Interview de M. Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la culture et de la communication, sur LCI le 25 avril 2005, sur sa volonté de voir s'ouvrir les discussions sur la réforme du régime d'indemnisation chômage des intermitents du spectacle et de réformer le système d'aide aux productions cinématographiques.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

P.-L. Séguillon - Vous étiez au Printemps de Bourges jeudi dernier. Et à la fin de cette semaine, s'est déroulée lors de ce Printemps de Bourges, une manifestation, entre autres, en faveur de la libération de F. Aubenas et de Hanoun Al Saadi. Vous êtes ministre de la Communication également, vous êtes donc informé quotidiennement des tractations et négociations. Est-ce que vous n'êtes pas étonné par ce blocage persistant, dont on n'arrive pas à comprendre les raisons ?
R. Donnedieu de Vabres - Je pense très positif en tous cas qu'il y ait cette expression de solidarité de l'ensemble des Français, en permanence, pour envoyer ce message qui est évidemment reçu directement sur place. Le Gouvernement, quant à lui, et l'ensemble des services de l'Etat, travaillent sans relâche tous les jours, 24 heures sur 24, pour essayer d'obtenir le retour sur le territoire national. Tant qu'il n'est pas fait, il faut être prudent. Voilà, je ne peux rien dire. Toutes sortes de contacts sont établis. Il faut arriver à cette décision de retour dans une situation qui est localement très dangereuse. Donc tout prend du temps, tout est vérifié, tout est mis en uvre.
Q- Mais l'obstacle, est-ce un obstacle politique ou est-ce un obstacle de rançon ?
R- L'obstacle, vous savez, c'est que tant qu'ils ne sont pas sur le territoire national, cela veut dire qu'il y a des décisions qui ne sont pas prises et qu'on n'a pas obtenu encore le résultat. Voilà, le temps est effectivement long, je comprends l'impatience, mais en tous cas, nous sommes plus que vigilants. Nous sommes totalement engagés dans ce combat.
Q- Au Printemps de Bourges, vous avez eu - j'allais dire que c'est de coutume - quelques réactions sur les intermittents, notamment de la part de la CGT. Sur ces intermittents, est-ce que vous allez ou non onner une sorte d'ultimatum aux partenaires sociaux ? Est-ce que
vous dites que vous souhaitez qu'ils se rencontrent, qu'ils aboutissent à un nouveau protocole au 1er janvier 2006 ? Est-ce que vous allez leur donner une date butoir, faute de quoi vous légiféreriez ?
R- Je suis un homme de dialogue et d'action. Cela veut dire que j'ai pris des mesures pour 2005, qui sont rentrées en vigueur, dont je surveille l'application pour qu'elles bénéficient à tous les artistes et techniciens, les fameuses 507 heures en 12 mois, avec des dispositions pour la maladie et des dispositions pour l'éducation artistique...
Q- Mais ce sont des dispositions de circonstance et provisoires ?
R- Oui, mais c'était important, cela a réintégré aujourd'hui à peu près 2.700 personnes, artistes et techniciens, dans leurs droits. Par ailleurs, il y a des contrôles qui sont faits pour mieux délimiter le périmètre. C'est pour 2005. J'ai pris un engagement : c'est qu'il y ait opérationnel, au 1er janvier 2006, un système plus juste et plus équitable...
Q- Oui, mais les partenaires sociaux ne sont pas pressés de se rencontrer.
R- J'ai au conseil national des professions du spectacle, le 29 mars, demandé officiellement aux partenaires sociaux de se réunir. J'ai voulu bien situer les responsabilités pour ne pas être injuste. Il y a la question du soutien à l'emploi, la question de l'indemnisation du chômage. L'indemnisation du chômage, c'est l'Unedic, c'est-à-dire c'est la compétence des partenaires sociaux avec l'Etat, qui en 2005, a agi et qui de toutes façons a la charge d'agréer. Dans les tous prochains jours, au nom du Premier ministre, je vais inviter solennellement les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, à se mettre autour d'une table pour ouvrir la discussion.
Q- A partir de quand et jusqu'à quand ? Combien de temps leur donnez-vous ?
R- Je leur demande de le faire et de rouvrir cette discussion avant l'été. Je ne prononce pas le terme "d'ultimatum", parce que vous voyez bien que nous sommes dans une phase où il a fallu réconcilier les uns et les autres. Mais je suis très énergique sur cette question. Je ne vois pas ce qui ferait obstacle à l'ouverture de la discussion avant l'été. Au niveau interprofessionnel, quitte à ce que le niveau interprofessionnel dise au secteur professionnel, c'est-à-dire directement aux branches du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, faites-nous des propositions. En tous cas, je ne resterai pas les bras croisés et il est très simple - et je le dis calmement -, que si au fond, on devait constater un blocage des partenaires sociaux, eh bien l'Etat, le Gouvernement saura prendre ses responsabilités en liaison avec le Parlement. Mais je souhaite que ce qui est de la compétence des partenaires sociaux reste traitée directement par les partenaires sociaux. Je suis en train d'agir très efficacement, je crois, parce qu'il ne s'agit pas uniquement de la question de l'indemnisation du chômage - évidemment elle est très importante -, mais il s'agit aussi du soutien à l'emploi. Parce que c'est ça qui est finalement le plus important pour les artistes et les techniciens de notre pays, qu'il s'agisse du cinéma, de la musique. Je cherche à ce que mon pays, ses artistes et techniciens, soient attractifs. Tout à l'heure, je serai à Versailles, où il y a la localisation en France d'un grand film, un film de Sofia Coppola, qui est en train d'être tourné dans un monument historique français très prestigieux. Je me bats sur tous les fronts pour défendre l'emploi de manière positive.
Q- Vous défendez l'emploi de manière positive. Puisque vous parlez du cinéma, je crois que votre intention est d'ici à Cannes de proposer le soutien à des films tournés en France et en langue française. Je ne me trompe pas ?
R- Vous vous trompez sur le calendrier. J'ai l'objectif effectivement de faire en sorte que par tous les moyens, on puisse soutenir...
Q- Mais sur l'objectif, je ne me trompe pas ?
R- Ce n'est pas ça. Je cherche à développer le soutien au cinéma sous toutes ses formes dans notre pays, parce que je crois que c'est très important. Il y a un très bon système d'aides français au cinéma, qui est aujourd'hui notifié à l'Union européenne, que je veux conforter. Il y avait quelques disfonctionnements. C'est-à-dire qu'un film réalisé intégralement en France avec un auteur, un réalisateur, un scénariste, des artistes, des techniciens et des paysages, se verrait, si on n'y prend garde, privé de tout soutien. Et un film tourné le cas échéant complètement à l'extérieur, soutenu. Donc il y a quelques disfonctionnements. Je dis très simplement à l'ensemble des professionnels, parce qu'il y en a qui sont troublés...
Q- Attendez, il y en a qui se demandent si l'argent que vous allez mettre là ne sera plus ici !
R- Je sais. Beaucoup de réalisateurs, beaucoup d'auteurs considèrent qu'il faut défendre leurs intérêts et donc faire en sorte tout simplement qu'on soutienne les talents français. Je veux que notre système d'aides au cinéma soit performant. Donc j'ai chargé un expert de voir et de réfléchir à quels sont les critères, pour faire en sorte que l'on puisse encore mieux soutenir le cinéma français et notre système national. Je ne suis pas en train d'ouvrir grandes les portes à tous les financements extérieurs. Je veillerai à une bonne articulation des choses, notamment avec les producteurs indépendants délégués. Je souhaite tout simplement que notre capitale de talents, de paysages, de monuments, permette au rayonnement artistique français de s'épanouir. Mais je ne suis pas un naïf et donc je n'ouvre pas grandes les portes. J'ai chargé quelqu'un d'étudier les filtres. Donc qu'on ne me caricature pas, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.
Q- A votre manière, vous êtes en campagne européenne, puisque vous allez organiser entre le 2 et le 3 mai, une grand-messe de la culture européenne, avec des représentants de toute l'Europe...
R- C'est une grande première. Cela veut dire que je crois tout simplement que nous devons donner cette vision culturelle, spirituelle et humaniste de l'Europe. Nous ne sommes pas uniquement un marché. L'Europe et ce traité constitutionnel, c'est un projet politique. Et donc des artistes des 25 pays, qu'il s'agisse du cinéma, de la musique, du théâtre, de la danse, de la littérature, de l'architecture, sont invités pendant 36 heures à Paris, lundi et mardi prochain. Ce sera ouvert par le président de la République lui-même. Monsieur Barroso viendra dire quelle est la conception qu'il a du soutien nécessaire à la culture dans le projet européen...
Q- Etes-vous sûr qu'il est bien audible en France ?
R- Je pense qu'il veut donner un coup de projecteur positif sur l'exception culturelle et le fait que la culture n'est pas une marchandise comme les autres...
Q- Sauf que l'exception culturelle n'est-elle pas compromise par la Constitution, dès lors qu'on parle à la majorité qualifiée non plus à l'unanimité des décisions en matière de culture ?
R- On n'a pas beaucoup de temps, mais il faut que ceux qui nous écoutent sachent que c'est une grande première et une grande avancée que, dans le traité constitutionnel, la diversité culturelle soit érigée en valeur, en principe. Cela veut dire tout simplement que chaque Etat, chaque fierté, chaque terroir doit avoir les moyens de rayonner. Et nous devons avoir le droit de pouvoir les soutenir. Donc 500 artistes des 25 pays vont pouvoir s'exprimer. Les 25 ministres de la Culture seront présents. Ce sera un débat extraordinairement libre. Encore une fois, ce n'est pas un débat sur la Constitution elle-même, c'est la dimension culturelle de l'Europe. Vous savez, il y a pas beaucoup de pays qui ont ce pouvoir entre les mains et ce capital.
Q- La Constitution est mal partie. On voit que V. Giscard d'Estaing et R. Barre sont obligés d'intervenir. V. Giscard d'Estaing dit qu'au fond, on n'entend pas les partisans du "oui"...
R- Chaque voix est utile et donc moi, samedi, j'ai fais huit heures de réunion dans un certain nombre de quartiers de ma ville à Tours. Je souhaite aujourd'hui que chaque personne convaincue du "oui" accepte de soustraire un peu de temps à ses loisirs pour inviter à prendre un café dans son appartement, un certain nombre de gens, sur son lieu de travail, partout il y a des réunions d'information...
Q- La "campagne Tupperware" ?!
R- Chaque voix est utile et je pense tout simplement qu'il était temps qu'on parle enfin aux Français de l'Europe. C'est le grand mérite du référendum, parce qu'on peut rester cloisonné entre nous, entre élites politiques, culturelles et sociales. Les Français ont la parole sur le traité constitutionnel, comme ils l'auront sur l'élargissement futur. Et ça, c'est une très bonne chose.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 avril 2005)