Déclaration de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sur le rôle de la Commission des droits de l'homme de l'ONU et les propositions de la France pour le respect de ces droits dans le monde, à Genève le 14 mars 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 61ème Commission des droits de l'homme des Nations unies, à Genève (Suisse) du 14 mars au 22 avril 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Haute Commissaire,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
Depuis 1948, votre Assemblée est l'une des plus éminentes institutions des Nations unies. Elle incarne concrètement, institutionnellement, la place des Droits de l'Homme au sein de notre organisation.
Parce que sa composition est universelle, parce que son mandat est global, l'Organisation des Nations unies a une légitimité irremplaçable lorsque, face à des violations massives des Droits de l'Homme, elle doit exercer sa "responsabilité de protéger les victimes".
La Commission des Droits de l'Homme, mais également le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme que préside Mme Arbour, ont un rôle de vigie, de tour de contrôle : lorsque la voix des défenseurs des Droits de l'Homme n'est pas entendue, c'est à vous d'alerter la communauté internationale sur ces violations, d'abord insidieuses puis ouvertes, qui portent en elles les germes de futurs conflits. C'est une lourde responsabilité.
Nous avons souvent échoué dans le passé à prévenir les crises graves et aujourd'hui encore, face à des atrocités, notre réaction est hésitante : certains dossiers comme le Soudan n'ont même pas pu être discutés lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies. La Cour pénale internationale, que nous avons créée justement pour traiter de telles situations, n'est toujours pas saisie. D'autres situations, préoccupantes, ne semblent guère s'améliorer que ce soit en Corée du Nord, en Birmanie, en Biélorussie. Enfin, nous attendons de véritables gestes convaincants du Népal, de l'Ouzbékistan.
Pour jouer ce rôle d'alerte, la Commission dispose d'indicateurs tout à fait utiles :
- Je pense aux nombreuses conventions de protection des Droits de l'Homme qui ont été élaborées sous l'égide des Nations unies, dont il faut assurer la ratification universelle et la mise en oeuvre effective ; le respect du droit reste en effet le critère déterminant en toutes circonstances ; rien ne peut justifier, pas même la lutte légitime contre le terrorisme, que l'on déroge au droit.
- Je pense également aux mécanismes que vous avez établis pour veiller au respect de ces normes internationales : il est essentiel que chaque Etat, et en particulier les Etats membres de la Commission des Droits de l'Homme (CDH), coopèrent pleinement avec les rapporteurs spéciaux et les groupes de travail, en les recevant sans délai à chaque fois qu'ils en font la demande.
Faut-il renforcer encore ces capacités de prévention, d'alerte et de surveillance, et accroître parallèlement l'aide que nous apportons aux Etats fragiles ou sortant de crise pour renforcer l'Etat de droit et prévenir les violations ?
Je le crois, et je pense même que c'est un enjeu majeur de la réforme en cours des Nations unies dont M. Kofi Annan, Secrétaire général, a pris l'initiative. Le Sommet de New York, au mois de septembre, et la prochaine Assemblée générale représentent à cet égard des échéances majeures : les instruments dont dispose la communauté internationale ne répondent pas aujourd'hui à toutes nos exigences. Entre le recours à la force ou à la coercition, et le simple constat d'impuissance, il y a une voie pour une démarche exigeante, fondée sur la responsabilité et la volonté collective au service des Droits de l'Homme et, donc, de la paix.
La Commission des Droits de l'Homme, garante du droit, est au centre de ce dispositif. Afin d'en renforcer l'autorité, la France soutient l'idée d'ouvrir la composition de la Commission des Droits de l'Homme à l'ensemble des Etats membres des Nations unies : les Droits de l'Homme sont en effet l'affaire de tous. Naturellement, une telle réforme ne devra remettre en cause ni le rôle de l'Assemblée générale, qui doit continuer à intégrer la dimension des Droits de l'Homme dans l'ensemble de ses travaux, ni le rôle inestimable que jouent les organisations non gouvernementales. Des discussions doivent donc s'engager sur les modalités.
Le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH) est un autre pilier qui peut et doit jouer un rôle essentiel tant dans la prévention des crises qu'au moment de leur règlement. Nous avons pour notre part accru de 20 % notre contribution volontaire au HCDH, y compris pour des projets destinés aux communautés autochtones dans le cadre de la Décennie sur les populations autochtones, aux victimes de la torture et aux victimes de l'esclavage moderne. Mais la France plaide en faveur d'une augmentation substantielle du budget régulier du Haut Commissariat, afin que Mme Louise Arbour puisse s'acquitter pleinement de la mission que lui a confiée le Secrétaire général.
Dans le souci de renforcer l'efficacité de la Commission des Droits de l'Homme, mais également, au-delà, l'attention portée aux Droits de l'Homme par l'ensemble des organes, agences et missions des Nations unies, il nous semble d'ailleurs utile que la Haute Commissaire produise, comme elle l'a annoncé, chaque année, un rapport global sur la situation des Droits de l'Homme à travers le monde.
D'autres organes de l'ONU doivent s'engager : aujourd'hui le Conseil de sécurité a un rôle évident en Haïti, en Côte d'Ivoire, au Darfour. L'accès au Conseil de la Haute Commissaire aux Droits de l'Homme, est à cet égard essentiel. Demain peut-être, une commission sur la consolidation de la paix viendra compléter ce dispositif. Je le souhaite.
L'enjeu de la réforme est essentiel : si les Nations unies, dans le domaine des Droits de l'Homme comme dans d'autres, ne parviennent pas à se réformer, elles risquent d'être contournées.
Monsieur le Président,
Je souhaiterais maintenant évoquer plus précisément l'ordre du jour de notre Commission. La France basera ses prises de position sur des principes clairs : la prééminence du droit ; l'universalité des Droits de l'Homme ; l'indivisibilité des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Pour assurer la prééminence du droit, nous souhaitons la ratification universelle et l'application réelle des conventions existantes. Permettez-moi d'évoquer tout particulièrement, en ce dixième anniversaire de la conférence de Pékin sur le droit des femmes, la Convention pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, mais également la Convention sur la lutte contre la criminalité organisée et son protocole additionnel relatif à la lutte contre la traite en particulier des femmes et des enfants. Il est en effet préoccupant de constater que dans un espace mondial rétréci par le développement des transports et des nouvelles technologies, l'exploitation d'autrui prend une ampleur nouvelle, contre laquelle les Etats doivent lutter en renforçant leur coopération. La France condamne la traite des êtres humains sous toutes ses formes, qu'elle soit à des fins d'exploitation sexuelle, d'esclavage domestique ou autres. La France parraine l'étude globale du Secrétariat des Nations Unies sur les violences contre les femmes qui devrait nous rappeler à nos obligations C'est dans cette perspective que la France organise, avec l'OSCE, le Conseil de l'Europe et l'ONU, un atelier qui se tiendra à Paris les 28 et 29 avril prochains.
Lorsque cela est nécessaire, il faut compléter ce socle normatif.
Loin d'être un phénomène du passé ou d'une région du monde, les disparitions forcées interviennent sur tous les continents, notamment dans les situations de conflits armés, et sont l'une des principales menaces qui pèse aujourd'hui sur les défenseurs des Droits de l'Homme. La communauté internationale ne peut tolérer de telles pratiques. Depuis 10 ans déjà, elles ont été condamnées par la Commission des Droits de l'Homme. Mais il faut aujourd'hui aller plus loin : la France appelle l'ensemble des Etats à conclure au plus vite les discussions engagées en vue de l'adoption d'une convention universelle pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
D'autres réflexions sur la lutte contre l'impunité sont utiles : les textes sur le droit à la vérité, le droit aux réparations, le rôle de réconciliation que peuvent jouer les institutions nationales de protection des Droits de l'Homme auront notre plein soutien ; la publication dans le recueil de textes des Nations unies de l'ensemble des "principes sur l'impunité" élaboré sous l'égide de cette commission et qui constituent un véritable guide pour tout pays en sortie de crise, me paraîtrait à cet égard très utile.
La France et ses partenaires de l'Union européenne continuent de mener activement la campagne en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort.
Nous prônons donc des avancées. Mais il faut également être vigilants et éviter les reculs ; en particulier, il ne saurait être tiré argument de préoccupations sécuritaires pour mettre en cause l'interdiction de la torture en toutes circonstances.
La France en particulier est vigilante vis-à-vis de toutes les manifestations d'intolérance religieuse, de l'antisémitisme et des discriminations raciales.
Pour illustrer l'indivisibilité des droits, je souhaiterais évoquer notamment les travaux de la commission sur l'extrême pauvreté. Qui sont ces "extrêmes pauvres" ? Les exclus qui n'ont pas accès aux services sociaux, aux services de justice, pour lesquels le droit de vote n'a aucune signification car illettrés, sans domicile, coupés de toute communication, ils ne sont pas en mesure d'exercer ces droits et de participer à la vie politique. Ces phénomènes d'exclusion touchent toutes les sociétés mais plus particulièrement celles qui aspirent au développement. La France est particulièrement mobilisée sur cette problématique et sur la nécessité de réconcilier Droits de l'Homme, démocratie et développement. La pauvreté et le sous-développement constituent des obstacles majeurs aux libertés essentielles. Le combat pour les Droits de l'Homme doit s'accompagner d'une politique active et généreuse d'aide au développement et de lutte contre l'exclusion. C'est le message que le chef de l'Etat français portera à New York, au sommet du Millénaire.
S'agissant enfin de l'universalité des Droits de l'Homme, nous ne sommes pas convaincus par ceux qui annoncent un choc des civilisations et des cultures, des clivages entre groupes régionaux.
De nombreux contre-exemples démentent cette analyse :
- l'expérience de la Francophonie - et des engagements souscrits par tous les pays ayant en commun l'usage du Français à Bamako, puis à Ouagadougou ;
- l'action responsable et conjuguée des acteurs régionaux et internationaux qui uvrent pour le rétablissement de la légalité au Togo ;
- le caractère souvent précurseur pour l'Europe et le monde de textes adoptés par les Etats latino-américains, par exemple sur les disparitions ;
- les dialogues engagés par l'Union européenne récemment, avec la Russie et, depuis plusieurs années, avec la Chine et l'Iran, pays où la situation des Droits de l'Homme demeure préoccupante.
Monsieur le Président,
Je souhaiterais dire, en conclusion, le plaisir que j'ai à vous voir présider cette Commission et l'espoir que, partout dans le monde la prééminence du droit soit reconnue et devienne le caractère structurant de l'ensemble des démocraties
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2005)