Interview de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse de l'éducation nationale et de la recherche, à RTL le 18 décembre 2003, sur la laïcité et le port des signes religieux à l'école.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

.-M. Aphatie-. Bonjour L. Ferry.
- "Bonjour. "
Nous avons besoin de pédagogie avec vous ce matin, ça tombe bien.
- "On va tâcher. "
Une loi réglementera dès la rentrée prochaine, septembre 2004, le port des insignes religieux à l'école, c'est ce qu'a décidé le chef de l'Etat, hier. Cette loi, qui a la charge de l'écrire au sein du gouvernement ? Est-ce vous, L. Ferry, ministre de l'Education ? Ou bien par exemple N. Sarkozy, ministre de l'Intérieur et des Cultes ou bien encore le garde des Sceaux ? Qui va l'écrire ?
- "Non, c'est moi qui vais l'écrire, et j'en suis très fier. Elle sera très présentée donc vraisemblablement en février, puisqu'il faut qu'elle soit applicable à la rentrée 2004."
En février, au Parlement ?
- "Au Parlement oui. Donc je me mets à travailler dès maintenant pour rédiger cette loi qui sera une loi très brève. Il s'agira d'un ou deux articles de loi, mais qui évidemment répond à un enjeu majeur. Je note d'ailleurs - je ne sais pas si vous étiez à l'Elysée hier ..."
J'étais téléspectateur du discours.
- "Mais à l'Elysée, comme le disait A. Duhamel tout à l'heure, le discours du président a été ressenti comme un très grand discours. C'est en effet au niveau de l'ampleur du débat qui avait eu lieu et de l'ampleur du sujet, la laïcité, la République, qui était posé. Et les applaudissements ne trompaient pas, c'est-à-dire qu'il y a eu vraiment un petit moment de ferveur et c'est vrai qu'il y a eu dans ce discours des aspects qui étaient assez passionnants et je dirais novateur de la part d'un Président de la République, par exemple, le fait tout simplement de citer l'affaire Dreyfus comme un des grands moments de notre histoire républicaine, comme un moment fondateur de notre histoire républicaine. Je crois que ce n'est pas arrivé souvent à l'Elysée et c'était je crois assez émouvant. D'autant que le cahier des charges était très difficile, puisqu'il s'agissait à la fois de rappeler les principes de la laïcité, de les rappeler donc très clairement, très fermement, et notamment de dire clairement que le voile et la kippa seraient désormais interdit à l'école. Mais il s'agissait aussi d'éviter de tomber dans une position, je dirais laïcarde et de stigmatiser les religions. Ce n'est pas facile à faire. "
Reprenons quelques-uns des propos que vous venez de tenir : cette loi sur les signes religieux à l'école sera spécifique ou bien - puisque le Président de la République en a parlé aussi - ce sera une loi générale sur la laïcité, donc que vous pourriez présenter par exemple avec le ministre J.-F. Mattei, qui traitera aussi des problèmes de l'hôpital ?
- "Non, il y aura une loi spécifique sur l'école, parce que c'est quand même le problème central, on le voit bien dans le débat qui a eu lieu cette année. Il y aura probablement des compléments - mais là, je ne veux pas m'avancer parce que ce sont mes collègues de la Santé ou de la Fonction Publique qui s'en occuperont - il y aura des compléments concernant l'hôpital en particulier. Mais l'essentiel, tout de suite, pour que ce soit applicable à la rentrée 2004, c'est de faire une loi sur les signes religieux à l'école et je pense que cette loi devra être reprise dans le cadre de la loi d'orientation qui verra le jour donc à l'automne 2004 ou au tout début 2005, évidemment dans un contexte plus large qui concernera l'ensemble des valeurs de la laïcité de la République. "
Donc une loi spécifique sur l'école, vous l'avez dit tout à l'heure, mais pouvez-vous préciser ? Beaucoup souhaitaient un texte simple et court. C'est possible de faire simple et court sur un thème aussi complexe ?
- "Oui, il faut un texte très simple et très court. Moi ce que j'avais toujours eu en tête, lorsque j'avais pu m'exprimer sur ce sujet, c'est qu'un professeur qui rentre dans sa classe ne doit pas se voir imposer de reconnaître qu'il y a, là, je ne sais pas à droite ou à gauche, le clan des musulmans, là, le clan des juifs, là, le clan des catholiques. Donc je pense que l'interdiction des signes ostentatoires ou ostensibles, peu importe le terme, est une bonne chose et qu'en revanche, il fallait éviter ce que certains demandaient, qui à mon avis était assez catastrophique et qui eut été à mes yeux inconstitutionnel, c'est d'interdit tous les signes religieux parce qu'il faut rappeler que l'appartenance à une religion n'est pas indigne et que même l'expression discrète de cette appartenance est parfaitement légitime y compris à l'école. Et donc je crois que la position du Président est une position d'équilibre et que chacun l'a bien compris. "
Un texte court, c'est combien d'articles ?
- "Un texte court à la limite ça peut être un article, peut-être en faut-il deux, peut-être trois, mais certainement pas plus. Donc ça doit tenir sur un feuillet. D'ailleurs il n'y a pas besoin que ce soit bien long. "
Peut-être sont-ils déjà écrits ?
- "Non, ils ne sont pas déjà écrits, parce qu'il y a plusieurs approches possibles. Celle que j'aurais tendance à privilégier, c'est celle que je viens d'évoquer à l'instant, c'est-à-dire le fait qu'on n'a pas besoin qu'un professeur, ni d'ailleurs aussi les autres élèves, n'ont pas à savoir a priori qui est juif, qui est musulman, qui est catholique. En revanche, les signes discrets doivent être autorisés. "
Alors, tout de même, est-ce qu'il y a une marge pour un débat ? La mission Debré souhaitait interdire les signes " visibles ". Le président de la République a repris la terminologie employée par la commission Stasi, les signes " ostensibles ". Alors, " ostensibles ", ça ne se discute pas ? Il n'y a pas d'amendement possible là-dessus ?
- "Si. Il y aura probablement une discussion sur les termes. En tout cas, il est clair que les signes visibles ne seront pas interdits. Seulement seront interdits les signes ostensibles ou ostentatoires. Personnellement, je préfère plutôt ostentatoires, mais enfin ça n'a pas grande importance, les deux mots se rejoignent. Pourquoi ? Parce que le mot " ostensible " à l'origine, vous savez que ça veut dire exactement le contraire de ce qu'on veut. C'est-à-dire que si vous regardez Le Petit Robert, la définition c'est "ce qui peut-être montrer sans inconvénient". Donc ça ne colle pas tout à fait avec ce qu'on a envie de dire. Et puis par ailleurs, dans le mot ostensible, il y a l'idée d'intention. Par exemple, quand quelqu'un approuve ostensiblement - donc qui hoche la tête fortement - c'est pour être vu. Il y a l'idée que c'est fait pour être vu. Est-ce qu'on peut dire que la kippa par exemple est faite pour être vue ? C'est en tout cas son sens théologique, donc peut-être qu'il y aura une discussion sur les mots. Mais enfin, ce n'est pas les mots qui comptent, c'est la chose. Et il est clair qu'en tout cas les signes ostentatoires seront interdits à l'école."
Vous êtes enthousiaste ce matin. Mais le 16 septembre, vous étiez devant la commission Stasi et vous avez dit ceci : " Je crois que pour régler dix cas de contentieux par an, c'est peut-être très lourd de faire une loi spécifique. " Alors, L. Ferry, ça s'appelle quoi ? Virage à 180° ?
- "Non. Vous étiez à la commission Stasi ? "
Non, mais je l'ai lue, enfin j'ai lu votre déposition.
- "Ce qui est étonnant, c'est que.... Enfin, je crois en tout cas, si vous reprenez mes déclarations sur le sujet, je n'ai cessé de dire que le problème n'était pas loi ou pas loi. Le problème c'est : quelle loi ? Je crois que le seul texte que j'ai publié sur le sujet, c'est un entretien dans La Croix. Et je pense que la question est la question du contenu de la loi. "
C'est peut-être très lourd de faire une loi spécifique ?
- "Je visais là, parce que c'était le contexte de la discussion, une loi qui eut interdit tous les signes religieux. Et je dis franchement, j'ai toujours été hostile à une loi qui eut interdit tous les signes religieux. Mais dès lors qu'on posait du problème de la loi en des termes différents, en disant "on peut interdire les signes ostentatoires, mais pas les signes discrets", la loi me convient parfaitement. "
Donc vous avez envie de faire cette loi, vous êtes plein d'allant, mais est-ce que vous serez encore ministre, parce que vous entendez ces rumeurs, on dit L. Ferry, il est peut-être sur un siège éjectable ?
- "Eh bien, écoutez, je vous conseille de lire aujourd'hui Le Parisien, qui rétablit les choses."
Dites-nous.
- "Je vous dis les choses très simplement, il est paru un article comme on dit "dans un quotidien du soir", disant qu'il y aurait un remaniement - ce qui n'est pas un scoop ; il finira bien un jour ou l'autre par y avoir un remaniement, puisqu'il y a des élections et qu'il y a un certain nombre de ministres qui sont candidats aux élections - et qu'évidemment j'étais dans le collimateur. Je peux vous dire que j'ai eu un démenti immédiat de la part du Premier ministre mais aussi devant une dizaine de ministres à l'issue du conseil des ministres, mercredi, de la part du président de la République, qui m'a dit que cet article était scandaleux et qu'il n'avait pas le moindre fondement. Voilà. C'est tout, mais cela dit..."
Et que donc vous êtes ministre pour un petit moment. C'est ça ?
- "Cela dit, qu'il y ait de l'intox, qu'il y ait un certain nombre de gens, qui aient intérêt à dire ça, ne vous surprendra sûrement pas. "
L. Ferry, ministre de l'Education, qui entend bien le rester encore un petit moment, était l'invité de RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 décembre 2003)