Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, à "LCI" le 14 avril 2005, sur son attente de la prestation télévisée de Jacques Chirac face aux jeunes et sur les divisions au sein du parti socialiste sur le référendum sur la Constitution européenne.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Ma première question est simple : qu'est-ce que vous attendez ce soir, de la prestation télévisée de J. Chirac ?
R- Qu'il explique d'abord pourquoi il a annoncé, il y a déjà plusieurs semaines, qu'il allait consulter les Français par référendum sans dire vraiment pourquoi. Et il ne s'est pas exprimé depuis ou seulement des petites phrases. Donc c'est la moindre des choses que le président de la République dise aussi aux François, quel est l'intérêt de la France à l'occasion de ce traité constitutionnel. Mais en même temps, ce n'est pas le messie J. Chirac, je n'attends pas de lui des miracles, d'autant plus que depuis qu'il est président de la République, il n'a pas tracé les perspectives que représentait l'Europe pour la France et les Français.
Q- Vous n'attendez pas de lui des miracles, mais on a entendu F. Hollande dire, qu'il accomplisse des miracles, il faut absolument qu'il s'exprime, réclamer son intervention, comme un peu le messie ?
R- Non, pas du tout, je crois que c'est parce qu'il a une responsabilité et il ne l'exerce pas pleinement. Il est Président depuis 95 et pratiquement il n'a jamais expliqué aux Français quelle était sa conviction européenne, quel était l'intérêt de la France et des Français de construire cette Europe. Une Europe forte. Surtout dans son premier septennat, il n'y a eu quasiment aucune grande initiative et je pense qu'il porte une part de responsabilité dans l'éloignement des Français de l'Europe, qu'on ressent à l'occasion de ce référendum. Donc moi, je n'attends pas qu'il s'exprime uniquement ce soir, il a beaucoup de travail à faire et il faut qu'il rattrape le retard qu'il a pris. Et il ne faut pas qu'il se contente d'une seule explication dans un show télévisé.
Q- Vous parlez de show télévisé, est-ce que vous estimez que la forme est adéquate à l'enjeu ou qu'elle ne l'est pas ?
R- Pour moi, elle est comme elle est. Au moins ce rendez-vous arrive, mais je pense que le président de la République ne peut pas se contenter de ce rendez-vous, il aura encore du travail à faire. Il faut qu'il mouille davantage sa chemise.
Q- Est-ce que la difficulté n'est pas aujourd'hui que le "non" a essentiellement progressé à gauche, que J. Chirac est un président de droite et au fond que votre électorat n'a pas envie de voter une deuxième fois pour J. Chirac, comme il l'a fait en mai 2002 ?
R- Oui, il y a une colère sociale d'abord, qui ne concerne pas que l'électorat de gauche, qui concerne une grande majorité de Français qui sont mécontents aujourd'hui, ça c'est clair. Et ça ce n'est pas l'Europe,
il faut arrêter croire que c'est l'Europe qui est responsable de ça et y compris monsieur Raffarin, il faut qu'il arrête de le dire, parce qu'il l'a souvent dit, alors que ses décisions, personne ne les lui a imposées, c'est le programme de la droite. Maintenant, moi, je souhaite que les Français ne trompent pas de colère. Et quand on dit "mais si on vote "oui" au référendum, on va voter J. Chirac", moi, je pense qu'il faut mettre ça de côté, parce que quand on a des convictions profondes et je vais prendre un exemple : nous étions contre l'intervention militaire en Irak. Imaginons que J. Chirac ait consulté les Français pour savoir s'ils étaient pour ou si ils étaient contre ? Est-ce qu'on aurait répondu "oui" à une intervention militaire en Irak, sous prétexte Chirac aurait été contre. Bien sûr que non, on aurait répondu par notre conviction. Et là, c'est la même chose, c'est : où est notre intérêt ? Et en particulier pour les hommes et les femmes de gauche qui veulent une Europe sociale, où est leur intérêt ? Est-ce que c'est de voter "non" ou est-ce que c'est de voter "oui" ? Et moi, je pense que les partisans du "oui" ne font pas assez campagne, qu'ils ne sont pas assez énergiques, qu'ils rasent les murs et qu'il est grand temps que pendant ces six semaines qui nous restent, qu'ils expliquent pourquoi, pour la gauche c'est important.
Q- Pardonnez-moi, est-ce que F. Hollande, d'une certaine manière, n'a pas introduit la confusion dans l'esprit de ses propres électeurs en parlant d'un "oui" de gauche et d'un "oui" de droite. Autrement dit, est-ce que ses électeurs n'ont pas compris qu'un "oui" de gauche, en fait c'était un "non" à J.-P. Raffarin et à J. Chirac après que les avertissements que l'électorat a lancés en 2004 à travers les régionales, les cantonales, les Européennes n'ont pas été entendus ?
R- Oui, alors il faut remettre les choses à l'endroit, si c'est interprété comme ça. Parce que je pense...
Q- Mais vous le sentez bien que c'est interprété comme ça ?
R- Je pense qu'il faut expliquer que le "oui" qui aujourd'hui rase un peu les murs, il faut qu'il change de braquet. Il faut que ce soit un "oui" de combat, un "oui" de conviction, pour expliquer aux hommes et aux femmes de gauche, qu'avec ce projet de Constitution, si elle est appliquée, ça sera un véritable levier pour les hommes et les femmes de gauche qui veulent une Europe plus sociale, plus forte, plus solidaire, qui pèse davantage dans le monde, notamment par rapport à la mondialisation et au poids des Etats-Unis. Ca c'est cette Constitution qu'il le permet. Si on vote "non", alors on en reste au statu quo, c'est-à-dire on aura la zone de libre-échange, on aura le grand marché, mais on n'aura pas les pouvoirs politiques et sociaux. Alors vous me posez une question, vous dites : oui mais pourquoi un "oui" de droite et un "oui" de gauche ? Parce que - ce que je voudrais expliquer - même avec cette Constitution, ça ne veut pas dire que par miracle, tout ce que nous souhaitons pour l'Europe va se produire et qu'il faut les hommes et les femmes de gauche disent avec cette Constitution, on s'en servira comme levier pour faire changer les choses. C'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait une majorité à gauche en Europe, pas seulement au Parlement, mais aussi dans les différents gouvernements et que la confrontation qui existe dans chaque pays entre la droite et la gauche puisse se faire aussi à l'échelle européenne.
Q- Vous avez parlé d'un "oui" de combat, les partisans du "oui" au Parti socialiste mènent le combat au point parfois de stigmatiser vos propres camarades qui votent "non", en assimilant, comme ça a été fait par F. Hollande, voire par J. Dray, leur vote à celui plus ou moins recommandable à leurs yeux, le vote du Front national. Es-ce que vous approuvez ce genre de propos ou est-ce que vous le contestez ?
R- On a perdu trois mois dans des règlements de comptes internes et moi, je n'ai pas du tout envie dans les six semaines qui me restent, pour faire campagne de m'empailler avec ceux qui ne respectent pas le vote très majoritaire des militants du Parti socialiste. On aura...
Q- Entre nous, quand vous voyez L. Fabius dans les Pyrénées- Orientales, hier soir, faire en quelque sorte campagne auprès d'étudiants en faveur du "non", ça vous semble comment ?
R- Je vous ai répondu. Je pense qu'il y aura une clarification nécessaire et je souhaite qu'elle ait lieu évidemment après le référendum. Pour l'instant, il faut essayer de convaincre ceux qui hésitent à gauche et où est leur intérêt ? Est-ce que leur intérêt c'est effectivement de voter "non" pour au fond stopper l'Europe telle qu'elle va et effectivement ce qui ne convient pas, ou est-ce que c'est de voter "oui" pour se servir de cette constitution comme véritable levier, pour faire en sorte que la dérive libérale, que l'on conteste, soit stoppée. Moi, je pense que ça c'est ça qui est essentiel.
Q- Donc pour les polémiques internes, vous dites "Halte ! au feu" ?
R- Eh bien, écoutez oui, parce que ça ne sert à rien. Moi, je ne voudrais pas culpabiliser des hommes et des femmes de gauche qui sincèrement aujourd'hui s'interrogent et se disent : mais est-ce que c'est bon pour moi de voter "oui" ou est-ce que c'est mieux de voter "non" ? Moi, mon travail c'est de le convaincre que l'Europe, la Constitution telle qu'elle est aujourd'hui proposée, c'est une avancée démocratique, une avancée sociale et surtout un levier pour l'Europe que nous souhaitons.
Q- Est-ce que J.-M. Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale, est tenté de dire aujourd'hui, pardonnez-moi "vivement Jospin !" Je vois que D. Vaillant dit "c'est le seul à pouvoir disjoindre aujourd'hui un "oui" à la Constitution d'un "oui" à J. Chirac. "
R- Il va prendre sa part dans le combat. Je l'ai vu et je sais qu'il le fera. Mais il va le faire et il le fait dans sa section socialiste du 18ème arrondissement. Il viendra à Nantes le 19 mai pour un meeting avec F. Hollande et moi-même, donc on fera ensemble campagne. Mais je crois qu'il ne faut pas se contenter d'une campagne avec des grands évènements. Il faut surtout aller voir les Français, parler avec eux, parce que moi, je vous le dis avec mon témoignage aussi de base, pas seulement de ce lieu où je vous parle, que beaucoup de gens s'interrogent, hésitent, pèsent le pour, le contre et que c'est directement avec eux qu'il faut parler.
Q- Vous dites : il faudra régler des comptes, si comptes il y a, après...
R- Non j'ai dit "clarification". Ce n'est pas la même chose.
Q- Ou "clarification", après le référendum. Est-ce que et je reprends ma question sous une autre forme, L. Jospin, comme le dit C. Allègre, sera la solution naturelle dans une situation de flou persistant voire de divorce au sein du PS ?
R- Moi, je souhaite qu'aujourd'hui et je ne vais pas répondre à votre question, parce que ce n'est pas la question d'aujourd'hui. Et si vous rencontrez L. Jospin, il vous dira la même chose. Moi, j'ai parlé avec lui de cela. Il refuse qu'on l'instrumentalise dans cette perspective que vous décrivez et il a raison, parce que ça ne servira à rien. Aujourd'hui, ce qui compte c'est de convaincre les Français où est leur intérêt. Et en particulier les hommes et les femmes qui en France, refusent la dérive libérale aussi bien national, qu'européenne et internationale, ils ont là un moyen pour la stopper avec le "oui" au référendum et c'est aussi un moyen de préparer en 2007, l'alternance, parce que vous imaginez un "non" ! Un "non", il y aura toujours J. Chirac au pouvoir, il y aura peut-être encore monsieur Raffarin. Mais il y aura sans doute un Parti socialiste en crise. Où seront les chances alors de la gauche en 2007 de réussir l'alternance qu'aujourd'hui, je crois une grande majorité à gauche souhaite, mais aussi une grande partie des Français ?
Q- Des lycéens vont continuer à manifester aujourd'hui. Le Parti socialiste a demandé une enquête sur des violences policières qui ont pu avoir lieu à l'encontre de lycéens. Est-ce que de la même manière vous demandez aux lycéens de rentrer dans leurs classes et de cesser d'occuper des lycées ?
R- Moi, je ne suis pas favorable à la violence et évidemment, mais je pense que le Gouvernement, aujourd'hui, ne sait pas parler avec la jeunesse. Et le bâton ne suffit pas, on voit bien qu'il y a un malaise. Nous, nous avons demandé une commission d'enquête, les députés socialistes, sur les violences policières, parce que moi, je crains, si vous voulez, que ça se termine mal. La fermeté et le respect du droit, évidemment c'est normal qu'on le rappelle quand on est une autorité publique. Mais là, il y a un refus du dialogue, il y a un refus, on voit bien qu'il y a un malaise de la jeunesse et on voit bien que l'école aujourd'hui est en crise et le Gouvernement n'y répond pas. C'est ça la vraie question. Moi, je souhaiterais qu'il lui réponde vraiment et pas simplement par des effets de manche.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2005)