Texte intégral
Q - Pensez-vous, comme Giscard, que les partisans du "oui" manquaient jusqu'ici de "pensée stratégique et d'un chef d'orchestre ?
R - Je ne crois pas qu'il faille un chef d'orchestre. Le "oui" est pluriel car il s'agit d'un texte européen. Il faut respecter ce pluralisme. Le chef de l'Etat, à la place où il se trouve, fixe l'horizon, indique les enjeux. Il a pris le risque nécessaire du débat démocratique qu'est un référendum. Il est dans son rôle quand il s'exprime, mais c'est aux partis politiques de mener le débat, et aux ministres, comme moi, d'y participer. Et je le fais quotidiennement ! Là où M. Giscard d'Estaing a raison, c'est qu'il faut garder la ligne d'horizon. Cette Constitution est un outil au service du projet européen. C'est un règlement de copropriété entre vingt-cinq nations qui ne veulent pas fusionner mais qui veulent travailler ensemble, mutualiser un certain nombre de ressources et d'intelligences.
Q - Mais ce qui intéresse les Français, c'est de savoir ce que la Constitution va leur apporter...
R - L'Union a apporté la paix, la démocratie. La Constitution va apporter une meilleure protection des Droits de l'Homme, des travailleurs et des citoyens, davantage de moyens pour lutter contre la criminalité internationale et la drogue, davantage de protection juridique pour les services publics. Jamais un texte européen n'a été aussi social ! Davantage de démocratie aussi : un million de citoyens, à travers l'Europe, pourront saisir par pétition les institutions européennes, nos parlementaires nationaux pourront mieux contrôler ce qui se passe à Bruxelles, les citoyens européens auront une voix plus forte dans le monde grâce à un ministre européen des Affaires étrangères et une politique autonome de défense européenne. Cette Constitution est source de progrès. Pourquoi la refuser ? En outre n'oublions pas que le modèle européen, symbole d'une réconciliation réussie, d'un progrès partagé, d'une paix respectée depuis cinquante ans, est considéré comme une espérance dans beaucoup de régions du monde.
Q - Ne craignez-vous pas que le mécontentement social soit le plus fort dans ce référendum ?
R - Notre rôle dans cette campagne n'est pas d'éluder ce mécontentement, ni l'inquiétude sur la vie chère, ou le chômage. Mais voter "non" n'arrangera rien ! Ce sera, au contraire, plus difficile pour chaque Français parce que ce sera plus difficile pour la France. Le 29 mai, les Français voteront sur une question européenne qui met en jeu l'influence de la France en Europe. Le rendez-vous pour les questions de politique intérieure est pour 2007 !
Q - Le nouvel élargissement, à la Roumanie et à la Bulgarie, annoncé pour 2007 ne va-t-il pas heurter les Français, qui trouvent que tout va trop vite ?
R - L'entrée dans l'Union européenne ne se fait pas parce que la porte est ouverte, mais en respectant des règles. Avant d'entrer effectivement, la Roumanie et la Bulgarie devront les respecter. Ces deux pays font partie du train d'élargissements qui a été négocié depuis près de dix ans. Ils ont d'ailleurs encore des efforts à faire pour se conformer aux exigences européennes. Les dix autres pays qui sont entrés après s'être libérés, il y a quinze ans, du système communiste, ont respecté les règles comme l'avaient fait le Portugal et l'Espagne, au sortir, eux aussi, d'un régime totalitaire. Or, vingt ans après, qui nierait que le progrès a été partagé ? Il n'y a plus d'immigration portugaise ni espagnole. Nous vendons plus de produits agricoles à l'Espagne qu'elle ne nous en vend ! Nos entreprises s'installent dans ces pays, ce qui fournit des emplois chez nous. Voilà le succès du projet européen. Nous devons donc réussir la même chose avec les pays d'Europe centrale. Nous n'avons pas intérêt à laisser ces peuples dans la misère ou la pauvreté à côté de nous.
Q - Si le "non" l'emportait, peut-il y avoir un "plan B" ?
R - Il n'y a pas de "plan B" ! J'ai participé à la Convention animée par Valéry Giscard d'Estaing. Tout a été mis sur la table : idées, arguments, options. On a abouti, ce qui était inespéré et improbable, à un accord sur un texte constitutionnel fort, qui présente de nombreuses avancées souvent dues aux convictions françaises : par exemple, sur la diversité culturelle, la protection des services publics, les droits sociaux, la politique étrangère ou la défense. Imaginer que, parce que la France dirait "non", les autres pays appelleraient à renégocier est une utopie. La vérité est qu'on en resterait aux traités actuels, qui sont insuffisants.
Q - Olivier Besancenot rappelle que vous aviez qualifié le Traité de Nice d'historique...
R - Non, j'ai dit à Nice que c'était un traité utile à court terme. La preuve, c'est que les chefs d'Etat et de gouvernement qui ont signé ce traité, dont Jacques Chirac et Lionel Jospin, ont eux-mêmes fixé un nouveau rendez-vous, celui de la Convention, et une nouvelle méthode, qui a abouti au traité constitutionnel. Aujourd'hui, nous parlons du moyen et du long terme, pour que l'Europe soit mieux organisée et capable d'agir dans le monde. Les gagnants du "non", ce seront les partisans d'une "Europe supermarché" dans laquelle on ne fera que du commerce, de la compétition fiscale et sociale et pas de politique. Moi, je me bats pour que l'Europe soit un marché maîtrisé, avec des règles, de la solidarité, des politiques communes pour l'environnement, l'agriculture ou la pêche, une politique régionale et une réelle dimension politique.
Q - Cette Europe-là pourra-t-elle mieux lutter contre l'invasion des chemises chinoises ?
R - Nous avons des règles qui permettent de nous protéger. La Commission a lancé cette semaine une enquête sur les importations massives de textile chinois, et nous allons demander que des mesures de sauvegarde soient prises dans les semaines à venir. Cette affaire est l'occasion de regarder le monde tel qu'il est. Cinq pays sont déjà ou vont être par eux-mêmes une puissance mondiale : les Etats-Unis depuis longtemps, la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil. Serons-nous à la table où s'organisera le monde, ou le subirons-nous ? Aucun pays européen n'a la taille ni le poids suffisants pour espérer compter tout seul et nous ne compterons que si nous parlons d'une seule voix. Pour cela, il faut être ensemble sans cesser d'être français, allemand ou anglais. Je travaille pour une Europe unie pas uniforme, parce que je n'ai pas envie que l'avenir de mes enfants se fasse à Wall Street et se défasse à Pékin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2005)
R - Je ne crois pas qu'il faille un chef d'orchestre. Le "oui" est pluriel car il s'agit d'un texte européen. Il faut respecter ce pluralisme. Le chef de l'Etat, à la place où il se trouve, fixe l'horizon, indique les enjeux. Il a pris le risque nécessaire du débat démocratique qu'est un référendum. Il est dans son rôle quand il s'exprime, mais c'est aux partis politiques de mener le débat, et aux ministres, comme moi, d'y participer. Et je le fais quotidiennement ! Là où M. Giscard d'Estaing a raison, c'est qu'il faut garder la ligne d'horizon. Cette Constitution est un outil au service du projet européen. C'est un règlement de copropriété entre vingt-cinq nations qui ne veulent pas fusionner mais qui veulent travailler ensemble, mutualiser un certain nombre de ressources et d'intelligences.
Q - Mais ce qui intéresse les Français, c'est de savoir ce que la Constitution va leur apporter...
R - L'Union a apporté la paix, la démocratie. La Constitution va apporter une meilleure protection des Droits de l'Homme, des travailleurs et des citoyens, davantage de moyens pour lutter contre la criminalité internationale et la drogue, davantage de protection juridique pour les services publics. Jamais un texte européen n'a été aussi social ! Davantage de démocratie aussi : un million de citoyens, à travers l'Europe, pourront saisir par pétition les institutions européennes, nos parlementaires nationaux pourront mieux contrôler ce qui se passe à Bruxelles, les citoyens européens auront une voix plus forte dans le monde grâce à un ministre européen des Affaires étrangères et une politique autonome de défense européenne. Cette Constitution est source de progrès. Pourquoi la refuser ? En outre n'oublions pas que le modèle européen, symbole d'une réconciliation réussie, d'un progrès partagé, d'une paix respectée depuis cinquante ans, est considéré comme une espérance dans beaucoup de régions du monde.
Q - Ne craignez-vous pas que le mécontentement social soit le plus fort dans ce référendum ?
R - Notre rôle dans cette campagne n'est pas d'éluder ce mécontentement, ni l'inquiétude sur la vie chère, ou le chômage. Mais voter "non" n'arrangera rien ! Ce sera, au contraire, plus difficile pour chaque Français parce que ce sera plus difficile pour la France. Le 29 mai, les Français voteront sur une question européenne qui met en jeu l'influence de la France en Europe. Le rendez-vous pour les questions de politique intérieure est pour 2007 !
Q - Le nouvel élargissement, à la Roumanie et à la Bulgarie, annoncé pour 2007 ne va-t-il pas heurter les Français, qui trouvent que tout va trop vite ?
R - L'entrée dans l'Union européenne ne se fait pas parce que la porte est ouverte, mais en respectant des règles. Avant d'entrer effectivement, la Roumanie et la Bulgarie devront les respecter. Ces deux pays font partie du train d'élargissements qui a été négocié depuis près de dix ans. Ils ont d'ailleurs encore des efforts à faire pour se conformer aux exigences européennes. Les dix autres pays qui sont entrés après s'être libérés, il y a quinze ans, du système communiste, ont respecté les règles comme l'avaient fait le Portugal et l'Espagne, au sortir, eux aussi, d'un régime totalitaire. Or, vingt ans après, qui nierait que le progrès a été partagé ? Il n'y a plus d'immigration portugaise ni espagnole. Nous vendons plus de produits agricoles à l'Espagne qu'elle ne nous en vend ! Nos entreprises s'installent dans ces pays, ce qui fournit des emplois chez nous. Voilà le succès du projet européen. Nous devons donc réussir la même chose avec les pays d'Europe centrale. Nous n'avons pas intérêt à laisser ces peuples dans la misère ou la pauvreté à côté de nous.
Q - Si le "non" l'emportait, peut-il y avoir un "plan B" ?
R - Il n'y a pas de "plan B" ! J'ai participé à la Convention animée par Valéry Giscard d'Estaing. Tout a été mis sur la table : idées, arguments, options. On a abouti, ce qui était inespéré et improbable, à un accord sur un texte constitutionnel fort, qui présente de nombreuses avancées souvent dues aux convictions françaises : par exemple, sur la diversité culturelle, la protection des services publics, les droits sociaux, la politique étrangère ou la défense. Imaginer que, parce que la France dirait "non", les autres pays appelleraient à renégocier est une utopie. La vérité est qu'on en resterait aux traités actuels, qui sont insuffisants.
Q - Olivier Besancenot rappelle que vous aviez qualifié le Traité de Nice d'historique...
R - Non, j'ai dit à Nice que c'était un traité utile à court terme. La preuve, c'est que les chefs d'Etat et de gouvernement qui ont signé ce traité, dont Jacques Chirac et Lionel Jospin, ont eux-mêmes fixé un nouveau rendez-vous, celui de la Convention, et une nouvelle méthode, qui a abouti au traité constitutionnel. Aujourd'hui, nous parlons du moyen et du long terme, pour que l'Europe soit mieux organisée et capable d'agir dans le monde. Les gagnants du "non", ce seront les partisans d'une "Europe supermarché" dans laquelle on ne fera que du commerce, de la compétition fiscale et sociale et pas de politique. Moi, je me bats pour que l'Europe soit un marché maîtrisé, avec des règles, de la solidarité, des politiques communes pour l'environnement, l'agriculture ou la pêche, une politique régionale et une réelle dimension politique.
Q - Cette Europe-là pourra-t-elle mieux lutter contre l'invasion des chemises chinoises ?
R - Nous avons des règles qui permettent de nous protéger. La Commission a lancé cette semaine une enquête sur les importations massives de textile chinois, et nous allons demander que des mesures de sauvegarde soient prises dans les semaines à venir. Cette affaire est l'occasion de regarder le monde tel qu'il est. Cinq pays sont déjà ou vont être par eux-mêmes une puissance mondiale : les Etats-Unis depuis longtemps, la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil. Serons-nous à la table où s'organisera le monde, ou le subirons-nous ? Aucun pays européen n'a la taille ni le poids suffisants pour espérer compter tout seul et nous ne compterons que si nous parlons d'une seule voix. Pour cela, il faut être ensemble sans cesser d'être français, allemand ou anglais. Je travaille pour une Europe unie pas uniforme, parce que je n'ai pas envie que l'avenir de mes enfants se fasse à Wall Street et se défasse à Pékin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2005)