Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'indépendance des états baltes, leurs relations avec la Russie, les négociations d'adhésion à l'Union européenne, la sécurité régionale des pays baltes, Paris le 24 mai 2000.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Les pays baltes et l'Union européenne" organisé par l'Institut français des relations internationales (IFRI) à Paris le 24 mai 2000

Texte intégral

Madame la Présidente,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs, chers Amis,
Je vous remercie, Monsieur le Président, de m'avoir convié à ouvrir ce colloque sur "les pays baltes et l'Union européenne", que vous avez organisé pour célébrer le dixième anniversaire de la restauration de l'indépendance des Etats baltes.
Je remercie particulièrement Madame la Présidente Vike-Freiberga d'avoir bien voulu honorer de sa présence cette manifestation : c'est l'occasion de sa première visite à Paris, ce qui lui permettra de rencontrer tout à l'heure le président de la République.
Je remercie également tous mes collègues qui ont bien voulu faire le déplacement et que j'ai plaisir à revoir : M. Saudargas, ministre des Affaires étrangères de Lituanie, M. Sasi, ministre du Commerce extérieur de Finlande, M. Kallas, ministre des Finances de l'Estonie et M. Pagrodsky, ministre du Commerce extérieur de Suède.
Pourquoi ai-je parlé de restauration de l'indépendance ? Et bien tout simplement parce qu'en proclamant, le 11 mars 1990, pour la Lituanie, le 4 mai 1990, pour la Lettonie, et le 20 août 1991, pour l'Estonie, l'indépendance, les parlements nationaux ont, en fait, restauré une indépendance, déjà acquise à l'issue de la Première Guerre mondiale. C'est dire la signification historique des événements des années 1990-1991 que nous avons tous en mémoire et que M. de Montbrial vient rappeler.
Ces événements ont brusquement rappelé avec la force de l'évidence, combien l'histoire de cette région fait intimement partie de celle de notre Europe. L'appartenance intime des trois Etats baltes à notre continent est en effet ancienne. Riga et Tallinn, ont fait partie de la Hanse, cette puissante ligue marchande et maritime qui, jusqu'au 14ème siècle, a irradié de sa culture et profondément marqué de sa prospérité commerciale, mais également de ses pratiques de gouvernement démocratiques, la partie septentrionale de l'Europe. Par son intermédiaire, la France a entretenu de très fortes relations marchandes avec les cités baltes. Quant à Vilnius, elle fut dès le 14ème siècle, au carrefour de toutes les influences européennes et mondiales : bastion de la contre-réforme, elle n'en a pas moins accueilli l'une des communautés juives les plus importantes et les plus brillantes d'Europe.
Je voudrais rappeler aussi que, dans la seconde moitié du 19ème siècle, les peuples baltes ont participé aux mouvements européens d'émancipation nationale et ont su affirmer avec force la vitalité de leur Nation, par la voix de leurs écrivains, de leurs poètes, de leurs penseurs.
Mais l'appartenance de vos pays à l'Europe leur a fait aussi partager les moments les plus sombres de notre Histoire. Intégrés dans des empires jusqu'au début du 20ème siècle, leurs territoires ont été dévastés au cours des deux guerres mondiales. Ils ont connu les occupations et les terreurs nazies et staliniennes, ont été décimés par la Shoah, ont subi les déportations massives vers le Goulag, pour être ensuite, comme les pays d'Europe centrale et orientale, coupés du reste du monde durant la guerre froide. Mais, ces tourments n'ont pu entamer la volonté des peuples baltes d'accéder à la démocratie et à la liberté, pour retrouver leurs racines européennes.
Dès leur indépendance, en 1918, les pays baltes avaient su faire valoir leur identité propre, tout en affirmant leur solidarité entre eux, dans le voisinage souvent délicat d'un pays autrement plus vaste et plus puissant, la Russie bien sûr. "Retrempée" dans l'enthousiasme de 1990, cette solidarité a progressé de façon notable au niveau politique, y compris au niveau le plus élevé, dans le domaine de la défense et, enfin, au niveau économique. Le développement de la coopération économique régionale, en particulier, a permis à vos pays de reprendre toute leur place dans cette zone de la Mer Baltique qui, après avoir symbolisé les divisions de la guerre froide, a renoué avec la croissance pour devenir, sur le plan économique et humain, l'une des régions les plus dynamiques et innovantes de notre continent. Enfin et surtout, les responsables baltes ont pris conscience que cette coopération régionale, loin de les isoler, constituait au contraire une étape utile vers l'intégration européenne. Ayant rapidement fait de l'adhésion à l'Union européenne leur priorité, les trois pays ont transformé en un temps record leurs économies et ancré de nouveau leurs systèmes politiques dans la démocratie.
L'Union européenne a, pour sa part, répondu dès le début des années 90 à cette aspiration légitime à retrouver l'Europe. Ensuite, tout est allé très vite - pas assez à votre gré, je le sais, mais pourtant si vite au regard de l'histoire de notre Europe -. Je ne rappellerai pas toutes les étapes depuis le Conseil européen de Copenhague, en juin 1993. Je rappellerai simplement qu'avec les pays baltes, c'est en juin 1995, sous présidence française, à Cannes, qu'ont été signés les accords d'association qui ont ouvert la voie pour chacun d'entre eux, au dépôt de leur candidature à l'adhésion.
De leur côté, les pays baltes se sont alors attelés à la reprise de l'acquis communautaire, accomplissant rapidement des efforts substantiels. J'ai pu personnellement m'en rendre compte dès la fin de l'année 1997, lorsque je me suis rendu dans les trois capitales baltes. Aujourd'hui, les négociations d'adhésion sont en cours avec les trois Etats baltes et je m'en réjouis.
La France, qui soutient pleinement les projets européens des trois pays baltes, compte bien, durant sa présidence au second semestre de cette année, encourager les progrès des négociations de l'Union avec chacun d'eux, comme avec les autres candidats.
Car l'élargissement, qui constitue, comme l'a souligné le Premier ministre, Lionel Jospin, "une chance de tourner définitivement la page de la guerre froide" figure naturellement au rang de nos priorités. C'est à la fois l'aventure historique majeure des années à venir et, en même temps, un immense défi. La présidence française de l'Union entend apporter une contribution essentielle à cette tâche historique. Et c'est parce que nous en mesurons bien l'importance que nous voulons la réussir. Pour cela, nous devons mettre la maison en ordre afin de vous accueillir dans une Europe dotée d'institutions efficaces. La réforme institutionnelle est un préalable à l'élargissement. Le Conseil européen de Nice, en concluant la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions, permettra à l'Union d'être prête, comme elle s'y est engagée à Helsinki, à accueillir de nouveaux membres dès 2003.
Parallèlement, nous veillerons à maintenir et conforter la dynamique du processus d'élargissement en abordant, au fond, les chapitres les plus difficiles et en élaborant une méthodologie qui permettra d'avoir une vision claire, pays par pays, de la situation. Ceci permettra à nos amis Suédois, qui prendront le relais au 1er janvier 2001, d'aborder la phase finale de la négociation. C'est mon sentiment, c'est à partir de 2001 que nous pouvons entrer dans le processus conclusif.
Mais il est clair que ces deux sujets - réformes institutionnelles et négociations d'élargissement - sont étroitement liés et que tous deux concernent directement les pays candidats. Aussi, il me paraît important qu'ils soient, que vous soyez associés à la réflexion que nous menons sur l'avenir de notre Europe. Car, au-delà de l'agenda de la CIG au sens strict, nous devons commencer à réfléchir à ce que sera l'Europe à 25 ou 30 membres, et nous ne pouvons pas le faire tout seuls, nous devons le faire à 25 ou 30. Et cet avenir là, nous devons le concevoir ensemble. La Conférence européenne offre, à cet égard, un cadre propice à l'évocation d'un tel sujet. Nous la réunirons donc, d'abord au niveau des ministres, fin novembre, pour un débat aussi large que possible, touchant notamment à la nature des Institutions, puis au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, à Nice, en décembre.
Enfin, je ne saurais évoquer la problématique de l'avenir de l'Union sans parler des questions de sécurité, auxquelles, je le sais, vous attachez la plus grande importance.
L'Europe affirme aujourd'hui son ambition de jouer "tout son rôle sur la scène internationale" et "d'assurer ses responsabilités en matière de gestion des crises". A cette fin, l'Union doit disposer d'une capacité autonome de défense et de sécurité, soutenue par des forces militaires crédibles, avoir les moyens de décider d'y recourir et être prête à le faire, sans préjudice des actions entreprises par l'OTAN. Les pays baltes, également candidats à l'adhésion à l'OTAN, ont aussi engagé avec l'Union un dialogue nourri sur la défense européenne, conscients que - je cite le président estonien Lennart Meri - "une Europe unie signifie intégration politique et économique, mais aussi intégration en matière de défense". Cette conscience partagée s'est traduite dans la déclaration de Petersberg qui prévoyait l'instauration d'un dialogue entre l'union de l'Europe occidentale et les pays d'Europe centrale, et les pays baltes, puis dans la déclaration de Kirchberg qui a donné à chacun des pays baltes, en 1994, le statut d'associés-partenaires de l'UEO.
Le processus engagé au sein de l'Union vise à élargir la gamme des instruments dont disposent les Quinze pour faire face à des crises éventuelles. La synergie des moyens militaires et civils dans ce domaine constitue précisément la force de l'Union.
La question de la sécurité régionale est essentielle dans le projet européen des pays baltes. Appelés à constituer bientôt une frontière extérieure de l'Union, ceux-ci aspirent à ce que la région baltique et septentrionale de l'Europe ne constitue pas une zone nouvelle de fracture mais au contraire de coopération dans tous les domaines. Dans cette perspective, la France ne peut que souhaiter que les relations entre la Russie et chacun des Etats baltes s'améliorent rapidement, dans l'intérêt de la stabilité et de la prospérité de la région. Je pense en particulier à la question des minorités russophones qui vivent en Lettonie et en Estonie. Cette question ne doit pas devenir "l'otage" d'intérêts externes. Nous constatons à cet égard les progrès significatifs réalisés par ces deux pays pour l'intégration de ces populations, conformément aux recommandations de l'OSCE et de l'Union européenne, et nous nous en réjouissons.
De telles avancées sont absolument nécessaires dans la perspective de l'adhésion à l'Union européenne. Car l'Europe que nous voulons bâtir, notre Europe, c'est d'abord le projet des "Pères fondateurs", dont nous avons célébré la mémoire et le génie, le 9 mai dernier, lors du 50ème anniversaire de la déclaration Schuman. Cette Europe, c'est celle qui repose d'abord sur le respect des valeurs universelles et des droits fondamentaux de notre civilisation, sur la paix et la solidarité entre les peuples, le refus des discriminations raciales et de l'antisémitisme, le refus de toutes les formes de discrimination.
La moindre résurgence de tels fléaux doit être fermement condamnée comme l'ont souligné avec force, nous l'avons bien noté, tous les responsables baltes, à Stockholm, en janvier dernier, lors du Forum international sur l'Holocauste. Vous avez alors, Madame la Présidente, de concert avec les dirigeants des deux autres Etats baltes, comme des représentants de nombreux autres pays, exprimé l'importance du devoir de mémoire et insisté sur les efforts qui nous restent à accomplir en Europe pour que de telles tragédies ne se reproduisent plus. Nous ne pouvons qu'approuver le président Adamkus qui appelait récemment, devant le parlement lituanien, à ne tolérer "ni l'antisémitisme ni la haine envers d'autres cultures ou envers des gens différents de nous".
C'est la volonté de ne pas tolérer le moindre écart qui a conduit les quatorze Etats membres à prendre une position commune très ferme, et qui sera maintenue, à l'égard de la situation en Autriche. Car, en effet, comment l'Union européenne pourrait-elle exiger des pays candidats le respect rigoureux de tels principes, quand le gouvernement de l'un des Etats membres comporte un parti dont l'attachement à ces valeurs peut-être, pour le moins, suspecté ?
Le Conseil européen de Nice sera l'occasion d'adopter la Charte des droits fondamentaux de l'Union, un texte, je l'espère, fort, emblématique et politique, concis, lisible, qui témoignera pour nos concitoyens de cette volonté. Une telle démarche est indispensable à l'heure où nous voulons réaffirmer le sens profond du projet européen.
Avant de vous céder la parole, Madame la Présidente, je veux rendre un hommage tout particulier à l'excellence avec laquelle vous pratiquez notre langue. Sachez que nous sommes très sensibles à cette marque d'amitié. Je vous en remercie, comme je vous remercie tous de votre attention./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)