Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, à Strasbourg le 17 et interview aux "Dernières Nouvelles d'Alsace" du 17 octobre 2000, sur l'action de l'Eurocorps au Kosovo et sa coopération avec l'OTAN.

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Circonstance : Retour du Corps européen du Kosovo à Strasbourg le 17 octobre 2000

Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

Texte intégral

Monsieur le Haut représentant du secrétaire général de l'ONU,
Mes chers collègues,
Mon général,
Messieurs les officiers,
Mesdames, messieurs,
C'est pour moi un honneur d'avoir l'occasion aujourd'hui, au nom de mes collègues et de nos cinq gouvernements, de féliciter le général Ortuno et l'état-major du Corps européen pour la mission accomplie au Kosovo.
C'est une émotion toute particulière, de rendre cet hommage ici, à Strasbourg, siège du Corps européen parce que ville emblématique entre toutes de l'Europe, de son histoire, de ses déchirements et aujourd'hui symbole de ses institutions et de son avenir.
Vous avez, mon général, répondu au Kosovo avec succès à un défi qui était particulièrement ambitieux parce que sans précédent : c'était la première fois que votre état-major était utilisé comme noyau d'état-major d'une opération, c'était aussi la première fois qu'une structure européenne multinationale était utilisée pour commander une opération de l'OTAN.
C'est en juin 1999, moins d'un an avant votre départ pour Pristina, que les autorités politiques des cinq Etats membres du Corps européen ont décidé d'adapter le Corps au nouvel environnement stratégique de l'Europe. Nous avions constaté que le cadre d'engagement le plus probable serait celui de la gestion de crise et nous avons souhaité que le Corps européen puisse être employé, soit en tant que corps de réaction rapide avec des unités à haut niveau de disponibilité, soit sous forme de noyau d'état-major de force de niveau corps d'armée. C'est ce que vous avez fait au Kosovo.
Le Corps européen avait déjà eu une expérience multinationale en participant aux opérations en Bosnie jusqu'à l'automne 1999. Mais le Kosovo représentait un défi d'une tout autre dimension : fournir pendant six mois le noyau de l'état-major d'une force de 45000 hommes, provenant de 39 nations différentes.
J'ai pu constater, comme mes collègues, lors de nos visites à Pristina, avec quelle compétence et quel élan le général Ortuno et les 350 hommes et femmes du Corps européen accomplissaient leur mission. Au-delà des appréciations positives unanimes de tous les alliés, les faits sont là. Depuis le 9 avril, la KFOR a parfaitement joué son rôle avec la MINUK au Kosovo :
- la coopération entre la KFOR et la MINUK, au coeur de votre action, a fait des progrès décisifs,
- la criminalité entre communautés a continué de baisser,
- la normalisation des rapports avec les anciens partisans de l'UCK s'est poursuivie,
- le retour des réfugiés serbes s'est amorcé,
- les élections en RFY et leur heureux dénouement n'ont provoqué aucun trouble.
Tout au long de cette période de responsabilité, le commandement de la KFOR a illustré la volonté européenne d'employer la force nécessaire pour établir des rapports civils conformes à nos valeurs, tout en maîtrisant l'usage des armes pour éviter la surenchère de la violence et la radicalisation.
Je voudrais particulièrement souligner les excellentes conditions dans lesquelles la KFOR a pris le contrôle d'un complexe industriel à la demande de la MINUK au mois d'août.
L'exploitation de cette usine de production de plomb dans une zone majoritairement serbe, dans des conditions inhumaines, à quelques kilomètres de Mitrovica, mettait en grave danger la santé de tous les habitants de la région. Son arrêt d'activité était nécessaire. C'était une opération délicate, à mener avec précaution et intelligence pour éviter des troubles. Cette opération fut parfaitement gérée par la KFOR.
Votre succès opérationnel est, pour les gouvernements de vos cinq nations, un succès politique. Cette mission nous avait été confiée par une décision des 19 membres de l'Alliance atlantique. Nos alliés nous ont témoigné leur confiance en acceptant qu'une formation européenne conduise l'opération la plus importante de l'OTAN sur le terrain avec, notamment, des soldats américains sous son commandement.
Vous avez offert, mon général, l'éclatante illustration du fait qu'une Europe de la Défense forte et capable pouvait naturellement servir les intérêts de l'OTAN en mettant à sa disposition des outils performants.
Le retour de l'état-major du Corps européen du Kosovo marque sans aucun doute un jalon très important dans la crédibilité militaire de l'Europe de la Défense que nous sommes en train de construire. Fort logiquement, le Corps européen devra d'ailleurs occuper une place de choix dans la capacité militaire européenne que nous construisons actuellement.
Dans quelques semaines, à Bruxelles, tous les ministres de la Défense de l'Union européenne se réuniront pour la première conférence d'engagement de capacités. Il s'agira pour chacun d'entre nous de déclarer les forces que son propre pays est prêt à mettre à la disposition de l'UE pour accomplir les missions de maintien ou de rétablissement de la paix prévues par le Traité d'Amsterdam. A n'en pas douter, le Corps européen sera un élément de choix de la contribution de ses cinq Etats membres, aussi bien comme corps de réaction rapide, que comme état-major de force terrestre.
Nous souhaitons également que le Corps européen puisse figurer parmi les corps de réaction rapide à la disposition de l'Alliance atlantique pour les cas où ce ne serait pas l'Union européenne, mais l'Alliance atlantique qui agirait.
Mon général,
L'excellence de votre travail, votre grande valeur et celle de vos hommes sont non seulement pour nous une source de fierté, mais elles nous permettent également de bâtir un nouveau pan de l'Europe de la Défense. Vous avez, pour la première fois, démontré sa réalité opérationnelle sur un terrain difficile, en faisant preuve d'un savoir-faire qui n'est partagé que par quelques très rares quartiers généraux dans le monde.
Au nom de mes collègues, ici présents, je vous en félicite et vous en remercie et j'en félicite et en remercie personnellement chacun des soldats placés sous vos ordres.
Par ma voix, par la présence des autorités réunies ici, ce sont les citoyens qui rendent hommage à votre action qui marque une étape mémorable de la réalisation de l'Europe de la Défense.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2000)
L'Etat-major de l'Eurocorps rentre du Kosovo. Quels enseignements, monsieur le Ministre, tirez-vous de cette expérience ?
Des enseignements tout à fait positifs, d'un point de vue opérationnel comme politique. Sur le plan opérationnel, l'état-major du Corps européen a su démontrer qu'il avait parfaitement la capacité de conduire une force terrestre d'un niveau de corps d'armée, dans un contexte difficile. Il a su commander une force composée de 45000 hommes provenant de 49 nations différentes. C'est un savoir-faire qui n'est partagé que par quelques états-majors dans le monde.
J'avais été très favorablement impressionné lors de ma visite à l'état-major de la KFOR au Kosovo au mois d'août. Aujourd'hui, tous les alliés partagent notre appréciation très positive de la façon dont le général Ortuno et son équipe ont accompli leur mission.
Les enseignements politiques sont très importants aussi. Il faut se souvenir que, si l'état-major du Corps européen a conduit la KFOR, c'est parce que les dix-neuf membres de l'Alliance atlantique l'avaient demandé. C'est une structure purement européenne qui a été mandatée par l'Alliance pour conduire son dispositif actuel le plus important et qui comprend notamment des forces américaines. C'est à la fois un témoignage de confiance envers l'Europe de la Défense et une reconnaissance au plus haut niveau de la crédibilité militaire de notre action. C'est pour cela que nous sommes particulièrement satisfaits du succès de l'état-major de l'Eurocorps.
Depuis sa création, l'Eurocorps a vu ses missions évoluer. Quelle peut être sa place demain dans la politique européenne commune de sécurité et de défense ? Un état-major multinational, capable de puiser dans un " réservoir de forces ", ou une force intégrée permanente ?
L'Eurocorps a été crée en 1992 et je rends hommage à la prescience de ceux qui ont conçu ce projet il y a dix ans. Depuis huit ans, la situation stratégique a considérablement évolué et l'Europe de Défense est née. Les cinq Etats membres ont décidé en juin 1999 d'adapter leur outil commun à cette nouvelle donne. Il sera désormais destiné essentiellement à la gestion de crise régionale, il doit pouvoir s'engager soit en tant que noyau d'état-major de force terrestre - c'est ce que nous venons de faire au Kosovo - soit en tant que corps de réaction rapide.
Cet outil aura naturellement une place de choix dans les capacités dont nous sommes en train de doter l'Union européenne. Je vous rappelle que notre objectif est de savoir déployer en 60 jours et de soutenir pendant au moins une année une force de 60 000 hommes, militairement autosuffisante et dotée des capacités nécessaires de commandement, de contrôle, de renseignement et de logistique. Le Corps européen nouveau a vocation à être au coeur du système.
Mais attention, il ne s'agit pas d'une " force intégrée ", pour reprendre votre expression. Nous ne voulons pas créer une armée européenne, pas plus qu'il n'existe une armée de l'OTAN. Nous voulons nous donner les moyens de faire travailler ensemble des armées européennes qui demeureront sous contrôle national.
Les pays européens sont-ils désormais sur la même ligne par rapport à l'OTAN ?
Les relations avec l'OTAN ont évolué très favorablement. Nous avons fixé, à quinze, au conseil européen de Feira de juin, les principes fondamentaux des relations entre l'UE et l'OTAN. Ils consacrent en particulier l'autonomie de décision de l'UE, la différence de nature entre les deux organisations (l'Union ayant une gamme de compétences beaucoup plus large), la base des relations organisées entre les deux institutions : déterminer quelle est la réponse militaire la plus appropriée en cas de crise.
Nous sommes en train de mettre en oeuvre ces principes. Cela suscite naturellement des discussions, mais qui se déroulent dans un climat constructif et favorable. Nos alliés américains soutiennent désormais clairement la construction de l'Europe de la Défense qui n'est plus perçue comme une concurrence à l'Alliance, mais comme une opportunité de renforcer le lien transatlantique sur une base plus équilibrée.
La diversité des matériels, des systèmes d'armes, des systèmes de transmission à été un vrai souci pour l'expérience de l'Eurocorps. Sur ce plan, quels progrès attendre de la PECSD ?
Vous soulevez à juste titre le problème de l'interopérabilité de nos forces. C'est un problème qui se pose aussi bien pour l'UE que pour l'OTAN. Afin de travailler efficacement ensemble, nos forces doivent disposer d'équipements compatibles, si possible similaires. Nous prenons bien sûr en compte cette donnée dans notre travail de mise sur pied d'une capacité européenne. Par exemple, sept pays de l'UE ont décidé en juillet de se doter d'un avion de transport stratégique européen, l'Airbus A 400 M. Disposer du même transporteur facilitera considérablement le déploiement des forces. Mais nous devons également nous entraîner ensemble pour harmoniser aussi les procédures et les organisations. A cet égard, les enseignements du Kosovo seront précieux pour l'Eurocorps.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 octobre 2000)