Texte intégral
Invité à s'exprimer au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) pour la région Rhône-Alpes, le jeudi 2 décembre 2004 à Lyon, François Fillon a fermement condamné " l'antisémitisme et ses manifestations odieuses qui salissent le visage de la France ". Il a également souligné qu'en cette période d'élaboration d'une nouvelle loi d'orientation pour l'École, le moment était " propice au redressement de nos valeurs communes : valeurs de respect, de fraternité, d'unité nationale ".
Le CRIF organise ce soir à Lyon une rencontre d'une ambition et d'une qualité rares. Elle nous permet de débattre et nous rassembler autour des valeurs républicaines qui nous sont si chères.
Me comprendrez-vous, si je vous dis pourtant que je ne suis pas heureux du discours que je vais prononcer, car il est des sujets sur lesquels je préférerais ne plus jamais avoir à m'exprimer - sinon pour me féliciter de leur disparition. Parmi eux, l'antisémitisme et ses manifestations odieuses qui salissent le visage de la France.
En répondant à l'invitation du CRIF Rhône-Alpes et de son président Marcel Amsallem, je me serais volontiers contenté de partager avec vous les raisons que nous avons de nous réjouir ensemble.
La première d'entre elles, c'est la participation magnifique de la communauté juive à la vie de la France, et à l'installation plus contemporaine de la République. Elle en a compris très tôt l'avenir, intellectuel, politique, social, humaniste. Elle s'en est fait le promoteur, à travers plusieurs de ses fils, juristes, philosophes, serviteurs de l'État.
Elle a su, dans le même temps, faire apprécier à tous l'originalité reçue d'une culture plusieurs fois millénaire.
En somme, elle a ainsi contribué à définir le modèle français.
A ce motif de confiance fondé sur le constat d'une communion nationale, j'ajouterai un motif d'espoir : celui que nous offre, peut être, la nouvelle donne au Proche-Orient pour développer une espérance partagée dans cette région.
Pourtant, mesdames et messieurs, les faits me ramènent, hélas, à des considérations plus sombres. De l'Allemagne nazie à l'URSS de Staline, l'histoire nous a infligé, à l'égard de l'antisémitisme, des leçons d'une violence inouïe.
Si incroyable que cela puisse paraître, ces leçons n'ont pas été toujours pleinement entendues. Aujourd'hui, malgré nous, en France même, l'antisémitisme continue d'exister.
On compte un nombre croissant d'incidents souvent liés à des revendications identitaires, manifestant un antisémitisme que des provocateurs s'efforcent de raviver là où son emprise est la plus révoltante, c'est-à-dire dans la jeunesse.
Certains sont animés d'un antisionisme exacerbé, dans lequel l'opposition politique s'est pervertie en haine raciale. Cette confusion n'a pas, en France, droit de cité ! Un exemple récent est dans nos esprits : celui de la chaîne Al-Manar. Ayant visionné les images diffusées par cette chaîne, le Premier ministre a décidé le renforcement de la législation pour que le Gouvernement retrouve le droit de mettre sans délais un terme à des activités qui constituent une atteinte à l'ordre public et la mise en place d'un cahier des charges extrêmement contraignant. C'est sur cette base que le CSA vient de demander au Conseil d'État l'interdiction de cette chaîne qui a rompu ses engagements, en versant dans une propagande odieuse. Que cette interdiction, que j'estime bien tardive, serve de leçon aux garants de la liberté qui est indissociable de la responsabilité ! La vigilance doit être en aval, pas en amont.
Elle doit être aussi européenne. Le ministre de la culture réunit dès la semaine prochaine ses homologues européens chargés de la communication pour que l'Union européenne se dote des moyens d'interdire sur son territoire la diffusion de tels programmes.
Des propos sordides ont également été tenus récemment par un homme qui donne une image détestable du milieu universitaire lyonnais. Il a repris un refrain nauséeux que l'on pouvait croire abandonné à jamais. Ses mots ont appelé de ma part, comme de celle de Dominique Perben, une condamnation immédiate et d'une extrême fermeté. J'ai demandé au recteur de l'académie qu'une procédure disciplinaire soit engagée à son encontre dans les plus brefs délais, au sein de l'instance universitaire. Une mesure de suspension provisoire a été prise par le président de l'université pour " trouble à l'ordre public " et, depuis hier, celle d'une interdiction d'accès à l'université jusqu'à ce que la section disciplinaire se soit prononcée. Je salue par ailleurs la décision prise par le procureur général près la cour d'appel de Lyon, à la demande du ministère de la justice, d'engager des poursuites pour " contestation de crimes contre l'humanité ". Laissons désormais parler la justice de notre pays, en laquelle je place ma confiance. Nous en tirerons, par la suite, les conséquences qui s'imposent. Quant au rapport Rousso, il est l'occasion pour l'université Lyon III de sortir d'un passé, qui obscurcit sa réputation.
Mesdames et Messieurs,
La lutte contre l'antisémitisme, tout comme celle contre le racisme, exige une stratégie globale car ce fléau prend sa source dans les replis sombres de la question nationale.
Lorsque la France doute d'elle-même, lorsque son ascenseur social se bloque, lorsque ses idéaux s'épuisent, alors notre peuple se fige, se soupçonne, se divise.
On ne soulignera jamais assez combien la crise économique et sociale latente qui nous "paralyse" depuis la fin des années 70, aura désarçonné les rêves de notre pays.
Sous l'autorité de Jacques Chirac, notre action n'a pas d'autre but que de redonner du sens au pacte français, en ressuscitant la confiance de nos concitoyens.
Avec la relance d'une politique de sécurité affirmée, nous cherchons à restaurer un climat de fraternité et de citoyenneté. La violence entraîne la peur et la peur conduit au repli. Il faut briser ce cycle de l'enfermement autour duquel rôdent les idéologies les plus néfastes.
Avec la relance de notre économie, la revalorisation du travail, la réforme des retraites, la modernisation des règles qui régissent le dialogue social, nous ne visons pas uniquement à adapter nos structures, nous cherchons à faire tomber les craintes psychologiques et culturelles. Ces craintes sont celles des vieux pays que le futur effraie. La France ne doit pas être frileuse. Elle a tous les atouts en main pour affronter les défis du XXIe siècle. Désormais, libérons ses audaces, car, c'est dans le mouvement et la projection vers l'avant que notre société renouera avec le sens du bien commun.
Enfin, si nous revisitons avec le plan de cohésion sociale les termes de la solidarité, c'est parce que nous sentons que les liens qui nous unissent sont distendus. Savez-vous que dans la France des années 2000, la promotion sociale est moins assurée que dans celle des années 60 !
Il est paradoxal de constater qu'un des pays occidentaux les plus engagés en matière de solidarité, soit l'un de ceux où cette promotion est la plus faible. Quand des parents pressentent que leurs enfants sont prédestinés à un avenir professionnel ou social moins gratifiant que le leur, alors tout est à craindre. Voilà pourquoi, il faut redessiner les termes de notre socle social.
Enfin, si nous avons réactualisé le principe de laïcité, c'est parce que nous cherchons à ressusciter l'idéal de l'égalité républicaine. La loi sur le voile n'est pas une loi contre les religions. Elle est la loi du respect. L'année dernière 1 465 cas de jeunes filles voilées avaient été recensés. Aujourd'hui, il ne reste que 9 cas. La France pour tous s'est paisiblement imposée.
Mesdames, Messieurs,
Au cur de l'élan national que nous appelons de nos vux et donc au centre du combat contre la haine de l'autre qui est souvent l'ombre de la haine de soi, il y a l'éducation.
Enseigner, c'est éclairer, mais c'est aussi discipliner.
Face à l'antisémitisme, il faut rendre son actualité et sa fermeté à un discours de combat, qui perdurera aussi longtemps que les faits l'exigeront.
En menant ce combat, j'exprime d'abord une révolte personnelle. J'étais à Herrlisheim. J'y ai vu ces stèles brisées et souillées, ces signes infâmants, poignant le cur de honte, ces pierres devant lesquelles on se prend à penser : Que feraient-ils aux vivants ? Je n'ai pas oublié le cimetière d'Herrlisheim ; pas plus que je n'oublierai cette visite au camp d'Auschwitz, en compagnie de Simone Veil.
Dans ce combat, je réponds également à l'appel du Chef de l'État, qui, à plusieurs reprises, sut préciser avec force ce que l'antisémitisme avait d'abject.
Je réponds enfin à l'appel d'une communauté nationale qui vous reconnaît comme siens, et qui craint pour elle quand elle craint pour vous, parce qu'elle a compris que les maux qui vous frappent, la frappent.
L'antisémitisme n'est pas le problème de la seule communauté juive. C'est un problème national. C'est l'indicateur avancé de nos dérives, de nos angoisses et de nos violences.
Depuis peu, l'École n'est plus épargnée. A cette menace, je veux vous dire que l'éducation nationale réplique avec fermeté.
L'école de la République ne tolère aucune discrimination de race, de sexe, de religion ou de culture. Elle apprend à tous comment vivre ensemble, dans le respect de chacun. Elle sanctionne donc les gestes hostiles, les insultes, les graffitis. Elle met en garde contre les propos les plus infantiles et les plus irréfléchis, car il n'y a pas d'antisémitisme véniel.
Mais cette lutte menée dans l'école en déborde le cadre. Nous sommes dépositaires de la jeunesse de la nation. Nous devons l'armer des valeurs qui guideront sa vie entière.
L'histoire et l'instruction civique sont les premiers vecteurs de ces valeurs. En parlant d'histoire, je pense d'abord à la mémoire tragique de la Seconde Guerre mondiale, cet apologue monstrueux sur l'être humain dont nous n'avons pas fini de méditer la leçon. J'ai reçu récemment Claude Lanzmann. Il souhaitait me voir ; je voulais l'entendre. En accord avec lui, j'ai pris la décision de faire distribuer à tous les lycées de France un exemplaire sur DVD de son film, Shoah . J'ai sensibilisé les recteurs et les chefs d'établissement à l'utilité absolue de diffuser cette uvre pour éveiller les élèves au travail de mémoire. La distribution de ce film est engagée. Je m'assurerai personnellement qu'elle soit bientôt achevée.
L'enseignement de ces années noires bénéficie dès à présent d'un matériel pédagogique abondant, et de ressources de grande qualité, à commencer par celles de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, et du Centre de documentation juive contemporaine. En classe de première, douze heures sont consacrées à resituer la Shoah dans une étude des totalitarismes européens. En classe de terminale, la mémoire du génocide est un thème d'étude privilégié parmi les fondements du monde contemporain.
Étendu sur le primaire, le collège et le lycée, cet enseignement se double d'initiatives qui, parallèles aux cours, en sont les compléments : je veux parler, par exemple, du Concours national de la Résistance et de la déportation. Il rassemblait 38 000 élèves en 2002, il en a réuni plus de 45 000 en 2004. Je veux parler aussi de la Journée européenne de la mémoire de l'Holocauste, instituée à l'initiative de la France par le Conseil de l'Europe en octobre 2002, et pour laquelle notre pays a choisi la date hautement symbolique du 27 janvier, jour de la libération d'Auschwitz.
Pleinement engagée, l'Éducation nationale s'est dotée, au cours des dernières années, d'un dispositif aussi complet que possible.
Toutes les académies proposent, dans le cadre de leur plan académique de formation, une éducation à la citoyenneté. La formation des enseignants, mais aussi des documentalistes, fait ainsi l'objet d'actions conjointes entre les IUFM, les rectorats et le Centre de documentation juive contemporaine. Elle envoie dans nos classes des hommes et des femmes aguerris , aptes à répondre aux principales questions comme à riposter aux principales remises en cause.
Dans ce combat mené par l'éducation nationale, il faut susciter des partenariats. Il faut des synergies, il faut un élan collectif. Les collectivités locales ont notamment vocation à organiser la visite de lieux de mémoire - du plus proche, comme la Maison d'Izieu, au plus lointain. En 2003-2004, le conseil général des Alpes maritimes, a, par exemple, organisé avec l'académie de Nice une journée de visite au camp d'Auschwitz-Birkenau. Elle a rassemblé 82 collèges, 2600 élèves et plus de 200 enseignants. Depuis trois ans, mille lycéens franciliens ont accompli le même parcours, que des conventions comparables doivent ouvrir aux établissements d'Alsace.
L'Institut européen en sciences des religions a pour sa part ouvert un groupe de travail, au sein duquel des chercheurs communiquent aux enseignants leur réflexion sur la façon d'aborder le fait religieux dans le cadre laïque. La cellule de prévention des dérives communautaristes y participe. Il débouchera sur des actions de formation. Et je n'oublie pas, à Lyon, le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation dont les missions sont connues de tous.
Les éditeurs scolaires, quant à eux, ont convenu avec le ministère d'exercer une vigilance toute particulière sur le contenu des manuels. Ils se sont engagés à prévenir la diffusion de stéréotypes religieux, et à proscrire tout contenu qui pourrait présenter la moindre suggestion antisémite ou raciste.
Les associations, enfin, prennent dans ces partenariats la place que leur réserve leur expertise particulière. Certaines interviennent pour relancer le dialogue dans une classe ou dans un établissement qu'un incident douloureux vient de frapper. D'autres savent organiser le témoignage et l'écoute.
Je voudrais, dans ce cadre, souligner la qualité du partenariat mené avec le CRIF. Des rencontres régulières continueront d'être organisées au plus haut niveau, pour faire le point sur l'effet de ces mesures. Elles seront poursuivies. Elles porteront leurs fruits.
A l'évidence, nous sommes engagés dans un travail de longue haleine ! Le fait est que l'antisémitisme, lui, n'attend pas. Nous devons donc gérer le quotidien avec ses urgences. Après avoir expliqué, rappelé, mis en garde, averti il nous faut aussi surveiller et punir. Les enseignants et les chefs d'établissement peuvent compter sur l'appui de leur ministre qui n'a, en la matière - sachez-le - aucun état d'âme.
Dans la loi d'orientation que je finalise, j'ai d'ailleurs veillé à ce que la lutte contre l'antisémitisme et la violence soit au cur des règlements intérieurs des établissements.
Cette répression de l'antisémitisme commence par son évaluation. L'éducation nationale s'est dotée à cette fin du logiciel SIGNA, qui recense, dans la transparence et l'objectivité, les actes de violence en milieu scolaire avec une exhaustivité chaque mois plus grande. C'est un moyen pour mieux cibler nos actions.
230 actes à motivation antisémite et 1030 actes à motivation raciste ont été signalés depuis janvier 2004, ce qui représente 3% des dossiers. Au regard de notre " tolérance zéro ", c'est beaucoup trop - comme vous l'avez souligné.
Ces actes connus, reste - je l'ai dit - à les sanctionner. Vous avez cité dans votre allocution, trois agressions inacceptables qui se sont déroulées dans des établissements ou à leur proximité. L'institution, sur ces trois affaires, a réagi avec fermeté. Huit commissions disciplinaires se sont réunies et ont procédé à 4 exclusions définitives et à 4 exclusions temporaires. Cinq autres commissions ont également statué sur des exclusions courtes allant de 2 à 8 jours.
Face au fléau de l'antisémitisme, la sanction ne supporte pas l'à-peu-près. L'éducation nationale applique aux contrevenants les sanctions de plus en plus sévères que prévoit le règlement des établissements. Elle défère les auteurs des faits les plus graves aux forces de l'ordre et à la justice.
Une circulaire interministérielle du 13 septembre précise les dispositifs à mettre en uvre entre l'éducation nationale, l'intérieur et la justice. Elle inclut la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.
Le protocole d'accord conclu entre le ministère de l'intérieur et celui de l'éducation nationale, le 4 octobre dernier est, à mon sens, exemplaire. Il met à la disposition de chaque chef d'établissement un référent unique choisi parmi les forces de l'ordre. Sa réactivité, sa connaissance du terrain en feront un interlocuteur irremplaçable. Dans le strict respect des missions de chacun, les compétences de la police ou de la gendarmerie sont ainsi mises au service de l'école dans sa lutte contre les actes antisémites, racistes et violents.
Un accord comparable a été passé entre le rectorat et le parquet de Paris. Il permettra un traitement instantané des infractions. Vous savez que dans le cas des délits commis par des adolescents, la rapidité de la sanction conditionne son efficacité. Cet accord devra être généralisé.
Mesdames, Messieurs,
En cette période où s'élabore une nouvelle loi d'orientation sur l'École, le moment est propice au redressement de nos valeurs communes : valeurs de respect, de fraternité, d'unité nationale.
En retraçant les grandes lignes du combat mené à la tête de l'éducation nationale contre l'antisémitisme et le racisme, je n'ai pas eu l'impression de parler devant vous , mais bien de parler au-delà de nous.
Mon discours est celui de la communauté nationale ; c'est celui de la France, notre France. Tout homme de conscience doit le reprendre à son compte car l'antisémitisme est un crime contre l'esprit et contre la loi ; c'est un crime contre la nation.
Nous sommes les membres de la même famille : celle de la France fière, libre et tolérante. La République ne transige pas avec ses adversaires.
Aux côtés du Président de la République et du Premier ministre, voilà ma ligne de conduite permanente.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 3 décembre 2004)
Le CRIF organise ce soir à Lyon une rencontre d'une ambition et d'une qualité rares. Elle nous permet de débattre et nous rassembler autour des valeurs républicaines qui nous sont si chères.
Me comprendrez-vous, si je vous dis pourtant que je ne suis pas heureux du discours que je vais prononcer, car il est des sujets sur lesquels je préférerais ne plus jamais avoir à m'exprimer - sinon pour me féliciter de leur disparition. Parmi eux, l'antisémitisme et ses manifestations odieuses qui salissent le visage de la France.
En répondant à l'invitation du CRIF Rhône-Alpes et de son président Marcel Amsallem, je me serais volontiers contenté de partager avec vous les raisons que nous avons de nous réjouir ensemble.
La première d'entre elles, c'est la participation magnifique de la communauté juive à la vie de la France, et à l'installation plus contemporaine de la République. Elle en a compris très tôt l'avenir, intellectuel, politique, social, humaniste. Elle s'en est fait le promoteur, à travers plusieurs de ses fils, juristes, philosophes, serviteurs de l'État.
Elle a su, dans le même temps, faire apprécier à tous l'originalité reçue d'une culture plusieurs fois millénaire.
En somme, elle a ainsi contribué à définir le modèle français.
A ce motif de confiance fondé sur le constat d'une communion nationale, j'ajouterai un motif d'espoir : celui que nous offre, peut être, la nouvelle donne au Proche-Orient pour développer une espérance partagée dans cette région.
Pourtant, mesdames et messieurs, les faits me ramènent, hélas, à des considérations plus sombres. De l'Allemagne nazie à l'URSS de Staline, l'histoire nous a infligé, à l'égard de l'antisémitisme, des leçons d'une violence inouïe.
Si incroyable que cela puisse paraître, ces leçons n'ont pas été toujours pleinement entendues. Aujourd'hui, malgré nous, en France même, l'antisémitisme continue d'exister.
On compte un nombre croissant d'incidents souvent liés à des revendications identitaires, manifestant un antisémitisme que des provocateurs s'efforcent de raviver là où son emprise est la plus révoltante, c'est-à-dire dans la jeunesse.
Certains sont animés d'un antisionisme exacerbé, dans lequel l'opposition politique s'est pervertie en haine raciale. Cette confusion n'a pas, en France, droit de cité ! Un exemple récent est dans nos esprits : celui de la chaîne Al-Manar. Ayant visionné les images diffusées par cette chaîne, le Premier ministre a décidé le renforcement de la législation pour que le Gouvernement retrouve le droit de mettre sans délais un terme à des activités qui constituent une atteinte à l'ordre public et la mise en place d'un cahier des charges extrêmement contraignant. C'est sur cette base que le CSA vient de demander au Conseil d'État l'interdiction de cette chaîne qui a rompu ses engagements, en versant dans une propagande odieuse. Que cette interdiction, que j'estime bien tardive, serve de leçon aux garants de la liberté qui est indissociable de la responsabilité ! La vigilance doit être en aval, pas en amont.
Elle doit être aussi européenne. Le ministre de la culture réunit dès la semaine prochaine ses homologues européens chargés de la communication pour que l'Union européenne se dote des moyens d'interdire sur son territoire la diffusion de tels programmes.
Des propos sordides ont également été tenus récemment par un homme qui donne une image détestable du milieu universitaire lyonnais. Il a repris un refrain nauséeux que l'on pouvait croire abandonné à jamais. Ses mots ont appelé de ma part, comme de celle de Dominique Perben, une condamnation immédiate et d'une extrême fermeté. J'ai demandé au recteur de l'académie qu'une procédure disciplinaire soit engagée à son encontre dans les plus brefs délais, au sein de l'instance universitaire. Une mesure de suspension provisoire a été prise par le président de l'université pour " trouble à l'ordre public " et, depuis hier, celle d'une interdiction d'accès à l'université jusqu'à ce que la section disciplinaire se soit prononcée. Je salue par ailleurs la décision prise par le procureur général près la cour d'appel de Lyon, à la demande du ministère de la justice, d'engager des poursuites pour " contestation de crimes contre l'humanité ". Laissons désormais parler la justice de notre pays, en laquelle je place ma confiance. Nous en tirerons, par la suite, les conséquences qui s'imposent. Quant au rapport Rousso, il est l'occasion pour l'université Lyon III de sortir d'un passé, qui obscurcit sa réputation.
Mesdames et Messieurs,
La lutte contre l'antisémitisme, tout comme celle contre le racisme, exige une stratégie globale car ce fléau prend sa source dans les replis sombres de la question nationale.
Lorsque la France doute d'elle-même, lorsque son ascenseur social se bloque, lorsque ses idéaux s'épuisent, alors notre peuple se fige, se soupçonne, se divise.
On ne soulignera jamais assez combien la crise économique et sociale latente qui nous "paralyse" depuis la fin des années 70, aura désarçonné les rêves de notre pays.
Sous l'autorité de Jacques Chirac, notre action n'a pas d'autre but que de redonner du sens au pacte français, en ressuscitant la confiance de nos concitoyens.
Avec la relance d'une politique de sécurité affirmée, nous cherchons à restaurer un climat de fraternité et de citoyenneté. La violence entraîne la peur et la peur conduit au repli. Il faut briser ce cycle de l'enfermement autour duquel rôdent les idéologies les plus néfastes.
Avec la relance de notre économie, la revalorisation du travail, la réforme des retraites, la modernisation des règles qui régissent le dialogue social, nous ne visons pas uniquement à adapter nos structures, nous cherchons à faire tomber les craintes psychologiques et culturelles. Ces craintes sont celles des vieux pays que le futur effraie. La France ne doit pas être frileuse. Elle a tous les atouts en main pour affronter les défis du XXIe siècle. Désormais, libérons ses audaces, car, c'est dans le mouvement et la projection vers l'avant que notre société renouera avec le sens du bien commun.
Enfin, si nous revisitons avec le plan de cohésion sociale les termes de la solidarité, c'est parce que nous sentons que les liens qui nous unissent sont distendus. Savez-vous que dans la France des années 2000, la promotion sociale est moins assurée que dans celle des années 60 !
Il est paradoxal de constater qu'un des pays occidentaux les plus engagés en matière de solidarité, soit l'un de ceux où cette promotion est la plus faible. Quand des parents pressentent que leurs enfants sont prédestinés à un avenir professionnel ou social moins gratifiant que le leur, alors tout est à craindre. Voilà pourquoi, il faut redessiner les termes de notre socle social.
Enfin, si nous avons réactualisé le principe de laïcité, c'est parce que nous cherchons à ressusciter l'idéal de l'égalité républicaine. La loi sur le voile n'est pas une loi contre les religions. Elle est la loi du respect. L'année dernière 1 465 cas de jeunes filles voilées avaient été recensés. Aujourd'hui, il ne reste que 9 cas. La France pour tous s'est paisiblement imposée.
Mesdames, Messieurs,
Au cur de l'élan national que nous appelons de nos vux et donc au centre du combat contre la haine de l'autre qui est souvent l'ombre de la haine de soi, il y a l'éducation.
Enseigner, c'est éclairer, mais c'est aussi discipliner.
Face à l'antisémitisme, il faut rendre son actualité et sa fermeté à un discours de combat, qui perdurera aussi longtemps que les faits l'exigeront.
En menant ce combat, j'exprime d'abord une révolte personnelle. J'étais à Herrlisheim. J'y ai vu ces stèles brisées et souillées, ces signes infâmants, poignant le cur de honte, ces pierres devant lesquelles on se prend à penser : Que feraient-ils aux vivants ? Je n'ai pas oublié le cimetière d'Herrlisheim ; pas plus que je n'oublierai cette visite au camp d'Auschwitz, en compagnie de Simone Veil.
Dans ce combat, je réponds également à l'appel du Chef de l'État, qui, à plusieurs reprises, sut préciser avec force ce que l'antisémitisme avait d'abject.
Je réponds enfin à l'appel d'une communauté nationale qui vous reconnaît comme siens, et qui craint pour elle quand elle craint pour vous, parce qu'elle a compris que les maux qui vous frappent, la frappent.
L'antisémitisme n'est pas le problème de la seule communauté juive. C'est un problème national. C'est l'indicateur avancé de nos dérives, de nos angoisses et de nos violences.
Depuis peu, l'École n'est plus épargnée. A cette menace, je veux vous dire que l'éducation nationale réplique avec fermeté.
L'école de la République ne tolère aucune discrimination de race, de sexe, de religion ou de culture. Elle apprend à tous comment vivre ensemble, dans le respect de chacun. Elle sanctionne donc les gestes hostiles, les insultes, les graffitis. Elle met en garde contre les propos les plus infantiles et les plus irréfléchis, car il n'y a pas d'antisémitisme véniel.
Mais cette lutte menée dans l'école en déborde le cadre. Nous sommes dépositaires de la jeunesse de la nation. Nous devons l'armer des valeurs qui guideront sa vie entière.
L'histoire et l'instruction civique sont les premiers vecteurs de ces valeurs. En parlant d'histoire, je pense d'abord à la mémoire tragique de la Seconde Guerre mondiale, cet apologue monstrueux sur l'être humain dont nous n'avons pas fini de méditer la leçon. J'ai reçu récemment Claude Lanzmann. Il souhaitait me voir ; je voulais l'entendre. En accord avec lui, j'ai pris la décision de faire distribuer à tous les lycées de France un exemplaire sur DVD de son film, Shoah . J'ai sensibilisé les recteurs et les chefs d'établissement à l'utilité absolue de diffuser cette uvre pour éveiller les élèves au travail de mémoire. La distribution de ce film est engagée. Je m'assurerai personnellement qu'elle soit bientôt achevée.
L'enseignement de ces années noires bénéficie dès à présent d'un matériel pédagogique abondant, et de ressources de grande qualité, à commencer par celles de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, et du Centre de documentation juive contemporaine. En classe de première, douze heures sont consacrées à resituer la Shoah dans une étude des totalitarismes européens. En classe de terminale, la mémoire du génocide est un thème d'étude privilégié parmi les fondements du monde contemporain.
Étendu sur le primaire, le collège et le lycée, cet enseignement se double d'initiatives qui, parallèles aux cours, en sont les compléments : je veux parler, par exemple, du Concours national de la Résistance et de la déportation. Il rassemblait 38 000 élèves en 2002, il en a réuni plus de 45 000 en 2004. Je veux parler aussi de la Journée européenne de la mémoire de l'Holocauste, instituée à l'initiative de la France par le Conseil de l'Europe en octobre 2002, et pour laquelle notre pays a choisi la date hautement symbolique du 27 janvier, jour de la libération d'Auschwitz.
Pleinement engagée, l'Éducation nationale s'est dotée, au cours des dernières années, d'un dispositif aussi complet que possible.
Toutes les académies proposent, dans le cadre de leur plan académique de formation, une éducation à la citoyenneté. La formation des enseignants, mais aussi des documentalistes, fait ainsi l'objet d'actions conjointes entre les IUFM, les rectorats et le Centre de documentation juive contemporaine. Elle envoie dans nos classes des hommes et des femmes aguerris , aptes à répondre aux principales questions comme à riposter aux principales remises en cause.
Dans ce combat mené par l'éducation nationale, il faut susciter des partenariats. Il faut des synergies, il faut un élan collectif. Les collectivités locales ont notamment vocation à organiser la visite de lieux de mémoire - du plus proche, comme la Maison d'Izieu, au plus lointain. En 2003-2004, le conseil général des Alpes maritimes, a, par exemple, organisé avec l'académie de Nice une journée de visite au camp d'Auschwitz-Birkenau. Elle a rassemblé 82 collèges, 2600 élèves et plus de 200 enseignants. Depuis trois ans, mille lycéens franciliens ont accompli le même parcours, que des conventions comparables doivent ouvrir aux établissements d'Alsace.
L'Institut européen en sciences des religions a pour sa part ouvert un groupe de travail, au sein duquel des chercheurs communiquent aux enseignants leur réflexion sur la façon d'aborder le fait religieux dans le cadre laïque. La cellule de prévention des dérives communautaristes y participe. Il débouchera sur des actions de formation. Et je n'oublie pas, à Lyon, le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation dont les missions sont connues de tous.
Les éditeurs scolaires, quant à eux, ont convenu avec le ministère d'exercer une vigilance toute particulière sur le contenu des manuels. Ils se sont engagés à prévenir la diffusion de stéréotypes religieux, et à proscrire tout contenu qui pourrait présenter la moindre suggestion antisémite ou raciste.
Les associations, enfin, prennent dans ces partenariats la place que leur réserve leur expertise particulière. Certaines interviennent pour relancer le dialogue dans une classe ou dans un établissement qu'un incident douloureux vient de frapper. D'autres savent organiser le témoignage et l'écoute.
Je voudrais, dans ce cadre, souligner la qualité du partenariat mené avec le CRIF. Des rencontres régulières continueront d'être organisées au plus haut niveau, pour faire le point sur l'effet de ces mesures. Elles seront poursuivies. Elles porteront leurs fruits.
A l'évidence, nous sommes engagés dans un travail de longue haleine ! Le fait est que l'antisémitisme, lui, n'attend pas. Nous devons donc gérer le quotidien avec ses urgences. Après avoir expliqué, rappelé, mis en garde, averti il nous faut aussi surveiller et punir. Les enseignants et les chefs d'établissement peuvent compter sur l'appui de leur ministre qui n'a, en la matière - sachez-le - aucun état d'âme.
Dans la loi d'orientation que je finalise, j'ai d'ailleurs veillé à ce que la lutte contre l'antisémitisme et la violence soit au cur des règlements intérieurs des établissements.
Cette répression de l'antisémitisme commence par son évaluation. L'éducation nationale s'est dotée à cette fin du logiciel SIGNA, qui recense, dans la transparence et l'objectivité, les actes de violence en milieu scolaire avec une exhaustivité chaque mois plus grande. C'est un moyen pour mieux cibler nos actions.
230 actes à motivation antisémite et 1030 actes à motivation raciste ont été signalés depuis janvier 2004, ce qui représente 3% des dossiers. Au regard de notre " tolérance zéro ", c'est beaucoup trop - comme vous l'avez souligné.
Ces actes connus, reste - je l'ai dit - à les sanctionner. Vous avez cité dans votre allocution, trois agressions inacceptables qui se sont déroulées dans des établissements ou à leur proximité. L'institution, sur ces trois affaires, a réagi avec fermeté. Huit commissions disciplinaires se sont réunies et ont procédé à 4 exclusions définitives et à 4 exclusions temporaires. Cinq autres commissions ont également statué sur des exclusions courtes allant de 2 à 8 jours.
Face au fléau de l'antisémitisme, la sanction ne supporte pas l'à-peu-près. L'éducation nationale applique aux contrevenants les sanctions de plus en plus sévères que prévoit le règlement des établissements. Elle défère les auteurs des faits les plus graves aux forces de l'ordre et à la justice.
Une circulaire interministérielle du 13 septembre précise les dispositifs à mettre en uvre entre l'éducation nationale, l'intérieur et la justice. Elle inclut la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.
Le protocole d'accord conclu entre le ministère de l'intérieur et celui de l'éducation nationale, le 4 octobre dernier est, à mon sens, exemplaire. Il met à la disposition de chaque chef d'établissement un référent unique choisi parmi les forces de l'ordre. Sa réactivité, sa connaissance du terrain en feront un interlocuteur irremplaçable. Dans le strict respect des missions de chacun, les compétences de la police ou de la gendarmerie sont ainsi mises au service de l'école dans sa lutte contre les actes antisémites, racistes et violents.
Un accord comparable a été passé entre le rectorat et le parquet de Paris. Il permettra un traitement instantané des infractions. Vous savez que dans le cas des délits commis par des adolescents, la rapidité de la sanction conditionne son efficacité. Cet accord devra être généralisé.
Mesdames, Messieurs,
En cette période où s'élabore une nouvelle loi d'orientation sur l'École, le moment est propice au redressement de nos valeurs communes : valeurs de respect, de fraternité, d'unité nationale.
En retraçant les grandes lignes du combat mené à la tête de l'éducation nationale contre l'antisémitisme et le racisme, je n'ai pas eu l'impression de parler devant vous , mais bien de parler au-delà de nous.
Mon discours est celui de la communauté nationale ; c'est celui de la France, notre France. Tout homme de conscience doit le reprendre à son compte car l'antisémitisme est un crime contre l'esprit et contre la loi ; c'est un crime contre la nation.
Nous sommes les membres de la même famille : celle de la France fière, libre et tolérante. La République ne transige pas avec ses adversaires.
Aux côtés du Président de la République et du Premier ministre, voilà ma ligne de conduite permanente.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 3 décembre 2004)