Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le patrimoine culturel et architectural en régions, Caen le 13 février 2004.

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Circonstance : Déplacement de M. Jean-Pierre Raffarin à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine, à Caen le 13 février 2004

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Messieurs les présidents,
Nous sommes aujourd'hui dans un premier centre régional de culture, signe et symbole à la fois de la décentralisation, d'une décentralisation qui sera culturelle ou qui ne sera pas.
Nous sommes là dans la tradition de ce qu'a souhaité A. Malraux quand il a bâti ce grand ministère de la Culture - dont il a été un ministre d'exception -, qui a été de faire des maisons de la Culture dans nos régions, dans nos villes, de faire en sorte que notre pays retrouve par la culture cet élément du lien social qui est une des missions fondamentales de l'action culturelle. Je crois qu'en effet, ici, centre de rencontres - je salue le président J. Rigaud -, nous sommes à la fois dans un centre de rencontres culturelles et nous sommes là dans la rencontre de la décentralisation et de la déconcentration, de la décentralisation et du rôle de l'Etat. C'est-à-dire, ce que porte la culture, [c'est] d'abord la liberté d'initiative, d'abord l'élan créateur, cette envie de créer qui est au coeur de l'ambition basse-normande qui nous a conduits à multiplier de nombreux projets régionaux, c'est cette initiative, cette volonté de créer - Malraux disait : "Laissons notre cicatrice sur la terre, cette ambition de créer un pays créateur". Plus les responsabilités sont locales, plus elles sont sur des épaules humaines responsables, et plus l'acte de création se sent libre.
Mais cet acte de création, qui est aussi ici un acte d'investissement, un acte construit dans la durée - et je salue les architectes, l'ensemble des entrepreneurs, qui ont fait cette formidable restauration au point d'en faire une création, doit vivre avec ce qui est un patrimoine national, ce qui fait partie de notre vivre-ensemble, notamment la création, et la création littéraire essentiellement. Cette rencontre du livre et de la pierre aujourd'hui, sous cette belle lumière de Normandie, c'est je crois très symbolique de ce que doit être la culture : faire vivre le patrimoine, donner vie au patrimoine. Le patrimoine, ce n'est pas quelque chose que l'on stocke, ce n'est pas quelque chose qu'on immobilise ; le patrimoine vit avec nous et c'est à nous de lui donner vie.
Je trouve extraordinaire que l'on ait pu ici, dans un lieu aussi fort, aussi émouvant, à la fois grandiose mais proche, à la fois spirituel et temporel, ce lieu, qui, maintenant, a trouvé sa vocation pour traverser les siècles à venir, pour traverser le temps. Ici, les textes ne sont pas des textes immobiles ; les pages que je feuilletais tout à l'heure avec ces dessins, avec ces traces, sont des pages vivantes, ce sont des pages de créateurs, des pages de la pensée. C'est très important, ici, dans cette abbaye d'Ardenne, d'avoir su rassembler cette capacité à stocker ces actes de création, à leur donner visiblement le confort pour l'accès mais aussi les conditions scientifiques et techniques de protection pour leur survie et la survie de notre patrimoine culturel. Alors merci à C. Bourgeois, merci à O. Corpet, merci à J. Gatigneau, merci à toi mon cher président, cher René, pour ce travail qui est vraiment une réussite de la décentralisation.
Je voudrais dire combien, pour mon Gouvernement et pour J.-J. Aillagon, le travail de mémoire, notamment sur le patrimoine architectural, est un élément essentiel de notre dynamique.
Je souhaite qu'en France, notre patrimoine soit considéré comme une dimension essentielle de notre politique culturelle. C'est pour cela que je veux donner une nouvelle visibilité au travers de la Cité du patrimoine et de l'architecte qui se trouve au Palais de Chaillot et essayer de faire au Palais de Chaillot, un peu avec l'architecture et le patrimoine, ce qui a été fait au Centre Georges-Pompidou, avec l'art contemporain.
Nous voyons bien qu'en matière d'architecture, nous avons un potentiel historique majeur pour les générations à venir. Il faut pouvoir rassembler tout ce savoir, toute cette connaissance et valoriser l'ensemble de notre patrimoine. Alors, bien sûr, ce faisant, nous répondons au défi qu'avait lancé Malraux en souhaitant que la culture soit accessible au plus grand nombre des Françaises et des Français, notamment par son implantation territoriale, mais aussi par cet équilibre entre l'Etat et la Région. Et, si je comprends bien, avec l'engagement du ministre des Finances, il y aura la capacité d'accompagner en fonctionnement, ce qui est quand même assez exceptionnel, puisque l'Etat accompagne en général en investissement. Des équipements de cette nature, une chose est de les rénover, une autre chose est de les faire vivre, et cela concerne l'Etat.
Je suis, comme un grand nombre d'entre vous, de culture provinciale. Et souvent, nous souffrons de ce mépris que nous rencontrons dans quelques regards, parce qu'enracinés dans les territoires. Tout ce qu'il y a d'intelligence ou de culture serait, loin de la Capitale, quelque peu subalterne... Eh bien non ! L'intelligence, la culture, elles font partie de l'initiative, elles font cette capacité aujourd'hui à bâtir partout en France des centres d'innovation et de création, qui sont à l'honneur de notre pays tout entier. La France, pendant très longtemps, a pensé que ce qui brillait devait briller à Paris, alors que l'Espagne nous a expliqué qu'on pouvait briller à Séville, briller à Barcelone, qu'on nous a expliqué, en Allemagne, qu'on brillait à Düsseldorf et qu'on brillait à Francfort, mais que partout, la création culturelle avait sa place. Chez nous, dans un pays très centralisé, on a tenu à l'écart un certain nombre d'initiatives, de créations, au plus haut niveau, d'intelligences exprimées avec le plus grand échelon d'excellence. Nous avons aujourd'hui cette capacité en France. Nous le voyons avec Lille, capitale culturelle, nous le voyons avec les initiatives prises à Strasbourg, nous le voyons à Toulouse, à Bordeaux, nous le voyons en Basse-Normandie aujourd'hui. C'est, je crois, très important, pour vous qui êtes particulièrement gâtés en matière de patrimoine. Notre pays ne s'imposera pas dans le monde avec les logiques des autres, avec les logiques de la concentration, avec les logiques de la banalisation ou avec les logiques de la standardisation. Notre pays, au plan culturel, au plan économique, au plan social, la France, ne s'imposera, ne se fera entendre que quand elle porte le message de la création, c'est-à-dire du talent, de l'innovation, de la capacité à "injecter de l'humain" dans l'économie, dans le social, dans l'associatif, dans le culturel.
Et la région est un formidable espace de création, parce que c'est un espace de repères, parce que l'individu, la personne humaine trouve dans le fait régional, et ses repères et sa logique de mobilisation, et aussi, comme on le voit, ici, par le grandiose du site, une logique de dépassement. C'est pour cela que la région est un bel espace de mobilisation, un bel espace d'identité, un bel espace de création. Et notre pays a tout intérêt, aujourd'hui, à mobiliser ses territoires pour valoriser ses forces. Un pays trop concentré, un pays trop centralisé étouffe ses forces vives et ses forces créatrices.
C'est pour cela que je suis vraiment très heureux, aujourd'hui, de trouver ici, en région, la qualité internationale. De trouver ici, en région, l'ambition internationale. Une ambition qui dépasse le temps d'aujourd'hui pour s'inscrire et par le passé et dans le futur. C'est cela la vocation de la France, aujourd'hui, que toute part de France doit participer de cette dynamique nationale. C'est pour cela que je suis très heureux de saluer l'initiative que vous avez engagée, les uns et les autres. Parce que, au fond, ce devoir de création est un devoir partagé, c'est un devoir qui nous mobilise, et c'est, au fond, pour le monde la mission de la France.
Merci.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 18 février 2004)