Interview de M. Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, à "LCI" le 16 février 2004, sur la position et les propositions politiques de la LCR dans le cadre des élections régionales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. Vous êtes en campagne pour les élections régionales aux côtés d'A. Laguiller, de LO. Vous êtes chef de file à Paris, c'est cela. A partir d'aujourd'hui, on peut déposer les listes. La vôtre est-elle prête ?
R- "La nôtre est prête sur l'Ile-de-France, comme sur l'ensemble des régions."
Q- A. Laguiller, numéro 1, vous êtes numéro 2, et ensuite ?
R- "Ensuite, on va reproduire cet accord unitaire pour les prochaines élections, c'est-à-dire les élections européennes où, là, je serai tête de liste en Ile-de-France."
Q- Restons-en aux régionales. Y a-t-il d'autres personnalités sur votre liste ou est-ce une liste composée de sympathisants et de militants des deux partis, des deux mouvements ?
R- "C'est ouvert à des sympathisants des deux organisations, et puis plus globalement à tous ces militants et militantes anonymes du quotidien qui, depuis que le gouvernement de droite est présent, ont participé à animer les grandes mobilisations sociales, que ce soit sur les retraites, sur l'éducation, sur la mondialisation, ou encore sur l'emploi."
Q- Avez-vous fait une part importante aux candidats "issus de l'immigration", comme on dit ?
R- "Nous essayons d'avoir des listes qui sont à l'image à la fois de notre public et puis de notre courant militant. Et dans ce courant militant, c'est à la fois populaire, assez jeune, féminisé, issu de l'immigration. On n'a pas cherché à faire le casting exact et je crois qu'on présente d'abord et avant tout une politique, y compris quand on parle de la thématique des jeunes, notamment issus de l'immigration."
Q- Quand vous dites "casting exact", vous pensez aux quotas ?
R- "Je pense aux quotas et plus généralement à la question qu'on en fait actuellement, où je crois qu'on essaye de s'attaquer au superficiel et pas vraiment à la racine du problème. Et quand on parle "de l'immigration", "des jeunes issus de l'immigration", on parle aussi des inégalités sociales qui sont de plus en plus présentes dans ce pays. Et pour ma part, je ne pense pas que les immigrés soient responsables de la crise économique : je pense qu'ils en sont victimes au même titre que les travailleurs et travailleuses de ce pays."
Q- Personne ne dit qu'ils sont "responsables" de la crise économique...
R- "Ecoutez bien les débats politiques. Il y a un courant en particulier qui en fait son fond de commerce électoral et malheureusement, j'ai vu des gouvernements qui pointaient du doigt les immigrés comme un peu responsables de cette crise-là."
Q- Vous pensez au Front national, quand vous parlez de ceux qui accusent les immigrés d'être "responsables" de la crise économique, c'est cela ?
R- "Le FN, absolument, qui a fait de la démagogie son fonds de commerce électoral, et puis surtout essaye de tout faire pour qu'on discute de la question, qui pour moi est la question essentielle, c'est-à-dire la question sociale. Et je crois que si on arrive à faire en sorte que le thème social soit le thème omniprésent dans ces élections, on aura déjà fait 50 % du travail pour faire reculer les idées du FN dans les couches populaires."
Q- Quand vous dites "le thème social omniprésent", vous avez des propositions précises, un projet précis ou est-ce que vous êtes là uniquement pour fustiger le chômage, fustiger la crise sociale et fustiger le Gouvernement ?
R- "Non, on a des propositions, à la fois très concrètes pour les conseils régionaux. Par exemple : le transport gratuit pour les chômeurs, comme c'est le cas grâce à la proposition de nos élus en Midi-Pyrénées ; on a des propositions plus globales pour défendre, au niveau régional mais surtout au niveau national, le service public qui actuellement est mis à mal. Vous savez que ma propre entreprise, La Poste, est en train d'être passée au laminoir : on va passer de 12.000 bureaux de poste à 6.000 dans les quelques mois, les quelques années à venir, au prétexte que les bureaux de Poste ne seraient pas jugés rentables dans les zones rurales ou les quartiers populaires. Mais un bureau de Poste, pour moi, pas plus qu'un hôpital ou une école, c'est fait pour être rentable. C'est fait pour satisfaire des besoins qui sont pour moi élémentaires. Alors, si on parle de "santé", ce serait encore plus important, je crois."
Q- Vous dites que vous avez un projet mais pourtant, vous ne vous associez aux majorités de gauche quand elles sont en place ?
R- "Mais je crois qu'il s'agit de cerner ce que l'on peut faire ensemble et ce que l'on ne peut pas faire ensemble. Donc, concrètement, dans un conseil régional, ce qu'on a pu faire ensemble, c'est voter à notre initiative, par exemple, le transport gratuit des chômeurs, pour prendre un exemple concret, celui de Midi-Pyrénées. Mais ce que l'on n'a pas fait ensemble, c'est voter des subventions publiques faramineuses à des groupes industriels qui font des bénéfices mais qui licencient quand même. En l'occurrence, une usine en Ariège qui s'appelle Fortec, qui a touché une rallonge supplémentaire de 800.000 euros cet été, votée par tous, dans une belle unanimité, au conseil régional, du FN jusqu'à l'ex-gauche plurielle. Nous, on est plutôt fiers de ne pas l'avoir votée, pour montrer qu'il y a un autre choix politique qui est possible dans les assemblées démocratiquement élues. Et que dans ces assemblées-là, on peut à un moment savoir dire non au pouvoir des actionnaires. Ce qui, à l'époque, la gauche plurielle avait refusé de faire, y compris quand elle était au gouvernement."
Q- Avez-vous essayé de discuter ou J.-P. Huchon a-t-il essayé de discuter avec vous en Ile-de-France, avant de constituer ces listes ?
R- "Non, on n'a pas eu de discussion, parce que je crois que..."
Q- Il n'y a pas de dialogue ?
R- "Une fois de plus, le problème est de savoir si, oui ou non, on peut faire une résistance face à la politique de droite dans l'action. Nous, on est pour, on avait même écrit, pas simplement à Huchon, à l'ensemble des forces politiques de la gauche syndicale et politique à la rentrée, y compris au PS, qui avait malheureusement refusé de nous recevoir, pour voir comment on pouvait s'opposer ensemble sur la question des licenciements ou sur la question de la précarité - je pense notamment à ces propositions éventuelles de CDD de cinq ans. Maintenant, proposer à gauche, c'est autre chose, et on ne va pas co-gouverner des institutions, qu'elles soient européennes, régionales ou nationales, où on nous demanderait par exemple de privatiser des services publics !"
Q- Vous ne voulez pas "co-gouverner", et vous ne voulez pas vous retirer, sauf dans des régions où il peut y avoir danger FN, c'est cela ?
R- "Voilà, on ne fait pas la politique du pire. Dès qu'il y a le moindre risque de victoire du FN, on appelle à voter pour la candidature de gauche. Maintenant, au deuxième tour, ce n'est pas à l'abstention qu'on appelle... C'est ne pas donner de consignes de vote. Cela veut dire que nos électeurs, au deuxième tour - ce n'est pas un scoop -, ne votent pas à droite. Maintenant, il y a une partie de nos électeurs qui votent à gauche au deuxième tour, et puis il y a une partie qui ne veut plus le faire. Et nous, on ne force ni les uns ni les autres à faire quoi que ce soit. D'abord, parce que les électeurs ne sont pas des petits soldats. Et on dit une chose simple à la gauche libérale : à vous d'aller gagner vos voix au deuxième tour."
Q- En cas de triangulaires, vous prenez le risque de faire passer une région de gauche à droite ?
R- "Le "risque", c'est vous qui le dites. C'est la gauche qui, elle-même, prendrait le risque, si elle n'a pas le courage aujourd'hui de gagner ses voix dans les couches populaires. On ne l'empêche pas de le faire. Maintenant, si je puis me permettre, faire reculer le FN par exemple, puisque c'est l'argument un peu tarte à la crème, dans les couches populaires, cela se fait au premier tour. C'est aussi pour cela qu'on se présente et on a bien l'intention, si c'est possible, d'être présents au deuxième, puisqu'il y a une réforme des scrutins qui est particulièrement injuste, qui est faite pour shooter les petits partis politiques - pas que les nôtres -, où il y a cette fameuse barre des 10 %... On a des élus dans les conseils régionaux, je crois que c'est utile et efficace pour beaucoup de personnes dans les couches populaires, et ce serait légitime qu'on en garde."
Q- Tout le monde pense à PACA, quand je vous disais "danger FN". Aujourd'hui, on n'est même pas sûr que J.-M. Le Pen puisse tête de liste en PACA. Pour vous, il cherche à se "victimiser" ?
R- "C'est toujours difficile d'être dans le secret de ces instances. Mais je crois que, oui, c'est une espèce de "vrai-faux suspense". A chaque fois, Le Pen nous refait le même coup, il essaye de se présenter comme le martyr qui ne peut pas se présenter, et du coup, apparaître un peu sur l'argument démocratique pour éviter les discussions de fond. Et moi, la discussion de fond que j'entends amener à ces élections, vis-à-vis du FN, c'est, une fois de plus, la question sociale. Il faut que ces ouvriers, ces chômeurs, qui votent actuellement pour Le Pen en pensant que "ça va tout casser", sachent qu'en réalité, Le Pen, il fait peut-être peur aux politiques, mais il ne fait pas peur au grand patronat. Parce que sur le fond, sa politique, que ce soit sur les retraites ou sur les licenciements, il défend le programme de la France d'en haut."
Q- Vous étiez contre la loi sur la laïcité. Pourquoi continuez-vous à manifester aux côtés de gens qui sont plutôt intégristes ?
R- "Non, là, je m'excuse, on n'a jamais manifesté aux côtés de personnes qui sont intégristes, on n'a même pas participé des dernières manifestations. On est contre la loi, bien entendu, parce que, dans le meilleur des cas, ce sera inefficace - c'est notre avis -, parce que pour un proviseur ou pour des enseignants, qu'est-ce qui sera "visible", "ostensible" ? Il faudra à nouveau avoir la discussion. Dans le pire des cas, cela va stigmatiser une partie de la population issue de l'immigration. Pour autant, on n'est pas des adeptes du port du foulard, parce que cela renvoie à un modèle de société où les femmes ne sont pas simplement voilées, elles sont aussi lapidées."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 février 2004)