Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à LCI le 11 et dans "Le Monde" du 15 septembre 2000, sur la levée des sanctions contre l'Autriche et l'état des négociations pour la réforme des institutions communautaires.

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Texte intégral

Q - Bonjour Pierre Moscovici. On va parler des négociations... des réformes de l'institution européenne, de l'euro et aussi du conflit des routiers qui vient de se dérouler. Alors tout d'abord l'euro, qui a atteint un nouveau plancher à la baisse cette nuit à Tokyo. Il a plongé à 0,8622 dollar pour un euro, c'est peu. Est-ce que les ministres des Finances n'ont pas envoyé de signal suffisant vendredi dernier ?
R - Ecoutez l'euro faible n'est pas une bonne chose pour une économie, en tout cas un euro trop faible, notamment parce qu'il pénalise les importations. Il est vrai qu'il favorise les exportations et pour toutes ces raisons, les ministres des Finances ont envoyé un message que je crois clair, c'est un message de confiance dans l'euro. La situation économique, cette situation économique est bonne, elle est forte, elle est saine en Europe et donc il serait logique que l'euro remonte.
Q - Et comment expliquez-vous que les investisseurs ne le comprennent pas ?
R - Je pense qu'il faut peut-être quelques délais pour cela. Mais pour moi, le message du ministre de l'Economie et des Finances ce week-end à Versailles est tout à fait clair, c'est un message de confiance dans l'euro et de souhait que l'euro remonte.
Q - Mais Laurent Fabius a aussi laissé entendre qu'on pourrait intervenir pour soutenir l'euro. Vous croyez que ce moment est arrivé ?
R - Cela montre qu'il y a une détermination des ministres de l'Economie et des Finances de réellement soutenir l'euro.
Q - Et est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème de direction de l'euro puisqu'il y a eu un incident autour de l'absence de Wim Duisenberg, qui est le gouverneur de la Banque centrale européenne ?
R - Je crois au contraire qu'il y a besoin d'une gouvernance de l'euro, comme on dit, qui soit plus efficace, donc d'une coopération entre les ministres de l'Economie et des Finances et la Banque centrale européenne. C'est ce qui se développe depuis maintenant deux ou trois ans, puisque nous savons qu'à l'initiative de Dominique Strauss-Kahn a été créé ce qu'on appelle l'Euro Groupe, c'est-à-dire la réunion des ministres de l'Economie et des Finances de l'euro et je crois que là encore, il y a le ciment pour bâtir un euro fort.
Q - Vous croyez ?
R - Je le crois, j'ai confiance.
Q - Très bien. Alors les trois sages désignés par le Conseil européen ont remis un rapport sur la situation politique en Autriche à Jacques Chirac, qui est président en exercice. Il conclut à la levée des sanctions des Européens contre ce pays. Vous souhaitez une attitude commune, mais il y a déjà un certain nombre de pays, de dirigeants qui ont dit " maintenant ça suffit, il faut arrêter ces sanctions ", quand vont-elles être levées ?
R - Alors revenons un instant sur le rapport, si vous le permettez.
Q - Oui.
R - Que dit ce rapport ? Il dit que les sanctions ont été utiles face à une situation qui était une situation préoccupante. Il dit aussi, c'est vrai, que ces sanctions sont aujourd'hui contre-productives notamment parce qu'elles nourrissent des revendications nationalistes et pour arriver à cet équilibre, il se fonde sur une analyse double : il dit d'une part que les Droits de l'Homme n'ont pas été durement touchés en Autriche et il dit d'autre part que le parti de M. Haider, le FPÖ, est un parti de nature particulière et disons-le, un peu perverse. C'est cet équilibre là qu'il faut maintenant traiter par les gouvernements et quand je dis qu'il faut une attitude commune, cela signifie que pour moi, ce qui serait le pire, c'est qu'on voit certains pays décider cela et d'autres pays décider ceci, ce qui signifierait que l'Autriche aurait réussi à diviser les Quatorze et cela, c'est le pire. C'est pour cela que nous sommes en train de consulter nos partenaires de l'Union européenne, les treize autres que nous et que nous prendrons une décision tous ensemble, je le crois, en fonction des résultats de ces consultations. Pour le dire clairement, je souhaite qu'on réagisse à quatorze, que ce soit pour maintenir les mesures ou pour les levées et je souhaite aussi que quelle que soit l'issue retenue, l'Union européenne, les Quatorze manifestent leur souhait de mettre en place un mécanisme de vigilance face à ce type de situation. Je rappelle qu'il s'agit d'une coalition entre des partis de droite et un parti d'extrême droite, que les sages qualifient eux-mêmes de xénophobe, avec des tentations populistes et avec un rapport très ambigu avec le passé nazi et donc je souhaite qu'on marque que cette situation ne doit pas devenir une situation banale en Europe. D'ailleurs les sages nous appellent eux-mêmes à mettre en place de tels mécanismes de vigilance.
Q - Qui doit décider, les ministres des Affaires étrangères ou les chefs d'Etat ?
R - Vous savez, si je me fais un parallèle avec l'annonce des mesures sous la présidence portugaise, c'était le Premier ministre portugais, Antonio Guterres qui avait consulté ses homologues, les consultations se déroulent d'ailleurs au plus haut niveau et il serait logique que les autorités françaises, comme ont dit, le président de la République, le Premier ministre, les ministres du quai d'Orsay, Hubert Védrine et moi-même, aient une attitude commune et donc nous aurons une attitude commune une fois que ces consultations seront terminées.
Q - Alors cela a déjà provoqué les ricanements de Haider qui dit " tout ça, c'est un Waterloo pour l'Europe, finalement on ne peut pas se passer de nous " et c'est vrai que l'Autriche aurait pu bloquer l'évolution... la réforme des institutions européennes. Est-ce que ce n'est pas cela qui a un peu hâté les choses ?
R - Je ne crois sincèrement pas. Ce n'est pas pour faire plaisir à M. Haider qui a traité Jacques Chirac de Napoléon et qui dit donc du coup maintenant que c'est son Waterloo, ce qui est - pardonnez-moi - une plaisanterie de garçon de bar, que les sages ont pris cette position-là, c'est en fonction d'une analyse qu'ils nous ont faite de la situation. On pourrait en avoir une autre d'ailleurs, à ce titre, personnelle, la mienne serait peut-être un peu moins optimiste, mais peu importe, ce sont des sages, il faut les écouter. Ce n'est pas le risque de blocage qui a conduit à cela, ce qui a conduit à cela, c'est l'appréciation de la situation de l'Autriche tout simplement et le fait qu'ils pensent que la poursuite des sanctions ne serait pas une bonne chose.
Q - Donc il n'y a pas risque de blocage, dites-vous, mais alors...
R - Je ne dis pas cela, je dis que ce n'était pas ce risque-là qui doit justifier notre conduite...
Q - D'accord...
R - ...Ce qui doit justifier notre conduite, c'est l'appréciation objective de ce qui se passe en Autriche.
Q - ...Mais les négociations sur l'évolution des institutions européennes, c'est-à-dire la fameuse CIG, la Conférence intergouvernementale, ne semble pas beaucoup progresser. La semaine dernière, les ministres des Affaires étrangères européens, réunis à Evian, n'ont pas été très d'accord sur l'évolution de l'Europe à long terme. Vous vous attendez à quoi ?
R - Ecoutez je sais, pour y participer - je les anime avec Hubert Védrine - que ces négociations sont extraordinairement difficiles et pour dire les choses, elles sont assez mal engagées parce que ce que j'observe, c'est que la plupart de nos partenaires campent sur des positions qui sont souvent des positions irréalistes, figées et donc il faut maintenant passer à un stade politique, il faut mettre le turbo dans cette négociation. Si on n'avait pas de calendrier, je serais même assez pessimiste sur la conclusion des négociations, mais nous en avons un, c'est Nice, c'est-à-dire le 8/9 décembre, c'est là où il faut conclure. Mais chacun sent que cette réforme est impérative pour l'Union européenne parce que l'Union européenne telle qu'elle est, elle ne fonctionne plus, on en voit des exemples tous les jours, elle est grippée par des mécanismes de décisions qui sont désormais inadaptés et donc il faut absolument avancer ; et puis il y a une deuxième raison pour laquelle il faut absolument avancer, c'est que nous sommes confrontés aux défis de l'élargissement. C'est une Union européenne qui ne sera plus l'Europe à quinze, quinze pays occidentaux, ce sera l'Union européenne...
Q - Là aussi, il y a un commissaire européen qui a dit " on va trop vite " ?
R - ...Il n'a pas dit ça, non, d'ailleurs il a rectifié le tir après et puis je le connais, il est très dévoué à cette cause. Mais c'est vrai que nos opinions s'interrogent d'ailleurs sur le rythme de l'élargissement. Mais peu importe, c'est une affaire à dix ans de toute manière. Nous serons près d'une trentaine dans l'Union européenne, comment imaginer que ce qui ne marche pas à quinze, notamment parce qu'on est obligé de décider sans arrêt à l'unanimité, marchera mieux à trente ? Et donc là, nous sommes face à un défi et c'est maintenant ou jamais, c'est un peu mon sentiment, parce qu'on prête beaucoup à la présidence française. C'est vrai que la France est un grand pays, la France est un pays fondateur de l'Union européenne, la France est un pays important, la France est un pays qui a une vision politique de l'Europe et donc c'est clair, c'est à nous de terminer cela et parce qu'il y a au fond ce rendez-vous, je crois que nous y arriverons.
Q - Est-ce que vous dédramatisez ou est-ce que vous redoutez vraiment l'échec ?
R - Je ne le redoute pas. De toute façon, on en connaîtrait les causes. Je pense qu'il faut maintenant mettre les bouchées doubles pour aboutir.
Q - Et comment allez-vous vous y employer ?
R - Je crois que c'est aux négociateurs que nous sommes de faire sentir maintenant qu'il y a une urgence et de passer à un stade plus rapide, peut-être un tout petit peu plus énergique encore./.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2000)
Q - Malgré la levée des mesures prises contre le gouvernement autrichien, vos collègues et vous, ministre délégué aux Affaires européennes, avez promis de placer le parti populiste de Jörg Haider, membre de la coalition, sous surveillance. Concrètement que peut-on faire ?
R - Nous avons obtenu de maintenir une vigilance par rapport au parti de M. Haider. Cela signifie observer de façon attentive le comportement du FPOE, son influence dans la coalition. Si des dérapages surviennent, nous nous concerterons. A quatorze, il ne peut y avoir de mécanisme, nous sommes dans un cadre informel. Mais le gouvernement autrichien ne doit pas penser qu'il a obtenu un blanc-seing.
Q - Les quatorze ont également prévu une "réflexion" sur la manière d'agir à l'avenir. Quelles propositions peut faire la France pendant sa présidence de l'Union ?
R - Les Sages ont fait des recommandations. On n'échappera pas à un débat sur le renforcement de l'article 7 du traité qui prévoit un mécanisme de sanctions contre un Etat membre qui violerait gravement les principes de l'Union. L'idée est de mettre en place une procédure complémentaire, qui serait préventive. La tâche de la présidence est de voir si on peut aboutir à un consensus à quinze.
Q - Des pays ont-ils pensé qu'on allait beaucoup trop loin dans l'ingérence ?
R - Il y a eu au Danemark, comme dans d'autres petits pays, l'idée que les mesures n'auraient jamais été prises contre un grand pays - on a parlé des Italiens ou d'autres. Nous allons essayer de convaincre qu'il ne s'agit pas de placer un pays sous tutelle, mais de faire respecter les valeurs européennes. Si les sanctions ont servi à quelque chose, c'est justement à faire prendre conscience que l'Union n'est pas seulement un espace d'argent. C'est un signal aux pays membres, mais aussi aux pays candidats.
( source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2000)