Déclaration de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur la politique en faveur des industries musicales, notamment la protection des droits de la propriété artistique et intellectuelle, la contrefaçon et l'offre en ligne du marché musical, Cannes le 25 janvier 2004.

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Circonstance : MIDEM à Cannes le 25 janvier 2004

Texte intégral

Monsieur le Maire, Cher Bernard Brochant,
Monsieur le Président du Reed Midem, Cher Paul Zilk,
Madame la Directrice du Midem, Chère Dominique Leguern,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis heureux d'être présent parmi vous, pour la deuxième fois, au Marché International de la Musique. Le Midem est un moment privilégié où tous les acteurs des industries musicales se réunissent, pour échanger et faire commerce, de produits mais aussi d'idées, et chercher des réponses aux défis qui s'offrent à nous.
Le marché de la musique en 2004, plus encore que l'an passé, est placé sous le signe d'une crise, d'une crise au sens grec (Krisis), c'est à dire un " moment décisif ", qui présente autant de menaces que de chances. La révolution numérique, que nous savons déjà en marche depuis le tournant du siècle, entre dans une forme de maturité. Plus personne ne doute aujourd'hui que le comportement du consommateur a durablement changé, et que la pratique du téléchargement est une réalité à laquelle il faut définitivement s'adapter.
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1. Les nouvelles technologies de communication représentent pour la musique une immense chance qu'il nous appartient de saisir.
Maintenant que les réseaux sont largement en place, reliant un très grand nombre de foyers, l'enjeu est de faire vivre un nouveau marché en organisant une offre musicale. C'est pourquoi, comme je le répète très souvent, il est indispensable que les professionnels de la musique, comme d'ailleurs ceux du cinéma, développent des offres attractives permettant la distribution en ligne de leurs catalogues musicaux.
Je tiens à saluer le succès de ceux qui ont déjà osé se lancer dans cette voie. J'aurai l'occasion demain de remettre une distinction à Peter Gabriel, concepteur de OD2, premier système de distribution de musique en ligne en Europe. Je salue aussi l'initiative développée par Apple, i-Tunes, qui permet à chacun de créer et de gérer sa propre bibliothèque musicale numérique à partir de ses disques, et d'accéder facilement à un magasin en ligne pour écouter ou télécharger des titres ou des albums, à partir d'un simple clic de souris, et pour un tarif raisonnable.
Ce sont de telles initiatives, audacieuses, qui permettent de dessiner un avenir prometteur pour l'industrie musicale, et ce sont elles qui permettront d'alléger les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui, dans le monde entier, et dont nous savions tous qu'elles finiraient par toucher la France.
Etant entrés "en retard" dans la crise, nous pouvons en France tirer des enseignements de l'évolution récente du marché américain pour rebondir plus vite et éviter deux nouvelles années de récession.
Pour cela, comme je le répète depuis bientôt deux ans, il est essentiel que tous les producteurs européens, qu'ils soient majors ou indépendants, soient convaincus de la nécessité de développer rapidement une stratégie intégrant ces nouveaux modes de consommation.
Je constate que certains labels, y compris de dimension modeste, ont d'ores et déjà saisi cette chance pour développer des services performants. Je pense à Abeille Musique, qui dans le domaine de la musique classique, joue un rôle remarquable en exposant une offre très large.
Cette mutation a bien sûr un coût, que ce soit pour la numérisation des catalogues ou pour développer de nouveaux supports physiques - SACD, DVD - qui peuvent également permettre de lutter contre l'attrait du peer to peer, en présentant des formats plus riches et plus ambitieux. Mon ministère est bien sûr disponible pour réfléchir avec vous au moyen d'accompagner cette évolution, en aidant notamment à la numérisation et à l'indexation des catalogues.
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Naturellement, cette politique d'offre de contenus doit être soutenue par la construction d'un environnement légal et technique sécurisé, respectueux des droits des auteurs, des interprètes et de leurs partenaires.
2. J'ai fait de la protection des droits de la propriété artistique et intellectuelle une priorité de mon action.
Je n'oublie pas en effet que l'univers numérique est pour l'instant le champ d'exercice d'une piraterie massive, organisée ou domestique, qui érode et assèche l'économie de la musique.
Je veux le répéter avec force : il n'y a à mes yeux aucune différence entre le vol d'un disque à l'étalage et le piratage d'une oeuvre musicale sur internet. La position du Gouvernement est à cet égard sans ambiguïté. Loin des postures démagogiques et libertaires qui légitiment le peer to peer au nom d'une prétendue liberté, la liberté de piller et de voler le bien d'autrui, j'ai entrepris, avec ma collègue Nicole Fontaine, de lutter fermement et sans concession contre le piratage et la contrefaçon.
Cela passe par l'adoption rapide d'un cadre juridique plus contraignant.
Plusieurs lois sont concernées par ce processus. La loi sur l'économie numérique responsabilise les fournisseurs d'accès. Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait renforcé la portée de cette responsabilité, lors du vote du 8 janvier en deuxième lecture, tout en m'étonnant des critiques qui ont été portées par certains membres de l'opposition à l'encontre de cette affirmation du droit. Il est vrai que le Gouvernement précédent n'avait pas réussi à transposer une directive pourtant adoptée en 2000.
Nous mettons désormais tout en uvre pour que la loi sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information soit rapidement adoptée. Je sais que le débat sur les mesures techniques de protection des supports fait craindre une limitation excessive de la faculté de copie privée. Aussi, sachez que le gouvernement défend une position équilibrée. L'exception au titre de la copie privée sera maintenue. La protection des titulaires de droits sera renforcée. Je serai aussi attentif à la question de la durée des droits, qui a été étendue aux Etats-Unis mais pas en Europe.
Nous veillons enfin à ce que la directive pour la protection des droits, en cours de discussion à Bruxelles, puisse être renforcée pour couvrir pleinement et efficacement l'ensemble des pratiques litigieuses, y compris le peer to peer, et d'autre part pour qu'elle puisse faire l'objet d'une transposition très rapide.
En complément de cette action législative, j'ai voulu développer une collaboration étroite avec le ministère de l'Industrie, avec Nicole Fontaine. Nous avons ensemble réactivé le Comité National Anti-Contrefaçon, présidé par M. François d'Aubert, et créé une mission conjointe sur la contrefaçon, confiée à Philippe Chantepie (IGAAC) et Jean Berbineau (CGTI).
Cette instance est notamment chargée d'une mission d'information et la sensibilisation des publics, qui constitue le troisième levier d'action après la "séduction", donc le développement d'une offre légale, et la répression. La création d'un Observatoire de la contrefaçon numérique dans les prochains mois, mobilisera des professionnels au niveau européen et international. Les premiers résultats seront diffusés à l'occasion du Festival de cannes.
Je solliciterai enfin dans les prochains jours mon collègue Luc Ferry sur la mise en place d'une collaboration avec le Ministère de l'Education nationale, pour diffuser dans les écoles, du primaire à l'Université, la culture du respect de la propriété artistique.
Au moment où les éditeurs et les producteurs de disques commencent à engager des poursuites judiciaires contre les internautes adeptes du piratage, il est en effet nécessaire de tout faire pour sensibiliser les jeunes aux dégâts qu'ils infligent, en s'y livrant, à la création et aux risques qu'ils encourent personnellement. Dans ce même esprit j'inaugurerai dans une heure le site PROMUSIC.fr, une initiative des professionnels destinée à favoriser cette prise de conscience.
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3. La priorité donnée à l'univers numérique ne conduit pas à relâcher l'effort sur le soutien aux filières traditionnelles, bien au contraire.
L'édition et la distribution traditionnelle du disque comme la diffusion de la musique dans les média et la scène vivante, restent des leviers essentiels pour la vitalité de l'industrie musicale et l'accès des publics à la musique.
Pour pallier la faiblesse d'un circuit de distribution indépendant j'ai engagé en 2003 deux actions: la création d'une enveloppe de 1 M par an dans le cadre du fonds "FISAC", géré par le ministère de l'industrie, et la création d'un programme de soutien à des projets innovants en matière de distribution du disque, programme dont la gestion sera transférée au Fonds de Création Musicale en 2004.
La promotion de la qualité et de la diversité musicales sur les médias a donné lieu à la signature d'un accord le 5 mai 2003 entre radiodiffuseurs, éditeurs et producteurs. En posant des règles de " bonne conduite ", cet accord vise à garantir la diversité de l'exposition musicale à la radio. Je viens d'avoir connaissance du bilan de l'année 2003, qui est globalement positif : le nombre total de titres diffusés est en progression de +10% par rapport à 2002, et le nombre d'artistes diffusés augmente de +12%, avec une progression forte des artistes francophones : +19%. En revanche les taux de rotation sont préoccupants sur le cur de l'offre : moins de 3% des titres ont réalisé 75% de la programmation des radios. Tout en saluant les efforts de diversité accomplis par certaines radios, je souhaite que des discussions s'engagent au sein de l'observatoire pour mieux maîtriser les taux de rotation.
Une démarche similaire a été lancée avec les télédiffuseurs, réunis depuis le 17 décembre au sein d'un groupe de travail dont j'ai confié la présidence à Véronique Cayla. S'agissant plus particulièrement de la télévision publique, le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions contient des objectifs d'exposition accrue de la musique dans les grilles de programmes.
Loin de renoncer à mon engagement en faveur de la baisse de la TVA sur le disque, je constate que nos démarches nous rapprochent toujours plus d'une décision : le Parlement Européen a soutenu fortement la position française en décembre, la plupart des pays s'y sont ralliés, et l'Allemagne, pays autrefois réticent, ne semble plus s'opposer aujourd'hui à la France sur ce point précis. Je souhaite donc très vivement que la Présidence irlandaise puisse mettre rapidement une proposition sur la table à partir des compromis présentés par la présidence italienne à la fin de l'année 2003.
Enfin, j'ai demandé au nouveau directeur en charge de la musique, du théâtre et des spectacles, Jérôme Bouet, qui sera prochainement assisté d'un délégué à la musique connaissant bien l'univers du disque, de poursuivre le travail d'adaptation de nos politiques aux réalités de la création musicale.
Deux rapports viennent de m'être rendus, l'un par Louis Bricard, sur le disque classique, l'autre par Antoine Coquebert, sur les conditions de financement de la production discographique de façon plus générale. Les propositions de ces rapports sont aujourd'hui rendues publiques. Je souhaite remercier chaleureusement Louis Bricard comme Antoine Coquebert pour le travail considérable qu'ils ont accompli. Leurs propositions traitent à la fois de l'organisation de la profession et des entreprises, de leurs conditions de financement, et de leur environnement juridique et fiscal. Je souhaite qu'un débat s'ouvre avec les professionnels autour de ces thèmes, en particulier ceux qui portent sur un accès accru au financement bancaire, au capital risque, à des ressources fiscalement aidées ou encore par la mobilisation de garanties apportées par des investisseurs institutionnels comme l'IFCIC.
La réforme du mécénat, qui a conduit à la création de fortes incitations fiscales pour les entreprises depuis 2003, est aussi un levier qui doit être mobilisé dans le secteur musical, par des actions directes ou via la création de fondations, tout particulièrement dans les registres considérés comme "difficiles" d'un point de vue commercial.
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4. La politique en faveur des industries musicales s'inscrit enfin résolument dans un cadre européen et international.
J'ai remis récemment à la Présidence irlandaise de l'Union un Mémorandum français qui présente " Seize propositions pour une nouvelle ambition culturelle en Europe ".
La culture doit trouver la place qui lui revient au cur du projet européen, alors même que l'action culturelle ne bénéficie que de 0,1% du budget communautaire, et que les objectifs culturels fixés dans les traités ne sont pas toujours pris en compte par la Commission, en particulier dans les domaines de la politique fiscale et commerciale.
Il n'est pas possible dans ces conditions d'encourager de manière significative la mobilité des oeuvres et des artistes nécessaires à l'édification d'un espace culturel européen. La France milite de ce fait pour une forte augmentation des moyens dédiés à l'action culturelle communautaire et, de façon complémentaire, pour la reconnaissance non ambiguë du bien-fondé des aides nationales à la culture et à l'audiovisuel.
Il serait à cet égard utile qu'un programme communautaire dédié aux industries culturelles soit mis en place en complément du programme MEDIA, réservé au cinéma et au multimédia. J'en fais le vu.
En attendant, je salue l'initiative de la Commission européenne de lancer en 2003 des actions pilotes en faveur des industries culturelles. Trois grandes actions sont ainsi engagées dans le domaine musical : constitution d'une base de données mondiale des acteurs de la profession, promotion des musiques européennes à travers des programmes d'échanges de musiciens, et préfiguration d'un bureau d'information européen à New York.
Il me paraît essentiel que ces actions pilotes soient reconduites jusqu'à l'arrivée à échéance du programme cadre "culture 2000", en 2006, et que ce programme soit ensuite étendu et consolidé.
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En conclusion, je souhaite marquer, ici, au MIDEM, ma solidarité à l'égard des acteurs de la filière musicale, des éditeurs discographiques et de leurs partenaires, les assurer que je suis pleinement à leurs côtés dans la défense de leur industrie et de leurs artistes.
Comme marque de cet attachement j'ai souhaité promouvoir la signature d'une déclaration internationale en faveur de la lutte contre la contrefaçon, entre tous les acteurs déterminées à concevoir des solutions efficaces pour protéger les droits des créateurs, les acteurs de la filière musicale bien sûr, mais aussi les industries qui sont des partenaires nécessaires à la mise en uvre d'un "nouveau modèle pour la musique". Nous procéderons à la signature de cette convention dans quelques instants, après la remise des trophées aux artistes européens ayant vendu le plus de disques à l'export en Europe, initiative de la Commission européenne que je tiens à saluer.
Je souhaite aussi profiter de cette rencontre importante pour vous annoncer mon intention de faire de 2004 une véritable année du numérique, des arts numériques et plus généralement de la culture numérique.
La musique, comme la photo, la vidéo et les arts graphiques, bénéficient d'outils de fabrication toujours plus perfectionnés, accessibles, conviviaux, mobiles, ce qui modifie la façon de composer, de créer, et favorise de nouvelles vocations artistiques. Le foisonnement des musiques électroniques en est une bonne illustration.
Dans un mois, j'aurai l'occasion d'annoncer le programme et le calendrier des événements et des actions que j'entends développer au cours d'une grande saison numérique qui couvrira 2004 et 2005. Elle sera marquée par des événements festifs : biennale des arts numériques à la Villette, festivals de musiques électroniques, interventions dans les institutions publiques Elle se traduira aussi par la définition d'une politique ambitieuse en faveur de la création, de l'éducation et des patrimoines numériques. Prémice de cette année, le portail Culture.fr après trois mois de mise en ligne vient de recenser cette semaine son millionième visiteur et ses dix millions de pages lues.
Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 29 juin 2004)