Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur la représentation des femmes dans la publicité, Paris le 13 janvier 2004.

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Circonstance : Remise du prix de la publicité paritaire à Paris le 13 janvier 2004

Texte intégral

Au moment où chacun s'accorde à refonder la société sur des valeurs de responsabilité et de dignité de la personne et où l'égalité s'affirme comme une valeur centrale de la démocratie, comment ne pas combattre les stéréotypes qui entretiennent dans notre société un anachronisme criant.
Ces stéréotypes, nous en mesurons chaque jour les effets négatifs dans les choix professionnels, les divisions persistantes des rôles sociaux mais aussi dans la culture d'autorésignation qui a longtemps privé les femmes d'une carrière professionnelle à la hauteur de leurs talents.
S'il fallait une illustration de la persistance de ces stéréotypes, nul doute que l'image des femmes véhiculée par les médias en constitue un exemple probant.
Or les médias sont à l'avant-garde de la société ; ils en constituent le reflet et ont donc une forte responsabilité à cet égard. Ils présentent encore en effet trop souvent des images comportant des risques d'atteinte à la dignité de la personne humaine et pouvant inciter à la violence envers les femmes. Pour ceux et celles qui sont confrontés à la maltraitance, ces images et les jeux de mots qui les accompagnent sont dangereuses car elles banalisent la violence et entretiennent le sexisme ordinaire.
Je voudrais rappeler aux publicitaires qu'ils peuvent réaliser de très bonnes créations sans recourir à des poncifs sexistes que des générations de femmes se sont efforcées de combattre en travaillant, en prenant des responsabilités et en s'engageant dans tous les domaines. Il y a ainsi un décalage inacceptable entre les stéréotypes à l'oeuvre dans certaines publicités et la richesse des rôles et des fonctions exercées par les femmes dans la société française.
La semaine dernière, le Sénat a adopté en première lecture un projet de loi portant réforme du divorce. Dans ce projet figure à l'article 22, à ma demande et pour la première fois en France, un dispositif prévoyant l'éviction du conjoint violent du domicile conjugal.
Ce dispositif était nécessaire pour protéger les femmes, car elles représentent 95% des victimes de violences conjugales, et que cette forme de violences envers les femmes est la plus répandue en France. D'après une enquête récente, les violences conjugales concerneraient en effet environ une femme sur dix vivant en couple, soit près de deux millions.
Or, à mon sens, les différentes formes de violences exercées le plus souvent par des hommes et contre des femmes ne font que traduire une vision et une conception inégalitaire et passéiste des rôles respectifs de l'homme et de la femme.
Et c'est bien là que la question de la publicité sexiste se pose avec toute son acuité, car la représentation faite des femmes dans les visuels et les slogans publicitaires imprègne chacun d'entre nous. Je dirais même que la publicité est un reflet de notre société, dont elle a parfois tendance à anticiper ou à exagérer les tendances et les évolutions
Au début des années 1990, la publicité montrait souvent des femmes actives, dans une image de réussite professionnelle ou d'activités personnelles et sociales valorisantes.
En revanche, depuis quelques années, on assiste malheureusement à un retour aux clichés les plus éculés montrant des femmes au foyer, dans des situations d'attente et de soumission par rapport aux hommes, ou utilisant leur plastique corporelle comme substitut à leur manque d'intelligence. Une célèbre marque de l'industrie alimentaire allait même jusqu'à préciser que les femmes disposaient, en tout et pour tout, de "7 minutes d'intelligence par jour".
Si je suis soucieuse de prévenir les incitations à toute discrimination portant sur le sexe ou l'orientation sexuelle des individus, je suis également désireuse d'éviter le recours systématique à la loi afin de ne pas alourdir inutilement notre arsenal répressif et de trouver la meilleure voie pour concilier la liberté de création et le respect de la dignité de la personne.
Le recours à la loi n'est cependant pas hypothétique; plusieurs parlementaires appartenant à la majorité comme à l'opposition ont récemment déposé des propositions de lois destinées à durcir l'arsenal répressif pour ce qui concerne les atteintes à la dignité ou l'incitation à la discrimination à raison du sexe. Pour ma part, je considère que le recours à la loi doit, dans ce domaine, être considéré comme l'arme ultime à n'utiliser que quand toutes les autres procédures ont échoué, et ceci pour deux raisons.
La première est que dans un domaine aussi subjectif, les délits seront toujours extrêmement difficiles à caractériser pénalement, alors même que le droit pénal est toujours d'interprétation stricte et qu'on ne peut condamner quelqu'un que si l'on a des preuves, et non pas sur une simple présomption.
La deuxième est que je crois profondément à la vertu du dialogue dans ce domaine. Le dialogue permet notamment aux pouvoirs publics de réaliser quelles sont les contraintes des professionnels de la publicité telles que la pression de la concurrence, les délais très courts ou la nécessité d'innover en permanence. Mais il permet aussi et surtout de mettre les professionnels devant leurs responsabilités en leur montrant comment un visuel publicitaire ou un slogan est réellement perçu par nos concitoyens, ce qui peut largement différer de l'intention du créateur de ce visuel ou de ce slogan.
Ainsi, en 2003, une campagne d'affichage menée par une société de travail intérimaire a suscité une avalanche de protestations car des messages qui se voulaient humoristiques et au second degré ont été pris au premier degré par la plupart de ceux qui les ont vus.
J'ai donc engagé la réflexion et la concertation avec les professionnels de la publicité peu après mon entrée en fonctions. Ces professionnels se sont montrés dès le départ très responsables et très désireux de faire avancer l'égalité hommes femmes dans la publicité. Grâce à leur participation, et je tiens à remercier très chaleureusement ceux d'entre eux qui sont présents aujourd'hui, cette démarche a abouti à la signature de la déclaration commune avec le Bureau de Vérification de la Publicité le 27 novembre 2003.
Cette déclaration commune prévoit notamment l'ouverture d'un espace de libre expression sur le thème de la publicité sexiste. Cet espace comporte notamment une ligne téléphonique dont le numéro est déjà arrêté et une messagerie électronique spécialisée qui est en cours de création. Un premier bilan des plaintes et des observations reçues sera établi de manière contradictoire avec le BVP, avant la prochaine journée internationale des femmes le 8 mars 2004.
Par ailleurs, j'ai obtenu en 2003 le retrait anticipé d'une campagne d'affichage d'une marque de lingerie bien connue ainsi que la modification de la vitrine d'un célèbre couturier dans une rue de Paris particulièrement passante. Cela montre bien que le combat pour une publicité moins sexiste et donc plus paritaire n'est pas un combat perdu d'avance.
Il n'en demeure pas moins que la publicité est une forme de création artistique et culturelle, ouverte à tous les talents et tout à fait indispensable à une société telle que la nôtre.
L'initiative de décerner un prix de la publicité "paritaire" revêt une place toute particulière. Dès notre première encontre en février 2003 avec Madame Isabelle GERMAIN, nous nous sommes rejointes, tant sur les analyses que sur les objectifs.
Madame GERMAIN s'était fait connaître par le passé notamment par son combat contre un slogan pitoyable, destiné à faire vendre une marque de crème : "Je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole". Il est évident que slogan prend une toute autre dimension quand on considère qu'une femme sur dix en France est victime de violences conjugales.
Mais l'initiative de l'Association des Femmes Journalistes d'attribuer à partir de 1998 un prix de la publicité paritaire renverse cette perspective qui, même si elle est juste, tend cependant à survictimiser les femmes.
Bien au contraire, au lieu de se limiter à pourchasser les publicités sexistes, au risque de passer pour des censeurs ou des moralisateurs, elle a eu au contraire l'intelligence de récompenser les publicités les moins sexistes, c'est à dire celles qui valorisent au maximum les femmes, leurs qualités, leur dynamisme et leurs spécificités et donc celles qui ne sont ni discriminantes, ni agressives, ni indécentes ni angoissantes pour les femmes.
En outre, l'action de l'AFJ ne se limite pas à promouvoir l'égalité professionnelle dans le seul secteur de la presse et des médias, mais concourt au contraire à l'égalité professionnelle dans son ensemble, parce qu'elle offre et qu'elle diffuse de manière instantanée une certaine vision de la société qui se communique aussitôt à l'ensemble des milieux professionnels et des milieux sociaux.
C'est la raison pour laquelle elle sonne particulièrement juste lorsqu'elle fustige les portraits de femmes politiques et de femmes chefs d'entreprise qui commencent immanquablement par des références à leur physique, à leur coiffure ou à leur tenue pour s'étendre longuement sur la difficile conciliation de leur carrière et de leur vie de famille, même parfois lorsque l'article ou l'interview est réalisé par une femme. Pour tout cela, je voudrais vous remercier solennellement et sincèrement, Isabelle GERMAIN, et à travers vous tous les membres de l'Association des Femmes Journalistes.
Je suis très donc légitimement préoccupée, dans le cadre des fonctions qui sont les miennes, par le recours de la publicité à des images dévalorisantes et humiliantes des femmes ou à des représentations dégradantes des relations entre les êtres humains.
A l'inverse, le visuel conçu par l'agence WONDERMAN pour la compagnie IBM concerne un produit informatique permettant à l'utilisateur de se connecter facilement à son réseau, au bureau ou en déplacement, via un câble ou sans fil, ce qui peut permettre de gagner un temps précieux. La cible visée est principalement constituée par les petites et moyennes entreprises. Le but ultime est aussi de montrer qu'IBM offre des solutions intelligentes pour optimiser le potentiel de chaque personne homme ou femme - et permettre ainsi un partenariat efficace.
L'aspect créatif de ce visuel réside dans l'analogie avec l'aviation pour exprimer la notion de mobilité. La personne est ainsi décrite comme le pilote, d'où le choix des couleurs qui rappelle les tenues des personnels des principales compagnies aériennes, et l'outil informatiques est décrit comme le copilote, venant soutenir et renforcer les compétences du pilote.
Vous conviendrez avec moi que cette représentation de la femme pilote contraste avec les représentations des femmes obéissantes, soumises ou réduites à l'état d'objet dont les publicitaires usent et abusent quel que soit le bien ou le service à vendre.
La publicité exerce une influence si déterminante sur nos concitoyens, et notamment sur les plus jeunes d'entre eux, qu'elle risque toujours d'aggraver les tensions existantes, voire d'en créer de nouvelles. C'est la raison pour laquelle elle se doit d'être exemplaire dans les domaines du respect de la dignité des personnes et de la lutte contre les discriminations. L'action de l'Association des Femmes Journalistes ne fait que renforcer, à travers l'attribution de ce prix, la lutte que les pouvoirs publics ont entamée afin d'enrayer dans notre pays la montée de l'intolérance et l'escalade de la violence. Qu'elle en soit sincèrement et chaleureusement remerciée au nom de toutes les femmes de France, notamment de celles qui souffrent et de celles qui espèrent.
Je compte pour ma part lancer au printemps une campagne de communication sur l'égalité entre les hommes et les femmes, présentant des images de femmes contemporaines, en accord avec la diversité de leurs ambitions et de leurs talents.
Et j'espère obtenir l'an prochain un prix spécial du jury décerné par l'association des femmes journalistes !

(Source http://www.social.gouv.fr, le 23 janvier 2003)