Discours de M. Dominique Strauss-Kahn, député PS, sur le diagnostic préalable à l'élaboration du projet socialiste, Paris le 20 mars 2005

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Circonstance : Conseil national du parti socialiste à Paris le 20 mars 2005

Texte intégral

Mes camarades, nous sommes à un moment où la politique internationale (...coupure dans l'enregistrement...)
Le monde hésite. Et c'est particulièrement en Irak où on ne sait pas comment la démocratie revient. On ne sait pas si finalement les Américains débouchent sur quelque chose, on ne sait pas si dans le conflit israélo-palestinien, l'espoir qui est né, il y a quelques semaines, va se concrétiser. On hésite.
On est à un moment où l'Europe se cherche. Et il n'est pas la peine de rentrer dans beaucoup de détails devant nous, ici, ce matin, pour savoir combien cette question partage les Français et nous partage nous-mêmes.
Et nous sommes à un moment où la France souffre et, là aussi, le diagnostic, celui qui vous est proposé, mais que vous aviez déjà, chacun d'entre vous, fait sur vos terrains, dans vos circonscriptions, dans vos mairies, le montrait jour après jour. Et c'est dans ce contexte-là que nous devons préparer un projet.
La méthode qui a été choisie est une méthode qui est longue et démocratique. C'est ennuyeux qu'elle soit longue, c'est bien qu'elle soit démocratique. Elle est longue parce que nous avons voulu partir très en amont et commencer par un processus dans lequel ce diagnostic serait longtemps discuté par les militants.
La version que vous en avez aujourd'hui commence à être débattue au Conseil national, elle l'a été l'autre jour à la commission nationale du projet, elle va l'être, pendant des mois, par les militants, et la longueur même de ce processus est la garantie pour nous de ce que tous les militants seront associés et, au-delà des militants, les adhérents du projet, à la discussion de ce que nous voulons préparer.
Évidemment, c'est toujours un peu frustrant d'en être au diagnostic alors qu'on voudrait et on le sent, dans les interventions des uns et des autres, en être déjà à des propositions. Et même, parfois, intellectuellement, c'est un peu absurde de couper l'un et l'autre. Il reste que je crois que, pour notre parti, ça a été une bonne méthode et que nous devons la conduire jusqu'au bout.
Le cur du document qui vous a été proposé, c'est cette idée de la société fragmentée, quel que soit le vocabulaire retenu. Je ne dis pas, en disant cela, que les logiques de classe ne sont plus à l'uvre. Je dis que, à l'intérieur des logiques de classe, il y a des fragmentations qui n'existaient pas dans le passé.
C'est vrai, quelqu'un le disait tout à l'heure, qu'il y a toujours eu dans notre société ceux qui pensaient pouvoir s'en sortir et ceux qui craignaient de ne pas pouvoir le faire. Mais ce qui a caractérisé les cinquante dernières années, c'était l'idée que, parce qu'on était de la classe ouvrière, si celle-ci obtenait des résultats, si elle gagnait, si par le combat collectif elle avançait, alors soi-même on avancerait et ses enfants avanceraient.
Et ce qui aujourd'hui ce délite, c'est qu'on ne croit plus à cette logique collective ou plus suffisamment, et beaucoup de nos compatriotes ont le sentiment qu'ils ne peuvent plus attendre de l'action collective, politique, syndicale, le fait de voir leur avenir et, plus encore, l'avenir de leurs enfants s'améliorer. Donc on a besoin d'aller plus loin que ce que nous avons fait dans le passé.
C'est ce thème, que reprenait avec une expression heureuse, que je partage, Alain Vidalies, tout à l'heure, qui est celle de l'égalité réelle. Ce que les gens ressentent, c'est qu'on ne peut plus se contenter d'une action formelle contre les inégalités, qu'il faut attaquer les inégalités réelles. Je disais souvent les égalités à la racine. Il faut les attaquer là où elles se créent.
Et, de ce point de vue, je rejoins absolument ce que disait Arnaud Montebourg à l'instant, c'est que les instruments traditionnels de la sociale démocratie ne sont plus suffisants.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas continuer à les faire fonctionner, bien sûr, mais ils ne sont plus suffisant, parce que Arnaud a raison, il faut que nous soyons capables de faire évoluer ce fameux logiciel, prenons cette expression-là, en tout cas notre analyse de la société, pour en déduire des instruments nouveaux en plus des précédents.
Et ces instruments nouveaux, ils consistent à attaquer ce qui est la cible-même de l'action de l'action gauche depuis deux siècles, les inégalités, à la racine, là où elles se forment, et pas simplement par une sorte de formalisme égalitaire, ce qui a été, dans une certaine mesure, réussi, mais qui est aujourd'hui insuffisant, en proposant au pays la même chose pour tout le monde. Il faut aller aujourd'hui beaucoup plus loin.
Et quand Alain Vidalies nous disait : " L'espoir vient de, quand on demande aux Français : qu'est-ce qu'ils ont de bien devant eux ou à quoi ? Ils croient, ils disaient : la sécurité sociale. " Je crois qu'il met l'accent sur ce qui est très important, c'est-à-dire à la fois la solidarité et la recherche de l'égalité, la lutte contre les inégalités qui demeure, chez nos compatriotes quelque chose de majeur.
Mais là où je m'écarterais un petit peu de lui, peut-être, si c'était le sens de ce qu'il voulait dire, c'est que je crois, comme je le disais à l'instant, que ça ne suffit plus. Il nous faut la sécurité sociale et il faut qu'elle soit plus efficace, et il faut à tout prix combattre pour que chacun de ces acquis demeure, mais ça ne suffit plus d'être simplement en aval dans la réparation, on doit être plus en amont dans le fonctionnement même du système.
Est-ce que je vous ferais sourire, mes camarades, en disant que Marx a écrit Le Capital et pas " La Sécurité sociale " et que ce qui compte pour nous c'est d'attaquer le fonctionnement du système là où les inégalités se créent, même si on a besoin des instruments pour, en aval, les corriger.
Donc c'est vrai que nous sommes face à une France qui est en miettes. C'est la forme actuelle du capitalisme. Malek nous disait tout à l'heure avec raison que le libéralisme n'a pas gagné la partie. A aucun moment, dans l'histoire, il a gagné la partie. A tous moments les forces de gauche ont fait en sorte de le combattre et d'essayer de le contenir. Et aujourd'hui comme hier, comme demain, je l'espère, les parties nous pouvons les gagner. Il n'y a aucune raison, de ce point de vue-là, de céder à une sorte de fatalisme.
A condition qu'on soit bien d'accord entre nous de ce que notre cible, ce que nous combattons, c'est le fonctionnement du système. Là, je me séparerai un petit peu de ce que disait Jacques Généreux à un moment donné. Il nous disait : " Le capitalisme est patrimonial, il est né de la volonté de Reagan et de Thatcher d'inverser la donne. " Ça c'est une vision qui me semble donner beaucoup de point de vues aux individus. Moi, je suis beaucoup plus archéo que ça. Je crois que les logiques sociales sont à l'uvre et que la réalité de ce que nous vivons, c'est une forme du capitalisme qui donne cette segmentation, qui donne cette fragmentation, et c'est ça qu'on doit combattre.
La droite s'appuie sur la fragmentation, c'est clair. Toute la politique qu'elle mène consiste à profiter de cette fragmentation pour démanteler ce qui a été construit, pas simplement par la gauche, ce qui a été construit au cours des cinquante dernières années.
Et c'est pour cela qu'il nous faut nous opposer avec violence à la politique de Raffarin, sans aucune concession et aucune connivence avec le pouvoir qui est en place. Ça ne veut pas dire non plus qu'il faille céder au catastrophisme. Et on a beaucoup entendu, dans le passé, l'idée sur le déclin de la France, sur le fait qu'on ne pouvait rien faire. Le texte ne dit pas ça, il dit le contraire. Il dit que notre pays a des atouts. D'autres pays en Europe et l'Europe ont des atouts, mais que bien entendu ces atouts ne suffisent pas à eux seuls. Il y faut la volonté politique, il y faut l'offre politique qui a été évoquée par plusieurs d'entre vous et qui me paraît la manière juste d'entrer dans notre débat. Nous avons besoin d'un diagnostic éclairé pour construire l'offre politique dont la France a besoin.
Je finis. Moi, j'ai aimé le ton de ce conseil national, comme j'avais aimé le ton de la commission national du projet, mardi.
Peillon a dit tout à l'heure qu'il fallait dépasser 2007. Laurent Fabius est revenu sur ce thème-là aussi. Je crois qu'ils ont raison. Un projet, ce n'est pas uniquement un projet pour une élection. C'est un projet pour plus longtemps. Combien de temps, je ne sais pas, mais plus longtemps. Ça englobe les élections que nous avons devant nous. Et je crois que, là-dessus, si nous sommes d'accord là-dessus, sur le fait qu'il faut voir loin, alors, nous avons beaucoup de choses en commun qui nous permettent d'avancer.
Et, en ce sens, les remarques, qui ont été faites, le premier par Vincent Peillon, mais ensuite par d'autres, disons, dans le texte, du coup, il n'y a pas assez de vision longue sur la démographie, sur les problèmes énergétiques, sur les problèmes critiques. Et juste, parce que nous devons avoir une vision longue, ces points-là ne sont pas suffisamment développés dans le texte. Et ce sera, sans doute, une des vertus du débat que de les faire avancer.
Catherine Trautmann aussi a insisté sur l'aspect durable et climatique. Et puis il y a d'autres points qui manquent. Anne Hidalgo nous parlait de la culture. Il y a à redire sur ce qui est dit sur la culture. Et il y a même des points qui, de mon point de vue, manquent. Je fais amende honorable, et qui n'ont pas été beaucoup soulevés ce matin. Je pense aux relations entre le Nord et le Sud. Nous sommes beaucoup trop faibles, dans ce texte, là-dessus.
Donc il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut encore avancer avec, à l'esprit, l'idée qu'on dépasse une période purement électorale, que nous reconstruisons un projet pour les socialistes, et donc, dans une certaine mesure pour la gauche française, et que, dans cette optique-là, il faut que ce diagnostic, nous soyons capables de le partager.
Quand je dis que j'étais content de ce que j'ai entendu du conseil national jusqu'à maintenant, ce matin, c'est que j'ai le sentiment que, au-delà de divergences qui sont légitimes, d'accents plus importants mis par les uns ou par les autres sur tel ou tel point, nous sommes en situation de faire que ce diagnostic soit partagé. S'il l'est entre nous, avec les améliorations à lui apporter, il doit l'être dans l'ensemble du parti.
Et c'est notre mission, à nous tous ici, de faire en sorte que, dans les trois mois de débats que nous avons devant nous, avant la version définitive du diagnostic, et même si ce débat a d'autres composantes que chacun connaît, et qui fait que nous ne serons pas totalement consacrés au projet, même dans cette situation-là, moi, j'attends de ce que chacun des membres du conseil national portent ce projet, le discutent, ce diagnostic du projet, le discutent, le critiquent, l'améliorent, et que nous soyons effectivement en état, à la fin du mois de juin, comme l'a annoncé le Premier Secrétaire, d'avoir ensemble un diagnostic sur lequel tous les socialistes seront d'accord, au moins à 80 ou 90 %. Il y a toujours eu des divergences entre nous, mais c'est parce que nous avons ce diagnostic partagé que nous pourrons construire nos propositions sur un logiciel suffisamment renouvelé pour Que nous soyons capables, ensemble, d'aborder les défis qui sont devant nous.
Et donc le parti a besoin de vous, besoin de tous les membres du conseil national, de tous ses cadres, pour que ce débat ait lieu dans chacune des sections. Et c'est ce à quoi, je crois, il faut maintenant s'atteler.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 mars 2005)