Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, à "LCI" le 27 avril 2005 sur le premier vol d'essai de l'A 380 à Toulouse, sur les intentions de vote des agriculteurs au référendum sur la Constitution européenne, sur le lundi de Pentecôte travaillé.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- D. Bussereau, ministre de l'Agriculture, mais ancien ministre des Transports. N'avez-vous pas un petit pincement au cur, aujourd'hui, alors que va se dérouler le premier vol d'essai de l'A 380 ?
R- Oui, j'ai un double pincement, parce que, normalement, il doit décoller vers 10h30 - je l'ai entendu sur votre antenne - et on sera en plein Conseil des ministres. Donc, je ne pense pas que le Président va interrompre les travaux, on ne verra pas les images en direct de LCI.
Q- On ne vous mettra pas une télévision à l'Elysée ?
R- Je ne crois pas, mais on aura toute la journée pour le voir. Je crois que c'est un bel événement, d'ailleurs la foule immense qui se presse, ce matin, autour de l'aéroport de Blagnac, le montre bien. Et puis, puisque nous sommes dans un moment où nous parlons de l'Europe, c'est aussi un beau symbole de la coopération européenne : les Espagnols, les Anglais, les Français, les Allemands sont capables de faire le plus grand avion au monde, de le faire ensemble dans des sites différents, de l'assembler ensemble. Je trouve que c'est un bel exemple de ce que l'Europe pacifique et économiquement forte peut aujourd'hui réaliser.
Q- Vous, vous étiez en Chine avec J.-P. Raffarin...
R- Oui.
Q- J.-P. Raffarin, qui était là-bas, pour vendre précisément des Airbus...
R- Pas seulement.
Q- Pas seulement, j'entends bien. Mais c'était quand même une belle opération, puisque je crois que la note est de 2,5 milliards...
R- 2 milliards d'euros. Ce sont 30 Airbus, dont un certain nombre d'A 380.
Q- Est-ce que c'est ce qui explique qu'il ait été assez discret pendant son voyage, même très discret, sur l'affaire du textile ?
R- Non. Je l'ai accompagné pendant la totalité du voyage, il y avait donc l'aspect Airbus, l'aspect politique, il y avait l'aspect blé, parce que l'on a vendu 500 000 tonnes de blé à nos amis chinois. Non, il a évoqué cela à chaque fois qu'il a eu des entretiens, en tout cas, ceux auxquels j'ai assistés, avec les dirigeants chinois. Cela a été évoqué dans la conférence de presse commune, il y a eu des questions de vos confrères chinois avec le Premier ministre chinois et J.-P. Raffarin a été très ferme. Il a rappelé la position de la France : oui à l'ouverture du marché, puisque la Chine a rejoint l'OMC, mais attention, il y a des règles à respecter. Et donc, il a rappelé très fermement la position de la France. Il l'a fait de manière correcte, parce que quand on est reçu dans un pays, on ne porte pas une parole désagréable sur le territoire de ce pays. Mais il l'a fait avec force et je crois que ce message a été particulièrement bien entendu.
Q- De votre côté, il y avait cette lettre d'intention, avec laquelle vous êtes revenu, pour les céréaliers français : c'est quelque 500 000 tonnes qui devraient être vendues cette année à la Chine ?
R- Oui, la Chine a besoin de blé, et c'est pays dans lequel...
Q- C'est énorme, cela fait 100 millions d'euros...
R- Cela fait deux Airbus, deux petits Airbus, deux A 319, deux A 320. La Chine est un pays énorme, dans lequel simplement moins de 20 % de la surface sont cultivés. Ce qui veut dire qu'il a des besoins de céréales, la France en produit plus que nous n'en avons besoin pour notre consommation, donc nous sommes exportateurs. Lorsque le Président chinois était venu à Paris, à l'automne, il y avait eu un contrat de 700 000 tonnes vendues ; là, il y a eu 500 000 tonnes de lettre d'intention. Je pense qu'il y aura d'autres contrats, parce que les Chinois pensent que nous faisons de la bonne matière. Savez-vous que l'on n'a pas vendu, pendant quelques années, du blé à la Chine parce que l'on avait malheureusement vendu, il y a quelques années, du blé de mauvaise qualité. Donc, les Chinois avaient gardé un mauvais souvenir. Nos producteurs ont rectifié le tir ; aujourd'hui, on vend de la qualité, et nous en vendrons plus dans quelques temps.
Q- Des Airbus, du blé - vous dites cela vaut deux Airbus -, tout cela vaut-il vraiment que l'on agite le chiffon rouge à propos de textile que nous ne fabriquons même plus en France ?
R- Je crois qu'il y a pas mal de symbolique...
Q- N'est-ce pas de l'agitation plus politique qu'économique ?
R- Il y a de la symbolique, et puis il y a quand même des emplois. Mon collègue P. Devedjian a rappelé qu'il y avait à peu près 7 000 emplois qui étaient concernés, ce n'est pas rien dans un pays comme le nôtre, où chaque emploi est important. Je crois qu'il faut avoir avec la Chine avoir un message d'ouverture. C'est un pays qui est pour nous maintenant un partenaire, c'est un pays qui compte dans tous les domaines de la politique internationale. Mais de temps en temps, si quelque chose est un peu exagéré, et les Chinois le comprennent, on peut le leur rappeler. Je crois que cela a été fait par l'Union européenne. Et la France a d'ailleurs demandé que l'on aille un peu plus loin, pas simplement des mesures d'enquête, mais également des mesures de sauvegarde en urgence ; c'est le message officiel.
Q- Pour ne pas déclencher de guerre économique.
R- Voilà, c'est le message officiel du président de la République et du Premier ministre. Nous l'avons exprimé avec modération. Mais je crois que les Chinois l'ont bien reçu.
Q- Certains se sont plaints de la lenteur ou des tergiversations de la Commission européenne. Si l'on était dans une situation où la Constitution serait adoptée, où l'on [inaud.], cette Constitution, cela irait-il plus vite, cela changerait-il quelque chose ? Rien, en fait ?
R- Sur le fonctionnement de la concurrence, peut-être pas dans la méthode, mais sur le fond, le fait que les gouvernements européens, le Parlement européen, aient plus de pouvoir, et que la Commission perde un peu de pouvoir au profit du pouvoir politique, je crois que cela permettrait d'aller plus vite. Car quand le pouvoir politique s'exprime et décide, cela va toujours plus vite que lorsqu'il demande à un organisme politico-administratif, comme la Commission, de le faire. Et cela, c'est dans le Traité, et c'est un des aspects importants du Traité que nous allons ratifier
Q- Précisément, ce Traité, les agriculteurs que vous connaissez bien maintenant, ne sont pas très enclins à le ratifier ; ils ont le sentiment que les avantages dont ils bénéficiaient, notamment la PAC, sont menacés.
R- On a un sondage assez ancien sur les agriculteurs, qui date d'à peu près un mois. Il faudrait voir aujourd'hui où en est le vote agricole.
Q- Mais ne vaudrait-il pas mieux leur dire clairement que les subventions, dont ils vont bénéficier, garanties jusqu'en 2013-2014, de toute manière, sont appelées un jour ou l'autre à disparaître ? Et pour reprendre ce que proposait N. Sarkozy, dimanche, ce qu'il faudrait, c'est restaurer une préférence communautaire et des prix garantis, plutôt que d'entretenir des illusions ?
R- Il y a deux choses. Ce que dit N. Sarkozy, c'est le souhaitable ; il a raison en tant que responsable d'un grand mouvement politique de le dire. C'est vrai qu'il vaut mieux vendre à des prix chers sur le marché plutôt que d'aider par une compensation les producteurs. Sauf que, nous sommes sur un marché international dans lequel nous ne sommes pas maîtres des prix, ils sont faits à l'échelle mondiale. On parlait tout à l'heure de la Chine, on pourrait parler du Brésil, des grands producteurs. Donc, il y a plutôt une tendance à la baisse mondiale des prix qu'à l'augmentation, d'où l'intervention de l'Europe par le biais des compensations. Ces compensations, en France, c'est 8 milliards d'euros par an, pour la ferme France. C'est ce que l'on appelle "le premier pilier", c'est-à-dire les aides aux produits, et puis, près d'1 milliard pour les aides aux territoires, à la cohésion.
Q- Cela ne durera pas.
R- Cela dure jusqu'en 2013, parce que le président Chirac a obtenu, avec le concours du chancelier Schröder, que cela dure.
Q- C'est même peut-être pas raisonnable, parce que cet argent il aurait peut-être mieux valu le mettre dans l'innovation.
R- Mais c'est tout à fait raisonnable, parce que cela permet aussi à nos agriculteurs de développer, de moderniser leurs exploitations, aux jeunes de s'installer. Et après, la France n'est pas décidée à faire en sorte que l'on abandonne en rase campagne, si j'ose dire, son agriculture. Donc, c'est vrai qu'un agriculteur peut voter "oui", peut voter "non", c'est un citoyen comme vous et moi. S'il regarde son intérêt de chef d'entreprise et la manière dont il gère son exploitation, pour lui, ces aides sont fondamentales, sont obligatoires. C'est vrai que c'est un moment important à avoir dans sa tête lorsque l'on prendra, pour un agriculteur, la décision de voter "oui" ou "non". Et cela veut dire, pour moi naturellement, que les agriculteurs ont intérêt, en tant que chefs d'entreprise, en tant qu'exploitants, à voter pour le "oui".
Q- L'horizon est assez sombre pour les agriculteurs, si l'on voit que la sécheresse risque de se produire cette année, comme en 1976...
R- Pas partout en France, d'ailleurs.
Q- Avec une production qui sera forcément en baisse et une énergie qui est de plus coûteuse, les agriculteurs ne vont-ils se trouver dans une situation qui réclamera, de votre part, que vous les aidiez davantage ?
R- Si la sécheresse, dont on ne peut pas savoir si elle existera, cela dépend encore des pluies de printemps, - n en a eues pas mal ces derniers jours -, si elle devait exister, naturellement, la cohésion sociale jouerait. Ce que je voudrais dire, c'est que les agriculteurs ont abordé cette période de manière responsable. Par exemple, ils ont changé leurs cultures de printemps pour avoir cet été des plantes qui demandent moins d'eau. C'est le cas dans ma région et celle du Premier ministre, en Poitou-Charentes, où le maïs, par exemple, a été remplacé par d'autres assolements. Donc, les agriculteurs, actuellement, jouent le jeu des arrêtés de sécheresse qui ont été mis en place par les préfets dans certains départements, de l'Ouest en particulier. Ils ont une attitude responsable, très citoyenne. Et naturellement, s'il y avait des soucis, le Gouvernement les aiderait. D'ores et déjà, j'ai obtenu de l'Union européenne, à leur demande, que les terres en jachère puissent être utilisées alors qu'elles ne sont pas naturellement dans les départements où existe la sécheresse.
Q- Demain, vous allez participer, avec le Premier ministre, à un séminaire où vous allez faire le point sur la situation du fameux lundi de Pentecôte, désormais, théoriquement, travaillé. Je dis "théoriquement", parce qu'en réalité, on voit bien que, non seulement à la SNCF il ne le sera pas, il restera un jour de congé, un jour chômé ; dans certaines collectivités territoriales, déjà, notamment des élus de la gauche, ont décidé de faire travailler les fonctionnaires.
R- Les Français jugeront...
Q- Que dites-vous au Premier ministre ? Que lui conseillez-vous ?
R- Le Premier ministre, d'abord, n'a pas besoin de conseils de ses ministres. C'est lui le patron, sous l'autorité du Président. Je crois que la position du Premier ministre, qui est de tenir bon - qui a toujours été la sienne, d'ailleurs, depuis trois ans - est la bonne position. J'observe, d'un côté, qu'il y a la générosité : 2 milliards pour les personnes âgées, et les handicapés 1,2 milliard et 800 millions ; une maison de retraite supplémentaire par département ; des milliers de créations d'emplois. Et de l'autre côté, de l'égoïsme. Et c'est vrai que, quand j'entends cet accord dans une grande entreprise publique d'une minute cinquante deux ", cela me fait, en tant que citoyen, un peu sourire. Je trouve que nous avons...
Q- Mais est-ce Matignon qui a suggéré à la grande entreprise publique un procédé de la
sorte ?
R- Nous avons une bonne occasion, nous, les Français, de montrer que nous pouvons être solidaires, ne pas penser qu'à travailler moins, qu'à avoir plus de loisirs, mais de penser un peu à nos parents, à nos grands-parents, à nos enfants handicapés qui peuvent exister dans chacune de nos familles. Si nous ne saisissons pas cette occasion, c'est vraiment que nous manquons de générosité. Et le Premier ministre a raison de tenir le chemin de la générosité et de la solidarité.
Q- Êtes-vous tout à fait certain que, du côté de l'Elysée, on le soutiendra pour tenir bon ?
R- Depuis que j'ai l'honneur d'appartenir à ce Gouvernement, je n'ai jamais vu le Premier ministre agir différemment, parce que c'est d'ailleurs la nature de la Constitution et l'organisation du pouvoir, que de suivre ce que lui indique le président de la République. Et le président de la République a toujours été porteur d'un message de solidarité. Donc, CQFD.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernent, le 27 avril 2005)