Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille, sur la victimologie de l'enfant dans le cadre des conflits armés et la situation générale de l'hospitalisation , Toulouse le 21 mars 2005.

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Circonstance : 2ème congrès international des rencontres franco-israéliennes de victimologie de l'enfant à Toulouse le 21 mars 2005

Texte intégral

2ème Congrès international dans le cadre des
Rencontres Franco-Israéliennes de Victimologie de l'enfant
Je suis très heureux de participer aujourd'hui à ce congrès consacré à la "victimologie" de l'enfant. J'y suis d'autant plus sensible que c'est Toulouse qui accueille la deuxième édition de ces journées et que cette ville a subi, avec l'explosion de l'usine AZF, la plus importante catastrophe affectant une ville en France depuis la seconde guerre mondiale. Comme vous le savez, les municipalités de Toulouse et de Tel-Aviv sont jumelées depuis longtemps. La première édition de ce congrès a eu lieu en Israël en 2003 ; cette rencontre bisannuelle s'inscrit donc dans le cadre de ce jumelage.
Je regrette que certains aient cru possible de réduire le champ de vos travaux à une seule cause, alors que la victimologie des conflits, concerne tous les enfants de la planète et toutes les situations de violence dans le monde.
Je me réjouis que les thèmes de ces journées couvrent des aspects variés, en particulier médico-psychologiques, médico-légaux, éthiques et philosophiques, concernant des situations en Espagne, en Israël, en Palestine, en Côte d'Ivoire, en Arménie et même en France, en montrant à la fois leur singularité et leur universalité.
La violence de guerre, dont celle subie par les enfants, a été au centre d'un renouveau des études historiques, notamment grâce aux travaux de Stéphane Audoin-Rouzeau sur les viols et la "brutalisation" de la pratique de guerre au XXe siècle.
Aujourd'hui, dans la plupart des conflits, les civils représentent la majorité des victimes et les enfants sont spécialement concernés. Selon l'UNICEF, au cours des dix dernières années :
- 2 000 000 d'enfants ont été tués,
- 6 000 000 ont perdu leur foyer,
- 12 000 000 ont été blessés ou mutilés par fait de guerre.
Actuellement, malgré la convention de Genève, plus de 300 000 enfants participent aux hostilités dans le cadre d'une trentaine de conflits différents.
L'exposition des enfants à la violence est une réalité quotidienne. Trop d'enfants paient un lourd tribut à la folie des hommes. La protection de l'enfant et sa prise en charge nécessitent des procédures d'urgences spécifiques, tant sur le plan médical, psychologique que légal. L'enfant victime doit être soigné, quelles que soient son origine, sa religion ou la couleur de sa peau.
Les catastrophes naturelles sont également une source majeure de traumatismes psychiques pour les enfants ; le Tsunami en est un exemple récent. Tous ces drames sont susceptibles de détruire la cellule familiale qui est le fondement de l'organisation des sociétés et de leur équilibre.
Mais si l'homme sait reconstruire des maisons, s'il sait replanter des arbres, comment peut-il effacer les images de l'horreur sans donner à l'enfant l'écoute et la possibilité de s'exprimer ? Umberto Eco vient de publier un admirable livre, " La Princesse Loana ", consacré aux images qui frappent l'enfant, et que l'adulte porte en lui tout au long de sa vie. C'est dire l'importance de cette période dans la construction de la sensibilité de chacun.
Lorsque le médecin accueille un enfant qui vient de subir un choc physique ou moral, la première urgence est de faire face aux blessures corporelles.
Mais si l'on sait soigner les blessures liées aux balles et aux éclats d'obus, mettre en place des prothèses chez les victimes de mines anti-personnel, fournir des abris aux réfugiés et aux personnes déplacées par des conflits, que fait-on pour le bien-être des personnes les plus vulnérables pour surmonter les conséquences nutritionnelles, environnementales et psychologiques de la guerre ?
Rappelons que les victimes les plus atteintes psychologiquement sont souvent celles qui n'ont subi aucun dommage corporel.
L'enfant qui vient de subir un choc, avec ou sans agression physique, ne va pas vivre nécessairement un traumatisme. Je sais que la difficulté de votre travail tient précisément à l'accueil que vous assurerez à ces enfants. Cet accueil doit leur offrir, dans des conditions souvent peu propices, la possibilité de s'exprimer à leur façon, qui peut être verbale ou imagée, auprès d'une personne formée à l'écoute. Cette possibilité ne saurait être convertie pour l'enfant en obligation et encore moins en contrainte.
Combien d'enfants confient à leurs proches, des années plus tard, faire de mauvais rêves, après avoir vécu un accident tragique ou le décès de leurs parents dans l'écroulement de la maison familiale ! Ces cauchemars peuvent perturber leur sommeil pendant longtemps.
Il est nécessaire, dans un deuxième temps, après la gestion de la situation d'urgence, que l'enfant témoin d'un drame puisse exprimer son chagrin à un adulte formé à cette écoute. Peu de médecins urgentistes ou réanimateurs sont formés à la victimologie clinique. Le spécialiste, qui peut être un psychiatre, un psychologue ou un psychanalyste, saura lui apporter l'écoute nécessaire, le réconfort pour qu'il se reconstruise et réapprenne à vivre, ce qui passe d'abord par la reprise d'activités normales pour son âge, le jeu ou le dessin. Il faut arriver à ce que la victime puisse recréer des liens avec d'autres enfants. Pour certains, la réintégration peut débuter dans un groupe d'enfants leur permet de retrouver des repères.
Permettre aux enfants d'exprimer leurs peurs les plus profondes, de décrire ce qu'ils ressentent et leurs cauchemars est une étape fondamentale. Dans la pensée de Freud, les germes de la souffrance manifestée à l'âge adulte ont été semés dans l'enfance. La manière dont l'entourage parle de la blessure peut atténuer ou aggraver cette souffrance. Dans "Parler d'amour au bord du gouffre", Boris Cyrulnik écrit que "le récit extrait l'événement hors de soi".
Les enfants sont particulièrement vulnérables aux ravages de la violence, qu'elle soit ordinaire dans certaines cités, dans certaines tranches de vie, et dans la guerre comme dans les attentats. Ils ne sont pas tous mutilés, mais tous auront pour modèle la violence. Malheureusement, ils apprendront parfois que la mort peut être un moyen de résoudre les problèmes humains. C'est une identification tragique où l'enfant découvre, parfois par l'adulte qu'il aime, qu'il est possible de détruire ceux qui le gêne ou qui peuvent le détruire. Certains peuvent intégrer cette notion comme naturelle et devenir eux-mêmes des bourreaux. Pour ces enfants, le retour de la paix n'est pas la fin du problème puisqu'ils auront à vivre dans un pays, dans un quartier ou même dans une société, dont la population blessée rêve de réparation ou de vengeance.
"Les violences physiques, sexuelles et émotionnelles auxquelles ils sont exposés ébranlent les fondements de leur univers", souligne une étude des Nations Unies dirigée par Graça Machel. La guerre détruit leurs foyers, désintègre leurs communautés et mine leur confiance dans les adultes.
Mais les expériences de vie et le style de relations familiales et sociales amènent certains enfants à devenir forts, lucides, débrouillards et confiants en eux : ils seront donc attentifs et habiles à ne pas se laisser faire contre leur gré ou à travailler mentalement de façon réaliste sur ce qui leur est arrivé.
D'autres, en revanche, deviendront au fil du temps, tristes et soumis, incapables de faire face aux idées et aux émotions négatives qui les habitent.
Les enfants ne sont pas des victimes uniquement dans les pays en guerre. Il n'existe pas de pays ou de société épargnée par la violence. La France a elle-même été la cible d'actes de terrorisme dans les dernières décennies, et nous mesurons tous ce qu'endurent, au quotidien, les pays qui vivent le terrorisme. De même, la violence peut s'exprimer aussi dans des familles de pays en paix, où l'enfant est la victime du conflit familial et peut en devenir l'instrument.
Tous les pays qui sont représentés ici aujourd'hui sont frères dans la lutte contre la violence. Nous devons tous, et à tous les niveaux, faire en sorte pour que nos démocraties préfèrent le débat, voire le combat des idées, plutôt que la lutte armée comme mode de résorption des conflits.
Je tiens à rendre ici un hommage solennel à toutes ces femmes et tous ces hommes, qu'ils appartiennent à des organisations non-gouvernementales, à des associations caritatives, au monde de la santé, notamment médecins, infirmières, psychologues, secouristes ou logisticiens, qui au péril de leur vie, mettent quotidiennement tout en uvre pour sauver des vies, et en particulier celles des enfants.
Je forme le vu que ce congrès permette au monde d'avancer dans la prise en charge médico-psychologique des enfants victimes de violence, de guerres, d'actes terroristes ou de catastrophes naturelles ou industrielles, en apportant des réponses à leur détresse et en avançant dans ce domaine, qui reste encore malheureusement insuffisamment pris en compte.
Je vous remercie et vous souhaite à tous d'excellents travaux constructifs.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 23 mars 2005)
Conseil d'Administration du Centre Hospitalier G. Marchant

Le Centre hospitalier Gérard Marchant connaît une situation qui revêt des caractéristiques spécifiques et uniques ; il est également tributaire de la situation générale des hôpitaux psychiatriques.
1. L'établissement fonctionne dans un contexte post AZF difficile.
- Il ne pourra disposer de ses lits d'admission sur son site d'origine, celui de la route d'Espagne, qu'en fin d'année 2005 (ils sont actuellement implantés dans l'hôpital Larrey depuis juin 2002).
- Cette étape importante ne marquera pas la fin des travaux de réhabilitation, tous les locaux administratifs restant hébergés dans des locaux provisoires. Quelques années d'attente seront encore nécessaires pour effacer les séquelles de l'explosion.
- De plus, la forte croissance de la population toulousaine et plus largement Haut-garonnaise, a accentué le décalage entre un dispositif hospitalier en difficulté par l'indisponibilité des locaux, et une demande de la population en matière de soins psychiatriques en forte hausse.
2. Il connaît, par ailleurs, les mêmes difficultés que les autres établissements psychiatriques.
Avec essentiellement une baisse des capacités d'hospitalisation sans création de structures alternatives suffisantes pour compenser totalement cette tendance.
A laquelle s'ajoute une forte progression des hospitalisations sans consentement ; d'où des phénomènes périodiques de saturation des lits, préjudiciables à la dispensation de soins de qualité.
Sur ces points, et l'ensemble des difficultés de la psychiatrie en générale, le projet de plan "santé mentale" a pour ambition d'y répondre.
La deuxième phase de concertation s'achèvera d'ici la fin du mois, et me permettra de présenter un plan finalisé, probablement en avril, tenant compte de tout ce que les professionnels m'auront transmis comme améliorations.
Vous connaissez les grandes lignes de mes propositions :
(1) Premier axe : réinvestir dans les murs de l'hôpital psychiatrique. Je veux rompre le cercle vicieux du désinvestissement chronique
(2) Deuxième axe : augmenter les moyens humains pour développer simultanément les alternatives à l'hospitalisation et stopper la baisse des capacités d'hospitalisation complète.
(3) Le troisième axe est la nécessaire amélioration de la formation des infirmiers et des infirmières à la psychiatrie ; avec notamment une formation d'adaptation à l'emploi et un dispositif innovant de compagnonnage/tutorat pour tous les infirmiers ou infirmières qui décident de venir travailler en psychiatrie.
(4) Enfin, et c'est un point particulièrement souhaité par les patients et leurs familles, il convient de développer l'offre sociale et médico-sociale, avec volontarisme.
3. C'est pour ces deux raisons (situation très particulière de l'hôpital Marchant, et difficultés générales de la psychiatrie) que je souhaite aider l'établissement.
Bien entendu, votre hôpital aura vocation à émarger au dispositif du plan.
Mais, je sais que de nombreux travaux ont déjà été réalisés, sur la situation de votre hôpital, et sur ces perspectives d'avenir.
Le schéma d'organisation sanitaire, le rapport de la Mission d'Appui en Santé Mentale (dit rapport Massé) et le projet d'établissement approuvé par le directeur de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation il y a un an.
Votre projet médical est de qualité. Je tenais à le souligner. Il a traduit une importante mobilisation du corps médical sur l'avenir de l'institution, sur la diversification des modes de soins et les nécessaires coopérations avec l'ensemble des partenaires de l'établissement.
A partir du projet d'établissement, le contrat d'objectifs et de moyens est en cours de finalisation avec l'ARH.
Je souhaite que ce contrat soit signé rapidement.
En décembre dernier, je vous avais écrit, Monsieur le Président, que les priorités du plan de santé mentale nourriraient le contrat d'objectifs et de moyens en donnant lieu à l'octroi de crédits supplémentaires.
Et bien je souhaite aujourd'hui anticiper la mise en uvre du plan, et en me référant au rapport de la Mission d'Appui en Santé Mentale, vous assurez d'un financement complémentaire exceptionnel de 3,7 millions d'uros.
Ces crédits seront donnés à l'ARH pour s'ajouter dans le contrat d'objectifs et de moyens, aux financements qu'elle comptait y mobiliser.
Je vous laisse le soin, dans vos discussions finales sur ce contrat, de définir l'utilisation de ces crédits et son calendrier.
Sachez qu'au moins la moitié de cette somme, pourrait être disponible dès cette année.
Sachez également que ces crédits ne viendront pas en diminution de ce pourra obtenir le reste de la région dans le cadre du plan "santé mentale", une fois qu'il sera finalisé. Ce sont bien des crédits exceptionnels.
Dans ce cadre de votre contrat, je vous engage aussi à prévoir toutes les collaborations possibles avec le CHU et le secteur privé. Je sais que ce n'est pas toujours facile. Mais, vous avez chacun un rôle à jouer, et nous avons le devoir, pour nos patients, de le faire au mieux.
4. Enfin, je voulais aussi souligner les bénéfices que votre établissement va retirer de la création du cancéropôle
- Vous en serez les voisins immédiats.
Cette proximité se traduira par la création d'un grand espace dédié à des activités de soins et contribuera à dédramatiser vis à vis de la population la spécificité de votre discipline.
Cette implantation accréditera aussi l'idée que le CH Marchant est bien au cur de la cité Toulousaine et donc à même de répondre aux besoins de la population.
- Ultime effet de la création du cancéropole, le départ du Centre Claudius Regaud de son actuelle implantation rendra possible, conformément aux recommandations du rapport Massé, l'implantation en centre ville d'activités psychiatriques, notamment dans le domaine de la psychiatrie infanto juvénile.
Ce que je connaissais de l'établissement, ce que vous m'en avez montré, et ce que vous venez de m'expliquer, confortent ma confiance dans votre capacité à répondre, malgré les blessures de 2001, et les difficultés de la psychiatrie, aux demandes de la population dans les années à venir.
Les financements exceptionnels que je vous ai annoncés en sont le symbole.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 24 mars 2005)