Interview de M. François Baroin, porte-parole de l'UMP, à Europe 1 le 4 février 2004, sur la décision d'Alain Juppé de poursuivre son action politique après sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs du RPR, la préparation des élections régionales et le débat sur la laïcité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Alors, "il" reste, "il" tient bon. Qui gagne ?
R- "Le courage, la vision, la dimension d'homme d'Etat, la solidarité."
Q- Le saviez vous, vous ?
R- "Non."
Q- Il y a eu de vraies larmes, beaucoup d'émotion et de pots d'adieux. Apparemment, A. Juppé a changé d'avis à plusieurs reprises ?
R- "Vous le dites, je n'en sais rien."
Q- Vous pensez que, dès le début, il voulait rester ?
R- "Je crois qu'il y a, comme il l'a dit d'ailleurs, le premier instinct, le premier réflexe, la première réaction : "je pars". Et il y a un homme qui prend le temps, qui réfléchit, qui écoute, qui reçoit les messages de soutien."
Q- C'est à dire que la volonté peut transformer un calvaire en destin ?
R- "D'abord, je crois qu'il y a la stature d'un homme, la stature intérieure d'un homme qui, face à une immense épreuve, trouve en lui même, à ses côtés, les ressources de dire : je ne suis pas comme peut être certains qui ont été blessés par une épreuve électorale, par exemple, et qui quittent le navire en laissant celles et ceux, les plus faibles ou les plus forts, se débrouiller tout seul. Non, je trouve qu'il y a dans ce choix, un choix de très grand courage. La facilité pour lui c'était de partir, la difficulté pour lui c'était de rester. Il reste, il assure à la fois ce qu'il exprime comme une volonté d'organiser la relève et, en même temps, il donne un message d'une immense puissance qui est, dans toutes les difficultés, malgré tout, l'intérêt général est supérieur à tout."
Q- Qu'est ce que c'est beau !
R- "C'est fort !"
Q- Personne ne peut résister à la force de conviction des arguments de J. Chirac, c'est Chirac qui gagne ?
R- "Je ne le crois pas non plus. Une fois encore, dans cette situation, A. Juppé était seul face à un tribunal et seul face à une décision, il le fait. Il a écouté les messages."
Q- D'accord, d'accord. Il y a eu les Bordelais, ses amis...
R- "Il y a eu des Français, des gens politiques..."
Q- Les Bordelais sont des Français...
R- "Oui, oui."
Q- Vous, ce matin, vous êtes soulagé ?
R- "Je suis à la fois soulagé globalement, parce que je pense que sa décision est, à l'évidence, un gage de stabilité pour l'UMP, pour le Gouvernement, pour la vie politique française dans sa majorité actuelle..."
Q- Mais il y a tellement de choses qui reposent alors sur Juppé ?
R- "Oui, il est, par sa trajectoire, celui qui a permis à la droite de se ressouder en 2002 et de favoriser ainsi la réélection de J. Chirac. Il est celui qui a construit cette grande formation nouvelle, l'UMP, de la droite et du Centre. Et puis, je le rappelle, parce que c'est vrai que c'est un moment assez fort, sa trajectoire est assez singulière : il a tenu bon lorsque tout le monde partait, aux côtés de J. Chirac, à la fin des années 1980. Il a tenu bon, lorsque certains doutaient, sur le point de savoir s'il fallait mener des alliances avec le Front national. Il a été l'un des seuls, avec J. Chirac et quelques autres rares, à s'exprimer. Et si la droite n'a pas fait ces alliances, on le doit aussi à A. Juppé. Et puis, il a tout de même aussi cette dimension d'homme d'Etat, de vision, de parole."
Q- A. Juppé, reste député de Gironde, maire de Bordeaux. Est ce jusqu'à l'expiration de ses mandats ou jusqu'à son procès en appel ?
R- "Une première instance s'est prononcée, il y a un premier jugement. L'appel va durer entre 10 et 14 mois. Dans cet intervalle, il l'a dit, il conserve tous ses mandats, 10 ou 14 mois, d'un citoyen ordinaire, qui va assurer sa défense."
Q- Il est comme en sursis ?
R- "Il est "en sursis", il est dans une logique d'essayer de convaincre les magistrats de sa bonne fois. Il a un regret, c'est de n'avoir pas pu convaincre de sa bonne foi en première instance."
Q- A deux reprises, A. Juppé a répété que "d'ici à l'appel, [il] voulait organiser la relève". C'est à dire ? Et la relève de quoi ?
R- "La "relève" de la transition politique. Il a lui même dit qu'il fallait un nouveau président à l'UMP, tout cela s'organise. Il y a les deux cas de figure : soit il quittait, et dans ce cas là les statuts permettaient l'organisation de la vacance de la présidence, à travers notamment la vice présidence déléguée, pour organiser des réunions en juin. Ou alors, de tenir, et nous avons un congrès, comme le savez, à l'automne."
Q- Et vous allez tenir, alors que huit mois c'est long, avec deux campagnes électorales, pour les élections régionales et européennes ? Et pensez vous qu'A. Juppé sera psychologiquement on n'en doute plus, mais politiquement en état de mener l'UMP à la bataille ?
R- "Je le crois, parce que, quand on l'a regardé à la télévision, vous comme moi, à la fois une grande sérénité et une grande force se dégageaient. Je le crois, parce que, comme il a ce sens du devoir, il le fera avec un grand professionnalisme. Et puis, il n'est pas seul, il y a une équipe autour de lui, il y a des gens volontaires et motivés, il y a des structures, des élus, des candidats, et il y a une stabilité politique retrouvée. Je pense que ce qu'il faut retenir, c'est cette stabilité politique et ce besoin de sérénité pour que le citoyen Juppé puisse être jugé en sérénité."
Q- N'est il pas surprenant que ce soit lui, A. Juppé, qui parle de "relève" ?
R- "Et pourquoi ce serait surprenant ?"
Parce qu'il jeune, il est en forme, il le démontre, et il disait : "Avant de m'en aller, je veux que ça se passe bien". Mais pourquoi s'en aller dans ces conditions ? Parce que la phrase n'est pas retenue, il l'a dit à la fin de son intervention avec P. Poivre d'Arvor...
"Mettez vous à la place d'un homme, qui a été jugé, avec une condamnation lourde, dont il considère, de bonne foi, que ses arguments n'ont pas été entendus. Il fait appel. Que je sache, s'il y a des cours d'appel, c'est parce que, en effet, les tribunaux peuvent se tromper, peuvent aller dans l'erreur. Et lorsque l'on n'accepte pas une décision, cela ne veut pas dire qu'on la condamne. Lorsque que l'on conteste des attendus, cela ne veut pas dire qu'on pointe du doigt une justice partiale. Lorsqu'on vit comme un calvaire une décision que l'on vit comme de façon tout à fait oppressante, cela signifie tout simplement qu'on veut faire valoir le droit, tout le droit et rien que le droit."
Q- Les attendus de Nanterre, vous y faites allusion, s'en prennent, au delà d'A. Juppé, au président du mouvement de l'époque vous vous souvenez. Est ce qu'avec J. Chirac, chacun de vous à l'UMP, se sent visé ?
R- "L'amalgame, la confusion sont les pires ennemis de la politique comme de la vie de tout citoyen. Et c'est la raison pour laquelle, pour ma part, je n'irai sur aucun commentaire du commentaire. Chacun peut se forger son jugement sur ce jugement. Ce que je crois profondément, c'est qu'il faut retrouver de la sérénité pour la justice, pour qu'elle travaille et qu'elle dise le droit."
Q- Le système de défense d'A. Juppé, en le regardant hier, paraît évoluer dans la perspective de l'appel. Hier, à TF1, il se reconnaissait "des erreurs" et même "des fautes". A votre avis, lesquelles ?
R- "C'est à lui d'organiser la défense de ses intérêts, avec ses arguments. "La faute"... Mais d'ailleurs, il l'avait lui même dit : il y a eu des lois qui se sont mises en place, sa responsabilité a été d'assurer la transition pour que, le plus possible, le parti politique dont il avait la responsabilité se mette en conformité avec cette loi."
Q- Deux choses sur tout ce qui est dit : le PS, se révolte contre "deux justices, selon qu'on est puissant" etc. La loi doit être la même pour tous. Est ce qu'elle ne l'est pas ? Et voyez vous, vous, cette "discrimination positive" en faveur des "grands" ?
R- "Je vois en réalité plutôt le contraire. Lorsque que quelqu'un est mis en examen, il est obligé de quitter ses fonctions. Je crois que même un homme politique a le droit à la présomption d'innocence. Et dans ce contexte là, c'est une exigence supplémentaire, il n'y a pas deux justices, et je conseillerais à quelques socialistes un peu indignes, de se rappeler que M. Jospin avait qualifié "d'inique" la décision concernant Emmanuelli, et que M. Hollande s'était même permis d'adresser un courrier à M. Chirac pour lui demander comment on pouvait aménager la peine de M. Emmanuelli."
Q- Comment se comporte la gauche depuis vendredi ?
R- "Certains bien, je pense à Emmanuelli, mais parce qu'il a vécu cette épreuve. Je pense à Fabius d'ailleurs, j'ai trouvé très correcte sa déclaration. Et d'autres se comportent comme des voyous de bas étages."
Q- Et dans votre camp ? N. Sarkozy ?
R- "Il a tenu les mots, il a exprimé l'amitié naturelle et il a fait ce qu'il fallait, je crois."
Q- F. Bayrou ?
R- "Beaucoup moins déjà."
Q- C'est à dire ?
R- "Un silence crispé, qui prend peut être la forme d'un sourire."
Q- Donc, vous pensez que vous ne serez pas affaiblis au moment des régionales ?
R- "On s'organisera. Ce n'est pas un homme seul ; il n'était pas seul avant, il l'est encore moins aujourd'hui."
Q- Aux régionales, F. Hollande voit la victoire à sa portée. Il disait l'autre jour à Europe 1 : "Huit régions sur huit déjà acquises et peut être même huit plus deux". Pourrez vous démentir, dans l'état où vous êtes, à l'UMP et on va voir, dimanche que vous êtes en forme "Hollande Gargantua" ?
R- "Oui, ou "Hollande tu rêves" ou "Hollande, nous sommes là"... Et nous serons très présents. En tout cas, ces comptes d'apothicaire ne sont pas à la hauteur de cet enjeu et de la manière dont on va mener cette campagne. On la mène avec beaucoup de détermination, et avec d'ailleurs beaucoup de listes renouvelées, donc il y aura quand même pas mal de nouveautés."
Q- Donc, si je comprends bien, ça va barder à partir de dimanche ?
R- "En tout cas, ça va "campagner"."
Q- "Campagner", c'est un joli mot. Cet après midi, devant l'Assemblée, il y a une manifestation anti loi sur la laïcité, organisée par des mouvements d'extrême gauche, par les Verts et par des jeunes islamistes, proches de T. Ramadan. Comment réagissez vous ?
R- "Je suis très choqué. J'ai été parmi les premiers à proposer un texte pour sortir d'une ambiguïté. Je rappelle juste quelques principes : la laïcité dans l'Etat, c'est la neutralité. Et tout ce qui vise, de près ou de loin, à attenter à la dignité de la femme est quelque chose qui est insupportable pour tout citoyen républicain, responsable, tout simplement pour un homme moderne. Et la manière dont les propos sont tenus, la façon dont Ramadan a refusé officiellement de dénoncer la lapidation des femmes, la répudiation, bref, il y a des choses qui ne sont pas acceptables et que je crois que la justice devrait d'ailleurs regarder avec beaucoup d'attention des propos inacceptables dans une République , et une alliance des extrêmes qui est une grande facilité démagogique, sur laquelle nous devons également être très attentifs."
Q- L'hebdomadaire Elle n'a peut être pas tort de dire : "Il y a urgence à être féministe aujourd'hui". En tout cas, c'est A. Juppé qui va défendre, comme il l'avait fait devant la commission Stasi, la politique de l'UMP en matière de laïcité et d'intégration, une loi au registre étendu, jusqu'à la laïcité dans les hôpitaux.
R- "Oui, mais ça c'est également la conclusion de J. Chirac : une loi pour l'école, une disposition législative pour l'hôpital, un code de la laïcité pour tout le monde."
Q- Il y avait un ton dans cette conversation que nous avons ce matin. Est ce que les pires moments sont derrière vous ou vous êtes jeune ...
R- "Chaque jour un peu moins !"
Q- ... les pires moments sont des moments les plus fréquents ?
R- "Je serais tenté de vous répondre ce que disait Prévert : "Ce qui tombe sous le sens rebondit ailleurs." Ce qui tombe sous le sens, s'agissant de Juppé, c'est le courage, la force, la vision. Ailleurs, ce sont les Français, la justice et le destin qui le diront."
(Source http://www.u-m-p.org, le 10 février 2004)