Entretien de MM. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, et Mark Malloch Brown, administrateur du PNUD, avec "Le Figaro" du 18 janvier 2005, sur l'aide au développement.

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Circonstance : Forum du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), à Paris du 17 au 19 janvier 2005

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Q - La tragédie d'Asie a-t-elle modifié la manière de concevoir l'aide au développement ?
R - Mark Malloch Brown - Cet élan formidable de solidarité montre d'une part que, lorsqu'ils le veulent bien, les pays riches sont capables d'apporter un soutien extraordinaire en temps record aux plus démunis et, d'autre part, que l'opinion publique est sensible aux problèmes de pauvreté dans le monde.
R - Xavier Darcos - Contrairement à ce qui s'est passé en Asie du Sud-Est, la prévisibilité du sous-développement est totale. Il y a un tsunami par jour en Afrique, puisque 25.000 personnes y meurent quotidiennement. La pauvreté tue plus que le séisme.
Q - Cela devrait pousser la communauté internationale à réaliser les Objectifs du Millénaire, c'est-à-dire réduire la pauvreté de moitié avant 2015.
R - Xavier Darcos - La tendance actuelle est de dire que l'on n'y arrivera pas. Pourtant des progrès spectaculaires ont été faits. En 12 ans, 130 millions de personnes sont sorties de l'extrême pauvreté. Nous allons dans la bonne direction. Il existe cependant des situations contrastées. L'Afrique est, à ce titre, enfermée dans un piège à pauvreté, avec en corollaire des conflits, dont elle a du mal à sortir. L'aide ne suffit plus.
Q - Faut-il accorder un traitement préférentiel au continent africain ?
R - Mark Malloch Brown - Certes, nous devons lui accorder une attention particulière, mais sans pour autant nous désintéresser du sort d'autres pays.
R - Xavier Darcos - Tout comme les Britanniques, nous avons un tropisme africain très fort et contrairement à ce que vient de dire Mark Malloch Brown, nous pensons qu'il faut un traitement spécifique à l'égard de ce continent. Précisément car il y a là-bas un cycle complet de risques pour le sous-développement : sécheresse, démographie galopante, conflits...
Q - Le monde a-t-il compris la corrélation entre pauvreté, guerre et terrorisme ?
R - Xavier Darcos - J'observe que, dans toutes les conférences internationales, pas seulement celles ayant trait au développement, la question du terrorisme est omniprésente. Il est admis comme une évidence que le sous-développement est le terreau idéal du terrorisme.
Q - Est-ce suffisant pour convaincre les chefs d'Etat de la nécessité d'atteindre les Objectifs du Millénaire ?
R - Mark Malloch Brown - C'est un argument puissant : si les pays riches veulent assurer leur sécurité, ils doivent payer de leur poche pour éradiquer la pauvreté. La crédibilité des institutions internationales en matière de lutte contre le terrorisme n'est tenable que si, en même temps, elles s'engagent durablement en faveur de la lutte contre la pauvreté.
Q - La volonté politique est une chose. Reste la question du financement. Le rapport de Jeffrey Sachs salue l'initiative britannique de lever des fonds sur les marchés pour financer le développement, mais omet de citer la proposition française de taxation internationale...
R - Mark Malloch Brown - Taxation, IFF... A dire vrai, cela nous est égal aux Nations unies de savoir quelle option les gouvernements choisiront. Ils doivent s'entendre entre eux. Le plus important est de trouver une solution cette année.
R - Xavier Darcos - Le rapport Sachs confirme qu'il faut que nous augmentions notre aide à hauteur de 60 milliards de dollars l'année prochaine, soit un doublement. Il souligne également, et c'est le point de vue de la France, que les pays pauvres doivent faire un effort eux-mêmes. Mais évidemment, il faut que les aides accordées soient prévisibles et pérennes. C'est un point essentiel.
R - Mark Malloch Brown - Je suis fondamentalement d'accord avec cette idée d'une aide stable et pragmatique. Il est inenvisageable pour les pays du Sud d'espérer lutter efficacement contre la pauvreté, en matière d'éducation, par exemple, s'ils ne savent pas à l'avance s'ils auront les budgets idoines pour payer leurs professeurs l'année suivante...
Q - Il n'y a toujours pas de consensus international autour du mode de financement du développement, notamment en raison de la réticence des Etats-Unis. Cela constitue-t-il une menace pour le développement ?
R - Xavier Darcos - Nous avons des difficultés à les convaincre, d'autant qu'ils ont une approche bilatérale de la question. Nous comptons beaucoup sur le G 8 et la présidence britannique pour qu'une position commune soit enfin adoptée sur le financement du développement. Je suis sûr que si l'on demande aux Américains de payer 1 dollar de plus pour leurs billets d'avion, comme le préconise le rapport Landau, ils le feront.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)