Texte intégral
La remise des prix de l'édition 2004 du concours national de la résistance et de la déportation s'est déroulée mercredi 19 janvier à l'Hôtel de Lassay (Assemblée nationale). Invité des organisateurs, le ministre de l'Education nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche s'est déclaré convaincu de l'utilité de ce genre d'activité qui entretient " le sens de la mémoire vivante ". Certes, a souligné François Fillon, " il ne suffit pas de se souvenir pour prévenir, et l'actualité nous montre trop bien que la réminiscence des crimes d'hier ne décourage pas les exactions d'aujourd'hui. " Il reste que " l'éducation de citoyens responsables passe par la prise en compte de leur passé commun. "
En 2004, plus de 45 000 élèves ont participé au concours national de la résistance et de la déportation, sur le thème "Les Français libres". Les candidats se répartissent en quatre catégories: lycéens concourant à titre individuel, lycéens concourant à titre collectif, collégiens en troisième concourant à titre individuel et collégiens de troisième concourant à titre collectif.
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur le Premier Ministre-Président de la Fondation de la France Libre, Monsieur le Ministre délégué aux Anciens Combattants, Monsieur le Président du Jury, Mesdames et messieurs les présidentes et présidents de toutes les fondations et associations qui perpétuez le souvenir des résistants et déportés, Enseignants, qui êtes dans vos classes les relais de cette histoire, et vous tous, collégiens et lycéens dont la présence atteste la part que vous prenez à cette mémoire commune, vous m'avez invité à la remise des prix du Concours National de la Résistance et de la Déportation.
J'ai accepté l'honneur d'être aujourd'hui parmi vous. Permettez toutefois que je m'efface aussitôt derrière des figures plus anciennes. Capitant, Giacobbi, Naegelen, Depreux, Lapie, Masson, Berthoin, Sudreau, Fouchet : tous furent ministres de l'Education nationale ; tous s'illustrèrent en leur temps par des faits de Résistance ; plusieurs d'entre eux furent déportés. Je ne saurais mieux participer à cette cérémonie qu'en faisant entendre une fois encore ces noms trop effacés. J'y joindrai celui de Jean Zay, résistant des cachots.
Nous sommes ici sous le regard de nos prédécesseurs, et leur souvenir explique l'émotion avec laquelle je suis entré tout à l'heure dans cette salle, où sont rassemblés tous les tenants de la mémoire collective : ceux qui ont fait l'Histoire, ceux qui l'enseignent, ceux qui la découvrent.
Vous êtes réunis dans une même volonté de perpétuer le souvenir des victimes de la guerre et des camps, et de célébrer leurs valeurs en écho. Ces valeurs ont fait, et font encore, la grandeur de notre pays. Si les mots de " Liberté " et de " Fraternité " conservent le sens que nous aimons leur donner, c'est parce que ces hommes et ces femmes les ont portés dans leur cur, ont risqué leurs vies pour eux. Courage, engagement, don de soi, confiance, ce sont là des vertus qui n'ont pas d'âge ; et je trouve précieux que des élèves d'aujourd'hui aient, dans ce concours, une occasion de les voir défendre par ceux-là même qui les ont incarnées.
On prétend trop souvent que nos jeunes ne connaissent pas, ou mal, leur Histoire. Ils ont, murmure-t-on, perdu la trace de ce qu'ont pu accomplir leurs pères. Vos exemples apaisent une large part de ces craintes. L'excellence de quelques-uns ne saurait toutefois nous contenter, car l'incessante mobilité, voire superficialité, du monde où nous vivons entretient certaines inquiétudes La voix de la mémoire ne doit jamais s'essouffler. L'Education nationale assume en la matière ses responsabilités.
Présentée dès l'école primaire, l'histoire de la Seconde Guerre mondiale est reprise en classe de première, puis de terminale. Son étude s'étend à des textes abordés en cours de langue, de français ou de philosophie. Elle passe par des activités multiples, organisation et visites d'expositions, voyages sur des lieux de mémoire...
Le Concours National de la Résistance et de la Déportation n'est en somme que la forme la plus saillante d'un engagement large et prolongé. Nous savons, grâce à vous, que ces efforts sont féconds. La qualité de vos travaux consacre leur réussite. Je vous le dit au nom de l'Education nationale toute entière : c'est votre succès qui donne un sens à notre démarche.
Encore les qualités proprement scolaires ne suffisent-elles pas. Il y faut la passion. C'est toute la différence entre un simple devoir d'histoire et le travail plus libre, plus ambitieux, plus personnel que vous venez de soumettre. On se plie au devoir sans toujours en ressentir la nécessité. Dans vos travaux se lit au contraire la spontanéité et l'enthousiasme. Vous confirmez ainsi une de mes convictions profondes : il n'y a pas d'histoire sans battements de cur. Et s'il devait advenir que l'on se lance dans une recherche sans cette fascination initiale, eh bien, la recherche elle-même se chargerait de vous la communiquer. Si vous n'avez pas de tout temps admiré la Résistance, vous l'admirez maintenant. Voilà bien le sens que l'Education nationale donne à ce concours : entretenir la flamme de l'historien là où elle brûle, la faire brûler là où elle couve.
Une telle action porte ses fruits. Le président du jury vous a rappelé tout à l'heure l'essor du concours durant ces deux dernières années. Plus de quarante-cinq mille participants ! Quel meilleur démenti opposer à ceux qui craindraient que les notions de patrie, de citoyenneté ou d'engagement n'aient plus cours ?
La raison de ce succès, vous la connaissez tous : elle tient à la rencontre, si symbolique et si riche, entre des jeunes et des anciens, entre des esprits avides de comprendre et des âmes attentives à transmettre. Chaque année c'est une rencontre nouvelle, au gré des thèmes qui rythment ce Concours ; chaque année c'est une leçon de vie pour la jeunesse. Ce fut encore le cas cette année, avec une édition consacrée au souvenir des " Français libres ". J'ai pris connaissance de ce sujet avec une approbation personnelle toute particulière.
Permettez-moi de m'en expliquer. Il n'est pas contestable que la Résistance s'éloigne de nous ; et si des acteurs majeurs de cette épopée sont encore présents, s'ils mettent à témoigner une énergie magnifique, la période sort peu à peu de nos vies pour entrer dans l'Histoire. Au fil de cette évolution, la tentation se fait jour de donner à la résistance des limites plus vagues, une définition plus floue ; bref, de transformer cette réalité en un simple état d'esprit. Bien sûr, l'esprit de résistance est en lui-même admirable. Il ne faudrait pas, cependant, le galvauder.
Beaucoup de militants, engagés dans des causes diverses, et dont je ne conteste pas l'utilité, se proclament aujourd'hui " résistants ". Le sujet du concours, Les Français libres, fait justice de leurs prétentions. La France libre, ce sont des groupes d'hommes restreints, les pécheurs de l'île de Sein, les " 177 " du commando Kieffer, la 13 e demi-brigade de la Légion. Ce sont des noms - dont on peut faire la liste : Gary, Monclar, Leclerc, Koenig, Eboué, Cassin. Ce sont des sigles, des dates, des discours, une constitution. C'est un fait historique singulier, dont la grandeur épouse une définition relativement étroite et exigeante.
Il faut tenter de se replonger vers ces heures sombres et sans espoir apparent, ces heures où dans le ciel flottait l'étendard de la croix gammée, où s'installaient les camps de la mort, pour mesurer à sa juste valeur l'appel éclairant du 18 juin. Comme une flamme surgissant dans une tempête obscure, la voix du Général de Gaulle venait transpercer la nuit et le brouillard qui s'étaient abattus sur la France et le monde.
Oui, il faut se souvenir et s'instruire de cette période où tout semble perdu et vain, pour mesurer le sursaut d'orgueil et de courage de ces quelques femmes et hommes qui ne cédèrent pas sur les principes fondamentaux. Qu'il me soit permis ici de vous avouer une chose : lorsque je croise Pierre Messmer, je croise l'idée que je me fais de mon pays lorsqu'il se redresse pour défendre l'honneur de sa cause.
Mesdames et messieurs,
Si la France libre avait été un courant diffus, elle n'aurait pas la même portée. Circonscrite en temps, en lieu et en nombre, réduite à un nombre restreint d'acteurs côtoyant parfois la mort, elle porte à nos yeux une leçon générale.
Certains y ont trouvé un exemple de courage. D'autres, sensibles à la grande diversité des milieux, des origines voire des nationalités, en ont tiré une leçon de fraternité et d'humanisme. Tous en ont gardé le sentiment d'avoir rencontré, en personne, un peu de cette Histoire de France qu'ils sont invités à faire leur.
On parle volontiers de devoir de mémoire, souvent aussi de travail de mémoire et je crois volontiers que de telles expressions, chères aux mémorialistes, aux historiens et aux philosophes, disent bien la place décisive qu'occupe le souvenir dans la construction de soi, comme dans celle de la Cité. En tant que ministre de l'Education nationale, vous me permettez d'être sensible à cette notion de travail, que je crois indissociable de la vraie mémoire. Collective ou individuelle, la mémoire se travaille dans la durée : c'est la condition pour qu'elle devienne acte d'intelligence, acte de compréhension et d'engagement de soi.
Je sais bien, hélas, qu'il ne suffit pas de se souvenir pour prévenir, et l'actualité nous montre trop bien que la réminiscence des crimes d'hier ne décourage pas les exactions d'aujourd'hui. Mais je suis convaincu que l'éducation de citoyens responsables passe par la prise en compte de leur passé commun, et c'est pourquoi je continuerai pour ma part à prôner dans nos écoles le sens de la mémoire vivante que vous tous ici incarnez, chacun à votre façon.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 21 janvier 2005)
En 2004, plus de 45 000 élèves ont participé au concours national de la résistance et de la déportation, sur le thème "Les Français libres". Les candidats se répartissent en quatre catégories: lycéens concourant à titre individuel, lycéens concourant à titre collectif, collégiens en troisième concourant à titre individuel et collégiens de troisième concourant à titre collectif.
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur le Premier Ministre-Président de la Fondation de la France Libre, Monsieur le Ministre délégué aux Anciens Combattants, Monsieur le Président du Jury, Mesdames et messieurs les présidentes et présidents de toutes les fondations et associations qui perpétuez le souvenir des résistants et déportés, Enseignants, qui êtes dans vos classes les relais de cette histoire, et vous tous, collégiens et lycéens dont la présence atteste la part que vous prenez à cette mémoire commune, vous m'avez invité à la remise des prix du Concours National de la Résistance et de la Déportation.
J'ai accepté l'honneur d'être aujourd'hui parmi vous. Permettez toutefois que je m'efface aussitôt derrière des figures plus anciennes. Capitant, Giacobbi, Naegelen, Depreux, Lapie, Masson, Berthoin, Sudreau, Fouchet : tous furent ministres de l'Education nationale ; tous s'illustrèrent en leur temps par des faits de Résistance ; plusieurs d'entre eux furent déportés. Je ne saurais mieux participer à cette cérémonie qu'en faisant entendre une fois encore ces noms trop effacés. J'y joindrai celui de Jean Zay, résistant des cachots.
Nous sommes ici sous le regard de nos prédécesseurs, et leur souvenir explique l'émotion avec laquelle je suis entré tout à l'heure dans cette salle, où sont rassemblés tous les tenants de la mémoire collective : ceux qui ont fait l'Histoire, ceux qui l'enseignent, ceux qui la découvrent.
Vous êtes réunis dans une même volonté de perpétuer le souvenir des victimes de la guerre et des camps, et de célébrer leurs valeurs en écho. Ces valeurs ont fait, et font encore, la grandeur de notre pays. Si les mots de " Liberté " et de " Fraternité " conservent le sens que nous aimons leur donner, c'est parce que ces hommes et ces femmes les ont portés dans leur cur, ont risqué leurs vies pour eux. Courage, engagement, don de soi, confiance, ce sont là des vertus qui n'ont pas d'âge ; et je trouve précieux que des élèves d'aujourd'hui aient, dans ce concours, une occasion de les voir défendre par ceux-là même qui les ont incarnées.
On prétend trop souvent que nos jeunes ne connaissent pas, ou mal, leur Histoire. Ils ont, murmure-t-on, perdu la trace de ce qu'ont pu accomplir leurs pères. Vos exemples apaisent une large part de ces craintes. L'excellence de quelques-uns ne saurait toutefois nous contenter, car l'incessante mobilité, voire superficialité, du monde où nous vivons entretient certaines inquiétudes La voix de la mémoire ne doit jamais s'essouffler. L'Education nationale assume en la matière ses responsabilités.
Présentée dès l'école primaire, l'histoire de la Seconde Guerre mondiale est reprise en classe de première, puis de terminale. Son étude s'étend à des textes abordés en cours de langue, de français ou de philosophie. Elle passe par des activités multiples, organisation et visites d'expositions, voyages sur des lieux de mémoire...
Le Concours National de la Résistance et de la Déportation n'est en somme que la forme la plus saillante d'un engagement large et prolongé. Nous savons, grâce à vous, que ces efforts sont féconds. La qualité de vos travaux consacre leur réussite. Je vous le dit au nom de l'Education nationale toute entière : c'est votre succès qui donne un sens à notre démarche.
Encore les qualités proprement scolaires ne suffisent-elles pas. Il y faut la passion. C'est toute la différence entre un simple devoir d'histoire et le travail plus libre, plus ambitieux, plus personnel que vous venez de soumettre. On se plie au devoir sans toujours en ressentir la nécessité. Dans vos travaux se lit au contraire la spontanéité et l'enthousiasme. Vous confirmez ainsi une de mes convictions profondes : il n'y a pas d'histoire sans battements de cur. Et s'il devait advenir que l'on se lance dans une recherche sans cette fascination initiale, eh bien, la recherche elle-même se chargerait de vous la communiquer. Si vous n'avez pas de tout temps admiré la Résistance, vous l'admirez maintenant. Voilà bien le sens que l'Education nationale donne à ce concours : entretenir la flamme de l'historien là où elle brûle, la faire brûler là où elle couve.
Une telle action porte ses fruits. Le président du jury vous a rappelé tout à l'heure l'essor du concours durant ces deux dernières années. Plus de quarante-cinq mille participants ! Quel meilleur démenti opposer à ceux qui craindraient que les notions de patrie, de citoyenneté ou d'engagement n'aient plus cours ?
La raison de ce succès, vous la connaissez tous : elle tient à la rencontre, si symbolique et si riche, entre des jeunes et des anciens, entre des esprits avides de comprendre et des âmes attentives à transmettre. Chaque année c'est une rencontre nouvelle, au gré des thèmes qui rythment ce Concours ; chaque année c'est une leçon de vie pour la jeunesse. Ce fut encore le cas cette année, avec une édition consacrée au souvenir des " Français libres ". J'ai pris connaissance de ce sujet avec une approbation personnelle toute particulière.
Permettez-moi de m'en expliquer. Il n'est pas contestable que la Résistance s'éloigne de nous ; et si des acteurs majeurs de cette épopée sont encore présents, s'ils mettent à témoigner une énergie magnifique, la période sort peu à peu de nos vies pour entrer dans l'Histoire. Au fil de cette évolution, la tentation se fait jour de donner à la résistance des limites plus vagues, une définition plus floue ; bref, de transformer cette réalité en un simple état d'esprit. Bien sûr, l'esprit de résistance est en lui-même admirable. Il ne faudrait pas, cependant, le galvauder.
Beaucoup de militants, engagés dans des causes diverses, et dont je ne conteste pas l'utilité, se proclament aujourd'hui " résistants ". Le sujet du concours, Les Français libres, fait justice de leurs prétentions. La France libre, ce sont des groupes d'hommes restreints, les pécheurs de l'île de Sein, les " 177 " du commando Kieffer, la 13 e demi-brigade de la Légion. Ce sont des noms - dont on peut faire la liste : Gary, Monclar, Leclerc, Koenig, Eboué, Cassin. Ce sont des sigles, des dates, des discours, une constitution. C'est un fait historique singulier, dont la grandeur épouse une définition relativement étroite et exigeante.
Il faut tenter de se replonger vers ces heures sombres et sans espoir apparent, ces heures où dans le ciel flottait l'étendard de la croix gammée, où s'installaient les camps de la mort, pour mesurer à sa juste valeur l'appel éclairant du 18 juin. Comme une flamme surgissant dans une tempête obscure, la voix du Général de Gaulle venait transpercer la nuit et le brouillard qui s'étaient abattus sur la France et le monde.
Oui, il faut se souvenir et s'instruire de cette période où tout semble perdu et vain, pour mesurer le sursaut d'orgueil et de courage de ces quelques femmes et hommes qui ne cédèrent pas sur les principes fondamentaux. Qu'il me soit permis ici de vous avouer une chose : lorsque je croise Pierre Messmer, je croise l'idée que je me fais de mon pays lorsqu'il se redresse pour défendre l'honneur de sa cause.
Mesdames et messieurs,
Si la France libre avait été un courant diffus, elle n'aurait pas la même portée. Circonscrite en temps, en lieu et en nombre, réduite à un nombre restreint d'acteurs côtoyant parfois la mort, elle porte à nos yeux une leçon générale.
Certains y ont trouvé un exemple de courage. D'autres, sensibles à la grande diversité des milieux, des origines voire des nationalités, en ont tiré une leçon de fraternité et d'humanisme. Tous en ont gardé le sentiment d'avoir rencontré, en personne, un peu de cette Histoire de France qu'ils sont invités à faire leur.
On parle volontiers de devoir de mémoire, souvent aussi de travail de mémoire et je crois volontiers que de telles expressions, chères aux mémorialistes, aux historiens et aux philosophes, disent bien la place décisive qu'occupe le souvenir dans la construction de soi, comme dans celle de la Cité. En tant que ministre de l'Education nationale, vous me permettez d'être sensible à cette notion de travail, que je crois indissociable de la vraie mémoire. Collective ou individuelle, la mémoire se travaille dans la durée : c'est la condition pour qu'elle devienne acte d'intelligence, acte de compréhension et d'engagement de soi.
Je sais bien, hélas, qu'il ne suffit pas de se souvenir pour prévenir, et l'actualité nous montre trop bien que la réminiscence des crimes d'hier ne décourage pas les exactions d'aujourd'hui. Mais je suis convaincu que l'éducation de citoyens responsables passe par la prise en compte de leur passé commun, et c'est pourquoi je continuerai pour ma part à prôner dans nos écoles le sens de la mémoire vivante que vous tous ici incarnez, chacun à votre façon.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 21 janvier 2005)