Texte intégral
France 2 - le 1er juillet 2004
Q- R. Sicard -. Hier, J.-L. Borloo a présenté son plan de cohésion sociale. La gauche, et notamment les socialistes sont très sévères : ils parlent de supercherie, de rideau de fumée... Mais vous, vous êtes nettement moins sévère ?
R - "S'il s'agit effectivement d'aider les gens qui sont au RMI, en allocation spécifique de solidarité, de retrouver un vrai travail et un vrai salaire - que cela ne soit pas des "stages parking" ou des "emplois parking" -, nous ne pouvons bien entendu que soutenir l'objectif. Maintenant, il va falloir voir dans la réalité comment cela va se mettre en place. Ce fameux contrat d'activité, par exemple, même si le Gouvernement dit le contraire, c'est le retour au traitement social du chômage"
Q- J.-P. Raffarin dit que ce n'est pas du tout le traitement social du chômage
R - "Enfin, ça, c'est de la communication ! Mais c'est du traitement social du chômage. Cela montre bien que l'abandon du traitement social du chômage, ces dernières années, n'a pas marché ; le nombre de chômeurs et d'exclus a augmenté. Si cela conduit effectivement à ce que ces personnes retrouvent un vrai travail, on ne peut que soutenir. Mais cela suppose quand même plusieurs conditions. Par exemple, il faut que la formation ait réellement lieu : si elle est mélangée avec le temps de travail, on n'est pas sûr qu'elle aura lieu On va donc surveiller cela attentivement."
Q-Craignez-vous qu'il n'y ait pas assez de moyens derrière ? Les 13 milliards ne sont pas suffisants ? C'est quand même une somme, 13 milliards !
R - "Oui, c'est une somme, sur quand même plusieurs années"
Q-Cinq ans
R - "Le ministre dit lui-même que c'est peanuts par rapport au budget global."
Q-Mais le ministre a dit qu'il avait eu tout l'argent qu'il voulait
R - "Je ne le sais pas, il ne nous a pas dit combien il voulait au départ, donc il va dire cela aujourd'hui, c'est évident. Mais il dit que c'est peanuts par rapport au budget global. On aimerait bien d'ailleurs que sur d'autres dossiers, comme l'assurance maladie, on ait pu dégager de l'argent aussi, que ce soit peanuts également, ce qui n'est pas le cas"
Q-Mais avez-vous l'impression qu'il y a quand même un virage social
du Gouvernement ?
R - "Un "virage social", non, il y a une ou deux mesures. Mais dans le plan de cohésion sociale, il y a aussi des choses dangereuses. Il y a une contradiction quand même : il y a un affichage, on dit que l'on va aider les plus défavorisés, les exclus, à retrouver un travail ; et dans le même temps, on fait référence à des recettes classiques du libéralisme en matière d'emplois. On va reparler des CDD et de l'intérim, assouplir les conditions sur les 35 heures"
Q-J.-L. Borloo vous demande de vous mettre autour de la table avec le patronat, pour entamer une négociation, pour rendre le marché du travail plus efficace. Etes-vous d'accord ? Etes-vous prêt à discuter ?
R - "Le marché du travail plus efficace ? Cela fait des années que l'on nous parle de cela, c'est demandé régulièrement"
Q-C'est vrai qu'il n'est pas très efficace !
R - "Est-ce le marché du travail qui n'est pas efficace ou est-ce parce que l'on fait du libéralisme économique, que la politique économique reste enfermée dans les critères européens, les fameux 3 % de déficit budgétaire par exemple ? C'est ça la cause réelle et profonde du chômage, ce n'est pas le fonctionnement du marché du travail."
Q-Mais si même sur un point, cela peut s'améliorer, pourquoi pas...
R - "Cela dépend sur quoi. Si c'est pour mettre plus de flexibilité, on n'est pas d'accord là-dessus. Le ministre nous demande de négocier sur les restructurations. Cela fait quand même quelques mois que cette négociation a démarré. Pour le moment, elle est complètement au point mort, parce que le patronat ne veut pas avancer. On verra après l'été si cette négociation va avancer"
Q-Mais êtes-vous prêt à aller à la table des discussions ?
R - "Mais les discussions ont déjà commencé, ce n'est donc pas nouveau ! Sur les restructurations, cela a commencé. Sur le travail des seniors, on va voir : cela signifie que les entreprises doivent aussi arrêter de licencier les salariés les plus âgés. Pour le moment, ce comportement n'a pas changé Maintenant, s'il s'agit de simplifier le code du travail, ce qui signifie plus de libertés pour les employeurs et moins de garanties pour les salariés, ce n'est pas négociable."
Q-N. Sarkozy a dit qu'il ne fallait pas hésiter à modifier profondément la loi sur les 35 heures. Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - "Vous parliez de "virage social" tout à l'heure. D'ailleurs, dans le plan de cohésion sociale, on parle aussi des 35 heures. Et ça, c'est une embardée, ce n'est pas un virage ! C'est une embardée et c'est dans le décor ! Non, ce n'est pas sérieux. Il y a quelques mois, on disait qu'on n'allait pas remettre en cause les 35 heures, et là, maintenant, il y a une offensive. Elle est aussi en Allemagne, elle est aussi en Autriche. C'est une offensive coordonnée par les patronats européens. Et ça, on ne peut pas l'accepter."
Q-Pour vous, les 35 heures, ce n'est pas négociable ?
R - "Les salariés ont payé la mise en place des 35 heures. Ils l'ont payée par la modération salariale, ils l'ont payée par plus de flexibilité. Tout le monde n'est pas encore aux 35 heures. Et maintenant, on nous dit que l'on va casser les 35 heures en tant que durée légale, que chacun va théoriquement pouvoir travailler comme il l'entend Mais c'est le patron qui décide, ce n'est pas le salarié !"
Q-Ce que dit N. Sarkozy, c'est que ceux qui voudront travailler plus, pourront travailler plus, mais les autres resteront aux 35 heures
R - "C'est ça Mais il oublie de dire que l'objectif, c'est qu'il n'y ait plus d'heures supplémentaires. Cela veut dire que les salariés ont payé la mise en place des 35 heures et que maintenant, on va leur supprimer ? Non, ce n'est pas sérieux, c'est inacceptable. La durée légale du travail doit rester à 35 heures. Quand les gens font plus de 35 heures Il y a de la flexibilité dans les entreprises, le Gouvernement a déjà assoupli les possibilités d'heures supplémentaires. Et maintenant, il faudrait que les heures supplémentaires ne soient plus rémunérées. Alors non, ce n'est pas sérieux. C'est une véritable régression sociale."
Q-Mais quand on dit qu'il faut travailler plus en France pour affronter la concurrence internationale, c'est une réalité...
R - "Oui, ils l'ont déjà fait, puisque le fameux lundi de Pentecôte, c'est bien une journée de travail supplémentaire. Cela fait déjà sept heures de plus sur l'année. Qu'est-ce qu'ils veulent ? C'est casser tout ce qui est règle collective, casser toute référence aux règles légales ou collectives ? C'est de l'ultralibéralisme."
Q-Donc, vous ne croyez pas au virage social ?
R - "Non, on n'y croit pas, parce que la politique économique demeure enfermée. Regardez le budget de l'Etat : augmentation zéro l'année prochaine. On ne peut pas dire qu'il y ait une volonté de mettre de l'argent. On va voir ce que le plan Borloo va donner."
Q-On ne peut pas non plus augmenter le budget de l'Etat en permanence et augmenter les impôts en permanence...
R - "Ce n'est une question d'augmenter le budget de l'Etat en permanence ou d'augmenter les impôts - d'ailleurs, on les a beaucoup réduits ces dernières années, ce n'était peut-être pas ce qu'il fallait faire -, mais aussi pour avoir de la croissance économique. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que l'un des problèmes, c'est la consommation. Et le meilleur moyen pour augmenter la consommation, c'est d'augmenter le pouvoir d'achat des salaires. Cela, ça marche tout de suite !"
Q-Justement, aujourd'hui, c'est le 1er juillet : le Smic augmente de 5,8 % ; c'est conséquent...
R - "Il n'augmente pas de 5,8 % pour tout le monde. Il augmente de 5,8 % pour un peu plus d'un million de salariés payés au Smic, qui étaient les plus défavorisés en niveau."
Q-C'est l'harmonisation du Smic...
R - "Oui, c'est le problème de l'harmonisation du Smic. Donc, il augmente de 5,8 % pour une partie des salariés. D'autres auront une augmentation beaucoup moindre. Mais cela signifie que c'est une harmonisation. Cela ne fait quand même que 1.154 euros par mois. Quand on voit - je ne veux pas faire de la démagogie - la publication des salaires des patrons des entreprises cotées en Bourse, cela joue sur des millions d'euros par an, mais aussi les augmentations l'année dernière de l'ordre de 14 %, je crois qu'il faut considérer que l'augmentation du Smic, qui n'est qu'un rattrapage - il faut bien comprendre que ce n'est qu'un rattrapage..."
Q-C'est quand même 5,8 %...
R - "Bien sûr. Pour un peu plus d'un million de salariés au Smic. Et pour l'autre moitié, ce ne sera pas 5,8 %."
Q-Aujourd'hui, il y a aussi l'ouverture du marché de l'EDF pour les entreprises. En 2007, ce sera pour tout le monde. Craignez-vous, à terme, une privatisation d'EDF ?
R - "Bien sûr. C'est ce que l'on explique depuis le début au Gouvernement."
Q-En quoi est-ce qu'une privatisation d'EDF est mauvaise ?
R - "Il suffit de regarder comment cela marche à l'étranger. Partout où cela a été privatisé, il y a eu des pépins - y compris en termes de sécurité - : en Italie, au Royaume-Uni, en Californie, cela n'a pas marché. L'expérience montre que la privatisation n'a pas marché. Est-ce qu'il est souhaitable de privatiser, y compris quand on parle du nucléaire ? Il faut peut-être mieux que cela reste dans le service public."
Q-Le Gouvernement a dit et redit qu'il n'y aurait pas de privatisation...
R - "Aujourd'hui. Mais une fois que le verrou aura sauté, une fois que la porte est ouverte ? Et la porte c'est quoi ? C'est le changement de statut ! C'est comme France Télécom."
Q-Vous ne lui faites pas confiance ?
R- "Là-dessus, non. On a l'expérience : France Télécom, c'était la même chose. On a changé le statut, on nous a dit au départ : "ne vous inquiétez pas, cela restera du service public." On voit aujourd'hui quelle est la conséquence. Cela risque d'être la même [chose]. 3 % de déficit budgétaire... Demain, un gouvernement, quand il aura vendu les bijoux de famille et qu'il aura besoin d'un peu d'argent, il se décidera bien à vendre 30 ou 40 % du capital d'EDF-GDF, parce qu'il en aura besoin financièrement. Et ce jour-là, ce sera privatisé."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er juillet 2004)
Europe 1 - 23 juillet 2004
M. Tronchot - Beaucoup de dossiers très publics à feuilleter ce matin avec vous. Chronologiquement, la dernière annonce gouvernementale est une confirmation, dans "un souci d'économies et de meilleure perception de la redevance audiovisuelle", je cite M. Bussereau, on adossera celle-ci à la taxe d'habitation. Concrètement un seul formulaire, celui de la taxe d'habitation. C'est un mesurette ou une vraie réforme ?
R - "D'abord les deux raisons : des raisons d'économies budgétaires et le Gouvernement cherche partout à faire les fonds de tiroir pour respecter les critères économiques européens, la fameuse limitation des budgets. C'est la première raison, c'est d'abord une raison d'économies budgétaires et cela pose deux problèmes. Premier problème, c'est les salariés qui sont concernés, qu'est-ce qu'ils vont devenir même s'il y aura..."
M. Tronchot - On dit qu'ils vont être reclassés ?
R - "Ils vont être reclassés etc, mais c'est quand même un premier problème. Deuxième problème, c'était jusqu'à maintenant clairement identifié, une taxe affectée en quelque sorte. Il y a des inquiétudes sur les ressources, demain, de l'audiovisuel public dans la limite où est-ce que sera aussi bien affecté que cela l'était par le temps passé, puisque c'est adossé à la taxe d'habitation. Ce qui explique que ça grogne du côté syndical quant à ce rattachement de la redevance à la taxe d'habitation."
M. Tronchot - S'agissant du rapport Mandelkern sur le service minimum qui suscite une levée de boucliers, notamment celle de huit fédérations de cheminots, votre syndicat conseille au Gouvernement de ne pas suivre les conclusions d'un rapport qui conduirait à une remise en cause du droit de grève, à un conflit majeur. Ce n'est pas possible de trouver une équation qui respecte le droit de grève et les droits des usagers des services publics ?
R - "C'est aussi comment allier l'eau et le feu. Qu'il y ait des discussions dans les entreprises, comme cela a déjà eu lieu, sur ce que l'on appelle les "systèmes de prévention", l'amélioration du dialogue social. Je vous rappelle quand même que dans le service public, quand il y a un dépôt de préavis de grève, c'est 5 jours avant la réalisation et que les 5 jours, normalement doivent être utilisés par les directions d'entreprise pour favoriser la négociation, essayer de trouver une solution, ce qui est rarement le cas. Le problème posé par le rapport de M. Mandelkern est double. Un, il y a nécessité d'une loi, au nom de quoi une loi serait nécessaire ? Avec cette volonté, même s'il ne parle de service minimum en tant que tel, mais d'éclater les situations selon les régions. Deuxième problème, et là on considère également que c'est une atteinte au droit de grève en tant que tel, à la liberté individuelle de faire grève, même si le droit de grève est un droit collectif également, c'est de dire, 48 heures avant une grève, il faudra que monsieur ou madame X ou Y dise à son chef de service : "attendez dans deux jours, moi, je serai en grève". Nous, on peut décider quand il y a un mouvement de grève, le matin même d'être en grève."
M. Tronchot - La SNCF a une obligation par exemple d'organiser un trafic dans ce genre de cas, de prendre des dispositions. Est-ce que 48 heures ce n'est pas justifié ?
R - "Non, ce n'est pas justifié en ce sens où, là, c'est une atteinte. Il peut y avoir des pressions sur les salariés également, parce que deux jours avant, ils vont dire qu'ils sont en grève, ils hésiteront à dire qu'ils sont en grève parce qu'il y aura une pression de l'entreprise. Donc ce n'est pas acceptable et on considère que c'est vraiment une remise en cause de droit de grève en tant que tel, qui est un droit constitutionnel. Et puis, il y a une deuxième chose derrière tout cela..."
M. Tronchot - La continuité du service public est aussi un droit constitutionnel ?
R - "Oui, mais si l'objectif c'est qu'il y ait possibilité de faire grève et que cela ne gène personne, effectivement que les salariés fassent grève, que leur salaire soit prélevé, parce que quand on fait grève, il y a toujours un prélèvement du salaire et que cela ne gène personne..."
M. Tronchot - C'est plus les usagers que le Gouvernement...
R - "Attendez ! qu'est-ce qu'il se passe aujourd'hui à la SNCF ? Aujourd'hui, quand il y a des grèves d'annoncées et quand des grèves ont lieu, y compris pour des questions de rentabilité financière ? La direction de la SNCF va faire, par exemple, plus circuler les TGV, parce que cela rapporte plus, et moins les trains de banlieues, ce qui pénalisera plus que de raison les banlieusards qui viennent travailler, si je prends la région parisienne. Donc cela existe. Il y a des problèmes de sécurité énormes. Des travaux viennent d'être menés en disant, vous savez cette fameuse idée qui circulait il y a quelques semaines en disant, il faudrait garantir 3 heures de circulation le matin et 3 heures de circulation le soir. Cela suppose 80 % des effectifs, si on veut y compris respecter la sécurité minimale. Cela signifie que c'est une façon de remettre en cause, implicitement, le droit de grève."
M. Tronchot - Il y a des pays européens qui ont résolu le problème.
R - "Oui il y a aussi des pays européens comme l'Italie, qui ont essayé de résoudre le problème, mais quand les salariés sont en grève, malgré l'existence, théoriquement, d'un service minimum, ils sont en grève, même quand cela est dans l'illégalité. Quand la grève est là, elle éclate, ils sont en grève. C'est toujours pareil, on fait des rapports qui peuvent servir de chiffons rouges ou pour s'appuyer sur ce rapport pour prendre des décisions. Nous on considère qu'il n'y a pas nécessité de faire une loi en la matière, que l'histoire des 48 heures, ce n'est pas acceptable. Qu'il y ait des discussions comme cela a lieu dans les entreprises, mais ce n'est pas la peine d'agiter des chiffons rouges. Et si le Gouvernement, effectivement, s'inspirait directement de ce rapport pour faire une loi, remettre en cause, il y aura des réactions syndicales dans les secteurs concernés, au minimum."
M. Tronchot - On entend parler de conflit majeur.
R - "Cela dépend de la manière dont le Gouvernement va réagir, mais on est là..."
M. Tronchot - C'est quoi un conflit majeur ?
R - "Un conflit majeur, c'est si, par exemple, les premiers concernés - aujourd'hui, c'est les cheminots -, s'ils considèrent que le Gouvernement s'appuient sur ce rapport là pour remettre en cause, effectivement, le droit de grève, exiger les 48 heures etc, ce n'est pas exclu qu'à un moment donné il y ait un conflit, mais c'est eux qui décideront."
M. Tronchot - Dans ce cas, l'unité syndicale, parfois difficile à trouver dans le pays, depuis quelque temps, serait envisageable ?
R - "Bien sûr que c'est possible dans ce genre de situation, bien entendu que dans ce genre de situation, l'unité syndicale peut être possible. Vous savez l'unité syndicale se fait quand les bases de l'action sont claires et déterminées, c'est à partir de là qu'il peut y avoir unité syndicale."
M. Tronchot - Vous préconisez quoi ? Une concertation, comme semble le dire G. de Robien, ou il n'y a rien de négociable dans ce qui est contenu dans le rapport ?
R - "Ce qu'on dit, c'est une concertation, une de plus..."
M. Tronchot - Vous n'allez pas les refusez ?
R - "Non, quand on nous demande, on donne notre avis, vous savez on continuera à le donner. Si M. de Robien veut rencontrer au mois de septembre les différents interlocuteurs, je lui dirai, au nom de Force Ouvrière, avec la délégation Force Ouvrière, on lui dira ce que je viens de vous dire : pas de loi, on ne veut pas de cette histoire de 48 heures. Il y a des discussions qui peuvent avoir lieu dans les entreprises, qui ont déjà lieu dans les entreprises, sur les systèmes de dialogue social, sur le système dit de prévention des conflits. Faites respecter aussi pendant les délais de préavis les discussions qui doivent avoir lieu et les négociations. Ce n'est pas la peine d'agiter des chiffons rouges et de vouloir remettre en cause, au nom, y compris d'idéologies, ou de l'idéologie libérale, où il faut remettre en cause le droit de grève. Le problème, je vous l'ai souligné tout à l'heure, est important. Il y a aussi derrière cela et on ne le dit pas, une volonté de remettre en cause ce que l'on appelle nous, la grève de solidarité. Quand je dis la grève de solidarité, ce n'est pas simplement la grève dans un secteur, c'est la grève entre différents secteurs. Imaginez que demain à la SNCF, parce que c'est une grève de solidarité par rapport à un problème général d'assurance maladie, de retraite ou de je ne sais quoi, on pourrait dire, on ne peut pas répondre dans l'entreprise puisque c'est un problème général, donc il y aurait une possibilité de remise en cause ? Il faut savoir que ce droit de grève qui existe en France, que l'on appelle grève de solidarité, n'existe pas dans d'autres pays et il y a certains qui ont dans la tête cette volonté de dire que ce serait bien si, d'une certaine manière, on pouvait remettre en cause ce droit de solidarité de grève."
M. Tronchot - Parlons des 35 heures. Comment est-ce que vous appréciez la multiplication de ces offensives anti-35 heures, de ces entreprises qui tout d'un coup se découvrent des délocalisations possibles, des problèmes et qui entendent proposer un système d'augmentation du temps de travail. Cela vous paraît suspect cette multiplication des cas ?
R - "Suspect oui, mais en même temps, cela peut être qu'un commence - Bosch, par exemple - et deux ou trois risquent de s'engouffrer dans la brèche, cela a déjà existé..."
M. Tronchot - Dans certains cas, c'est justifié ?
R -"Attendez..."
M. Tronchot - Chez Bosch...
R -"Non, ce n'est pas justifié. Au nom de quoi ? Bosch, entreprise multinationale comme d'autres, n'est pas au dépôt de bilan, n'est pas au bord de la faillite. C'est ou vous acceptez de baisser la tête, cela revient à cela dans l'entreprise ; c'est au niveau de l'entreprise que peut avoir lieu le chantage à l'emploi. C'est pour cela qu'on explique qu'il faut des discussions au-delà des cas précis. Il faut des discussions et des règles au niveau national. Si on reste exclusivement dans la discussion au niveau des entreprises, c'est là que l'employeur peut faire pression. Dans le cas de Bosch, c'est un chantage à l'emploi : ou vous acceptez de baisser la tête, c'est-à-dire vous acceptez, et ce ne sont pas les salariés qui sont en cause, vous acceptez de remettre en cause votre niveau de salaire, votre durée de travail, sinon on délocalise. C'est la menace et c'est là qu'il y a chantage. C'est une logique perverse et une logique de dumping, on n'en sortira pas. Si à chaque fois les entreprises utilisent... Il y aura toujours un pays où ce sera plus prédateur que la France, que l'Allemagne ou que la Belgique., on a ouvert..."
M. Tronchot - Et il y en a beaucoup en Europe depuis quelque temps.
R - "Oui, cela pose le problème de la construction européenne d'ailleurs. Quand l'Espagne et le Portugal sont rentrés, c'était deux pays qui rentraient, il y a eu des fonds européens massifs qui ont été utilisés et cela a contribué à augmenter le niveau de vie, les conditions de travail en Espagne et au Portugal. C'est ce que l'on appelle "le militantisme classique" : l'alignement vers le haut. On essaye d'harmoniser vers le haut. Il y a 10 pays qui rentrent, sans règles."
M. Tronchot - Il faudrait un système de contrôle plus contraignant quand une entreprise envisage une délocalisation ?
R - "En tous les cas, il faudrait au minimum que quand il y a des aides publiques d'accordées, quelles soient par l'Etat ou les collectivités territoriales, que ce ne soit pas à fonds perdu, qu'il y ait effectivement une évaluation de ces aides, un contrôle de ces aides et que quand l'entreprise délocalise, ou se comporte mal, on exige qu'il y ait des sanctions. Cela n'existe pas aujourd'hui. Il y a eu une époque, ce que l'on appelle les chasseurs de primes : les entreprises qui viennent s'installer, qui ramassent les primes et puis quand l'exonération est terminée, elles partent ailleurs. Cela peut être le cas dans certains cas de délocalisation, les entreprises qui ont reçu des aides publiques et puis qui annoncent une délocalisation, il doit y avoir possibilité de contrôler et si nécessaire de faire rembourser les aides."
M. Tronchot - Quand madame Aubry clame que l'on est en train de "rétablir la corvée de l'Ancien régime, où les serfs travaillaient pour les seigneurs", trouvez-vous cela pertinent ou ne charrie-t-elle pas un petit peu ?
R - "C'est le problème des 35 heures. Il y a un leurre sur cette affaire. Le président de la République dit qu'il faut respecter et garder les 35 heures comme durée légale. D'accord, on prend acte. Mais dans le même temps, quand on explique qu'il faut que les salariés aient la possibilité de choisir individuellement, c'est un leurre. Ce n'est pas vrai : les salariés ne choisissent pas la durée du travail qu'ils veulent. Sinon, ce serait très simple : vous prenez tous les salariés - et notamment les femmes, parce qu'il y en a malheureusement plus [dans ce cas] - dans le commerce par exemple, qui sont à temps partiel contraint. Si elles avaient la liberté de travailler comme elles l'entendaient, il y en a beaucoup qui aimeraient passer à temps plein. Quand on voit aujourd'hui, dans certains magasins, que non seulement [il s'agit] de salariés à temps partiel contraint, mais qu'en plus, bien souvent ce sont des femmes seules avec des enfants, cela veut-il dire que c'est un choix délibéré qui a été fait ? Ce n'est pas la liberté, on ne choisit pas son horaire de travail, quand on est salarié. Derrière cela, il y a la volonté - c'est ce qui n'est pas acceptable - de dire que si vous voulez gagner un peu plus, il faut travailler plus. Et là, il y a un peu cette notion de "corvée" effectivement."
M. Tronchot - Dans l'esprit des Français, l'idée majoritaire est que les 35 heures, c'est bon pour eux mais pas pour l'économie. La logique du réformisme - qui est mot dont vous vous inspirez, le "réformisme social" - n'est-elle pas qu'un système soit enfin bon pour les Français et bon pour l'économie ? Si oui, quelles propositions faites-vous ?
R - "Là où il y a un problème, c'est que lorsque vous discutez avec des chefs d'entreprise qui ont mis en place les 35 heures, ils ne s'en plaignent pas. Il y a même des chefs d'entreprise qui disent : oh ! s'il n'y avait pas eu les 35 heures..."
M. Tronchot - Mais un jour, ils vont se plaindre que l'économie ne marche pas...
R - "Mais attendez, les chefs d'entreprises ne peuvent pas demander aussi, à ce moment-là, plus de liberté pour eux en matière d'embauche, en matière de licenciement, plus de flexibilité encore, alors qu'il y en a déjà pas mal, et que les salariés ne soient pas couverts pas des garanties collectives. Ce qui est donc bon pour le social est peut-être bon aussi pour l'économie. Les choses sont peut-être inversées. Pour avoir des salariés motivés dans une entreprise, il ne faut peut-être pas exercer le chantage à l'emploi. Il faut peut-être avoir des conditions de travail qui ne se détériorent pas. Or tout le monde explique aujourd'hui - quand je dis "tout le monde", c'est y compris les études publiques - qu'il y a une dégradation importante des conditions de travail, que c'est à l'origine de 20 % des dépenses de santé, tenez ! est-ce que de cela l'on a parlé lors de la réforme de l'assurance maladie ? A-t-on expliqué que la détérioration des conditions de travail pesait sur les comptes ? Non, personne n'en a parlé."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 juillet 2004)
Q- R. Sicard -. Hier, J.-L. Borloo a présenté son plan de cohésion sociale. La gauche, et notamment les socialistes sont très sévères : ils parlent de supercherie, de rideau de fumée... Mais vous, vous êtes nettement moins sévère ?
R - "S'il s'agit effectivement d'aider les gens qui sont au RMI, en allocation spécifique de solidarité, de retrouver un vrai travail et un vrai salaire - que cela ne soit pas des "stages parking" ou des "emplois parking" -, nous ne pouvons bien entendu que soutenir l'objectif. Maintenant, il va falloir voir dans la réalité comment cela va se mettre en place. Ce fameux contrat d'activité, par exemple, même si le Gouvernement dit le contraire, c'est le retour au traitement social du chômage"
Q- J.-P. Raffarin dit que ce n'est pas du tout le traitement social du chômage
R - "Enfin, ça, c'est de la communication ! Mais c'est du traitement social du chômage. Cela montre bien que l'abandon du traitement social du chômage, ces dernières années, n'a pas marché ; le nombre de chômeurs et d'exclus a augmenté. Si cela conduit effectivement à ce que ces personnes retrouvent un vrai travail, on ne peut que soutenir. Mais cela suppose quand même plusieurs conditions. Par exemple, il faut que la formation ait réellement lieu : si elle est mélangée avec le temps de travail, on n'est pas sûr qu'elle aura lieu On va donc surveiller cela attentivement."
Q-Craignez-vous qu'il n'y ait pas assez de moyens derrière ? Les 13 milliards ne sont pas suffisants ? C'est quand même une somme, 13 milliards !
R - "Oui, c'est une somme, sur quand même plusieurs années"
Q-Cinq ans
R - "Le ministre dit lui-même que c'est peanuts par rapport au budget global."
Q-Mais le ministre a dit qu'il avait eu tout l'argent qu'il voulait
R - "Je ne le sais pas, il ne nous a pas dit combien il voulait au départ, donc il va dire cela aujourd'hui, c'est évident. Mais il dit que c'est peanuts par rapport au budget global. On aimerait bien d'ailleurs que sur d'autres dossiers, comme l'assurance maladie, on ait pu dégager de l'argent aussi, que ce soit peanuts également, ce qui n'est pas le cas"
Q-Mais avez-vous l'impression qu'il y a quand même un virage social
du Gouvernement ?
R - "Un "virage social", non, il y a une ou deux mesures. Mais dans le plan de cohésion sociale, il y a aussi des choses dangereuses. Il y a une contradiction quand même : il y a un affichage, on dit que l'on va aider les plus défavorisés, les exclus, à retrouver un travail ; et dans le même temps, on fait référence à des recettes classiques du libéralisme en matière d'emplois. On va reparler des CDD et de l'intérim, assouplir les conditions sur les 35 heures"
Q-J.-L. Borloo vous demande de vous mettre autour de la table avec le patronat, pour entamer une négociation, pour rendre le marché du travail plus efficace. Etes-vous d'accord ? Etes-vous prêt à discuter ?
R - "Le marché du travail plus efficace ? Cela fait des années que l'on nous parle de cela, c'est demandé régulièrement"
Q-C'est vrai qu'il n'est pas très efficace !
R - "Est-ce le marché du travail qui n'est pas efficace ou est-ce parce que l'on fait du libéralisme économique, que la politique économique reste enfermée dans les critères européens, les fameux 3 % de déficit budgétaire par exemple ? C'est ça la cause réelle et profonde du chômage, ce n'est pas le fonctionnement du marché du travail."
Q-Mais si même sur un point, cela peut s'améliorer, pourquoi pas...
R - "Cela dépend sur quoi. Si c'est pour mettre plus de flexibilité, on n'est pas d'accord là-dessus. Le ministre nous demande de négocier sur les restructurations. Cela fait quand même quelques mois que cette négociation a démarré. Pour le moment, elle est complètement au point mort, parce que le patronat ne veut pas avancer. On verra après l'été si cette négociation va avancer"
Q-Mais êtes-vous prêt à aller à la table des discussions ?
R - "Mais les discussions ont déjà commencé, ce n'est donc pas nouveau ! Sur les restructurations, cela a commencé. Sur le travail des seniors, on va voir : cela signifie que les entreprises doivent aussi arrêter de licencier les salariés les plus âgés. Pour le moment, ce comportement n'a pas changé Maintenant, s'il s'agit de simplifier le code du travail, ce qui signifie plus de libertés pour les employeurs et moins de garanties pour les salariés, ce n'est pas négociable."
Q-N. Sarkozy a dit qu'il ne fallait pas hésiter à modifier profondément la loi sur les 35 heures. Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - "Vous parliez de "virage social" tout à l'heure. D'ailleurs, dans le plan de cohésion sociale, on parle aussi des 35 heures. Et ça, c'est une embardée, ce n'est pas un virage ! C'est une embardée et c'est dans le décor ! Non, ce n'est pas sérieux. Il y a quelques mois, on disait qu'on n'allait pas remettre en cause les 35 heures, et là, maintenant, il y a une offensive. Elle est aussi en Allemagne, elle est aussi en Autriche. C'est une offensive coordonnée par les patronats européens. Et ça, on ne peut pas l'accepter."
Q-Pour vous, les 35 heures, ce n'est pas négociable ?
R - "Les salariés ont payé la mise en place des 35 heures. Ils l'ont payée par la modération salariale, ils l'ont payée par plus de flexibilité. Tout le monde n'est pas encore aux 35 heures. Et maintenant, on nous dit que l'on va casser les 35 heures en tant que durée légale, que chacun va théoriquement pouvoir travailler comme il l'entend Mais c'est le patron qui décide, ce n'est pas le salarié !"
Q-Ce que dit N. Sarkozy, c'est que ceux qui voudront travailler plus, pourront travailler plus, mais les autres resteront aux 35 heures
R - "C'est ça Mais il oublie de dire que l'objectif, c'est qu'il n'y ait plus d'heures supplémentaires. Cela veut dire que les salariés ont payé la mise en place des 35 heures et que maintenant, on va leur supprimer ? Non, ce n'est pas sérieux, c'est inacceptable. La durée légale du travail doit rester à 35 heures. Quand les gens font plus de 35 heures Il y a de la flexibilité dans les entreprises, le Gouvernement a déjà assoupli les possibilités d'heures supplémentaires. Et maintenant, il faudrait que les heures supplémentaires ne soient plus rémunérées. Alors non, ce n'est pas sérieux. C'est une véritable régression sociale."
Q-Mais quand on dit qu'il faut travailler plus en France pour affronter la concurrence internationale, c'est une réalité...
R - "Oui, ils l'ont déjà fait, puisque le fameux lundi de Pentecôte, c'est bien une journée de travail supplémentaire. Cela fait déjà sept heures de plus sur l'année. Qu'est-ce qu'ils veulent ? C'est casser tout ce qui est règle collective, casser toute référence aux règles légales ou collectives ? C'est de l'ultralibéralisme."
Q-Donc, vous ne croyez pas au virage social ?
R - "Non, on n'y croit pas, parce que la politique économique demeure enfermée. Regardez le budget de l'Etat : augmentation zéro l'année prochaine. On ne peut pas dire qu'il y ait une volonté de mettre de l'argent. On va voir ce que le plan Borloo va donner."
Q-On ne peut pas non plus augmenter le budget de l'Etat en permanence et augmenter les impôts en permanence...
R - "Ce n'est une question d'augmenter le budget de l'Etat en permanence ou d'augmenter les impôts - d'ailleurs, on les a beaucoup réduits ces dernières années, ce n'était peut-être pas ce qu'il fallait faire -, mais aussi pour avoir de la croissance économique. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que l'un des problèmes, c'est la consommation. Et le meilleur moyen pour augmenter la consommation, c'est d'augmenter le pouvoir d'achat des salaires. Cela, ça marche tout de suite !"
Q-Justement, aujourd'hui, c'est le 1er juillet : le Smic augmente de 5,8 % ; c'est conséquent...
R - "Il n'augmente pas de 5,8 % pour tout le monde. Il augmente de 5,8 % pour un peu plus d'un million de salariés payés au Smic, qui étaient les plus défavorisés en niveau."
Q-C'est l'harmonisation du Smic...
R - "Oui, c'est le problème de l'harmonisation du Smic. Donc, il augmente de 5,8 % pour une partie des salariés. D'autres auront une augmentation beaucoup moindre. Mais cela signifie que c'est une harmonisation. Cela ne fait quand même que 1.154 euros par mois. Quand on voit - je ne veux pas faire de la démagogie - la publication des salaires des patrons des entreprises cotées en Bourse, cela joue sur des millions d'euros par an, mais aussi les augmentations l'année dernière de l'ordre de 14 %, je crois qu'il faut considérer que l'augmentation du Smic, qui n'est qu'un rattrapage - il faut bien comprendre que ce n'est qu'un rattrapage..."
Q-C'est quand même 5,8 %...
R - "Bien sûr. Pour un peu plus d'un million de salariés au Smic. Et pour l'autre moitié, ce ne sera pas 5,8 %."
Q-Aujourd'hui, il y a aussi l'ouverture du marché de l'EDF pour les entreprises. En 2007, ce sera pour tout le monde. Craignez-vous, à terme, une privatisation d'EDF ?
R - "Bien sûr. C'est ce que l'on explique depuis le début au Gouvernement."
Q-En quoi est-ce qu'une privatisation d'EDF est mauvaise ?
R - "Il suffit de regarder comment cela marche à l'étranger. Partout où cela a été privatisé, il y a eu des pépins - y compris en termes de sécurité - : en Italie, au Royaume-Uni, en Californie, cela n'a pas marché. L'expérience montre que la privatisation n'a pas marché. Est-ce qu'il est souhaitable de privatiser, y compris quand on parle du nucléaire ? Il faut peut-être mieux que cela reste dans le service public."
Q-Le Gouvernement a dit et redit qu'il n'y aurait pas de privatisation...
R - "Aujourd'hui. Mais une fois que le verrou aura sauté, une fois que la porte est ouverte ? Et la porte c'est quoi ? C'est le changement de statut ! C'est comme France Télécom."
Q-Vous ne lui faites pas confiance ?
R- "Là-dessus, non. On a l'expérience : France Télécom, c'était la même chose. On a changé le statut, on nous a dit au départ : "ne vous inquiétez pas, cela restera du service public." On voit aujourd'hui quelle est la conséquence. Cela risque d'être la même [chose]. 3 % de déficit budgétaire... Demain, un gouvernement, quand il aura vendu les bijoux de famille et qu'il aura besoin d'un peu d'argent, il se décidera bien à vendre 30 ou 40 % du capital d'EDF-GDF, parce qu'il en aura besoin financièrement. Et ce jour-là, ce sera privatisé."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er juillet 2004)
Europe 1 - 23 juillet 2004
M. Tronchot - Beaucoup de dossiers très publics à feuilleter ce matin avec vous. Chronologiquement, la dernière annonce gouvernementale est une confirmation, dans "un souci d'économies et de meilleure perception de la redevance audiovisuelle", je cite M. Bussereau, on adossera celle-ci à la taxe d'habitation. Concrètement un seul formulaire, celui de la taxe d'habitation. C'est un mesurette ou une vraie réforme ?
R - "D'abord les deux raisons : des raisons d'économies budgétaires et le Gouvernement cherche partout à faire les fonds de tiroir pour respecter les critères économiques européens, la fameuse limitation des budgets. C'est la première raison, c'est d'abord une raison d'économies budgétaires et cela pose deux problèmes. Premier problème, c'est les salariés qui sont concernés, qu'est-ce qu'ils vont devenir même s'il y aura..."
M. Tronchot - On dit qu'ils vont être reclassés ?
R - "Ils vont être reclassés etc, mais c'est quand même un premier problème. Deuxième problème, c'était jusqu'à maintenant clairement identifié, une taxe affectée en quelque sorte. Il y a des inquiétudes sur les ressources, demain, de l'audiovisuel public dans la limite où est-ce que sera aussi bien affecté que cela l'était par le temps passé, puisque c'est adossé à la taxe d'habitation. Ce qui explique que ça grogne du côté syndical quant à ce rattachement de la redevance à la taxe d'habitation."
M. Tronchot - S'agissant du rapport Mandelkern sur le service minimum qui suscite une levée de boucliers, notamment celle de huit fédérations de cheminots, votre syndicat conseille au Gouvernement de ne pas suivre les conclusions d'un rapport qui conduirait à une remise en cause du droit de grève, à un conflit majeur. Ce n'est pas possible de trouver une équation qui respecte le droit de grève et les droits des usagers des services publics ?
R - "C'est aussi comment allier l'eau et le feu. Qu'il y ait des discussions dans les entreprises, comme cela a déjà eu lieu, sur ce que l'on appelle les "systèmes de prévention", l'amélioration du dialogue social. Je vous rappelle quand même que dans le service public, quand il y a un dépôt de préavis de grève, c'est 5 jours avant la réalisation et que les 5 jours, normalement doivent être utilisés par les directions d'entreprise pour favoriser la négociation, essayer de trouver une solution, ce qui est rarement le cas. Le problème posé par le rapport de M. Mandelkern est double. Un, il y a nécessité d'une loi, au nom de quoi une loi serait nécessaire ? Avec cette volonté, même s'il ne parle de service minimum en tant que tel, mais d'éclater les situations selon les régions. Deuxième problème, et là on considère également que c'est une atteinte au droit de grève en tant que tel, à la liberté individuelle de faire grève, même si le droit de grève est un droit collectif également, c'est de dire, 48 heures avant une grève, il faudra que monsieur ou madame X ou Y dise à son chef de service : "attendez dans deux jours, moi, je serai en grève". Nous, on peut décider quand il y a un mouvement de grève, le matin même d'être en grève."
M. Tronchot - La SNCF a une obligation par exemple d'organiser un trafic dans ce genre de cas, de prendre des dispositions. Est-ce que 48 heures ce n'est pas justifié ?
R - "Non, ce n'est pas justifié en ce sens où, là, c'est une atteinte. Il peut y avoir des pressions sur les salariés également, parce que deux jours avant, ils vont dire qu'ils sont en grève, ils hésiteront à dire qu'ils sont en grève parce qu'il y aura une pression de l'entreprise. Donc ce n'est pas acceptable et on considère que c'est vraiment une remise en cause de droit de grève en tant que tel, qui est un droit constitutionnel. Et puis, il y a une deuxième chose derrière tout cela..."
M. Tronchot - La continuité du service public est aussi un droit constitutionnel ?
R - "Oui, mais si l'objectif c'est qu'il y ait possibilité de faire grève et que cela ne gène personne, effectivement que les salariés fassent grève, que leur salaire soit prélevé, parce que quand on fait grève, il y a toujours un prélèvement du salaire et que cela ne gène personne..."
M. Tronchot - C'est plus les usagers que le Gouvernement...
R - "Attendez ! qu'est-ce qu'il se passe aujourd'hui à la SNCF ? Aujourd'hui, quand il y a des grèves d'annoncées et quand des grèves ont lieu, y compris pour des questions de rentabilité financière ? La direction de la SNCF va faire, par exemple, plus circuler les TGV, parce que cela rapporte plus, et moins les trains de banlieues, ce qui pénalisera plus que de raison les banlieusards qui viennent travailler, si je prends la région parisienne. Donc cela existe. Il y a des problèmes de sécurité énormes. Des travaux viennent d'être menés en disant, vous savez cette fameuse idée qui circulait il y a quelques semaines en disant, il faudrait garantir 3 heures de circulation le matin et 3 heures de circulation le soir. Cela suppose 80 % des effectifs, si on veut y compris respecter la sécurité minimale. Cela signifie que c'est une façon de remettre en cause, implicitement, le droit de grève."
M. Tronchot - Il y a des pays européens qui ont résolu le problème.
R - "Oui il y a aussi des pays européens comme l'Italie, qui ont essayé de résoudre le problème, mais quand les salariés sont en grève, malgré l'existence, théoriquement, d'un service minimum, ils sont en grève, même quand cela est dans l'illégalité. Quand la grève est là, elle éclate, ils sont en grève. C'est toujours pareil, on fait des rapports qui peuvent servir de chiffons rouges ou pour s'appuyer sur ce rapport pour prendre des décisions. Nous on considère qu'il n'y a pas nécessité de faire une loi en la matière, que l'histoire des 48 heures, ce n'est pas acceptable. Qu'il y ait des discussions comme cela a lieu dans les entreprises, mais ce n'est pas la peine d'agiter des chiffons rouges. Et si le Gouvernement, effectivement, s'inspirait directement de ce rapport pour faire une loi, remettre en cause, il y aura des réactions syndicales dans les secteurs concernés, au minimum."
M. Tronchot - On entend parler de conflit majeur.
R - "Cela dépend de la manière dont le Gouvernement va réagir, mais on est là..."
M. Tronchot - C'est quoi un conflit majeur ?
R - "Un conflit majeur, c'est si, par exemple, les premiers concernés - aujourd'hui, c'est les cheminots -, s'ils considèrent que le Gouvernement s'appuient sur ce rapport là pour remettre en cause, effectivement, le droit de grève, exiger les 48 heures etc, ce n'est pas exclu qu'à un moment donné il y ait un conflit, mais c'est eux qui décideront."
M. Tronchot - Dans ce cas, l'unité syndicale, parfois difficile à trouver dans le pays, depuis quelque temps, serait envisageable ?
R - "Bien sûr que c'est possible dans ce genre de situation, bien entendu que dans ce genre de situation, l'unité syndicale peut être possible. Vous savez l'unité syndicale se fait quand les bases de l'action sont claires et déterminées, c'est à partir de là qu'il peut y avoir unité syndicale."
M. Tronchot - Vous préconisez quoi ? Une concertation, comme semble le dire G. de Robien, ou il n'y a rien de négociable dans ce qui est contenu dans le rapport ?
R - "Ce qu'on dit, c'est une concertation, une de plus..."
M. Tronchot - Vous n'allez pas les refusez ?
R - "Non, quand on nous demande, on donne notre avis, vous savez on continuera à le donner. Si M. de Robien veut rencontrer au mois de septembre les différents interlocuteurs, je lui dirai, au nom de Force Ouvrière, avec la délégation Force Ouvrière, on lui dira ce que je viens de vous dire : pas de loi, on ne veut pas de cette histoire de 48 heures. Il y a des discussions qui peuvent avoir lieu dans les entreprises, qui ont déjà lieu dans les entreprises, sur les systèmes de dialogue social, sur le système dit de prévention des conflits. Faites respecter aussi pendant les délais de préavis les discussions qui doivent avoir lieu et les négociations. Ce n'est pas la peine d'agiter des chiffons rouges et de vouloir remettre en cause, au nom, y compris d'idéologies, ou de l'idéologie libérale, où il faut remettre en cause le droit de grève. Le problème, je vous l'ai souligné tout à l'heure, est important. Il y a aussi derrière cela et on ne le dit pas, une volonté de remettre en cause ce que l'on appelle nous, la grève de solidarité. Quand je dis la grève de solidarité, ce n'est pas simplement la grève dans un secteur, c'est la grève entre différents secteurs. Imaginez que demain à la SNCF, parce que c'est une grève de solidarité par rapport à un problème général d'assurance maladie, de retraite ou de je ne sais quoi, on pourrait dire, on ne peut pas répondre dans l'entreprise puisque c'est un problème général, donc il y aurait une possibilité de remise en cause ? Il faut savoir que ce droit de grève qui existe en France, que l'on appelle grève de solidarité, n'existe pas dans d'autres pays et il y a certains qui ont dans la tête cette volonté de dire que ce serait bien si, d'une certaine manière, on pouvait remettre en cause ce droit de solidarité de grève."
M. Tronchot - Parlons des 35 heures. Comment est-ce que vous appréciez la multiplication de ces offensives anti-35 heures, de ces entreprises qui tout d'un coup se découvrent des délocalisations possibles, des problèmes et qui entendent proposer un système d'augmentation du temps de travail. Cela vous paraît suspect cette multiplication des cas ?
R - "Suspect oui, mais en même temps, cela peut être qu'un commence - Bosch, par exemple - et deux ou trois risquent de s'engouffrer dans la brèche, cela a déjà existé..."
M. Tronchot - Dans certains cas, c'est justifié ?
R -"Attendez..."
M. Tronchot - Chez Bosch...
R -"Non, ce n'est pas justifié. Au nom de quoi ? Bosch, entreprise multinationale comme d'autres, n'est pas au dépôt de bilan, n'est pas au bord de la faillite. C'est ou vous acceptez de baisser la tête, cela revient à cela dans l'entreprise ; c'est au niveau de l'entreprise que peut avoir lieu le chantage à l'emploi. C'est pour cela qu'on explique qu'il faut des discussions au-delà des cas précis. Il faut des discussions et des règles au niveau national. Si on reste exclusivement dans la discussion au niveau des entreprises, c'est là que l'employeur peut faire pression. Dans le cas de Bosch, c'est un chantage à l'emploi : ou vous acceptez de baisser la tête, c'est-à-dire vous acceptez, et ce ne sont pas les salariés qui sont en cause, vous acceptez de remettre en cause votre niveau de salaire, votre durée de travail, sinon on délocalise. C'est la menace et c'est là qu'il y a chantage. C'est une logique perverse et une logique de dumping, on n'en sortira pas. Si à chaque fois les entreprises utilisent... Il y aura toujours un pays où ce sera plus prédateur que la France, que l'Allemagne ou que la Belgique., on a ouvert..."
M. Tronchot - Et il y en a beaucoup en Europe depuis quelque temps.
R - "Oui, cela pose le problème de la construction européenne d'ailleurs. Quand l'Espagne et le Portugal sont rentrés, c'était deux pays qui rentraient, il y a eu des fonds européens massifs qui ont été utilisés et cela a contribué à augmenter le niveau de vie, les conditions de travail en Espagne et au Portugal. C'est ce que l'on appelle "le militantisme classique" : l'alignement vers le haut. On essaye d'harmoniser vers le haut. Il y a 10 pays qui rentrent, sans règles."
M. Tronchot - Il faudrait un système de contrôle plus contraignant quand une entreprise envisage une délocalisation ?
R - "En tous les cas, il faudrait au minimum que quand il y a des aides publiques d'accordées, quelles soient par l'Etat ou les collectivités territoriales, que ce ne soit pas à fonds perdu, qu'il y ait effectivement une évaluation de ces aides, un contrôle de ces aides et que quand l'entreprise délocalise, ou se comporte mal, on exige qu'il y ait des sanctions. Cela n'existe pas aujourd'hui. Il y a eu une époque, ce que l'on appelle les chasseurs de primes : les entreprises qui viennent s'installer, qui ramassent les primes et puis quand l'exonération est terminée, elles partent ailleurs. Cela peut être le cas dans certains cas de délocalisation, les entreprises qui ont reçu des aides publiques et puis qui annoncent une délocalisation, il doit y avoir possibilité de contrôler et si nécessaire de faire rembourser les aides."
M. Tronchot - Quand madame Aubry clame que l'on est en train de "rétablir la corvée de l'Ancien régime, où les serfs travaillaient pour les seigneurs", trouvez-vous cela pertinent ou ne charrie-t-elle pas un petit peu ?
R - "C'est le problème des 35 heures. Il y a un leurre sur cette affaire. Le président de la République dit qu'il faut respecter et garder les 35 heures comme durée légale. D'accord, on prend acte. Mais dans le même temps, quand on explique qu'il faut que les salariés aient la possibilité de choisir individuellement, c'est un leurre. Ce n'est pas vrai : les salariés ne choisissent pas la durée du travail qu'ils veulent. Sinon, ce serait très simple : vous prenez tous les salariés - et notamment les femmes, parce qu'il y en a malheureusement plus [dans ce cas] - dans le commerce par exemple, qui sont à temps partiel contraint. Si elles avaient la liberté de travailler comme elles l'entendaient, il y en a beaucoup qui aimeraient passer à temps plein. Quand on voit aujourd'hui, dans certains magasins, que non seulement [il s'agit] de salariés à temps partiel contraint, mais qu'en plus, bien souvent ce sont des femmes seules avec des enfants, cela veut-il dire que c'est un choix délibéré qui a été fait ? Ce n'est pas la liberté, on ne choisit pas son horaire de travail, quand on est salarié. Derrière cela, il y a la volonté - c'est ce qui n'est pas acceptable - de dire que si vous voulez gagner un peu plus, il faut travailler plus. Et là, il y a un peu cette notion de "corvée" effectivement."
M. Tronchot - Dans l'esprit des Français, l'idée majoritaire est que les 35 heures, c'est bon pour eux mais pas pour l'économie. La logique du réformisme - qui est mot dont vous vous inspirez, le "réformisme social" - n'est-elle pas qu'un système soit enfin bon pour les Français et bon pour l'économie ? Si oui, quelles propositions faites-vous ?
R - "Là où il y a un problème, c'est que lorsque vous discutez avec des chefs d'entreprise qui ont mis en place les 35 heures, ils ne s'en plaignent pas. Il y a même des chefs d'entreprise qui disent : oh ! s'il n'y avait pas eu les 35 heures..."
M. Tronchot - Mais un jour, ils vont se plaindre que l'économie ne marche pas...
R - "Mais attendez, les chefs d'entreprises ne peuvent pas demander aussi, à ce moment-là, plus de liberté pour eux en matière d'embauche, en matière de licenciement, plus de flexibilité encore, alors qu'il y en a déjà pas mal, et que les salariés ne soient pas couverts pas des garanties collectives. Ce qui est donc bon pour le social est peut-être bon aussi pour l'économie. Les choses sont peut-être inversées. Pour avoir des salariés motivés dans une entreprise, il ne faut peut-être pas exercer le chantage à l'emploi. Il faut peut-être avoir des conditions de travail qui ne se détériorent pas. Or tout le monde explique aujourd'hui - quand je dis "tout le monde", c'est y compris les études publiques - qu'il y a une dégradation importante des conditions de travail, que c'est à l'origine de 20 % des dépenses de santé, tenez ! est-ce que de cela l'on a parlé lors de la réforme de l'assurance maladie ? A-t-on expliqué que la détérioration des conditions de travail pesait sur les comptes ? Non, personne n'en a parlé."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 juillet 2004)