Texte intégral
Q- J.-P. Elkabbach -. Le ministre de la Culture est responsable de tout ce qui ne va pas. J.-M. Le Pen est hors-jeu en PACA ; vous n'y êtes pour rien, mais qu'en pensez-vous ?
R- "Je dois vous dire que j'ai du mal à imaginer que J.-M. Le Pen se soit laissé piéger par inadvertance par une situation électorale incomplète. C'est un fin connaisseur du droit et notamment du droit électoral. Il m'est arrivé de me demander si finalement cette affaire n'avait pas été réglée. Mais enfin, c'est une simple question."
Q- Par lui-même ?
R- "Par lui-même, peut-être."
Q- Dites-vous, comme M. Vauzelle, "bon débarras !" ?
R- "Je crois que ce qui m'importe, ce n'est pas le point de vue de M. Vauzelle, c'est le point de vue de R. Muselier. J'étais à Marseille la semaine dernière, j'ai constaté que R. Muselier faisait une campagne extrêmement pugnace. Je souhaite qu'il remporte ce combat et qu'il soit demain le président de Provence-Alpes-Côte-d'Azur."
Q- Et vous ne craignez pas que J.-M. Le Pen soit libre maintenant, comme il le veut probablement, de faire campagne dans tout le pays ? Il y a tellement de sujets de mécontentement que la situation peut lui être favorable...
R- "Je crois que c'était toujours l'objectif de J.-M. Le Pen au-delà de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, de faire une campagne nationale. Il est bien connu qu'il est plus à l'aise dans les campagnes nationales que dans les campagnes locales. Il prépare de toute évidence les européennes."
Q- La nuit des César a été peut-être bonne pour le cinéma, peut-être pas forcément pour vous ; vous n'étiez pas à la fête. Qu'avez-vous éprouvé cette nuit-là en entendant tout ce qui vous est tombé dessus ?
R- "Tout d'abord, je tenais à être là. Vous le savez, j'ai une action extrêmement engagée en faveur du cinéma français. Le crédit impôt-cinéma c'est moi, la création des Fonds régionaux d'aide au cinéma, c'est moi. La défense du cinéma français sur la scène européenne, c'est moi."
Q- Ce n'est pas perçu comme cela par le milieu lui-même !
R- "Je crois que le milieu le sait et le milieu m'en sait gré. En tout cas, j'avais été informé naturellement de la possibilité d'un certain nombre de manifestations, de mises en cause. Mais j'ai fait le choix d'être là. Je crois que la pire des choses aurait été en effet que je me dérobe."
Q- Mais vous n'étiez pas au premier rang. Aujourd'hui, faut-il "cacher" le ministre de la Culture ?
R- "Pas du tout, je n'étais pas au premier rang tout simplement parce que, l'an passé, j'avais souhaité m'y mettre à côté de la veuve de D. Toscan du Plantier, puisque l'on rendait hommage à la mémoire de Daniel qui venait de disparaître. Cette année, j'ai fait, comme il était d'usage, le choix de me mettre au milieu des artistes, donc au parterre. C'est l'usage, ce n'est pas moi qui ai décidé où je serai placé."
Q- Qu'avez-vous éprouvé quand vous entendiez ce que l'on disait de vous ?
R- "D'abord, je me suis dit qu'il était extrêmement facile de mettre quelqu'un en cause sans que cette personne puisse répondre. Deuxièmement, j'ai été quand même frappé par le caractère..., par l'amalgame des propos, et le caractère mensonger de beaucoup de ces propos. Donc, j'éprouvais un sentiment de révolte. Mais je crois que c'est par d'autres formes que je m'exprimerai à ce sujet au cours des prochains jours."
Q- C'est-à-dire ?
R - "Je n'ai pas..."
Q- D'abord ici...
R- "D'abord chez vous, sur d'autres médias."
Q- C'est-à-dire que vous avez envie de contre-attaquer, vous qui êtes, quand on attaque le Gouvernement Raffarin, un des accusés numéro 1, la Culture, et on va voir le reste tout à l'heure. Mais l'un des signes hier, c'est l'attaque de la comédienne metteur en scène, A. Jaoui, à propos des intermittents. Et vous avez noté qu'elle a été ovationnée, debout. Et vous, vous dites : A. Jaoui a tout faux. En quoi a-t-elle tout faux ?
R- "A. Jaoui s'est laissée aller à un certain nombre d'amalgames. Elle a par exemple mis en cause l'engagement de l'Etat en faveur de la Culture, elle a donc dénoncé les baisses de budget - de quelles baisses de budget parle-t-elle ? Partout, en 2003 et en 2004, la Culture a bénéficié de moyens en augmentation. Elle parlé de "lois qui remettraient en cause la création dans notre pays" ! De quelle lois parle-t-elle ?"
Q- Elle s'est même demandé si elle ne devait pas s'adresser plutôt qu'à vous, à monsieur Seillière, c'est-à-dire le patron du Medef... Dans ce cas, n'a-t-elle pas raison ?
R- "Monsieur Elkabbach, s'agissant de l'UNEDIC, il faut qu'elle s'adresse en effet aux partenaires sociaux. N'oublions pas que l'UNEDIC n'est pas un fonds de chômage qui serait géré par des deniers publics et par le Gouvernement. L'intermittence est un régime d'assurance-chômage qui est financé par les cotisations de l'ensemble des salariés du secteur privé dans notre pays, les quelque 16 millions de salariés du secteur privé, et qui est géré par les partenaires sociaux. Ce sont eux qui prennent des décisions concernant l'intermittence, qui bénéficient, ne l'oublions pas, de la solidarité interprofessionnelle. C'est-à-dire que, lorsqu'un intermittent touche 1 000 euros, 200 euros viennent des cotisations des salariés et du spectacle et de l'audiovisuel, les 800 autres euros viennent des cotisations de l'ensemble des salariés du secteur privé en France, de l'ouvrier de chez Michelin à Clermont-Ferrand, de la caissière du Leclerc de Saint-Valéry-en-Caux, ou encore de l'ouvrier à la chaîne chez Smart à Sarreguemines."
Q- En 2002, le déficit de l'intermittence à l'UNEDIC était de combien ?
R- "Environ 800 millions d'euros."
Q- Et là, en 2004, d'après les prévisions, si vous aviez promis de le réduire, ce serait combien ?
R- "Ce n'est pas moi qui ai promis de le réduire, ce sont les partenaires sociaux qui se sont proposés de le réduire. Ils savent très bien que le déficit est inévitable, mais ils souhaiteraient le ramener à environ 500 millions d'euros, ce qui est déjà une somme considérable."
Q- Mais faut-il pour autant s'en prendre à des femmes enceintes, comme on l'entend, comme la caméra-woman Delphine ou même à des malades ?
R- "Je trouve vraiment le procédé très démagogique, tristement
démagogique !"
Q- De ma part ?
R- "Non, pas du tout, mais de la part de ceux qui le mettent en oeuvre de façon aussi complaisante. La circulaire d'application des accords UNEDIC de 2003 pose en effet problème, posait problème quant à la situation des intermittentes enceintes ou des intermittents malades. Je suis intervenu auprès du président de l'UNEDIC et la question a été réglée. Donc, laisser à penser qu'il y a toujours un problème..."
Q- Donc il y a des dysfonctionnements dans ce système de l'UNEDIC. Au passage, vous n'avez pas découragé ou arrêté l'UNEDIC. Le 25, à l'Assemblée, d'après ce que l'on a entendu samedi, sera présenté un contre-projet sur l'intermittence. Pouvez-vous le prendre en compte, s'il est temps ? Ou dites-vous : on est à un moment clé pour l'intermittence et il y a un choix ? Et si oui, lequel ?
R- "Tout d'abord, ce projet, naturellement, je le prendrai, je l'étudierai attentivement, je le prendrai en compte, et surtout je demanderai à l'UNEDIC, aux partenaires sociaux, de me dire ce qu'ils en pensent, puisque ce sont eux qui financent l'intermittence. Mais par ailleurs, je crois profondément, pour reprendre votre expression, qu'on est arrivé à une croisée des chemins : ou bien l'intermittence reste dans l'UNEDIC, reste dans le système de la solidarité interprofessionnelle, il faut que la négociation s'engage avec les représentants de l'ensemble des employeurs et des salariés de France. Ou bien les intermittents veulent sortir de cette logique ; à ce moment-là, il faut qu'ils créent éventuellement une caisse autonome d'assurance-chômage qui financera les salariés et les employeurs par leurs seules cotisations. Mais hélas !, les cotisations se situeront à ce moment-là à un niveau bien supérieur qu'au niveau actuel."
Q- Mais vous, J.-J. Aillagon, vous ne voulez pas encourager l'UNEDIC à réformer la réforme ?
R- "Je souhaite profondément que l'intermittence reste dans l'UNEDIC, reste dans la solidarité interprofessionnelle, c'est la seule façon de le sauver. Vous savez, en 2003, j'ai déjà une première fois sauvé l'intermittence parce que les partenaires sociaux voulaient tout simplement en dénoncer l'existence. Je veux que pour l'avenir, nous disposions toujours d'un régime de ce type."
Q- Donc, le milieu est ingrat... Mais si le mouvement ne s'arrête pas, les festivals d'Aix, d'Orange, d'Avignon risquent d'être annulés ou perturbés. Et déjà le Festival de Cannes...
R- "Ce serait tout simplement suicidaire. Je crois que les professionnels du spectacle de l'audiovisuel ont besoin des festivals, ils ont besoin de travailler. La France a besoin de leur travail. C'est la raison pour laquelle je me bats pour la survie ce régime d'assurance-chômage."
Q- L. Fabius s'est livré, hier soir, à Europe 1, à une charge contre vous et contre le gouvernement Raffarin - je le cite - "qui sacrifie la Recherche, l'Education et la Culture." "Jamais la coupure, la rupture n'ont été aussi fortes", a dit L. Fabius, après J. Lang, après les Inrockuptibles, "entre un Gouvernement, même de droite, et le monde intellectuel." Votre gouvernement fait "la guerre à l'intelligence" ...
R- "Je crois que c'est une façon caricaturale et vraiment très contestable de présenter les choses. D'une part, je sais bien que monsieur Fabius est intelligent, il nous l'a suffisamment fait savoir... "
Q- Il reconnaissait hier qu'il y avait des intelligents dans tous les camps...
R- "Mais laisser à penser que l'on serait en quelque sorte, que l'on aurait le monopole, qu'un parti politique ou une faction politique aurait le monopole de l'intelligence, c'est à proprement parler scandaleux. Je dois vous dire d'ailleurs que cette façon de voir suscite des réactions extrêmement vives. Je lisais, ce matin, à ce sujet, dans Le Figaro, une tribune tout à fait remarquable de M. Slama. Là aussi, c'est de l'amalgame. On mélange la situation des archéologues, des intermittents, des avocats, des chercheurs, des professeurs pour accréditer l'idée qu'il y aurait un complot contre l'intelligence. S'il y avait un complot contre l'intelligence, il est évident que ce complot serait condamnable."
Q- Mais vous réduisez les budgets, les subventions...
R- "Mais on ne réduit rien du tout ! Il s'agit d'un thème de campagne politicienne fomentée par le Parti socialiste. Les crédits d'intervention, je ne cesse de le répéter, et d'ailleurs les intéressés le savent, les crédits d'intervention du ministère de la Culture ont augmenté en 2003 et en 2004."
Q- Au passage, quand les comédiens ou les artistes viennent vous voir en privé, ont-ils les mêmes arguments devant vous ?
R- "Mais pas du tout. Vous savez, samedi, j'ai vu aux César un certain nombre des signataires de la pétition des Inrockuptibles, qui tous venaient me dire : "nous sommes désolés, ce n'est pas vous que nous visions" ... "Le phénomène de lutte contre l'intelligence, me disait C. Breillat par exemple, est beaucoup plus ancien, il remonte à une dizaine d'années..."
Q- Ne donnez pas de noms...
R- "Mais, écoutez, je le dis parce que je crois que C. Breillat n'aura aucune honte à assumer ce propos."
Q- Une question sur Dieudonné : pourra-t-il présenter ses spectacles en salle ? Estimez-vous qu'il s'est suffisamment excusé, y compris, ici, à Europe 1, l'autre matin ?
R- "Dieudonné a dépassé les bornes du tolérable. J'aurais souhaité qu'il marque peut-être un regret plus profond, plus sincère. Cela dit, je ne peux pas envisager qu'on lui interdise de faire son métier. Dieudonné doit pouvoir, comme tout artiste, s'exprimer devant son public. Je crois qu'il ne faut pas opposer la haine à la haine, le fanatisme au fanatisme. Tout en se rappelant naturellement qu'il faut sans cesse condamner le racisme et l'antisémitisme. Ce sont des plaies horribles !"
Q- Ne pas les laisser passer. Vous allez être sollicité dans pas longtemps sur un cas : le film de Mel Gibson, sur "La passion du Christ", qui est déjà jugé antisémiste. Qu'allez-vous faire ?
R- "Je n'ai pas vu ce film. Ce film sera examiné par la Commission de classification des films. Elle nous fera connaître sa recommandation, et j'aviserai à ce moment-là. Eventuellement, s'il y avait problème, je demanderai à voir le film pour me faire une opinion personnelle."
Q- On entend bien que vous aviez envie de parler, il suffisait d'ailleurs de vous voir samedi soir. La vie doit être dure pour un ministre de la Culture, non ?
R- "Elle est passionnante."
Q- Non, non, mais la vérité ? Parce que vous prenez des coups, vous en recevez. Sont-ils mérités ?
R- "Je prends des coups mais je fais mon boulot. J'essaie de réformer mon ministère qui en avait grand besoin, parce qu'en effet, le bilan du travail accompli par mes prédécesseurs socialistes n'est pas glorieux. Ce ministère était un ministère usé, un ministère fatigué. Ce qui compte, ce n'est pas le ministère, c'est le développement culturel de notre pays. Et je fais tout pour assurer à ce développement culturel des bases plus solides."
Q- Quand vous le dites, le président de la République le croit-il ?
R- "Il le croit, je pars tout à l'heure avec lui pour la Hongrie et nous aurons sans doute l'occasion d'en parler."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 février 2004)
R- "Je dois vous dire que j'ai du mal à imaginer que J.-M. Le Pen se soit laissé piéger par inadvertance par une situation électorale incomplète. C'est un fin connaisseur du droit et notamment du droit électoral. Il m'est arrivé de me demander si finalement cette affaire n'avait pas été réglée. Mais enfin, c'est une simple question."
Q- Par lui-même ?
R- "Par lui-même, peut-être."
Q- Dites-vous, comme M. Vauzelle, "bon débarras !" ?
R- "Je crois que ce qui m'importe, ce n'est pas le point de vue de M. Vauzelle, c'est le point de vue de R. Muselier. J'étais à Marseille la semaine dernière, j'ai constaté que R. Muselier faisait une campagne extrêmement pugnace. Je souhaite qu'il remporte ce combat et qu'il soit demain le président de Provence-Alpes-Côte-d'Azur."
Q- Et vous ne craignez pas que J.-M. Le Pen soit libre maintenant, comme il le veut probablement, de faire campagne dans tout le pays ? Il y a tellement de sujets de mécontentement que la situation peut lui être favorable...
R- "Je crois que c'était toujours l'objectif de J.-M. Le Pen au-delà de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, de faire une campagne nationale. Il est bien connu qu'il est plus à l'aise dans les campagnes nationales que dans les campagnes locales. Il prépare de toute évidence les européennes."
Q- La nuit des César a été peut-être bonne pour le cinéma, peut-être pas forcément pour vous ; vous n'étiez pas à la fête. Qu'avez-vous éprouvé cette nuit-là en entendant tout ce qui vous est tombé dessus ?
R- "Tout d'abord, je tenais à être là. Vous le savez, j'ai une action extrêmement engagée en faveur du cinéma français. Le crédit impôt-cinéma c'est moi, la création des Fonds régionaux d'aide au cinéma, c'est moi. La défense du cinéma français sur la scène européenne, c'est moi."
Q- Ce n'est pas perçu comme cela par le milieu lui-même !
R- "Je crois que le milieu le sait et le milieu m'en sait gré. En tout cas, j'avais été informé naturellement de la possibilité d'un certain nombre de manifestations, de mises en cause. Mais j'ai fait le choix d'être là. Je crois que la pire des choses aurait été en effet que je me dérobe."
Q- Mais vous n'étiez pas au premier rang. Aujourd'hui, faut-il "cacher" le ministre de la Culture ?
R- "Pas du tout, je n'étais pas au premier rang tout simplement parce que, l'an passé, j'avais souhaité m'y mettre à côté de la veuve de D. Toscan du Plantier, puisque l'on rendait hommage à la mémoire de Daniel qui venait de disparaître. Cette année, j'ai fait, comme il était d'usage, le choix de me mettre au milieu des artistes, donc au parterre. C'est l'usage, ce n'est pas moi qui ai décidé où je serai placé."
Q- Qu'avez-vous éprouvé quand vous entendiez ce que l'on disait de vous ?
R- "D'abord, je me suis dit qu'il était extrêmement facile de mettre quelqu'un en cause sans que cette personne puisse répondre. Deuxièmement, j'ai été quand même frappé par le caractère..., par l'amalgame des propos, et le caractère mensonger de beaucoup de ces propos. Donc, j'éprouvais un sentiment de révolte. Mais je crois que c'est par d'autres formes que je m'exprimerai à ce sujet au cours des prochains jours."
Q- C'est-à-dire ?
R - "Je n'ai pas..."
Q- D'abord ici...
R- "D'abord chez vous, sur d'autres médias."
Q- C'est-à-dire que vous avez envie de contre-attaquer, vous qui êtes, quand on attaque le Gouvernement Raffarin, un des accusés numéro 1, la Culture, et on va voir le reste tout à l'heure. Mais l'un des signes hier, c'est l'attaque de la comédienne metteur en scène, A. Jaoui, à propos des intermittents. Et vous avez noté qu'elle a été ovationnée, debout. Et vous, vous dites : A. Jaoui a tout faux. En quoi a-t-elle tout faux ?
R- "A. Jaoui s'est laissée aller à un certain nombre d'amalgames. Elle a par exemple mis en cause l'engagement de l'Etat en faveur de la Culture, elle a donc dénoncé les baisses de budget - de quelles baisses de budget parle-t-elle ? Partout, en 2003 et en 2004, la Culture a bénéficié de moyens en augmentation. Elle parlé de "lois qui remettraient en cause la création dans notre pays" ! De quelle lois parle-t-elle ?"
Q- Elle s'est même demandé si elle ne devait pas s'adresser plutôt qu'à vous, à monsieur Seillière, c'est-à-dire le patron du Medef... Dans ce cas, n'a-t-elle pas raison ?
R- "Monsieur Elkabbach, s'agissant de l'UNEDIC, il faut qu'elle s'adresse en effet aux partenaires sociaux. N'oublions pas que l'UNEDIC n'est pas un fonds de chômage qui serait géré par des deniers publics et par le Gouvernement. L'intermittence est un régime d'assurance-chômage qui est financé par les cotisations de l'ensemble des salariés du secteur privé dans notre pays, les quelque 16 millions de salariés du secteur privé, et qui est géré par les partenaires sociaux. Ce sont eux qui prennent des décisions concernant l'intermittence, qui bénéficient, ne l'oublions pas, de la solidarité interprofessionnelle. C'est-à-dire que, lorsqu'un intermittent touche 1 000 euros, 200 euros viennent des cotisations des salariés et du spectacle et de l'audiovisuel, les 800 autres euros viennent des cotisations de l'ensemble des salariés du secteur privé en France, de l'ouvrier de chez Michelin à Clermont-Ferrand, de la caissière du Leclerc de Saint-Valéry-en-Caux, ou encore de l'ouvrier à la chaîne chez Smart à Sarreguemines."
Q- En 2002, le déficit de l'intermittence à l'UNEDIC était de combien ?
R- "Environ 800 millions d'euros."
Q- Et là, en 2004, d'après les prévisions, si vous aviez promis de le réduire, ce serait combien ?
R- "Ce n'est pas moi qui ai promis de le réduire, ce sont les partenaires sociaux qui se sont proposés de le réduire. Ils savent très bien que le déficit est inévitable, mais ils souhaiteraient le ramener à environ 500 millions d'euros, ce qui est déjà une somme considérable."
Q- Mais faut-il pour autant s'en prendre à des femmes enceintes, comme on l'entend, comme la caméra-woman Delphine ou même à des malades ?
R- "Je trouve vraiment le procédé très démagogique, tristement
démagogique !"
Q- De ma part ?
R- "Non, pas du tout, mais de la part de ceux qui le mettent en oeuvre de façon aussi complaisante. La circulaire d'application des accords UNEDIC de 2003 pose en effet problème, posait problème quant à la situation des intermittentes enceintes ou des intermittents malades. Je suis intervenu auprès du président de l'UNEDIC et la question a été réglée. Donc, laisser à penser qu'il y a toujours un problème..."
Q- Donc il y a des dysfonctionnements dans ce système de l'UNEDIC. Au passage, vous n'avez pas découragé ou arrêté l'UNEDIC. Le 25, à l'Assemblée, d'après ce que l'on a entendu samedi, sera présenté un contre-projet sur l'intermittence. Pouvez-vous le prendre en compte, s'il est temps ? Ou dites-vous : on est à un moment clé pour l'intermittence et il y a un choix ? Et si oui, lequel ?
R- "Tout d'abord, ce projet, naturellement, je le prendrai, je l'étudierai attentivement, je le prendrai en compte, et surtout je demanderai à l'UNEDIC, aux partenaires sociaux, de me dire ce qu'ils en pensent, puisque ce sont eux qui financent l'intermittence. Mais par ailleurs, je crois profondément, pour reprendre votre expression, qu'on est arrivé à une croisée des chemins : ou bien l'intermittence reste dans l'UNEDIC, reste dans le système de la solidarité interprofessionnelle, il faut que la négociation s'engage avec les représentants de l'ensemble des employeurs et des salariés de France. Ou bien les intermittents veulent sortir de cette logique ; à ce moment-là, il faut qu'ils créent éventuellement une caisse autonome d'assurance-chômage qui financera les salariés et les employeurs par leurs seules cotisations. Mais hélas !, les cotisations se situeront à ce moment-là à un niveau bien supérieur qu'au niveau actuel."
Q- Mais vous, J.-J. Aillagon, vous ne voulez pas encourager l'UNEDIC à réformer la réforme ?
R- "Je souhaite profondément que l'intermittence reste dans l'UNEDIC, reste dans la solidarité interprofessionnelle, c'est la seule façon de le sauver. Vous savez, en 2003, j'ai déjà une première fois sauvé l'intermittence parce que les partenaires sociaux voulaient tout simplement en dénoncer l'existence. Je veux que pour l'avenir, nous disposions toujours d'un régime de ce type."
Q- Donc, le milieu est ingrat... Mais si le mouvement ne s'arrête pas, les festivals d'Aix, d'Orange, d'Avignon risquent d'être annulés ou perturbés. Et déjà le Festival de Cannes...
R- "Ce serait tout simplement suicidaire. Je crois que les professionnels du spectacle de l'audiovisuel ont besoin des festivals, ils ont besoin de travailler. La France a besoin de leur travail. C'est la raison pour laquelle je me bats pour la survie ce régime d'assurance-chômage."
Q- L. Fabius s'est livré, hier soir, à Europe 1, à une charge contre vous et contre le gouvernement Raffarin - je le cite - "qui sacrifie la Recherche, l'Education et la Culture." "Jamais la coupure, la rupture n'ont été aussi fortes", a dit L. Fabius, après J. Lang, après les Inrockuptibles, "entre un Gouvernement, même de droite, et le monde intellectuel." Votre gouvernement fait "la guerre à l'intelligence" ...
R- "Je crois que c'est une façon caricaturale et vraiment très contestable de présenter les choses. D'une part, je sais bien que monsieur Fabius est intelligent, il nous l'a suffisamment fait savoir... "
Q- Il reconnaissait hier qu'il y avait des intelligents dans tous les camps...
R- "Mais laisser à penser que l'on serait en quelque sorte, que l'on aurait le monopole, qu'un parti politique ou une faction politique aurait le monopole de l'intelligence, c'est à proprement parler scandaleux. Je dois vous dire d'ailleurs que cette façon de voir suscite des réactions extrêmement vives. Je lisais, ce matin, à ce sujet, dans Le Figaro, une tribune tout à fait remarquable de M. Slama. Là aussi, c'est de l'amalgame. On mélange la situation des archéologues, des intermittents, des avocats, des chercheurs, des professeurs pour accréditer l'idée qu'il y aurait un complot contre l'intelligence. S'il y avait un complot contre l'intelligence, il est évident que ce complot serait condamnable."
Q- Mais vous réduisez les budgets, les subventions...
R- "Mais on ne réduit rien du tout ! Il s'agit d'un thème de campagne politicienne fomentée par le Parti socialiste. Les crédits d'intervention, je ne cesse de le répéter, et d'ailleurs les intéressés le savent, les crédits d'intervention du ministère de la Culture ont augmenté en 2003 et en 2004."
Q- Au passage, quand les comédiens ou les artistes viennent vous voir en privé, ont-ils les mêmes arguments devant vous ?
R- "Mais pas du tout. Vous savez, samedi, j'ai vu aux César un certain nombre des signataires de la pétition des Inrockuptibles, qui tous venaient me dire : "nous sommes désolés, ce n'est pas vous que nous visions" ... "Le phénomène de lutte contre l'intelligence, me disait C. Breillat par exemple, est beaucoup plus ancien, il remonte à une dizaine d'années..."
Q- Ne donnez pas de noms...
R- "Mais, écoutez, je le dis parce que je crois que C. Breillat n'aura aucune honte à assumer ce propos."
Q- Une question sur Dieudonné : pourra-t-il présenter ses spectacles en salle ? Estimez-vous qu'il s'est suffisamment excusé, y compris, ici, à Europe 1, l'autre matin ?
R- "Dieudonné a dépassé les bornes du tolérable. J'aurais souhaité qu'il marque peut-être un regret plus profond, plus sincère. Cela dit, je ne peux pas envisager qu'on lui interdise de faire son métier. Dieudonné doit pouvoir, comme tout artiste, s'exprimer devant son public. Je crois qu'il ne faut pas opposer la haine à la haine, le fanatisme au fanatisme. Tout en se rappelant naturellement qu'il faut sans cesse condamner le racisme et l'antisémitisme. Ce sont des plaies horribles !"
Q- Ne pas les laisser passer. Vous allez être sollicité dans pas longtemps sur un cas : le film de Mel Gibson, sur "La passion du Christ", qui est déjà jugé antisémiste. Qu'allez-vous faire ?
R- "Je n'ai pas vu ce film. Ce film sera examiné par la Commission de classification des films. Elle nous fera connaître sa recommandation, et j'aviserai à ce moment-là. Eventuellement, s'il y avait problème, je demanderai à voir le film pour me faire une opinion personnelle."
Q- On entend bien que vous aviez envie de parler, il suffisait d'ailleurs de vous voir samedi soir. La vie doit être dure pour un ministre de la Culture, non ?
R- "Elle est passionnante."
Q- Non, non, mais la vérité ? Parce que vous prenez des coups, vous en recevez. Sont-ils mérités ?
R- "Je prends des coups mais je fais mon boulot. J'essaie de réformer mon ministère qui en avait grand besoin, parce qu'en effet, le bilan du travail accompli par mes prédécesseurs socialistes n'est pas glorieux. Ce ministère était un ministère usé, un ministère fatigué. Ce qui compte, ce n'est pas le ministère, c'est le développement culturel de notre pays. Et je fais tout pour assurer à ce développement culturel des bases plus solides."
Q- Quand vous le dites, le président de la République le croit-il ?
R- "Il le croit, je pars tout à l'heure avec lui pour la Hongrie et nous aurons sans doute l'occasion d'en parler."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 février 2004)