Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec les radios le 13, à "Elle" le 16 et à Europe 1 le 17 octobre 2000, sur l'évolution du processus de paix au Proche-Orient, notamment avec la réunion de Charm el Cheikh.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion de Charm el-Cheikh (Egypte) entre MM. Arafat, président de l'Autorité palestinienne, et Barak , Premier ministre israélien, les 16 et 17 octobre 2000, ayant abouti à un accord pour mettre fin aux violences israélo palestiniennes

Média : Agence Chine nouvelle - Elle - Europe 1

Texte intégral

Entretien avec les radios le 13 :
Q - Est-ce que l'Europe est en mesure d'agir pour la paix entre Israéliens et Palestiniens ?
R - Il faut arrêter l'escalade, reprendre le contrôle de la situation, qui est en train d'échapper aux uns et aux autres et reprendre la discussion sur le fond. La question du rôle de chacun est secondaire par rapport à cela. C'est d'abord leur responsabilité historique. Il ne faut pas parler de ces peuples comme s'ils étaient irresponsables. Leur destin n'est pas gouverné par les autres. Ni par les Américains, ni par les Européens. Nous pouvons faire tout ce que nous pouvons pour essayer d'arrêter les engrenages et de les convaincre de prendre d'autres directions, mais on ne peut pas se mettre à leur place.
Q - Dans le communiqué, il est fait mention d'un soutien de l'Union européenne à Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies. Il y a une semaine, vous aviez félicité -généreusement d'ailleurs - les Etats-Unis pour toute l'aide qu'ils avaient apportée pour cette première réunion notamment. Est-ce que cela signifie qu'aujourd'hui, les choses ont un peu changé et que seule l'autorité morale des Nations unies peut jouer un rôle ?
R - Non, c'est une combinaison de forces. La situation est, encore une fois, la même. Au bout du compte, même s'il y a des bonnes volontés partout dans le monde, ce sont les Israéliens et les Palestiniens et leurs dirigeants qui sont les premiers responsables de leurs actes et les premiers responsables devant l'Histoire. Les dirigeants sont responsables devant leurs peuples de la façon dont ils conduisent les choses et de la façon dont ils arrivent, ou non, à bâtir la paix. Et quand nous disons cela, nous savons bien à quel point c'est extraordinairement difficile, et donc courageux, de faire les arbitrages nécessaires à la paix. C'est le coeur de la responsabilité. Par ailleurs, dans le monde, il y a un certain nombre de pays mieux placés que d'autres pour apporter des contributions ; cela peut varier selon les moments, et selon la nature des sujets : on a vu le rôle de l'Egypte, on a vu le rôle de la France, on a vu le rôle de l'Union européenne en tant que telle, de la Présidence ou de ses envoyés, cela peut être le rôle des Nations unies, de M. Kofi Annan, c'est toujours le rôle des Etats-Unis qui sont en position centrale au Proche-Orient depuis, disons, au moins cinquante ans, c'est une évidence. Donc selon les moments, selon les jours et selon les semaines, tel ou tel est mieux placé pour apporter une contribution, donner des conseils, et je n'oublie pas les Russes ni les autres. Mais ce serait une erreur d'analyser la situation comme si elle changeait tous les trois jours, comme si tous les trois jours ou toutes les semaines, c'était un pays ou une entité différente qui brusquement allait faire la pluie ou le beau temps au Proche-orient. Donc ce sont les Israéliens et les Palestiniens ; le reste du monde en quelque sorte se donne la main par une sorte de chaîne de bonne volonté, et on se passe le relais les uns aux autres sans aucune vanité inutile ou recherche de posture ou de publicité. Ce n'est pas cela le sujet : il s'agit d'apporter un concours. Le drame actuel c'est qu'on voit bien que cela ne suffit pas, donc quand nous nous exprimons, nous soutenons toujours celui qui paraît le mieux placé pour être utile à un moment donné. Cela peut être nous comme l'Europe, cela peut être la France, là il nous semble que Kofi Annan apporte quelque chose, mais le message s'adresse, au-delà des facilitateurs, aux responsables principaux. Encore une fois on ne peut pas faire les choix historiques à la place des dirigeants israéliens ou des dirigeants palestiniens. Ce sont des peuples responsables, ce sont des dirigeants responsables dans tous les sens du terme.
Q - Quand vous évoquez dans le communiqué un point de non-retour : qu'est-ce que c'est un point de non-retour ? C'est à dire, est-ce que par exemple la nomination d'Ariel Sharon dans un gouvernement, c'est un point de non-retour parce que cela déclencherait l'embrasement général que vous redoutez ?
R - Le point de non-retour, quand on emploie cette expression, cela signifie un engrenage que, précisément, les responsables, je le mets entre guillemets, ne contrôleraient plus. Donc il peut y avoir des enchaînements passionnels du fait que plus personne n'est tout à fait sûr de la situation ainsi créée.
Q - Et aujourd'hui, est-ce que vous pensez que MM. Arafat et Barak contrôlent, et peuvent contrôler le tout ?
R - Et bien, c'est ce que nous verrons dans les prochaines heures et dans les prochains jours. Et je crois que personne de l'extérieur ne peut répondre de façon totalement sûre à cette question. J'espère que oui. Je souhaite que oui. J'espère et je souhaite qu'ils soient conscients de toutes leurs responsabilités et qu'ils n'oublieront à aucune minute qu'au bout du compte ils seront jugés sur la capacité à bâtir la paix de deux peuples dont le destin est inévitablement lié. Donc c'est sur cette paix, cette coexistence qu'au bout du compte ils seront jugés. Mêmes si toutes sortes de forces se mettent en travers de cette nécessité historique.
Q - Est-ce que la présence de Shimon Pérès dans les couloirs du Casino a permis de faire une avancée pour la réunion d'un sommet et l'apaisement de la situation ?
R - Il n'y a pas eu de présence de M. Shimon Pérès dans les couloirs du Casino de Biarritz. M. Shimon Pérès n'a pas participé aux travaux du Conseil européen, en aucune façon. M. Shimon Pérès a fait un voyage dans les pays d'Europe, dont la France. Il a été reçu par le président de la République, par le Premier ministre, il est tout à fait respecté, ses avis sont toujours écoutés avec beaucoup d'attention, mais il n'a pas participé aux travaux du Conseil européen. Et les discussions qui ont eu lieu au sein du Conseil européen sur la question du Proche-Orient ont eu lieu à partir du rapport de M. Javier Solana, que j'ai envoyé au Proche-Orient lundi - nous l'avons décidé au Conseil Affaires générales de Luxembourg - qui a vu tous les protagonistes dans tous les pays, qui nous a exposé la situation, ses conclusions, et c'est là-dessus que nous avons travaillé, c'est tout.
Q - Est-ce que vous prévoyez demain une rencontre à trois au sommet ?
R - Je n'en sais rien, je ne peux pas décider à la place des participants, je ne suis pas devin, simplement je pense qu'une rencontre au sommet est indispensable de façon urgente.
Q - Lorsque Lionel Jospin dit que la France a fait discrètement connaître sa position vis-à-vis d'une possible visite d'Ariel Sharon en France, est-ce que cela signifie qu'on a mis un veto ou qu'on a refusé un visa à M. Sharon ?
R - Non, cela signifie qu'on a fait savoir discrètement ce que l'on en pensait./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2000)
Entretien avec "Elle" le 16 :
Q - Il y a le discours officiel du ministre et ce que l'on ressent. Comment avez-vous réagi intimement à la chute de Milosevic ?
R - Ce jour-là, je recevais le ministre hongrois des Affaires étrangères. Au lieu de l'entretien traditionnel prévu, je l'ai pris par le bras et nous avons suivi en direct les images sur CNN. Ce qui a dominé chez moi, c'est l'admiration pour le peuple serbe, qui s'est libéré par lui-même. Et puis j'ai ressenti une certaine jubilation en pensant à toutes les années de travail diplomatique que cela représente pour nous. Mais, dans la seconde qui a suivi, le sens de la responsabilité a repris le dessus. Un ministre des Affaires étrangères est un peu comme un aiguilleur du ciel, il ne peut pas arrêter une seconde. Il faut penser aux conséquences, anticiper, se concerter avec les autres ministres européens.
Q - Qu'a ressenti l'homme Védrine devant les violences au Proche-Orient ?
R - Une rage froide contre la provocation calculée d'Ariel Sharon qui s'est rendu sur l'Esplanade des Mosquées, et une infinie compassion pour les victimes palestiniennes et israéliennes. Mais je peux comprendre à la fois la douleur et la colère palestiniennes, et la psychose d'une partie de l'opinion israélienne qui a craint une insurrection. La France ne doit pas être juge, elle ne doit pas choisir un camp contre l'autre, mais être guidée par un seul souci : comment être utile ?
Q - Votre fonction vous oblige-t-elle au self-control permanent ?
R - Je n'ai pas à me faire violence. Rester impassible dans une négociation est dans mon tempérament. Je ressens les choses intensément, mais je n'aime pas trop l'étalage des sentiments. Dans ce domaine, je suis plutôt du genre "british". Je suis de l'école "romanesque", pas "romantique".
Q - Lorsqu'on voit Madeleine Albright, la secrétaire d'Etat américaine, on se dit qu'en France les femmes ne sont pas légion dans la diplomatie...
R - C'est vrai qu'elles sont peu nombreuses à choisir cette carrière. Je le regrette. Mais elles ont les mêmes chances que leurs collègues hommes d'arriver aux plus hauts postes... C'est parfois difficile pour elles de prendre des postes à l'étranger pour des raisons familiales. Plus généralement, il y a de moins en moins de couples qui souhaitent partir, car les épouses ne veulent plus renoncer à leur carrière en France... Du coup, nous avons de plus en plus d'ambassadeurs célibataires. (...)./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2000)
Entretien avec Europe 1 le 17 :
Q - Hubert Védrine, est-ce que vous avez le sentiment que cet accord, qui est un accord, disons, verbal, parrainé essentiellement par Bill Clinton, va ramener le calme ? Cela n'a pas été le cas aujourd'hui, pensez-vous que cela sera le cas dans les jours qui viennent ?
R - Je pense que c'est déjà un résultat. Ce n'est pas un accord au sens classique du terme, ce n'est pas un document signé, pas plus qu'il n'y en avait eu à Paris il y a quelques jours mais ils ont tout de même parlé 17 heures, je crois, dans différentes configurations. Ils arrivent à une déclaration du président des Etats-Unis, qui tient lieu de communiqué, dans laquelle il y a un certain nombre de points précis qui ont été rappelés par François Clémenceau il y a quelques minutes. Cela montre que, de part et d'autre, ils sont conscients du fait que, s'ils laissent les choses aller, le contrôle va leur échapper complètement. Et cela, c'est quand même un élément. Il y a une volonté de faire quelque chose. Chacun doit tenir compte d'une émotion intense, extrême, de part et d'autre. Donc, il y a une situation qui est politiquement très difficile pour Barak, comme pour Arafat. Pour moi, c'est déjà un résultat. Il faut comparer cette situation avec celle dans laquelle on serait s'ils n'avaient même pas pu se réunir, s'ils n'avaient pas accepté de venir, comme on l'avait dit avant, ou une situation dans laquelle il n'y aurait aucune espèce d'agrément, même incomplet.
Q - Mais considérez-vous ce soir qu'il ne va pas y avoir une sorte de bougie avec une flamme extrêmement fragile qui va vaciller dans le vent encore pendant quinze jours jusqu'à la réunion de Washington, c'est-à-dire que tout est possible... ?
R - Tout reste possible et ce qui s'est passé ces derniers jours et ces dernières semaines est terrible. Ce n'est pas dans quinze jours, c'est dans les prochaines heures ou dans les tout prochains jours que l'on va voir si l'engagement pris, c'est-à-dire cet engagement global pour le retour au calme qui se décompose en une série d'actes particuliers, de gestes et de mots, est véritablement endossé par chacun des deux responsables. Cela, c'est l'épreuve de vérité par rapport à cet engagement qui vient d'être pris. Je ne peux pas répondre à leur place. Je n'en sais rien, personne ne sait à leur place. Ce soir, je vais voir Kofi Annan et Javier Solana qui vont s'arrêter à Paris dans la soirée, pour faire un point plus complet. Mais cela ne dépend pas d'eux non plus. Maintenant, cela se passe à l'intérieur du monde israélien, à l'intérieur du monde palestinien. S'ils prennent au sérieux complètement cette position d'engagement global, si l'on y ajoute ce qu'a dit le président Clinton sur la question de la commission - ils ont tourné des difficultés pour arriver à une commission qui serait constituée par les Etats-Unis, avec les Israéliens et les Palestiniens, en consultation avec le secrétaire général des Nations unies, pour recueillir des informations des semaines écoulées ; c'est une commission d'enquête sans l'être, tout en l'étant - il y a une sorte d'ouverture qui pourrait permettre de répondre aux exigences des Palestiniens et aux prudences des Israéliens sur ce point. C'est une chose. Si par ailleurs, ce rendez-vous dans quinze jours prend consistance, on peut peut-être commencer à remonter la pente mais, à ce stade, je suis obligé de rester très prudent.
Q - Je l'imagine, surtout avant la réunion de ce soir. Considérez-vous ce soir que l'on peut encore discuter avec Arafat, étant donné qu'il y a du côté des Palestiniens des gens qui ne sont pas sur les mêmes positions que lui et qui le disent clairement ce soir, après la signature de l'accord ?
R - C'est aussi le cas en Israël...
Q - On ne l'a pas entendu pour l'instant. On n'a pas entendu de signes discordants par rapport à la position de Barak. Même s'il y a des gens qui le pensent, il ne l'ont pas dit...
R - Il y a quelques jours que M. Barak a commencé à parler d'un gouvernement d'urgence nationale, en distinguant avec un gouvernement d'union nationale. M. Sharon a commencé à dire qu'il n'entrerait dans un gouvernement d'union nationale que si M. Barak renonçait aux efforts pour le processus de paix. C'est un désaccord central. Dans ce genre de situation, quelles que soient les contestations, et quels que soient les sentiments des uns et des autres, vous n'avez pas le choix. Les Palestiniens n'ont pas d'autre choix que de parler avec M. Barak, c'est lui qui est là. Les Israéliens n'ont pas d'autre choix que de parler avec Yasser Arafat. Et à mon avis, ils n'ont pas d'autre choix que de se parler, tout court. Ils sont de toute façon là, quoi qu'il arrive.
Q - Qu'est-ce qu'il y a de fondamentalement différent entre ce qui a été obtenu par le président Clinton à Charm el-Cheikh et ce que Madeleine Albright et les autorités françaises ont obtenu il y a treize jours à l'Elysée, lorsque les différentes parties se sont retrouvées après quelques heures de négociations à Paris ?
R - Il me semble, sous réserve de confirmation, qu'il y a un degré de formalisation plus grand. Il y a un degré de visibilité et de faisabilité à travers cette annonce par le président Clinton, alors que Mme Albright n'avait pas été en mesure de le dire, même au nom des participants. Il y a cette notion du rendez-vous dans quinze jours, s'il est confirmé, qui est un élément supplémentaire. Il y a cette formulation un peu alambiquée que j'ai citée il y a un instant sur cette forme de commission - là, il n'y avait même pas le début du commencement d'un arrangement, même de compromis. Donc, il me semble qu'il y a là un peu plus. Et entre temps, il y a quelques jours pendant lesquels la tension s'est maintenue et chacun a pu mesurer les conséquences de la poursuite de cette situation et mesurer l'abîme par rapport à cela. Je crois que le résultat de ce que je n'ose pas appeler un accord - cela dépend de la façon dont cela sera appliqué -, ce constat par le président Clinton de l'engagement des uns et des autres pour le retour au calme, tout cela représente quelque chose. De toute façon, on n'a pas d'autre choix que de persévérer. Même si l'on avait des interrogations et une lecture sceptique, on n'aurait pas d'autre choix que de dire : "il faut consolider cela". Dans les prochaines heures, nous, en tant que diplomatie française et en tant que Présidence européenne en exercice, nous allons utiliser tous nos moyens d'influence...
Q - C'est-à-dire ? Parce que, justement, tout se joue aussi dans les heures qui viennent, vous venez de le dire. Alors, qu'est-ce qui va se passer ?
R - Cela veut dire que nous allons avoir des contacts avec les uns et les autres pour leur dire : "maintenant, sachez que l'Europe attend de vous que vous teniez le plus vite possible ces engagements pour le retour au calme, sur chacun des points. Vous n'avez pas été à Charm el-Cheikh discuter pendant 17 heures ni accepter que le président Clinton dise cela en quelque sorte en votre nom pour après rebondir ou échapper à tel ou tel engagement. Il faut les tenir d'urgence de façon visible, et pas que les gestes". Je crois que l'une des choses qui manque depuis le début, je l'ai dit à plusieurs reprises, c'est qu'il manque des mots d'Arafat adressés aux Israéliens et qu'il manque des mots de Barak adressés aux Palestiniens, et qui intègrent cette notion que de toute façon ils sont côte à côte et qu'ils devront forcément coexister, quoi qu'ils pensent en ce moment. Je crois que cela manque. Il y a des choses que chacun doit dire de son côté, en quelque sorte, et ils doivent se parler. Ils doivent se reparler. Là, il se sont reparlé quand même, très peu, mais quand même.
(...)
Q - Pardonnez-moi, vous les avez vus de nombreuses fois, François Rey en reparlait de Paris l'autre mercredi puis ces dernières années, vous les avez vus. Est-ce que vous avez vraiment le sentiment qu'ils sont en train de jouer à un jeu qui pourrait les rapprocher ou que tout cela est un gigantesque marché de dupes ? Parce que quand on vous avait vu avec le président Chirac, quand on vous avait vu avec Madeleine Albright, quand on vous avait vu sur la chaise derrière les deux, on a cru à un moment l'autre jour que cela y avait, que quelque chose était engagé et puis en pleine nuit tout a basculé. Alors quelle est la vérité là-dedans, pas la nôtre, mais la leur ?
R - Cela fait huit ans que le processus de paix est engagé, donc je pense que les Israéliens ont accepté l'idée du processus de paix alors qu'ils l'avaient constesté pendant des décennies. Il y avait beaucoup d'Israéliens pendant longtemps pour dire qu'il n'y a même pas de peuple palestinien et qui récusaient complètement l'idée et quand François Mitterrand disait en 1982 qu'il fallait qu'ils se reconnaissent comme interlocuteurs et entrent dans le processus de négociations, qu'un jour il y aura un Etat palestinien, les autres sont tombés à la renverse en entendant cela.
Vous vous rendez compte du chemin parcouru. Donc, s'ils ont parcouru ce chemin, c'est bien qu'il y a une sorte d'intérêt logique, supérieur, historique et plus grand que les émotions même paroxysmiques et du côté palestinien, pensez à tous ces gens qui ont récusé l'existence même de l'Etat d'Israël, ils déniaient tout droit à la sécurité, considéraient que les Israéliens, de toute façon, n'allaient que réprimer les foules palestiniennes et étaient incapables de se parler, même s'il y a eu des deux côtés depuis des décennies, des gens extrêmement courageux qui ont parlé, qui ont été prémonitoires, qui n'ont pas été assez prophètes précisément, ils n'ont pas été entendus assez tôt.
Donc, je me dis que, si malgré cette situation, inextricable sur le fond, il s'est trouvé des forces de dialogue pour entrer dans ce processus en huit ans et s'il a continué malgré les trous d'air, c'est qu'il y a une force de la coexistence et un jour une force de l'entente qui est, au bout du compte, plus forte que tous les éléments d'antagonisme et de rejet.
Q - Voici le sentiment des gens qui téléphonent ce soir brièvement.
Il y a une question de fond presque historique que l'on aimerait vous poser tous les trois. Qu'en est-il exactement de cette affaire que Chirac aurait été du côté d'Arafat et pas du côté de Barak ?Et c'est vraiment une histoire qui prend une tournure particulière en France, même pour le climat qui est très particulier. Alors que s'est-il passé ? Et merci de nous répondre, comme d'habitude, avec beaucoup de franchise.
R - Je ne suis pas là pour faire l'histoire minutée de cette journée qui s'est passée essentiellement à la résidence de l'ambassadeur des Etats-Unis. Ce qui s'est passé à l'Elysée était extrêmement court, c'était une séance courte dans laquelle chacun a dit quelques mots et ce n'est pas là où l'on peut trouver l'explication de ce qui s'est passé ce jour-là.
Q - Il y a eu de nombreux contacts téléphoniques quand même entre le président de la République, M. Arafat et M. Barak ?
R - Oui, bien sûr. Mais les débats avaient lieu à l'ambassade des Etats-Unis avec Madeleine Albright, allant de l'un à l'autre, réussissant à les rassembler à certains moments, pas à d'autres et ce qui s'est passé avant et ce qui s'est passé depuis, et la difficulté de Charm el-Cheikh montre que les difficultés de fond sont ailleurs de toute façon. Il ne faut pas faire de surinterprétation, toujours, parce qu'à un moment donné il y a tel ou tel épisode qui paraît lié à la France, ce n'est pas une bonne analyse sur le fond.
Q - Comment voulez-vous que la France joue un rôle sur la scène internationale dans ce conflit sachant que la politique du gouvernement "ait une certaine forme", la politique du Quai d'Orsay ait une autre forme, Jospin on a vu ce qu'il a dit, le Hezbollah ce sont des terroristes, il a pris des cailloux et Chirac est pro-Arafat , donc tout cela c'est tellement une cacophonie qu'il n'est pas possible d'avoir autre chose.
R -Il y aurait beaucoup à dire , mais je crois que cela ne se présente pas comme cela. Pas du tout comme cela.
1/En fait, depuis une cinquantaine d'années, la seule puissance qui avait une influence vraie au Proche-Orient, ce sont les Etats-Unis. Il apparaît que nous n'avons perdu aucune espèce d'influence, parce que depuis très longtemps, en fait il y a eu deux superpuissances, les Etats-Unis et l'Union Soviétique jusqu'en 1990 et après 1990 il n'y a plus que les Etats-Unis. Et les autres pays ont des points de vue, ils ont des positions, ils ont même des controverses par rapport à cela. Mais la réalité historique, que l'on peut déplorer, que l'on peut s'employer à corriger - ce que nous faisons -, fait que les Etats-Unis étaient centraux par rapport à cela.
2/ Nous sommes dans une situation de cohabitation, qui n'est certainement pas bonne théoriquement, mais que les électeurs ont créé par leurs votes et le Premier ministre comme le président de la République ont à coeur de faire en sorte que la position de la France soit claire, nette, respectée ; je crois que c'est le cas dans le monde. Y compris sur ces sujets, ceux qui doivent parler pour élaborer une position française qui tiennent le choc par rapport à des situations difficiles.
Je crois que nous y arrivons, y compris sur ce sujet extrêmement délicat. Sinon, on n'aurait pas constaté ces dernières semaines, c'est à dire depuis Camp David à la mi-août, où M. Barak a fait des ouvertures audacieuses et les Palestiniens aussi. On n'aurait pas constaté que, en-dehors des Israéliens, des Palestiniens, cela c'est normal, des Etats-Unis qui sont au centre du jeu depuis 50 ans et des Egyptiens, la France était le seul pays qui était associé aux discussions des uns et des autres, par des coups de téléphone incessants, que ce soit au président de la République, au Premier ministre ou à moi, par des visites à Paris, par des échanges de papiers ; je ne veux pas entrer dans les détails, mais tous ceux qui suivent cela, notamment les journalistes spécialisés, ont suivi ces épisodes. Pourquoi, la France a su, je crois, dépasser progressivement les clivages anciens, c'était utile de s'en rappeler, sur certains points mais nous ne sommes pas dans cette situation. La France a su conquérir une relation qui est, par exemple, pour corriger un peu ce qui a été dit : le Président de la République a une relation étroite et suivie avec M. Barak, il peut y avoir des désaccords, mais cette relation est étroite et suivie. M. Jospin a une relation ancienne et forte avec M. Yasser Arafat pas uniquement avec les travaillistes israéliens.
Donc, finalement, tous ces potentiels ce sont additionnés pour former une position française qui est forte. Aujourd'hui si M. Javier Solana, le haut-Représentant pour la Politique étrangère européenne, est pour la première fois dans une réunion tenue sous la présidence de M. Bill Clinton, il y en a huit, c'est la première fois qu'il y est. Il y est parce que c'est la Présidence française qui l'a demandé et qui l'a obtenu de ses protagonistes parce que la France aujourd'hui a conquis une position de respect de la part de tous les protagonistes. C'est assez loin de ce que les gens redisent ces jours-ci sous le coup de l'émotion.
Q - Avant de marquer une pause, je voudrais vous demander une ultime précision par rapport au développement que vous venez de faire. Est-ce que finalement, on pourrait constater en vous écoutant que c'est parce que l'on se rapproche de plus en plus de la paix qu'il y a du côté des extrémistes des deux camps de plus en plus de violence ?
R - Je crois que c'est une partie de l'explication et malheureusement on l'a vu dans le passé à plusieurs reprises même avec des assassinats. On l'a vu au moment de Sadate, on l'a vu avec Rabin, là ce n'est pas un assassinat direct du dirigeant, mais enfin cela a engagé un engrenage où il y a plus de cent morts. C'est vrai que quand l'accord de paix se rapproche, se posent des questions tellement terribles dans chaque camp où il y a des sacrifices à faire, qu'il y a des extrémistes, en tout cas des gens qui refusent ce type de paix qui se préparent et qui sont prêts à presque tout pour le bloquer. Malheureusement, il y a un lien./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr le 18 octobre 2000)