Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec la chaîne de télévision américaine "CNN" à Paris le 20 janvier 2005, sur les relations franco-américaines et la réaffirmation du non-engagement français en Irak.

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Média : CNN - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Q - Monsieur Barnier, merci de nous rejoindre aujourd'hui sur CNN. Il y a quelques jours, vous avez dit que c'était le moment d'un renouveau pour les relations transatlantiques. Qu'avez-vous voulu dire exactement ?
R - Je pense que nous avons beaucoup de défis à affronter dans le monde et que nous devons les affronter ensemble : la lutte contre le terrorisme, le développement, les risques écologiques, la faim, les grandes maladies. On ne peut pas aborder ces défis efficacement si on n'est pas, Américains et Européens, les uns à côté des autres. Il faut être ensemble sur certains de ces défis. Nous le sommes déjà, mais il faut l'être de manière plus générale et probablement, dans ce que j'appelle une nouvelle relation transatlantique, prendre l'habitude de plus se parler, y compris quand on n'est pas d'accord, parce que cela arrive ; se parler plus et plus parler politique plus ensemble.
Q - Je pense qu'il y a quelques Américains qui diront : "C'est bien de dire cela mais les Français ont-ils la volonté de faire des compromis sur certains sujets et de changer leurs positions ?"
R - Les Français peuvent évoluer. Les Américains peuvent évoluer aussi. Une discussion, ça doit être quelque chose de franc, de direct, de lucide, où l'on doit quelquefois faire un pas l'un vers l'autre. Mais je pense que ce n'est pas parce que les Français disent quelque chose qu'ils ont tort.
Q - Pensez-vous que la deuxième Administration va ressembler ou différer de la première Administration?
R - J'ai entendu ma collègue Condoleezza Rice dire elle-même devant le Sénat que l'Administration américaine pratiquerait, sur le plan diplomatique, davantage un dialogue multilatéral qu'un dialogue unilatéral.
Q - Allez-vous vous sentir une obligation de montrer, lorsque vous aurez des réunions en privé avec Condoleezza Rice, que la France est prête à faire des concessions ?
R - Encore une fois, il ne s'agit pas que la France fasse des compromis. Une nouvelle relation, cela veut dire que l'on se respecte et que l'on s'écoute. Nous sommes alliés. L'alliance ce n'est pas l'allégeance.
Q - Pensez-vous que les Américains réfléchissent à des compromis de la même façon ? Pensez-vous qu'ils souhaitent changer leurs positions ?
R - C'est de l'intérêt des Etats-Unis de ne pas être seuls pour affronter tous les défis du monde : du terrorisme, de la pauvreté, du développement, de l'instabilité dans le monde. Nous avons besoin d'être ensemble. Et pourquoi sommes-nous alliés ? Pour faire cela, voilà. J'ai dans l'idée que les Américains sont un peuple lucide et réaliste, pragmatique. Si on est pragmatique et que l'on regarde un peu devant soi - c'est d'ailleurs de la responsabilité du président Bush avec ces quatre années d'action pour agir et je pense qu'il le fera - on doit voir que l'alliance entre Européens et Américains est vitale, et elle doit servir la paix, la liberté et la démocratie.
Q - Ces deux dernières années, il y a eu une campagne active de "French bashing" aux Etats-Unis. Pensez-vous que cela a été à l'encontre de la diplomatie française ?
R - C'est vrai que ce "French bashing" a pu, dans certains de ses aspects, nous blesser ; parce qu'il n'est pas juste de caricaturer la France. La France et les Etats-Unis sont dans le monde, dans l'histoire, des pays qui ont toujours été alliés et amis, depuis le début. Encore une fois, l'alliance ce n'est pas l'allégeance et l'on peut ne pas être d'accord sur certains sujets. Nous n'avons pas été d'accord sur l'Irak. Franchement, vous m'interrogez aujourd'hui, je dis et répète que l'état d'esprit du président de la République, Jacques Chirac, et mon état d'esprit à ses côtés, c'est de regarder devant, et non de regarder dans le rétroviseur.
Q - Dans ce regard vers l'avenir, inclurez-vous un engagement en Irak, un déploiement des troupes françaises en Irak, par exemple?
R - Non, il n'y aura pas de soldats français en Irak, ni maintenant ni plus tard. Mais nous avons dit clairement que nous étions disponibles. Nous avons clairement dit au président irakien que nous avons rencontré à Paris la semaine dernière, que nous participerions, que nous voulons participer, à la reconstruction politique et économique de l'Irak, y compris dans le domaine de la sécurité, en participant à la formation de gendarmes irakiens.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)