement dévoyer le système de santé qui est très généreux. Mais attention : en France, on fait des systèmes toujours très généreux, mais on ne contrôle pas. Donc, je souhaite que ce soit le médecin généraliste qui ait le contrôle, le médecin généraliste, le médecin de famille, le médecin traitant. Je crois que c'est quelque chose qui existe dans les autres pays au monde, on n'est pas le premier à le faire. Je suis heureux d'ailleurs de voir que la convention a été signée.
Q- Décidément, vous allez dire que j'ai l'esprit critique, mais n'allez-vous pas trop vite ? Par exemple, le tiers payant, vous l'avez remis en avant il y a quelques jours, en effet, pour répondre aussi à des arguments. Mais voilà qu'une administration vous
dit : attendez, vous allez très vite Monsieur le ministre, on n'arrive pas à vous suivre là !
R- Monsieur Lehman justement, dont vous parlez, disait : "Le tiers payant - pour ceux qui écoutent, le tiers payant - c'est lorsqu'on n'a pas vraiment de l'argent, lorsqu'on n'est pas aisé en France, lorsqu'on est au-dessous de 576 euros par mois, on n'a rien à payer lorsqu'on va voir le médecin. Evidemment, nous continuons cela. On a fait croire qu'on voulait revenir là-dessus. Absolument pas ! Et même mieux ! Le président de la République et le Premier ministre m'ont demandé d'ajouter 2 millions de personnes à cela, c'est-à-dire ceux qui gagnent 15 % de plus que le revenu CMU. Donc, on ne remet pas en cause le tiers payant. Ce que je veux dire et qui me paraît le plus important aujourd'hui, c'est que la médecine est en train un peu de dériver. Il y a des gens qui gagnent beaucoup d'argent parce qu'ils font des actes techniques à la chaîne ... des radios par exemple, je ne sais pas, je prends cet exemple - et puis il y a des pédiatres par exemple, des médecins généralistes qui passent du temps avec le malade, un quart d'heure, une demi-heure, trois-quarts d'heure... Quand vous n'avez jamais vu un malade vous êtes obligé d'y passer une demi-heure. Et ceux-là sont mal rémunérés. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé que l'acte intellectuel médical soit mieux rémunéré, plutôt que l'acte technique. Que l'on donne une primeur à celui qui réfléchit, qui prend du temps pour le malade. Chaque fois que l'on fait une réforme - on m'a souvent dit "c'est une réformette", non, ce n'est pas "une réformette", c'est une vraie réforme - c'est vrai, chaque fois qu'il y a une réforme, il y a des gens que cela gêne. Mais c'est, je dirais la clé de la réforme. Ne comptez pas sur moi pour pouvoir reculer. Je veux être celui qui aura fait la vraie réforme de l'assurance maladie, comme on a fait la vraie réforme de la retraite. C'est un Gouvernement qui réforme.
Q- ... mais la pédagogie de la réforme, puisque vous êtes très sensible à la pédagogie, "une usine à gaz" ou pas ? J.-P. Davant vous dit :bon, très bien, vive la réforme, sauf qu'on n'y comprend pas grand chose, "c'est une usine à gaz".
R- Non, J.-P. Davant d'abord nous a beaucoup aidés pour cette réforme, parce que la Mutualité française a été très en avant sur cela. Non. J.-P. Davant, posait la question de ce que j'ai instauré, c'est-à-dire : vous passez par le médecin traitant et ensuite vous allez voir le médecin spécialiste, que vous donne le médecin traitant, parce que vous en avez besoin, et là, vous êtes remboursé complètement. Et si vous décidez, vous, parce que vous en avez envie, d'aller voir tel ou tel spécialiste alors que vous n'êtes pas malade, vous n'êtes pas suivi, pour rien, alors là je dis : écoutez, les Français qui veulent y aller ils peuvent y aller, mais ils seront quand même un peu moins remboursés. Là, c'est une discussion - et une petite différence - que nous avons avec J.-P. Davant. Je pense qu'il faut un peu responsabiliser les Français, je le crois. Ceux qui sont malades, les rembourser totalement il n'y a aucun problème. Mais quand même, commencer déjà à ne pas avoir peur de dire : notre système est très précieux, le Conseil de la Résistance 1945-1946, c'est merveilleux, c'est ce que nous avons de plus bel héritage social. Gardons-le !, sauvegardons-le ! La seule manière pour le sauvegarder, c'est d'être responsable, à la fois quand on est médecin mais aussi, pardonnez-moi de le dire, quand on est usager.
Q- Une question toute bête : comment va-t-on choisir son médecin traitant ? Prend-on n'importe qui, comme cela, dans l'annuaire, ou s'adresse-t-on à nouveau à celui ou celle que l'on a toujours connu ?
R- Le mieux c'est de prendre celui que l'on a en général. Par exemple, une jeune femme de 25-26 ans, qui n'est absolument pas malade, qui voit son gynéco pour la pilule en général, elle peut prendre son gynéco. Les pédiatres, évidemment, continueront à être vus...
Q- C'est intéressant : elle prend son gynéco, mais le jour où elle un petit bobo qui ne relève pas du tout de la gynécologie, que fait-elle ? Elle va voir le gynéco ?
R- Si, à un moment donné, par exemple... D'abord, si elle a un bobo, je pense que le gynéco peut quand même très bien lui dire ce qu'elle a. Mais si jamais cela devient plus grave, par exemple, là, elle peut tout à fait prendre un médecin traitant, c'est-à-dire, un généraliste - je lui conseillerais d'ailleurs de prendre un médecin généraliste -et qui la verra dans sa globalité. Et l'avantage par rapport au médecin référent, c'est qu'elle peut le faire quand elle veut, elle est libre de le faire quand elle veut. Maintenant, la question : vous habitez Paris, M. Paoli, vous avez un médecin traitant, vous venez me voir...
Q- Le mien est dans les Alpilles...
R- Bon, d'accord, mais vous venez me voir à Toulouse - ça on peut le prendre comme... on peut toujours rêver - vous venez me voir, je vous invite, vous tombez malade à Toulouse, là vous dites : j'ai mon médecin traitant qui est dans les Alpilles. Comment fait-on ? Vous pouvez prendre à ce moment-là, c'est normal, un médecin traitant sans évidemment sur ajout de coût, à Toulouse. C'est-à-dire que tout cela est prévu. Nous avons un numéro de téléphone avec une plate-forme téléphonique - on passera cela dans les journaux très prochainement et aussi à France Inter - pour que les gens puissent appeler gratuitement pour qu'on leur explique exactement. Ce que je veux leur dire, c'est qu'ils seront aussi remboursés qu'avant, et c'est pour mieux coordonner, ce n'est pas pour faire des économies, c'est pour mieux les soigner.
Q- Vous, votre stratégie politique, celle de la communication : souscrivez-vous à l'analyse qu'en fait T. Saussaie, qui est un bon spécialiste de la communication politique, et qui consiste à dire : il y a une nouvelle école, il y a Sarkozy, il y a Douste, qui ne font pas comme les autres, qui communiquent beaucoup, qui se montrent beaucoup ? Il y a une équipe de télé qui vous accompagne ce matin dans le studio d'Inter...
R- Je crois que ce n'est pas une stratégie de communication, c'est une stratégie de volontarisme et d'action. Je crois que le jour où vous voulez... Voilà, la réforme de l'assurance maladie dont on parle, c'est vrai que si je ne l'avais pas faite, vous ne m'auriez pas invité ; s'il n'y avait pas le médecin traitant, vous ne m'auriez pas invité. Voilà. Je ne suis pas là - nous ne sommes pas là - pour nous montrer. On est là pour, au contraire, essayer d'expliquer ce que nous faisons. Donc, il est vrai qu'il y a depuis quelques mois, la réforme de, j'ai envie de dire la fin de vie, avec euthanasie ou pas euthanasie ; il y a eu le problème de la recherche sur les embryons, il y a eu le problème de la réforme de l'assurance maladie, il va y avoir le plan de santé mentale. Ce sont des choses qui bougent, ce ne sont pas des annonces. Ce sont des actions que nous menons. Et plus vous agissez, plus vous parlez de vos actions. Mais c'est un peu court de faire croire que c'est de la communication. C'est uniquement pour expliquer. Et d'ailleurs vous-même, tous les matins, vous faites cela. Vous parlez des polémiques qui peuvent exister, et c'est très bien d'ailleurs que vous parliez ce matin de la polémique sur médecin traitant ou pas médecin traitant. Mais quand vous êtes au cur du système, vous ne pouvez pas reprocher à quelqu'un de faire de la communication alors qu'il fait de l'action.
Q- C'est sûr. Mais il n'est pas indifférent de se déplacer souvent accompagné par des caméras. Tenez ! La question éthique et morale elle se pose à tout le monde. Le drame que l'on vient de vivre en Asie, beaucoup se sont exprimés autour du drame, ont été d'un certain point de vue aussi accompagnés, portés par ce drame qui est une réalité terrible. Là, il n'y a pas une tentation - une tentative, pourquoi pas pour vous aussi d'ailleurs - de vous inscrire dans un cadre tel, qu'en effet, vous allez être médiatiquement surexposé ? Et une forme de récupération ?
R- Je vais vous dire, c'est très simple : lorsqu'on a un drame comme celui là, lorsque vous-même, et c'est très bien, et merci, vous vous mettez à faire deux, trois, quatre heures d'antenne par jour pour en parler, il y a donc derrière, vous vous en doutez, je pense, des gens qui vous écoutent, qui vous regardent, il y a donc une émotion grandissante. Et là, excusez-moi, mais à cause de la radio, à cause de la télévision, nous sommes dans une immédiateté de l'information et donc de réaction. Et souvent, des personnes qui écoutent disent : mais qu'est-ce qu'ils font ? Ils voient cela, les responsables politiques ? Mais que font-ils ? Qu'est-ce qu'ils font ? Alors, si on ne fait que des paroles, comme on dit, des discours comme on dit, je crois que le mieux c'est de faire des choses aussi concrètes. Vous allez me dire : c'est un peu du symbolique. Oui et non. Quand deux grands chefs d'entreprise se déplacent en France, dans les plus grandes entreprises au monde, pour dire : nous allons mettre en place plus de 500 personnes sur place pour purifier l'eau et pour la rendre potable, je pense que ce ne sont pas des discours, je pense que ce sont des choses qui sont très concrètes et très importantes pour les personnes. Alors, on peut reprocher, puisqu'il y a des caméras, mais alors comment fait-on ? Soit il n'y a pas de caméra mais vous y êtes sur place, vous êtes là-bas. Quand notre avion se pose là-bas, vous y êtes, vous le rapportez. Si on ne fait rien, on va dire qu'on ne fait rien et que c'est catastrophique, si on fait quelque chose, vous allez dire que c'est pour se mettre en avant. Je crois que le mieux, c'est d'avoir une conscience et de faire là où on penser servir l'autre. Alors, évidemment, on fait de la politique, et on a aussi une ambition personnelle, bien sûr, et une ambition pour son pays. Mais l'essentiel, c'est de faire, comme vous d'ailleurs, quand vous avez à choisir un titre d'émission, vous choisissez en votre âme et conscience. Permettez-nous, permettez-moi de vous dire que nous faisons pareil !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2005)
Q- C. Delay : Il y a toujours deux urgences essentielles dans les pays sinistrés : l'acheminement de l'aide et les risques d'épidémie. P. Douste-Blazy est en ligne avec nous du Sri Lanka. Ce qui vous a marqué, votre inquiétude, c'est la propagation des maladies...
R- P. Douste-Blazy : Ce qui est le plus marquant, c'est qu'il y a ici un risque considérable d'épidémies dû au manque d'eau potable. Ce que l'on a peut-être pas dit, c'est qu'il y a eu une seconde catastrophe, qui est une catastrophe d'inondation, juste avant et juste après le raz-de-marée, qui fait que la nappe phréatique est souillée, qu'il y a 800.000 personnes qui sont sans abri, 800.000 personnes sans toilettes, et donc il y a une contamination de la nappe phréatique. Donc ceux qui boivent de l'eau à même le sol sont sujets à faire des diarrhées, de la fièvre. Aujourd'hui, il y a des milliers de personnes qui ont une diarrhée et une fièvre. Et évidemment, la grande peur, c'est l'épidémie, et une épidémie due au choléra ou à la typhoïde. Donc il faut se battre très vite - toutes les heures comptent - pour qu'il y ait des systèmes de purification d'eau potable, y compris essayer de transformer l'eau de mer en eau potable. C'est ce que nous avons fait en amenant du matériel avec le savoir-faire français ; les ingénieurs, les techniciens, restent ici pour aller sur la côte orientale, là où encore des gens n'ont pas vu d'aide humanitaire.
Q- P. Douste-Blazy, il y a un vaccin contre le choléra, mais il est impossible aujourd'hui de l'appliquer ?
R- La seule solution, en réalité, c'est d'amener des comprimés de tétracycline, d'amoxycilline. C'est ce que nous avons fait, puisque nous sommes arrivés avec plus de 2,5 à 3 millions de comprimés d'amoxycilline, pour pouvoir les donner, certes à ceux qui pourraient avoir la maladie. Mais surtout, si la maladie se déclare, si l'épidémie se déclare, il faut alors les donner en préventif au niveau de toutes les
personnes qui sont susceptibles de boire de l'eau qui n'est pas potable.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 janvier 2005)
RTL le 5 janvier 2005
Q- Bonjour P. Douste-Blazy. Vous êtes rentré hier soir d'une visite de trente-six heures au Sri Lanka. Vous vous êtes rendu dans les localités du sud de ce pays, des localités lourdement touchées par le raz-de-marée. Quelles impressions avez-vous retirées de ce court déplacement ?
R- L'impression que nous avons tous, mais l'impression surtout d'une énorme urgence à réagir sanitairement. Il faut - c'est ce que nous essayons de faire - donner une réponse globale, une stratégie globale, pas uniquement humanitaire... sanitaire... parce que tout le monde sait aujourd'hui, l'OMS l'a dit hier, que la pire chose qui pourrait arriver, c'est de laisser mourir 50.000 personnes d'une épidémie de choléra ou de typhoïde qui arriverait, parce qu'il n'y a pas d'eau potable !
Q- Le risque existe t-il ? Des cas sont-ils déjà signalés qui peuvent laisser penser qu'une épidémie se profile ?
R- Il y a deux cas de choléra...
Q- ... ce qui est très peu...
R- Très très peu. Par contre, il y a des centaines, voire des milliers de personnes qui ont des diarrhées et des fièvres. Quand vous avez 800.000 personnes dans la nature, sans abri, sans toilettes, sans latrines ; quand vous avez des inondations qui ont suivi le raz-de-marée, quand vous avez malheureusement des cadavres, la chaleur, l'infection, tout est là... Tout est là pour que des enfants puissent prendre de l'eau de la nappe phréatique, qui est souillée. Et ça, c'est très grave.
Q- Et en fonction de ce que vous avez vu, les moyens pour lutter contre cela vous paraissent-ils déjà présents ? Pas encore ?
R- A. Duhamel l'a dit, c'est très simple : il faut que nous ayons - et tout ça nous le faisons avec des organisations humanitaires non gouvernementales - il faut très simplement maintenant mettre en place une force d'action rapide, humanitaire, et sanitaire. Le premier pôle de cette force d'action rapide, mondiale - il faut commencer par l'Europe, et vous avez raison de le dire - c'est d'abord un pôle logistique. Aujourd'hui, il y a des populations qui n'ont pas vu encore arriver l'aide humanitaire. C'est-à-dire des hélicoptères. Les Américains sont arrivés, là maintenant depuis quelques heures, avec un porte-avions, avec un porte-hélicoptères. Il y a une logistique avec des bulldozers et des hélicoptères pour acheminer l'aide. Cela ne sert à rien d'avoir des infirmières, des médecins et des médicaments, si vous ne les emmenez pas sur place ! Deuxième pôle : le pôle sanitaire, j'ai envie de dire des soins d'urgence, c'est-à-dire les médecins urgentistes, les secouristes et la sécurité civile. Celle-la, il faut l'amener tout de suite, via les moyens logistiques. Troisième pôle, c'est les épidémiologistes, les microbiologistes. Si vous ne les avez pas, vous ne savez pas quand commence l'épidémie. C'est la catastrophe sanitaire. Et enfin, dernier pôle : le pôle médico-social. Parce que, quand vous n'avez plus de maison, que vous n'avez plus de famille, que vous ne savez plus où aller, il faut que quelqu'un vous aide médicalement, sociologiquement, socialement et psychologiquement.
Q- Tout le monde est d'accord avec vous, P. Douste-Blazy. La question est de savoir si on a déjà du retard par rapport aux besoins immenses, ou est-ce qu'il vous semble que l'on est en mesure de maîtriser la situation ?
R- Vous savez, c'est une course contre la montre, de minute en minute, vis-à-vis de cette épidémie. Elle peut ne pas venir, elle peut venir. Quand la France, parce que c'est le deuxième laboratoire pharmaceutique du monde, décide - parce que le Président et le Premier Ministre le demandent - d'aller apporter plus de trois millions de comprimés d'Amoxycilline pour prévenir le choléra, ça, c'est du concret ! C'est-à-dire que si à un moment donné ça part, il faut que tout le monde en prenne, parce que soigner quelqu'un qui a le choléra, c'est déjà trop tard !
Q- Mais ça va être fait ? Ces colis vont être acheminés ? Les médicaments vont être acheminés ? Ils vont toucher les populations ?
R- Ça y est. Ce que nous avons fait d'abord, on les a amenés. On les a menés à Matara, on les envoie aux endroits où on peut les acheminer. Il faut maintenant des moyens logistiques. Vous avez vu que la Jeanne d'Arc - et c'est tout le travail que fait Mme Alliot-Marie - va arriver d'ici quelques jours....
Q- ... Dix jours. Ils sont partis hier, et ils vont arriver dans dix jours ! C'est un peu ridicule... Les Américains sont là-bas depuis dimanche !
R- Oui, mais il faut dire que l'île de Guam, les Américains y sont - c'est l'Océan Pacifique -, et Diego Garcia, c'est l'Océan Indien, et ils y sont aussi.
Q- On peut parler de Djibouti...
R- Mais la question, c'est ce que dit Monsieur Duhamel : tout le monde aujourd'hui est d'accord pour dire "il faut une force d'action rapide". Très bien. Dans quinze jours, dans trois semaines, je crains - ou dans trois mois - je crains qu'on l'oublie ! Donc il faut battre le fer tant qu'il est chaud. Moi, vendredi, au conseil des ministres européens de la Coopération et de la Santé, je vais proposer qu'on donne maintenant le calendrier pour savoir où nous mettons ces dix ou quinze avions dans les soutes desquels il y aura des hélicoptères en pièces détachées, pour pouvoir avoir une unité de projection rapide, n'importe où dans le monde en 48 heures. Parce qu'il faut que cela serve ! Il y a une émotion, c'est bien. Il y a des dons, c'est encore mieux. Mais maintenant il faut peut-être tirer les leçons politiques.
Q- Ce matin, vous évoquez une course contre la montre. Vous êtes inquiet ? Vous êtes optimiste ? Qu'est-ce qui l'emporte chez vous, P. Douste-Blazy ?
R- Ce matin, je suis très inquiet vis-à-vis de la catastrophe sanitaire possible. Un raz-de-marée, c'est absolument impossible à prévenir, même s'il y a des systèmes d'alerte à mettre en place. Par contre, une catastrophe sanitaire, tel que le risque épidémique cholérique, celui-là on peut vraiment le prévenir. Je vais dans quelques minutes à une réunion que le chef de l'Etat organise à l'Elysée autour des ONG. Eh bien, eux vont nous dire quels sont leurs besoins aujourd'hui, et quelle est la possibilité pour acheminer aussi leurs besoins.
Q- "Médecins Sans Frontières" indiquait hier qu'il suspendait ses dons pour l'Asie, en disant : "N'oubliez pas les autres crises. Donnez plutôt pour le Congo, le Darfour, parce que, là aussi meurent beaucoup de gens." Que pensez-vous de cette prise de position, P. Douste-Blazy ?
R- Tout don est par nature un geste de solidarité. Et par définition, moi je ne veux jamais qu'on aille contre un signe de solidarité. A deux conditions : qu'elle soit efficace sur le terrain, et rapidement efficace vis-à-vis des pays et des personnes qui en ont le plus besoin. MSF a dit ça par honnêteté vis-à-vis de leur travail. C'est un travail "d'urgence". Et c'est vrai que lorsque je vais à l'hôpital... Prenez cet exemple : je suis allé à l'hôpital de Matara il y a quelques heures. Qu'est-ce que j'ai vu ? Tous les enfants qui étaient très blessés, malheureusement sont morts. Donc, j'ai vu des enfants, qui avaient en effet des infections de plaies ouvertes, qui avaient des traumatismes des bras ou des jambes, qui ont été opérés, qui ont besoin maintenant, pas d'urgentistes, mais qui ont besoin par contre que l'on puisse jumeler des établissements français ou européens, avec des établissements hospitaliers du Sri Lanka ou d'Indonésie. Parce qu'une équipe stable pendant trois mois va pouvoir aider ces enfants à ne pas avoir des handicaps demain, et des arthrites post-chirurgicales. C'est cela qu'il faut faire. Alors ce n'est pas l'urgence proprement dite, mais c'est la mise en place d'un travail commun, et là, croyez-moi, il faut beaucoup d'argent pour pouvoir sauver ces dizaines de milliers d'enfants qui risquent d'avoir des handicaps.
Q- Votre collègue de l'Intérieur, D. de Villepin, disait le "JDD" de dimanche : "La France est chargée de coordonner l'ensemble des moyens européens". Ce n'est pas tout à fait comme ça que ça se passe...
R- En tout cas, l'Europe doit réagir... L'Europe montre qu'elle sait colliger les dons, montre qu'elle sait reconstruire et développer. Mais elle doit prouver maintenant qu'elle sait réagir, qu'elle a une réactivité efficace, sanitaire. Et ça, c'est à construire Monsieur Aphatie ! C'est à construire.
P. Douste-Blazy, de retour du Sri Lanka, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2005)
France Inter le 13 janvier 2005
Q- Les médecins généralistes boycotteront-ils la nouvelle convention médicale qui, selon eux, dévalorise et méprise la médecine générale ? Le médecin généraliste resterait-il le mal aimé du système de santé, l'écart se creusant encore entre son revenu et celui du spécialiste ? Quant au malade, s'y retrouvera-t-il dans cette nouvelle convention considérée par nombre de spécialistes, par exemple le président de la Mutualité française, J.-P. Davant, comme, je le cite, "une usine à gaz" ? Invité de Question Directe, P. Douste-Blazy, ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille.
R- Bonjour.
Q- "Dévalorisation et mépris de la médecine générale", voilà ce que disent, pas tous, mais enfin un certain nombre de médecins généralistes. Comment expliquez-vous qu'ils aient cette perception là de la dévalorisation de leur fonction ?
R- Pardonnez-moi de vous dire d'emblée que je suis un peu étonné par votre présentation. Cela fait 10 ans que l'on attend qu'une convention médicale soit signée dans ce pays. Cela fait 10 ans ! Et les trois plus grands syndicats médicaux l'ont signée hier, c'est-à-dire, plus de trois quarts des médecins ont dit oui à ce système. Alors quand on vous entend depuis ce matin, on a l'impression que tout le monde le rejette. Il y a une pétition...
Q- Ah ! Non, non, non...
R- ...de 3 000 médecins généralistes sur 120 000...
Q- Non, non. Monsieur le ministre, vous faites votre métier de ministre, mais moi celui de journaliste. Je ne dis pas tous les médecins, je dis "des médecins généralistes" considèrent qu'il y a une dévalorisation de leur fonction et je vous demande s'ils ont une raison de se poser cette question ?
R- D'accord, bien sûr. Je vais vous répondre. D'abord, il y a 120 000 médecins libéraux, il y a eu donc 3 000 personnes qui ont fait une pétition - MG-France, le syndicat que l'on connaît - qui refusent cela. D'abord il faut savoir que cette convention, entre l'assurance maladie et les médecins, ce n'est pas le Gouvernement, l'assurance maladie et les médecins, établit 1 milliard d'économie d'euros, et ensuite, il y a une revalorisation de certains actes. 240 millions d'euros - 240 millions d'euros ! - pour les spécialistes, 260 pour les généralistes. Donc, il ne faut pas dire que l'écart se creuse, ce n'est pas vrai, c'est même le contraire. Ensuite...
Q- Ce sont eux qui le disent, encore une fois.
R- Non, ceux ne veulent pas signer la convention, c'est-à-dire, la minorité, je le redis. Alors je leur réponds, ce matin. En fait, qu'es-ce que voulons ? Nous voulons au contraire aider, mettre en place un système dans lequel le médecin généraliste est le pivot, le patron. Le médecin de famille, j'y crois. Je crois que quelqu'un est beaucoup mieux soigné lorsqu'il a un médecin traitant, un médecin de famille, à qui il se confie, et je tiens à dire ici à tous ceux qui nous écoutent, qu'ils peuvent en changer quand ils le veulent, quand ils le veulent. Mais on leur dit : quel est le médecin que vous allez choisir ? Donc, ils choisissent leur médecin, et après, je vous assure que lorsqu'un médecin connaît vos antécédents, votre famille, vos ennuis, vos allergies, vos antibiotiques qui ont marché, ceux qui n'ont pas marché, il vous soigne beaucoup mieux. C'est tout ce que je veux faire.
Q- Oui. Alors on le sait très bien, il est donc au centre du système. Mais on a entendu tout à l'heure un médecin, le Dr. Lehman, vous dire : "Je suis au fond au centre du système. J'accompagne mon patient sans pouvoir lui garantir, disait-il - et donc je ne veux pas signer ce texte-là -, qu'il sera jusqu'au bout pris en compte tel qu'on le lui dit". Que répondez-vous au Dr. Lehman ce matin ?
R- Je lui dis que ce n'est absolument pas cela, au contraire. Tous ceux qui nous écoutent peuvent savoir que nous sommes justement totalement imbibés de ce que voulait le docteur Lehmann à l'époque : il s'appelait "le médecin référent", qui n'a pas fonctionné, il n'y a que 2 % des Français malades qui ont choisi le médecin référent. Nous, ce que l'on veut, c'est faire quoi ? Le remboursement sera exactement le même pour ceux qui vont passer par ce médecin traitant, et qui ensuite, s'ils en ont besoin, vont voir un médecin spécialiste. Je prends un exemple : quelqu'un est cardiaque, il a fait un infarctus il y a trois ans, il va voir son cardiologue tous les six mois. Bien évidemment, il continuera à aller voir son cardiologue directement tous les six mois sans passer par le médecin traitant. Ce que je peux vous dire, c'est que, passé un certain âge, il y a des gens qui se disent, alors qu'ils vont bien : tiens ! Je vais aller voir le gastro-entérologue aujourd'hui, je vais aller voir le cardiologue, tiens, je vais aller voir l'urologue, et puis je vais aller voir peut-être celui qui s'occupe des personnes âgées. Et tout cela, ce n'est pas coordonné. Il n'y a aucune raison... Si on doit continuer à rembourser à 100 % des médicaments anticancéreux, comme le dernier qui est sorti, qui est de 31 000 euro par personne, si je veux le rembourser à tout le monde, je suis obligé quand même de faire un peu attention pour ne pas obligatoirement dévoyer le système de santé qui est très généreux. Mais attention : en France, on fait des systèmes toujours très généreux, mais on ne contrôle pas. Donc, je souhaite que ce soit le médecin généraliste qui ait le contrôle, le médecin généraliste, le médecin de famille, le médecin traitant. Je crois que c'est quelque chose qui existe dans les autres pays au monde, on n'est pas le premier à le faire. Je suis heureux d'ailleurs de voir que la convention a été signée.
Q- Décidément, vous allez dire que j'ai l'esprit critique, mais n'allez-vous pas trop vite ? Par exemple, le tiers payant, vous l'avez remis en avant il y a quelques jours, en effet, pour répondre aussi à des arguments. Mais voilà qu'une administration vous
dit : attendez, vous allez très vite Monsieur le ministre, on n'arrive pas à vous suivre là !
R- Monsieur Lehman justement, dont vous parlez, disait : "Le tiers payant - pour ceux qui écoutent, le tiers payant - c'est lorsqu'on n'a pas vraiment de l'argent, lorsqu'on n'est pas aisé en France, lorsqu'on est au-dessous de 576 euros par mois, on n'a rien à payer lorsqu'on va voir le médecin. Evidemment, nous continuons cela. On a fait croire qu'on voulait revenir là-dessus. Absolument pas ! Et même mieux ! Le président de la République et le Premier ministre m'ont demandé d'ajouter 2 millions de personnes à cela, c'est-à-dire ceux qui gagnent 15 % de plus que le revenu CMU. Donc, on ne remet pas en cause le tiers payant. Ce que je veux dire et qui me paraît le plus important aujourd'hui, c'est que la médecine est en train un peu de dériver. Il y a des gens qui gagnent beaucoup d'argent parce qu'ils font des actes techniques à la chaîne ... des radios par exemple, je ne sais pas, je prends cet exemple - et puis il y a des pédiatres par exemple, des médecins généralistes qui passent du temps avec le malade, un quart d'heure, une demi-heure, trois-quarts d'heure... Quand vous n'avez jamais vu un malade vous êtes obligé d'y passer une demi-heure. Et ceux-là sont mal rémunérés. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé que l'acte intellectuel médical soit mieux rémunéré, plutôt que l'acte technique. Que l'on donne une primeur à celui qui réfléchit, qui prend du temps pour le malade. Chaque fois que l'on fait une réforme - on m'a souvent dit "c'est une réformette", non, ce n'est pas "une réformette", c'est une vraie réforme - c'est vrai, chaque fois qu'il y a une réforme, il y a des gens que cela gêne. Mais c'est, je dirais la clé de la réforme. Ne comptez pas sur moi pour pouvoir reculer. Je veux être celui qui aura fait la vraie réforme de l'assurance maladie, comme on a fait la vraie réforme de la retraite. C'est un Gouvernement qui réforme.
Q- ... mais la pédagogie de la réforme, puisque vous êtes très sensible à la pédagogie, "une usine à gaz" ou pas ? J.-P. Davant vous dit :bon, très bien, vive la réforme, sauf qu'on n'y comprend pas grand chose, "c'est une usine à gaz".
R- Non, J.-P. Davant d'abord nous a beaucoup aidés pour cette réforme, parce que la Mutualité française a été très en avant sur cela. Non. J.-P. Davant, posait la question de ce que j'ai instauré, c'est-à-dire : vous passez par le médecin traitant et ensuite vous allez voir le médecin spécialiste, que vous donne le médecin traitant, parce que vous en avez besoin, et là, vous êtes remboursé complètement. Et si vous décidez, vous, parce que vous en avez envie, d'aller voir tel ou tel spécialiste alors que vous n'êtes pas malade, vous n'êtes pas suivi, pour rien, alors là je dis : écoutez, les Français qui veulent y aller ils peuvent y aller, mais ils seront quand même un peu moins remboursés. Là, c'est une discussion - et une petite différence - que nous avons avec J.-P. Davant. Je pense qu'il faut un peu responsabiliser les Français, je le crois. Ceux qui sont malades, les rembourser totalement il n'y a aucun problème. Mais quand même, commencer déjà à ne pas avoir peur de dire : notre système est très précieux, le Conseil de la Résistance 1945-1946, c'est merveilleux, c'est ce que nous avons de plus bel héritage social. Gardons-le !, sauvegardons-le ! La seule manière pour le sauvegarder, c'est d'être responsable, à la fois quand on est médecin mais aussi, pardonnez-moi de le dire, quand on est usager.
Q- Une question toute bête : comment va-t-on choisir son médecin traitant ? Prend-on n'importe qui, comme cela, dans l'annuaire, ou s'adresse-t-on à nouveau à celui ou celle que l'on a toujours connu ?
R- Le mieux c'est de prendre celui que l'on a en général. Par exemple, une jeune femme de 25-26 ans, qui n'est absolument pas malade, qui voit son gynéco pour la pilule en général, elle peut prendre son gynéco. Les pédiatres, évidemment, continueront à être vus...
Q- C'est intéressant : elle prend son gynéco, mais le jour où elle un petit bobo qui ne relève pas du tout de la gynécologie, que fait-elle ? Elle va voir le gynéco ?
R- Si, à un moment donné, par exemple... D'abord, si elle a un bobo, je pense que le gynéco peut quand même très bien lui dire ce qu'elle a. Mais si jamais cela devient plus grave, par exemple, là, elle peut tout à fait prendre un médecin traitant, c'est-à-dire, un généraliste - je lui conseillerais d'ailleurs de prendre un médecin généraliste -et qui la verra dans sa globalité. Et l'avantage par rapport au médecin référent, c'est qu'elle peut le faire quand elle veut, elle est libre de le faire quand elle veut. Maintenant, la question : vous habitez Paris, M. Paoli, vous avez un médecin traitant, vous venez me voir...
Q- Le mien est dans les Alpilles...
R- Bon, d'accord, mais vous venez me voir à Toulouse - ça on peut le prendre comme... on peut toujours rêver - vous venez me voir, je vous invite, vous tombez malade à Toulouse, là vous dites : j'ai mon médecin traitant qui est dans les Alpilles. Comment fait-on ? Vous pouvez prendre à ce moment-là, c'est normal, un médecin traitant sans évidemment sur ajout de coût, à Toulouse. C'est-à-dire que tout cela est prévu. Nous avons un numéro de téléphone avec une plate-forme téléphonique - on passera cela dans les journaux très prochainement et aussi à France Inter - pour que les gens puissent appeler gratuitement pour qu'on leur explique exactement. Ce que je veux leur dire, c'est qu'ils seront aussi remboursés qu'avant, et c'est pour mieux coordonner, ce n'est pas pour faire des économies, c'est pour mieux les soigner.
Q- Vous, votre stratégie politique, celle de la communication : souscrivez-vous à l'analyse qu'en fait T. Saussaie, qui est un bon spécialiste de la communication politique, et qui consiste à dire : il y a une nouvelle école, il y a Sarkozy, il y a Douste, qui ne font pas comme les autres, qui communiquent beaucoup, qui se montrent beaucoup ? Il y a une équipe de télé qui vous accompagne ce matin dans le studio d'Inter...
R- Je crois que ce n'est pas une stratégie de communication, c'est une stratégie de volontarisme et d'action. Je crois que le jour où vous voulez... Voilà, la réforme de l'assurance maladie dont on parle, c'est vrai que si je ne l'avais pas faite, vous ne m'auriez pas invité ; s'il n'y avait pas le médecin traitant, vous ne m'auriez pas invité. Voilà. Je ne suis pas là - nous ne sommes pas là - pour nous montrer. On est là pour, au contraire, essayer d'expliquer ce que nous faisons. Donc, il est vrai qu'il y a depuis quelques mois, la réforme de, j'ai envie de dire la fin de vie, avec euthanasie ou pas euthanasie ; il y a eu le problème de la recherche sur les embryons, il y a eu le problème de la réforme de l'assurance maladie, il va y avoir le plan de santé mentale. Ce sont des choses qui bougent, ce ne sont pas des annonces. Ce sont des actions que nous menons. Et plus vous agissez, plus vous parlez de vos actions. Mais c'est un peu court de faire croire que c'est de la communication. C'est uniquement pour expliquer. Et d'ailleurs vous-même, tous les matins, vous faites cela. Vous parlez des polémiques qui peuvent exister, et c'est très bien d'ailleurs que vous parliez ce matin de la polémique sur médecin traitant ou pas médecin traitant. Mais quand vous êtes au cur du système, vous ne pouvez pas reprocher à quelqu'un de faire de la communication alors qu'il fait de l'action.
Q- C'est sûr. Mais il n'est pas indifférent de se déplacer souvent accompagné par des caméras. Tenez ! La question éthique et morale elle se pose à tout le monde. Le drame que l'on vient de vivre en Asie, beaucoup se sont exprimés autour du drame, ont été d'un certain point de vue aussi accompagnés, portés par ce drame qui est une réalité terrible. Là, il n'y a pas une tentation - une tentative, pourquoi pas pour vous aussi d'ailleurs - de vous inscrire dans un cadre tel, qu'en effet, vous allez être médiatiquement surexposé ? Et une forme de récupération ?
R- Je vais vous dire, c'est très simple : lorsqu'on a un drame comme celui là, lorsque vous-même, et c'est très bien, et merci, vous vous mettez à faire deux, trois, quatre heures d'antenne par jour pour en parler, il y a donc derrière, vous vous en doutez, je pense, des gens qui vous écoutent, qui vous regardent, il y a donc une émotion grandissante. Et là, excusez-moi, mais à cause de la radio, à cause de la télévision, nous sommes dans une immédiateté de l'information et donc de réaction. Et souvent, des personnes qui écoutent disent : mais qu'est-ce qu'ils font ? Ils voient cela, les responsables politiques ? Mais que font-ils ? Qu'est-ce qu'ils font ? Alors, si on ne fait que des paroles, comme on dit, des discours comme on dit, je crois que le mieux c'est de faire des choses aussi concrètes. Vous allez me dire : c'est un peu du symbolique. Oui et non. Quand deux grands chefs d'entreprise se déplacent en France, dans les plus grandes entreprises au monde, pour dire : nous allons mettre en place plus de 500 personnes sur place pour purifier l'eau et pour la rendre potable, je pense que ce ne sont pas des discours, je pense que ce sont des choses qui sont très concrètes et très importantes pour les personnes. Alors, on peut reprocher, puisqu'il y a des caméras, mais alors comment fait-on ? Soit il n'y a pas de caméra mais vous y êtes sur place, vous êtes là-bas. Quand notre avion se pose là-bas, vous y êtes, vous le rapportez. Si on ne fait rien, on va dire qu'on ne fait rien et que c'est catastrophique, si on fait quelque chose, vous allez dire que c'est pour se mettre en avant. Je crois que le mieux, c'est d'avoir une conscience et de faire là où on penser servir l'autre. Alors, évidemment, on fait de la politique, et on a aussi une ambition personnelle, bien sûr, et une ambition pour son pays. Mais l'essentiel, c'est de faire, comme vous d'ailleurs, quand vous avez à choisir un titre d'émission, vous choisissez en votre âme et conscience. Permettez-nous, permettez-moi de vous dire que nous faisons pareil !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2005)