Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur les apports de la Constitution européenne à la construction de l'Europe, à Paris le 19 janvier 2005.

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Circonstance : Débat public d'actualité au Conseil économique et social "L'avenir de l'Union européenne : le rôle des institutions de la société civile", à Paris le 19 janvier 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Je suis tout particulièrement heureux de m'exprimer devant vous aujourd'hui, sur le thème de l'Europe, pour cette "journée européenne" au Conseil économique et social.
Tout d'abord parce que je connais l'intérêt que porte votre assemblée à cette question et la qualité du travail qu'elle développe à ce propos, sous l'impulsion du président Dermagne. Je pense notamment à la récente contribution de votre assemblée à la réflexion française sur le processus de Lisbonne dont le rapporteur est Alain Deleu.
Votre assemblée a su, sur l'Europe, créer une synergie complète, exemplaire, de ses propres travaux avec ceux, que j'ai su apprécier en tant que commissaire, du Comité économique et social européen. J'en veux pour preuve la présence ici d'Anne-Marie Sigmund, comme celle d'Henri Malosse et de Bruno Vever, avec qui j'ai souvent travaillé à Bruxelles.
Oui, synergie exemplaire : car les "deux CES" donnent ainsi un exemple de réflexion franco-européenne, tout en restant eux-mêmes, que d'autres, comme les parlementaires français et les parlementaires européens français, pourraient utilement imiter.
Synergie aussi car la France et l'Europe vont ensemble : le choix n'est pas entre la France et l'Europe, mais entre une Europe européenne et une Europe américaine.
Chers Amis,
Nous ne nous trouvons pas dans un moment ordinaire de l'histoire européenne. L'Europe, et avec elle la France, s'engagent dans un débat capital pour notre avenir commun, celui de la Constitution européenne. Un débat dans lequel les "forces vives" de la nation - et de l'Europe - que vous représentez ont un rôle crucial à jouer.
Mais avant d'évoquer le projet de Constitution lui-même, et ses enjeux, prenons un peu de recul. Mesurons le chemin parcouru depuis 50 ans. Pour mieux dire où nous voulons aller, et pourquoi, ce qui est indispensable pour mobiliser et rassembler l'opinion.
Nos concitoyens sont en effet d'abord demandeurs de "sens" : Où va-t-on ? Pourquoi l'Europe ? En quoi sommes-nous concernés ? Où est l'intérêt de la France, des Français ?
C'est bien la responsabilité première des politiques de tracer le cap, au service de l'intérêt général. Et ce cap, j'en ai la conviction, passe par l'Europe.
Il faut dire, redire, expliquer, ce que souvent l'on ne voit plus, la formidable, magnifique, réussite du projet européen : la paix d'abord, qui n'est jamais une évidence ; la démocratie retrouvée des pays du Sud de l'Europe et puis des peuples européens d'Europe centrale et orientale ; la prospérité partagée, et la solidarité territoriale ; le progrès économique et social, au service des femmes, de l'environnement, de la sécurité
Cette réussite est incomplète, imparfaite. Mais elle est notre patrimoine commun. Un patrimoine qui ne doit pas être à tout prix conservé, mais constamment amélioré.
Vous le savez mieux que d'autres : l'idée européenne, parce qu'elle porte en elle le mouvement, la réforme, apparaît parfois insaisissable, lointaine. Elle est difficile à expliquer, cette Europe dont les dimensions et les missions n'ont cessé de s'élargir.
Elle se trouve pourtant au seuil d'un changement plus important que tout ce qu'elle a connu depuis 1957 : le changement constitutionnel.
Je voudrais, avec vous, évoquer deux points.
En premier lieu, rapidement, le contenu de ce changement.
En deuxième lieu, ce que nous pouvons faire ensemble, au moment où ce texte fondamental est soumis aux citoyens.
L'Union européenne vit depuis une décennie dans la négociation permanente, la CIG intermittente et, en pratique, une certaine précarité institutionnelle. Il fallait y mettre un terme durable, avec un quatrième projet de traité européen en douze ans - 1992, 1997, 2001, 2004, un tous les quatre ans ou presque.
La Constitution le permet. Elle fait même davantage : elle permet de refonder le pacte originel, de le remettre en perspective, par la revalidation de l'ensemble des dispositions existantes.
Au-delà, grâce au travail de la Convention, qui a préparé 95 % du texte final, grâce à certaines améliorations apportées pendant la conférence intergouvernementale, cet instrument possède bien des atouts.
Permettez-moi de ne citer que les principaux :
- plus de démocratie : consolidation des prérogatives du Parlement européen ; recours à la double majorité pour le vote à la majorité qualifiée au Conseil ; création d'un droit d'initiative populaire ; contrôle accru des parlements nationaux et du Comité des régions sur l'activité législative de la Commission.
- plus de progrès pour les gens : respect des droits des minorités, de la solidarité, de l'égalité entre hommes et femmes ; la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux, qui place sous le contrôle de la Cour de justice le respect de certains droits sociaux : par exemple la protection en cas de licenciement abusif, le droit de grève et de se syndiquer, l'obligation d'informer et de consulter les travailleurs, et même l'accès aux services publics, qui pourront d'ailleurs être protégés et reconnus par la loi européenne. Et puis l'Europe s'occupera mieux de ce qui touche les gens : la santé publique, la protection civile, la cohésion.
- plus d'efficacité, moins de droit de veto, et des passerelles pour le réduire davantage dans l'avenir ;
- plus de simplicité, moins d'instruments, de procédures, une définition claire des compétences de l'Union ;
- un socle solide pour lancer des coopérations renforcées ;
- une grande ambition internationale pour l'Union : la personnalité juridique pour conclure des engagements internationaux ; une représentation politique de haut niveau, avec un président stable du Conseil européen, et un ministre des Affaires étrangères appuyé par un service extérieur commun ; une politique européenne de défense reconnue et déjà concrète, avec l'agence de l'armement et la clause de solidarité pour tous les membres de l'Union, par exemple en cas d'attaque terroriste.
Je ne peux conclure cette liste sans dire un mot particulier du dialogue civil, dont l'importance se trouve consacrée par la Constitution dans son titre VI consacré à la vie démocratique de l'Union. Réfléchissons, dès aujourd'hui, à la façon de lui donner corps.
Mesdames, Messieurs,
Que d'avancées et de promesses, dans ce projet ! Et pourtant, nous le savons, le projet européen a toujours tenu les siennes. A son rythme, avec ses lourdeurs, certes.
Mais l'Europe a toujours tenu ses promesses.
Encore faut-il, pour que les promesses de la Constitution européenne prennent vie, que les citoyens lui fassent confiance.
Le rôle du citoyen, et de la société civile, sont au coeur de vos préoccupations. Et replacer le citoyen, et la société civile, au coeur de l'Europe est un aspect majeur de la mutation apportée par le projet de Constitution.
J'ai envie de dire : il était temps. En effet, la méthode choisie dès le départ, celle des "convergences de fait", s'est réalisée - par sa réussite même - au détriment du débat politique. L'abstention aux élections européennes de plus de la moitié des Européens en est le signe. L'Europe des experts et des diplomates doit maintenant - c'est vital pour elle - laisser la place à une Europe des citoyens, à l'Europe politique, un forum au coeur de la cité.
Dans le débat qui va se dérouler sur le projet de Constitution dans les mois qui viennent, la société civile que vous représentez a un rôle majeur à jouer.
Je suis depuis longtemps partisan de développer le plus possible le dialogue sur les questions européennes. J'avais en 1996-1997 lancé le "Dialogue national pour l'Europe", alors que j'étais ministre délégué aux Affaires européennes. J'avais pendant six mois parcouru personnellement les régions françaises à raison d'un déplacement par semaine. J'avais souhaité multiplier les partenariats avec les collectivités locales, associations, pour susciter partout le débat. Plus de 1 600 rencontres et événements avaient été ainsi labellisés, sur tout le territoire.
C'est le même esprit qui m'anime dans le cadre de la démarche d'information que j'ai engagée avec Claudie Haigneré. Des outils d'information sont déjà en place pour renseigner les Français sur le texte de la Constitution. Je les cite : site Internet (www.constitution-européenne.fr) ; centre d'appel (0810 2005 25) qui permet notamment d'obtenir transmission du texte de la Constitution. Des supports audiovisuels permettront aux Français de prendre connaissance du texte.
Il faut que les Français soient informés.
Dans le même temps, il est essentiel pour que l'information soit diffusée largement, au plus près de la diversité de l'opinion, que le tissu multiple de la société civile soit associé. C'est dans cet esprit que nous avons réuni, Claudie Haigneré et moi, le 8 novembre dernier, les représentants associatifs, consulaires, syndicaux, ceux des associations d'élus. Afin de les mobiliser et les informer sur les principaux outils mis à la disposition de la société civile pour participer à cette démarche d'information (une possibilité de partenariat financier pour les porteurs de projets d'information, la mise à disposition d'un fichier de "personnes ressources" - les "témoins pour l'Europe" - des documents écrits).
Ces outils sont complémentaires de ceux mis en place par la Commission européenne.
Au-delà même du texte de la Constitution, il faut expliquer dans quel sens "politique" nous entendons l'utiliser.
Et pour cela il nous faut renforcer notre projet pour l'Europe. Nous ne devons en effet, pas en rester là : l'audace qui animait les pères fondateurs doit nous inspirer pour bâtir la "vision" que requiert l'approfondissement du projet européen, au service de chacun de nos compatriotes : approfondir l'Europe en tant que société humaine ; donner à l'Union une politique économique ; assumer l'Union comme acteur global et politique.
Victor Hugo disait que les guerres entre pays européens sont des guerres civiles. Il disait aussi qu'il n'est "de plus grande puissance qu'une idée dont le temps est venu". Mesdames et Messieurs, le temps de l'idée de faire de l'Europe une véritable communauté humaine et un espace politique est venu.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)