Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "LCI" le 6 décembre 2004, sur sa prise de fonctions, la situation monétaire mondiale, la politique de la Banque centrale européenne et la poursuite de la politique de réduction des déficits publics.

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Texte intégral

Q- Vous voilà aux manettes de Bercy, le ministère de l'Economie et des Finances, depuis maintenant une semaine. Y a-t-il "une méthode Gaymard" différente de "la méthode Sarkozy", plus collégiale, plus prudente, et peut-être plus en osmose avec Matignon ?
R- Je crois que ce n'est pas une question de comparaison avec l'un ou l'autre de mes prédécesseurs, c'est ma manière d'être, de travailler depuis que je suis dans la vie publique. C'est effectivement la collégialité à Bercy, avec J.-F. Copé, P. Devedjian et F. Loos. C'est le travail en commun avec le reste de l'équipe gouvernementale sous l'autorité du Premier ministre, J.-P. Raffarin. Par exemple, j'étais avec J.-L. Borloo vendredi dernier pour faire le point sur nos sujets communs. Et enfin, au plan européen, j'entends suivre la même méthode que celle que j'ai employée pendant mes deux ans et demi au ministère de l'Agriculture et de la Pêche, qui sont des domaines très européens, c'est-à-dire, de travailler avec mes collègues européens. Je suis allé à Berlin, dès jeudi dernier voir mes deux collègues allemands. Et ce soir, je retrouve tout le monde à Bruxelles pour la réunion de l'Eurogroup, puis le Conseil des ministres Economie Finances.
Q- Avez-vous constaté un réchauffement avec les Allemands ? Parce que l'on avait cru comprendre qu'avec N. Sarkozy il y avait eu un peu de distance...
R- Non, je crois que tout ceci a été un peu artificiellement gonflé. Il se trouve que, depuis deux ans et demi, j'ai eu beaucoup l'habitude de travailler avec les Allemands, parce que l'on n'aurait rien pu faire en matière agricole sans cette coopération franco-allemande. Et donc, j'ai gardé mes bonnes habitudes ; je suis allé embrasser mon ancienne collègue Renate Künast à Berlin, et j'ai prolongé mon voyage avec une première prise de contact avec mes deux collègues Hans Eischel et Wolfgang Clément.
Q- Vous allez retrouver effectivement vos collègues ce soir pour l'EcoFin, c'est-à-dire, la réunion des ministres de l'Economie et des Finances.
R- On a d'abord ce soir une réunion de l'Eurogroup, donc ce sont les pays de la zone euro, et demain, l'EcoFin.
Q- Précisément, vous êtes en face d'une situation extrêmement difficile, à la fois, la France mais l'ensemble des Européens, avec un dollar de plus en plus faible, puisque l'euro valait à la fin de la semaine dernière près d'1,34 dollar. Que suggérez-vous que fassent les ministres européens de l'Economie et des Finances face à cette situation ?
R- Ce qui est vrai, c'est que l'euro s'est beaucoup évalué depuis sa création par rapport au dollar - près de 60 %, puisqu'on était aux alentours de 80 centimes d'euro et on est à 1,34 et quelque en ce moment -, et qu'il ne faudrait pas que cette glissade continue, et que l'on aie une meilleure gestion de ces changes au plan international. De ce point de vue, nous aurons ce soir une discussion avec la Banque centrale européenne, avec l'ensemble des ministres des Finances de la zone euro. Mais il est évident que la solution, et vous le savez bien, n'est pas seulement en Europe, elle est aussi dans l'attitude des autorités monétaires américaines, et également, dans celle des autorités monétaires asiatiques.
Q- J'entends bien. Mais vous n'avez aucun moyen de pression sur les Etats-Unis, vous n'avez aucun moyen de pression sur les autorités asiatiques, et vous savez bien que les Américains laissent filer le dollar parce que cela favorise, pour le moment, leur économie. Alors, je répète ma question : que peuvent faire les Européens...
R- Pour le moment...
Q- J'entends bien. Mais pour le moment, que peuvent faire les Européens ? J'ajoute que la BCE, M. Trichet, est libre de faire ce qu'il entend, vous n'avez aucune influence sur lui.
R- ...nous allons avoir un débat je pense important ce soir à Bruxelles ; ce débat n'a pas encore eu lieu. Il aura lieu ce soir.
Q- Mais vous avez quand même des idées ?
R- Il aura lieu ce soir.
Q- Oui... La politique de monsieur Trichet est-elle correcte à la tête de la BCE ?
R- Je n'ai pas à m'exprimer, à ce stade, sur la politique de M. Trichet, qui n'est d'ailleurs pas celle nominalement de M. Trichet, qui est celle de la BCE, qui est une autorité monétaire indépendante. C'est ainsi que nous l'avons voulu. A écouter les réactions de la BCE ces derniers jours, l'on sent bien la préoccupation qui est exprimée par rapport à cette glissade du dollar. J'ai eu mon homologue américain au téléphone la semaine dernière, je vais le rencontrer le plus rapidement possible.
Q- Vous espérez qu'il va vous entendre ?
R- Nous avons eu, je ne sais pas si vous vous souvenez, au milieu des années 1980 - cela commence à dater maintenant - une période extrêmement compliquée dans les changes mondiaux : 1986, 1987... Finalement, au bout du compte, le bon sens a prévalu.
Q- Mais aujourd'hui, c'est M. Bush qui est à la tête des Etats-Unis.
R- Oui, certes, mais il n'est pas à la tête de la Federal Reserve Bank.
Q- Alors, si vous n'arrivez pas à trouver de solution miracle, l'on peut penser que l'économie européenne ne se portera guère mieux et que vos perspectives de croissance - 2,5 % - ne seront pas respectées.
R- Je ne suis pas d'accord avec vous. Parce que, nous avons certes connu ces derniers mois un affaiblissement de notre croissance en France, mais nous avons déjà pour 2004 un acquis de croissance supérieure à 2 %. Nous avons une consommation qui se tient bien - 1 point supérieur en moyenne à celle de la zone euro - ; nous avons un investissement industriel qui se tient bien aussi. Et puis vous savez que mon prédécesseur, N. Sarkozy, a pris un certain nombre de mesures en matière de donations pour relancer la consommation, qui sont de grands succès. Donc, je pense que nous avons une projection de croissance pour 2005 à 2,5 % qui est réaliste.
Q- Un mot sur le projet de budget 2006 que vous allez...
R- On n'y est pas encore.
Q- ...Cela va venir vite, c'est au printemps prochain.
R- Oui.
Q- Deux questions très simples : pensez-vous que ce budget 2006, vous pourrez éviter qu'il soit déficitaire alors que vous n'aurez plus le bénéfice de la soulte de EDF-GDF ? Et deuxième question : - c'est un budget qui précédera l'élection présidentielle, en tout cas dans son exercice complet -, prenez-vous l'engagement qu'il y aura une baisse d'impôts ?
R- Ecoutez, je trouve très virtuel de parler du budget 2006 alors que l'on est en décembre 2004. Donc, les orientations budgétaires seront arrêtées en septembre 2005. Pour 2006, voyez que l'on n'y est pas encore. Ce que je peux dire simplement : tout d'abord, c'est que, bien évidemment, nous restons dans notre politique de réduction des déficits publics ; nous restons dans notre politique de baisse des impôts et des charges, ce qui veut dire, une baisse de la dépense publique. Nous pensons, avec J.- F. Copé, mon ministre délégué au Budget, que l'augmentation des dépenses ne doit pas aller plus vite que l'inflation. Bref, que l'on ne doit pas vivre au-dessus de ses moyens. Et cela reste notre politique financière et budgétaire pour 2006.
Q- Vous allez avoir un certain nombre de dossiers à régler, et notamment vous avez un dossier qui celui de EADS-Thalès, qui fait encore parler de lui, avec le départ programmé du président allemand de la direction bicéphale d'EADS. Avez-vous, simple question toujours, à l'idée qu'il pourrait y avoir un rapprochement entre EADS et Thalès ?
R- C'est un sujet qui a plusieurs "entrées" si je puis dire. Il y a, comme on le sait, actuellement un problème de management, lié aux hommes, au sein d'EADS, et je souhaite que bien rapidement l'on sorte de cette situation qui n'est pas bonne pour l'entreprise.
Q- En ayant une direction monocéphale ou bicéphale ?
R- Je ne vais pas m'exprimer sur ce sujet aujourd'hui. Je souhaite que rapidement l'on retrouve de la sérénité, je crois que c'est ce que tout le monde souhaite. On a un deuxième sujet qui est celui de Thalès, de sa structure de capital, qui est un sujet en soi. Et puis, on a un troisième sujet qui "surplombe" les deux autres si je puis dire, c'est dans tout cela, l'équilibre franco-allemand, puisque cela ne peut marcher qu'avec un équilibre franco-allemand. Je m'en suis entretenu avec mon collègue Wolfgang Clément la semaine dernière à Berlin, et nous sommes tombés d'accord l'un et l'autre, pour remettre de la sérénité dans ce dossier, pour que l'ensemble des partenaires se reconnaisse dans cette superbe entreprise et dans ce superbe projet industriel. Je souhaite donc effectivement que la sérénité revienne.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 décembre 2004)