Tribune de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, dans "Le Figaro" du 4 mai 2005, sur l'apport de la Constitution européenne au renforcement de la place de l'Europe dans le monde, intitulée "De ma rue à l'ONU, oui à l'Europe".

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J'entends souvent dire que la construction européenne serait totalement abstraite pour le commun des citoyens. Que la réalité "bruxelloise" serait peu palpable. Que finalement adopter ou non la Constitution ne changerait rien pour la vie quotidienne des 450 millions d'Européens, notamment des Français. Quelle serait alors l'utilité d'une Constitution qui ne servirait pas à revaloriser les salaires de telle activité ou à régler les problèmes de voirie ?
Si les avancées du projet de Constitution sont en grande partie d'ordre institutionnel, les conséquences de son adoption dans la gestion des affaires publiques, pour l'avenir de nos pays ainsi que dans notre vie quotidienne sont véritablement concrètes.
Je reviens de Chine, où j'ai accompagné le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin (du 19 au 23 avril). Chaque étape de cette visite nous a confirmé combien l'idée européenne est importante pour nos partenaires. Les contrats (une trentaine d'Airbus et 5 000 tonnes de blé vendus), le dialogue stratégique (l'embargo sur les armes), la gouvernance économique et commerciale (la Chine et l'OMC), le trafic maritime (Shanghaï, bientôt premier port mondial après Hongkong), se traitent à la mesure de ce pays continent. A cet égard, le bloc européen paraît le mieux armé pour représenter les intérêts économiques et politiques des pays membres de l'Union. Ne serait-ce qu'en termes culturels, comment se mesurer à une Chine qui compte à elle seule soixante millions de pianistes ? Qu'adviendrait-il de nos secteurs textile, électronique, électroménager, informatique si nous devions essuyer tout seuls l'irrésistible déferlante chinoise ? Plus que jamais l'Union européenne est indispensable pour les enjeux colossaux qui se joueront demain à Pékin et dans le monde.
De même au niveau local, en tant que premier adjoint au maire de Marseille, je traite au quotidien de questions extrêmement concrètes. Sécurité, emploi, logement, transports, aménagement urbain... sont autant de domaines où les programmes et les fonds européens soutiennent directement l'action de la ville. La réhabilitation du centre de Marseille a été réalisée avec l'appui de Bruxelles au programme "Pic Urban" (7 millions d'euros). L'entreprise Eurocopter (premier employeur régional et leader mondial de construction d'hélicoptères), l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée qui a créé plus de 5 000 emplois, doivent beaucoup à l'Europe. Et comment ne pas citer le processus de Barcelone qui, à travers le fonds européen Meda, réserve 5,35 milliards d'euros pour la coopération avec les pays du bassin méditerranéen ? Tous ces projets n'auraient pu voir le jour sans une action forte de la France au sein de l'Union européenne.
En prenant ces exemples, aux antipodes les uns des autres, je veux montrer que nos relations avec nos partenaires nous éclairent sur l'impératif de réussite européenne. Quel lien entre la Cité interdite à Pékin, la Fondation européenne pour le dialogue des cultures à Alexandrie, les enjeux traités par les Nations unies à New York ou le tunnel de la gare Saint-Charles à Marseille (financé à hauteur de 17% par Bruxelles) ? Rien, si ce n'est l'Europe qui se doit d'être un partenaire visionnaire, ambitieux, et surtout puissant et fiable.
Ce qui nous ramène à l'enjeu de la ratification du traité constitutionnel qui donnerait enfin à l'Union les moyens de devenir ce partenaire que chacun appelle de ses voeux. Ce qui est vrai pour la Chine et le bassin méditerranéen l'est aussi pour les Etats-Unis ou le continent africain. Plus que d'autres, en effet, les Etats-Unis ont besoin d'une Europe cohérente, dotée d'une vision stratégique clairement définie. Concernant l'Afrique, l'Europe de la défense s'est illustrée à travers l'opération "Artémis" (juin 2003) en République démocratique du Congo, lorsque nos armées ont mis fin aux massacres qui se perpétraient dans la région de l'Ituri.
Au cours de mes nombreux déplacements, je me suis rendu compte combien le monde nous enviait notre modèle européen. Les réfugiés du Liberia ou du Darfour, les victimes des guérillas d'Amérique du Sud, les orphelins du tsunami, auraient souhaité vivre ou naître dans une Europe de paix, de démocratie et de croissance. Demain, la Constitution nous donnera les moyens de consolider des acquis que nous défendons chaque jour. N'oublions pas que cela ne fait que deux générations que nous vivons en paix et que soixante ans seulement nous séparent de la libération des camps de concentration !
Demain, la Constitution va permettre à la France de peser plus lourd au Conseil de l'Union. Elle offrira un visage unique à nos partenaires, avec un véritable ministre des Affaires étrangères, doté des moyens nécessaires à son action. Elle facilitera la prise de décision pour des matières comme la lutte contre la criminalité organisée ou l'immigration clandestine. Elle attribuera aux valeurs de l'Europe (largement inspirées par la France) la force juridique qui leur faisait défaut. Elle renforcera le rôle du Parlement européen dont les pouvoirs demeuraient jusqu'alors trop limités. Elle construira aussi dans nos quartiers, car l'action de l'Europe avec une volonté industrielle et politique farouche est au service du bien-être de nos concitoyens.
C'est pourquoi nous devons ensemble dire oui au rôle moteur de la France dans l'Europe, oui au renforcement de la place de l'Europe dans le monde, et donc oui au traité constitutionnel lors du référendum du 29 mai.

(Source http://www.u-m-p.org, le 13 mai 2005)