Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "LCI" le 13 décembre 2004, sur le mode de gouvernement du Premier ministre, l'absence de dialogue social, le débat sur les 35 heures, le remaniement au sein de la direction du parti socialiste.

Prononcé le

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Vous avez sans doute regardé ou entendu J.-P. Raffarin hier soir au Grand jury RTL-Le Monde-LCI. Est-ce que vous avez le sentiment d'un Premier ministre finalement qui est inoxydable ?

R- Premier ministre : est-ce que j'ai la confiance du pays ? Non. Il ne se pose qu'une seule question : est-ce que j'ai la confiance de J. Chirac ? Visiblement, il l'a et ça lui suffit. Mais ça ne suffit pas aux Français...
Q- Mais il a pris cinq points dans un sondage BVA-L'Express !
R- Oui, je ne suis pas sûr que ces indicateurs aient encore une forte démonstration, parce que le niveau est tellement bas que de perdre ou de gagner n'a plus aucune signification. Et je veux dire par-là que le vrai problème que nous avons depuis les élections régionales et cantonales, c'est qu'il y a eu des réajustements ministériels, il y a eu des apparences de changements de cours politique, mais en fait, c'est le même gouvernement avec la même politique et qui suscite le même rejet. Mais est-ce que cette politique, et notamment la deuxième étape d'assouplissement des 35 heures, n'est pas tout simplement de la politique de sa majorité ? Autrement dit, est-ce qu'il ne retrouve pas une assise dans sa propre majorité ?
R- Je pense que c'est son objectif : comme il sait qu'il n'a pas la confiance du pays, il veut chercher au moins la confiance de sa majorité et donc de la partie la plus conservatrice de son électorat. Et sans doute que l'arrivée de N. Sarkozy à la tête de l'UMP n'est pas pour rien dans cette surenchère. Mais là, je veux quand même lancer un avertissement au Premier ministre. Il a parlé de relance du dialogue social : aujourd'hui, il y a un blocage de toute négociation sociale dans le pays. Blocage au niveau de la négociation au sein même de l'Etat, puisque tous les syndicats de fonctionnaires ont quitté la table. Blocage au niveau de la négociation sur les rémunérations dans le secteur privé, où il n'y a rien. Monsieur Seillière parle de refondation sociale : il n'y a plus aujourd'hui aucun accord qui soit signé entre syndicats et patronat. Et enfin, sur les 35 heures, il aurait été possible au Premier ministre de proposer une table ronde, une grande négociation sur l'emploi, sur le temps de travail, sur les rémunérations ; au lieu de cela, il a annoncé une loi - je dis bien une loi - pour le début du mois de janvier. Donc c'est un gouvernement faible qui passe en force.
Q- Sur les 35 heures, est-ce que vous croyez, même si le Gouvernement passe en force, qu'il va rencontrer une franche hostilité de la part d'organisations syndicales qui semblent divisées sur le sujet ?
R- Non, les syndicats sont plutôt unis sur ce sujet de défense des 35 heures. Mais d'une manière générale, les syndicats - et je pense que B. Thibault en a fait lui-même le constat - ne sont pas dans une dynamique unitaire. J'en fais le constat. Mais ce serait une erreur de la part du Gouvernement de préjuger de cette faiblesse apparente des syndicats, pour justement aller plus loin dans sa politique. Parce qu'aujourd'hui si les syndicats sont en difficulté, c'est parce qu'il y a eu des grands mouvements. Souvenons-nous ceux des retraites, ceux de l'assurance maladie, ceux il y a encore peu dans l'éducation et il y a eu aussi une usure, une fatigue. Et quand il y a aussi peu de dialogue social, je pense que le Premier ministre commet un risque sérieux, parce qu'à un moment, le pays peut s'exprimer. Il n'y a pas d'élection jusqu'en 2007 - sauf le référendum, nous y reviendrons. Et je souhaite que pour la France, il puisse y avoir un dialogue, une discussion, finalement une négociation au plan social. Sinon, je vous le dis, il y aura à ce moment là un certain nombre de mouvements et je ne les souhaite pas.
Q- Mais alors, précisément, sur les 35 heures, si demain vous revenez au pouvoir, qu'est-ce que vous faites ? Vous revenez aux 35 heures telles qu'elles étaient définies dans les lois Aubry-Guigou ? Ou bien est-ce que vous prenez en compte les assouplissements ?
R- Je ferais l'inverse de ce que propose aujourd'hui J.-P. Raffarin. Je commencerais par recevoir l'ensemble des partenaires sociaux, syndicats et employeurs. Et je ferais en sorte que nous définissions des cadres, des règles, des principes. Aujourd'hui il n'y a plus de principe, il n'y a plus de cadre. On nous dit que les 35 heures restent l'heure légale. Sans doute, mais il va y avoir maintenant un contingent d'heures supplémentaires très élevé - 220 heures -, il va y avoir même une possibilité d'aller au-delà des 220 heures. On nous parle de temps choisi, temps choisi par l'employeur pour le salarié... Bref, je crois qu'il faudrait - et ce sera un engagement que nous prendrons le moment venu - refixer des principes, des cadres et une possibilité justement pour la discussion et la négociation dans l'entreprise.
Q- Vous avez parlé des fonctionnaires. Je me souviens que du temps de monsieur Sapin, lorsqu'il était ministre de la Fonction publique, lui-même n'a pas réussi à s'entendre avec les fonctionnaires et a décrété des augmentations de manière unilatérale ?
R- Il n'avait pas réussi à s'entendre, même s'il y avait eu auparavant un accord en 1998 pour deux ans. Mais il avait réussi, lui au moins, à augmenter le pouvoir d'achat des fonctionnaires, en tout cas à permettre le maintien de la valeur du point, permettant ainsi les augmentations individuelles et collectives.
Q- Est-ce que ça signifierait aujourd'hui, encore une fois si vous étiez au pouvoir, qu'il faudrait accorder les 5 % que les fonctionnaires estiment avoir perdu dans leur pouvoir d'achat depuis l'an 2000 ?
R- Mais là aussi, prenons cet exemple-là. Il serait possible d'avoir une grande négociation avec les fonctionnaires, pour parler non pas simplement rémunération, pas pour parler emploi, pour parler service public, service aussi de qualité aux usagers et puis aussi réforme de l'Etat. Donc ce que je proposerais là encore, si nous étions aux responsabilités, c'est d'avoir avec la fonction publique de l'Etat, mais aussi la fonction publique hospitalière, des collectivités locales, puisque finalement c'est l'ensemble des fonctions publiques qui sont concernées, d'avoir cette capacité à proposer des contreparties chaque fois qu'un effort est demandé.
Q- Vous avez évoqué tout à l'heure la prochaine étape, le référendum sur la Constitution européenne. Est-ce que vous seriez favorable, à l'initiative que propose D. Strauss-Kahn, qui est pour dépersonnaliser, dépolitiser le référendum, de préférer une initiative parlementaire à une initiative du président de la République, sur proposition du Gouvernement ?
R- C'est une idée parmi d'autres. Et elle va dans le sens que je souhaite, c'est-à-dire que l'on puisse déconnecter l'enjeu européen de tout aspect de politique intérieure. C'est la raison pour laquelle j'ai fait la proposition. J.-P. Raffarin semble avoir lui-même entendu cette démarche, j'attends donc que le président de la République nous réponde. Il serait quand même un moment temps, je laisse passer le conseil européen du 17 décembre... Mais quand même, il y aurait maintenant nécessité à ce que le président de la République reçoive les partis représentés au Parlement pour que nous définissions ensemble, parce que je crois que c'est une question commune... D'ailleurs qu'on appelle à voter "oui" - c'est le cas du Parti socialiste - ou qu'on appelle à voter "non" - c'est le cas d'autres formations politiques -, mais qu'on ait à définir ensemble le calendrier, la question posée et les modalités de campagne.
Q- Après le référendum interne au Parti socialiste, vous avez réorganisé le gouvernement du Parti socialiste. Et quand on regarde ce gouvernement du Parti socialiste, on a l'impression de retrouver le gouvernement de L. Jospin : M. Aubry, D. Strauss- Kahn, J. Lang... Et vous vous refusez à tout droit d'inventaire sur la période L. Jospin. Finalement est-ce que vous n'êtes pas en train de préparer - pardonnez-moi ! - le retour de L. Jospin ?!
R- Mais je fais avec tous les talents socialistes qui sont parmi nous.
Q- Et il n'en manque pas, L. Jospin ?
R- Lui-même a pris un choix, a pris une décision, donc jusqu'à présent je m'y tiens. Mais je fais en sorte de rassembler tous les socialistes, de toutes les générations et de faire en sorte que ceux qui sont plus jeunes puissent également prendre leur part, dans une certaine mesure. Beaucoup n'ont pas gouverné et sont à la direction du Parti socialiste. Mais ceux qui ont gouverné, je ne verrais pas pourquoi, ils ne joueraient pas aujourd'hui un rôle pour la redéfinition de nos propositions, parce que je pense que nous avons de tous et c'est ma démarche. Depuis 2002, depuis l'échec, j'ai fait en sorte de rassembler tous les socialistes et j'irai jusqu'au bout, parce que je pense que c'est la seule voie possible pour le succès : rassembler.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 14 décembre 2004)