Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la politique sociale européenne, notamment l'agenda social européen, l'établissement d'une charte des droits fondamentaux et la modernisation du modèle social européen, Bruxelles le 22 septembre 2000.

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Circonstance : Conférence du Parlement européen sur l'agenda pour la politique sociale à Bruxelles le 22 septembre 2000

Texte intégral

Madame la Directrice Générale,
Madame la rapporteure,
Mesdames et messieurs les députés européens,
Mesdames et messieurs,
Je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, en tant que Présidente du Conseil Emploi et Politique sociale pour conclure ces deux jours consacrés à l'agenda social européen et à la politique sociale européenne, thème très important pour la Présidence française.
Je remercie le Parlement européen et la Commission européenne d'avoir organisé cette conférence et d'avoir suscité une dynamique et une mobilisation de tous sur des sujets prioritaires pour nos concitoyens.
Je sais que les travaux des ateliers ont été d'une grande qualité et qu'ils ont permis à tous les acteurs - qui ont fait aujourd'hui l'effort de venir à pied- de s'exprimer.
Je serai brève, car les discours d'ouverture de Michel Rocard, d'Anna Diamantopoulou, d'Anna Van Lancker, et à l'instant d'Odile Quintin ont été particulièrement exhaustifs.
Comme vous le savez, la Présidence française du Conseil de l'Union européenne intervient à un moment charnière de la construction européenne : adaptation des institutions en vue du prochain élargissement, élaboration d'une charte européenne des droits fondamentaux, suites du Conseil européen extraordinaire de Lisbonne qui a adopté une stratégie globale permettant à l'Union de faire face à ces changements d'une manière conforme à ses valeurs et à sa conception de la société. Les conclusions des chefs d'État et de Gouvernement soulignent dans cette perspective le caractère indissociable de la performance économique et de la cohésion sociale. Elles rappellent que les ressources humaines sont le principal atout de l'Europe et que c'est sur la base du modèle social européen, avec ses régimes de protection sociale développés, que doit se faire le passage à l'économie de la connaissance.
La pérennisation de ce modèle appelle sa modernisation pour en adapter les divers éléments aux défis auxquels les États membres se trouvent confrontés et qui tiennent notamment au vieillissement démographique, aux mutations technologiques et aux nouvelles formes d'organisation du travail.
Dans ce contexte, la Présidence française s'attache à définir les bases de la modernisation du modèle social européen, à travers la promotion d'une Europe plus créatrice d'emplois de qualité et plus solidaire, et à travers l'adoption d'un agenda social européen, afin de donner davantage de visibilité et de cohérence aux initiatives de l'Union européenne dans le domaine social.
Comme vous le savez, le Conseil européen de Lisbonne a donné à la Présidence française un mandat très clair : aboutir avant la fin de l'année à l'adoption d'un Agenda social européen qui intègre les initiatives des différents partenaires acteurs de la politique sociale européenne.
Conformément aux conclusions de ce Conseil, nous avons débuté nos travaux dès le début du mois de juillet, sur la base de la communication de la Commission, dont je veux saluer d'emblée la grande qualité et l'ambition.
Le premier Conseil informel de notre Présidence, qui a réuni le 8 juillet à Paris les ministres de l'emploi et de la politique sociale, et que j'ai présidé, a été principalement consacré à l'examen de cette communication et aux grandes orientations du futur Agenda social.
J'ai été très heureuse de pouvoir constater un fort consensus sur le champ, le contenu et la méthode proposés par la Commission. Mes collègues ont démontré une réelle volonté politique de poursuivre le renforcement du modèle social européen.
Lors de ce Conseil, plusieurs points ont plus particulièrement été examinés :
*les finalités de la politique sociale européenne,
*les objectifs de l'Agenda social,
*la méthode d'élaboration et de mise en uvre de l'Agenda.
Vous me permettrez de revenir sur chacun de ces points avant de conclure sur les travaux que nous avons entrepris depuis.
Premier point : la finalité de la politique sociale européenne
La politique sociale est, comme le souligne la Commission, un facteur de performance économique. Je suis persuadée en effet qu'une société plus solidaire est aussi une économie plus performante. Mais elle a également un caractère autonome et poursuit des finalités propres en matière de réduction des inégalités, de progrès et de cohésion sociale, d'amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens.
Le traité fixe des objectifs particuliers : la promotion du progrès économique et social, un niveau d'emploi élevé, l'amélioration des conditions de vie et de travail, l'égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre les discriminations et contre l'exclusion sociale. C'est toutes les potentialités du traité que l'on doit ainsi retrouver dans l'agenda social.
Selon une image chère à notre commissaire, Anna Diamantopoulou, et conformément aux conclusions du Conseil européen de Lisbonne, il nous appartient désormais de développer une approche intégrée de la construction européenne, comprenant les trois dimensions du " triangle " qui compose le modèle social européen - l'emploi, l'économie et la cohésion sociale -, qui ne peuvent et ne doivent plus être dissociés l'un de l'autre.
Dans cette approche intégrée, il y a le refus d'une société et d'un marché du travail à deux vitesses, la conjugaison de la performance économique et de la solidarité. Comme le dit très justement la communication de la Commission : " le message essentiel est que la croissance n'est pas une fin en soi, mais avant tout un moyen permettant de mettre en place un meilleur niveau de vie pour tous. ".
Deuxième axe que je souhaite aborder, les objectifs de l'Agenda social européen :
L'objectif que nous poursuivons est de rendre plus visible et plus effective la politique sociale européenne en préparant l'Union aux grands défis communs : je pense notamment à la globalisation, à l'intégration économique et monétaire et aux restructurations sectorielles qu'elle induit, à l'élargissement, ou encore au vieillissement démographique.
L'enjeu de l'Agenda social est de clarifier ces défis, d'analyser leurs implications sociales et de fixer, au niveau communautaire, les grandes orientations nécessaires pour y répondre.
C'est la raison pour laquelle je le conçois comme un document pragmatique et très concret qui, pour les principaux chantiers de l'Europe Sociale, comme son nom l'indique, fixera les objectifs, la méthode et le calendrier de travail des cinq années à venir de la politique sociale européenne.
L'agenda accompagnera ainsi la Charte des droits fondamentaux, et particulièrement ses droits économiques et sociaux, dont la Présidence française souhaite qu'ils soient les plus ambitieux possibles.
Mais je considère également qu'une Présidence est aussi l'occasion d'expliquer à nos concitoyens ce que peut leur apporter l'Europe et comment fonctionne l'Europe.
L'agenda social répond à cette préoccupation en donnant plus de visibilité à l'Europe sociale dont on critique trop facilement la faiblesse en grande partie par méconnaissance de ses réalisations concrètes et ensuite en faisant progresser l'Europe sociale, élément décisif pour que nos concitoyens adhèrent au projet européen.
Or, en matière sociale particulièrement, le bilan et les acquis sont méconnus. J'entends par exemple trop souvent dire que l'Europe sociale n'avance pas, voire qu'elle n'existe pas !
Troisième point que je souhaite aborder : la méthode d'élaboration et de mise en uvre de l'Agenda
Comme le prévoient les conclusions de Lisbonne, j'ai à coeur d'associer l'ensemble des acteurs concernés par la politique sociale. C'est la raison pour laquelle je vous ai tous invités à contribuer à cette réflexion sur la base de la communication de la Commission : partenaires sociaux européens, ONG, institutions européennes (Parlement, Comité économique et social, comité des régions), groupes et comités du Conseil (Comité de politique économique, comité de l'éducation, comité de l'emploi, comité de protection sociale).
Je partage donc pleinement le souhait de Michel Rocard de voir l'ensemble des acteurs, c'est à dire, pour reprendre ses termes, les travailleurs, les entreprises, les partenaires sociaux et les territoires, contribuer à cette réflexion.
C'est également ce souhait d'approche concertée qui m'a conduit à confier à Raoul Briet, président du Groupe à Haut niveau sur la Protection sociale (GHNPS), une mission de coordination de la préparation des travaux sur l'Agenda, lui demandant de recueillir les positions de chaque capitale européenne.
Dans ce cadre, je suis convaincue que le Parlement européen a un rôle essentiel à jouer. J'ai pris connaissance des travaux de Mme Van Lancker, et je salue son ambition, que je partage, d'un calendrier concret et son idée d'un " mainstreaming " du social, pour reprendre notre jargon communautaire, c'est à dire de la prise en compte des aspects sociaux dans toutes les politiques de l'Union européenne. Nous avons commencé à le faire pour les grandes orientations de politique économique (GOPE) mais cela peut être étendu à d'autres domaines comme l'élargissement ou la politique industrielle.
A cette multiplicité d'acteurs acteurs concernés fait écho la palette riche des outils dont nous disposons pour mettre en uvre notre agenda social, et qu'il s'agit d'utiliser efficacement :

-les Conseils européens de Lisbonne et de Feira ont consacré la " méthode de coordination ouverte, très utile dans les domaines qui demeurent de compétence nationale mais qui au regard des défis qui nous sont communs, nécessitent une stratégie commune. Cela me semble aujourd'hui être clairement le cas de la lutte contre les exclusions ou de l'emploi) ;

-les traités de Maastricht et d'Amsterdam ont considérablement élargi le champ de l'action normative communautaire dans le domaine social. Ils nous offrent de nouvelles bases juridiques pour agir en matière d'amélioration des conditions de travail, d'égalité entre les hommes et les femmes, de lutte contre les discriminations.
Nous avons déjà un corpus législatif conséquent qu'il convient aujourd'hui de réactualiser et d'adapter pour tenir compte des changements du monde du travail (directives sur le maintien des droits en cas de transfert, insolvabilité, comité d'entreprise européen, licenciements collectifs, etc).
Nous avons par ailleurs un certain nombre de textes sur la table dont l'adoption demeure prioritaire. Je pense bien entendu au paquet discriminations avec la directive sur les discriminations dans l'emploi et avec le programme mais aussi aux deux textes sur l'implication des travailleurs, auxquels la Présidence française attache une importance toute particulière. Je fais référence à la société européenne et à l'information-consultation des travailleurs au niveau national. J'ai d'ailleurs écrit à mes collègues à ce sujet, et j'espère que nous pourrons avancer sous Présidence française, notamment au Conseil Emploi et Politique sociale du 17 octobre prochain.
Nous pouvons enfin, Etats, partenaires sociaux et institutions, nous engager sur des chantiers nouveaux destinés à promouvoir les capacités d'adaptation de notre société aux changements en assurant une plus grande sécurité aux travailleurs.
Dans le champ de l'action normative, négociation collective et législation par le Conseil et le Parlement, loin de se concurrencer, se renforcent mutuellement. Je me réjouis à cet égard de l'intention d'ouverture des partenaires sociaux européens sur le travail intérimaire.
La Confédération Européenne des Syndicats a, à cet égard, clairement identifié des besoins nouveaux en matière de : formation tout au long de la vie, télétravail, travail indépendant, multisalariat, travail temporaire, etc.
Dialogue social, législation, méthode ouverte de coordination, convergence, échanges d'informations et financements dans le cadre des fonds et programmes communautaires ; les moyens d'action sont multiples. A nous de choisir celui qui nous paraît le mieux approprié à chacun de nos objectifs.
Il est clair, par exemple, que le domaine de la protection sociale doit rester de compétence nationale et que l'action de l'Union doit se limiter à une coordination des régimes nationaux de sécurité sociale. Mais les évolutions induites par l'achèvement du marché intérieur, l'Union économique et monétaire, l'élargissement et la jurisprudence de la Cour impliquent un renforcement de cette coordination. Il faut à la fois donner son plein effet à la libre circulation des personnes sur le territoire de l'Union et d'organiser un accès équitable aux soins et produits de santé dans l'espace européen, mais aussi garantir la pérennité du financement de nos systèmes nationaux de protection sociale. Elle nous poussent également à rechercher une coopération renforcée à partir d' Elle nous poussent également à rechercher une coopération renforcée à partir d'une bonne organisation des échanges d'informations et d'expériences.
Enfin, je souhaiterais faire le point sur nos travaux
A ce stade, la Présidence française procède au recueil des points de vue de tous, à partir de la communication de la Commission. Nous attendons les contributions des uns et des autres.
Nous nous axons sur les grands domaines identifiés par celle-ci et qui couvrent l'ensemble des sujets de la politique sociale européenne:
plein emploi et qualité du travail

-qualité de la politique sociale, avec ses composantes essentielles que sont la protection sociale, la lutte contres les exclusions et toutes les formes de discrimination,

-et enfin conséquences sociales de l'élargissement et dimension sociale de la mondialisation.
Il s'agit de montrer clairement et concrètement à nos concitoyens, par des actions fortes, comment nous entendons traiter des questions aussi essentielles que l'emploi (conditions de travail, rémunérations et participation), la protection sociale (retraite, accès à des soins de qualité et cohésion sociale), la lutte contre les exclusions, etc.
Sans vouloir aller dans le détail et dans la mesure où nous sommes en pleine phase de consultation, je souhaite quand même vous donner quelques grandes orientations sur les types d'actions que nous sommes en train de discuter avec nos partenaires dans le domaine de l'emploi, du travail, et de la lutte contre les exclusions.
1. dans le domaine de l'emploi :
*c'est tout d'abord la notion de qualité de l'emploi qui me semble essentielle. Au cours de ces dernières années nous avons privilégié la lutte contre le chômage - cette lutte doit à tout prix être poursuivie. L'intégration sociale passe en effet par l'emploi, mais l'emploi seul ne suffit pas et nous devons tenir compte de situations inacceptables dans lesquelles le travailleur demeure en situation de pauvreté et de précarité alors qu'il occupe effectivement un emploi.
L'Agenda social, dont l'horizon est le moyen terme, devrait donc s'attacher aux aspects quantitatifs mais aussi qualitatifs de l'emploi en tant que conditions de l'intégration sociale mais aussi en tant qu'éléments de réponse aux défis de demain. Ainsi, l'évolution démographique, pour ne prendre qu'un exemple, suppose des aménagements importants dans les conditions d'emploi, de travail, de formation pour permettre de maintenir dans l'emploi les travailleurs vieillissants et d'accroître l'activité professionnelle des femmes.
2. dans le domaine du travail :
La priorité doit être accordée à l'adaptation et à la gestion du changement. Nous devons favoriser la mobilité des travailleurs tout en sécurisant leurs trajectoires professionnelles. Cet objectif implique un effort en termes de formation continue, de validation des acquis, mais aussi d'association des travailleurs à la gestion du changement (observatoire des mutations industrielles, information-consultation, révision des directives comité d'entreprise européen, etc). Cet effort est de notre responsabilité commune : Etats et institutions mais aussi et surtout partenaires sociaux.
Il est fondamental que des négociations s'engagent et aboutissent sur toutes les nouvelles formes d'emplois et d'employabilité des travailleurs (télétravail, travail indépendant, multisalariat, travail temporaire, etc).
3. dans le domaine de la lutte contre les exclusions :
La lutte contre l'exclusion sociale est une nouvelle dimension de la construction européenne. Alors que les perspectives de croissance en Europe permettent d'envisager le plein emploi, il nous appartient d'offrir un avenir à tous. Conformément aux conclusions de Lisbonne qui font de la lutte contre les exclusions un élément central du modèle social européen, nous souhaitons dégager, et c'est un sujet qui me tient particulièrement à cur, les éléments d'un accord sur des " objectifs appropriés " de lutte contre les exclusions qui serviront de base à des plans nationaux d'action.
L'Agenda devra préciser la démarche dans laquelle nous nous engageons, répartir les responsabilités des uns et des autres et fixer le calendrier de cette nouvelle stratégie européenne chargée de donner un élan décisif à l'élimination de la pauvreté.
J'ai enfin rappelé tout à l'heure l'importance du domaine de la protection sociale qui se retrouve à plusieurs niveaux : élément de la libre circulation des personnes, de la qualité de l'emploi et de la cohésion sociale.
En conclusion, je tiens à vous dire combien cet exercice me paraît déterminant pour l'avenir de la construction européenne. Nos concitoyens ont besoin d'un message clair et d'un vrai projet d'avenir en ce qui concerne la qualité de leur vie personnelle et professionnelle.
Si nous parvenons à nous mettre d'accord sur quelques objectifs et actions prioritaires pour la consolidation du modèle social européen et que nous nous dotons des moyens pour y parvenir dans les 5 années à venir, je crois sincèrement que la construction de l'Europe sociale aura fait un pas décisif.
Je vous remercie de votre attention.


(source http://www.social.gouv.fr, le 3 octobre 2000)