Texte intégral
Q- Hier, j'avais à votre place J.-L. Mélenchon, partisan du "non" au Parti socialiste, qui trouvait déplacée la comparaison faite entre le "non" de J.-M. Le Pen et le "non" des socialistes comme lui. Qu'en pensez-vous ?
R- Je pense qu'ils n'ont pas les mêmes motivations. Tous les deux veulent voter "non" pas pour les mêmes raisons. Mais ce qui est vrai, c'est que l'hétérogénéité même justement de ce "non" montre que ça n'offre pas une solution, ni au pays ni à l'Europe. On ne peut pas construire quelque chose sur la base de ce "non", parce qu'il est construit à partir de personnes et de mouvements politiques qui ne pensent pas du tout la même chose. Le résultat à l'arrivée est que si on veut un peu de cohérence, si on veut pouvoir avancer, c'est bien sur la base du "oui" .
Q- Mais est-ce injurieux que de comparer le "non" de monsieur Mélenchon au "non" de monsieur J.-M. Le Pen ?
R- Si je vous dis que c'est injurieux, c'est vous que j'injurie, alors il faut quand même que je trouve une solution entre les deux. Je comprends votre réaction parce que je trouve que, quand on est face à cette situation là, on est obligé de regarder les gens sur ce qu'ils disent - et c'est vrai qu'ils sont dans le même camp. Mais d'un autre côté je comprends la réaction de J.-L. Mélenchon, qui a toujours été un combattant contre l'extrême droite, contre le fascisme : se retrouver dans le même "sac" que J.-M. Le Pen, c'est difficilement supportable pour lui. Mais peut-être que justement, au bout du compte, il devrait en tirer les conséquences. Je ne confonds pas évidemment les deux, mais il devrait en tirer les conséquences et se dire que peut-être il se trompe à vouloir à tout prix défendre le "non".
Q- Est-ce injurieux de dire "oui" comme J. Chirac ou comme le Premier ministre J.-P. Raffarin ?
R- Non mais là, de nouveau, je ne dis pas "oui" comme J. Chirac. Je ne dis pas "oui" au traité pour les mêmes raisons que J. Chirac. Il faut aller au bout des questions. En réalité, ce qui compte, c'est ce que chacun pense lui-même et les raisons que je prends, que chacun peut avoir de voter "oui" ou de voter "non". Et de ce point de vue là, moi, que je mette le même bulletin dans l'urne que J. Chirac ne me dérange pas et donc je peux comprendre que J.-L. Mélenchon dise qu'il croit au "non" et que peu importe de savoir quels sont les autres qui disent "non"... Je le comprends. Mais derrière ça, il y a l'autre question qui est : qu'est-ce qui se passe si le "oui" l'emporte, qu'est-ce qui se passe si le "non" l'emporte ? Or, les tenants du "non" nous disent : ce n'est pas compliqué, si le "non" l'emporte, ce n'est pas bien grave, on refera un traité. Le problème est avec qui on le refera ? Et là, pour le coup, J.-L. Mélenchon, que j'aime bien au demeurant, ne va pas me dire qu'il va faire un traité en négociant avec J.-M. Le Pen. Il ne dira pas une chose pareille, il aura raison, il ne peut pas dire ça. Et c'est bien ce qui montre que le "non" est totalement hétérogène et que voter "non", ça ne permet pas de continuer après. Ce n'est pas très compliqué, cette histoire : si on vote "oui", on continue à avancer. On peut dire le traité n'est pas suffisamment comme ci, pas suffisamment comme ça, il ne me plaît pas pour telle raison, d'accord, mais il est clair qu'il n'y a rien de négatif dedans. Il y a peut-être pas toujours autant de positif qu'on l'aurait voulu mais il permet d'avancer. Voter "non", c'est repartir à zéro, c'est dire qu'il faut faire un autre traité. Et on ne sait pas vers quoi on s'aventurera. C'est la raison pour laquelle au bout du compte, il me semble que tous les Français, raisonnablement, quand ils vont se tourner, ce qui est le cas maintenant, à partir de ce début mai, sur le traité lui-même, ne pas avoir à l'esprit uniquement des considérations qui viennent de ce qu'ils n'aiment pas monsieur Raffarin, qu'ils en ont assez de la politique de Chirac, ce que je comprends tout à fait... Quand ils vont se recentrer sur le traité, ils vont s'apercevoir qu'il y a une seule solution raisonnable et positive, parce que ce traité est positif : c'est de voter "oui", tout en se disant que l'on n'est pas au bout du compte. Une fois qu'on aura voté "oui", il faudra continuer.
Q- Votre question aux auditeurs de RMC ?
R- J'ai une question sur la méthode, parce que, voyez-vous, grâce à ce référendum, on parle beaucoup d'Europe - et c'est bien ! Il y a du débat dans le pays, c'est le moins que l'on puisse dire, il y en a à la télévision, il y en a à la radio, il y en a dans les salles, il y a du monde qui vient. C'est bien. D'un autre côté, est-ce qu'on peut vraiment attendre de tous les Français qu'en rentrant chez eux le soir, ils ont du travail, ils sont fatigués, ils ont des enfants à s'occuper, ils vont prendre les 448 articles du traité, pour se les regarder les uns derrière les autres. Ce n'est pas raisonnable honnêtement, très peu vont le faire. Donc ma question c'est simple : c'est finalement est-ce que c'est une bonne méthode, pour un traité comme ça, aussi long, aussi compliqué, de vouloir passer par le référendum, plutôt que de passer par la voie traditionnelle qui est de faire voter "pour" ou "contre" le Congrès...
Q- Mais est-ce que vous n'encouragez pas l'abstention en posant cette question ?
R- Non, je pense que maintenant qu'on a le référendum, il faut y aller. Mais est-ce que d'avoir voulu ce référendum était obligatoirement une bonne idée, je ne suis pas sûr. Quand on fait à l'Assemblée une loi sur les faillites, on fait une loi sur la réforme du code pénal, on fait une loi sur la bioéthique, on ne demande pas à tous les Français, le soir chez eux, de prendre le crayon derrière l'oreille et puis de regarder chacun des articles, pour voir s'ils sont d'accord ou s'ils ne sont pas d'accord. On a une démocratie représentative : cela veut dire qu'on élit des députés, des sénateurs pour faire le boulot. Après, si l'on n'est pas content de ce qu'ils ont fait, on les change, mais à chacun son métier. Là, on retourne vers l'ensemble des Français. Evidemment, d'un certain point de vue, c'est très démocratique et c'est bien, ça fait le débat ; mais d'un autre, c'est un peu hypocrite, parce qu'on sait bien, sur une question aussi compliquée, un texte aussi long qu'ils n'auront pas le temps de le travailler.
Q- Donc concernant l'utilisation du référendum, c'est "non" ?
R- Je ne suis pas très pour... A la rigueur, comme les Irlandais, il y a quelque temps avec le référendum sur ""est-ce que vous êtes pour ou contre le divorce ?". C'est une question relativement simple, il n'y a pas à étudier pendant des heures. En revanche, sur un texte de plusieurs centaines de pages, plutôt non.
Q- Je regarde les arguments des partisans du "non" et je lis l'Humanité ce matin, qui cite les articles 184 et 194 qui "commandent de réduire les dépenses publiques". C'est vrai ou faux ?
R- Non.
Q- Est-ce que ce traité, s'il est adopté, réduira les dépenses publiques en France ?
R- Mais le traité est bien incapable d'imposer quoi que ce soit en matière de dépense publique en France ! On peut penser qu'il faut les réduire - c'est ce que dit le Gouvernement aujourd'hui -, on peut penser qu'il faut les garder comme ça mais qu'il faut les utiliser plus efficacement - c'est ce que dit la gauche -, c'est la politique française. En aucun cas le traité qui est devant nous ne réduit - ou n'augmente d'ailleurs - les dépenses publiques, bien sûr que non.
Q- Je continue à lire l'Humanité : la combinaison des articles 3-177, 178 et 185 qui font de l'Europe un marché ouvert où la concurrence est libre et de l'article 203 qui insiste pour que les marchés du travail soient aptes à réagir à l'évolution de l'économie, portent en germe la "barbarie sociale".
R- Oui, c'est ça ! Avoir un marché du travail qui est apte à réagir à l'évolution de l'économie, c'est la "barbarie sociale" !! Et un marché du travail qui est pas apte à réagir, c'est le chômage ! Il faut savoir ce qu'on veut ! Evidemment, c'est absurde ! Evidemment qu'il nous faut des marchés aptes à réagir. Le problème est de les réguler. On ne veut pas une concurrence sauvage, on veut une concurrence organisée. C'est ce que le traité propose. Et puis cette histoire sur la concurrence, ce fameux article sur la concurrence, "la concurrence libre et non faussée", que je vois brandi comme un drapeau partout, par tous les tenants du "non", quand même ! C'est nouveau dans le traité, ça ?! Ca y était déjà dans les traités précédents, c'était déjà dans le traité de Nice, d'Amsterdam, dans Maastricht en 92. Et c'était même dans l'Acte unique ! Et pourquoi ? Parce que c'est en fait à l'origine : dès 1957, dans le traité de Rome, il y a cette phrase. Et elle n'a pas empêché ni la nationalisation de Mitterrand, ni les 35 heures de L. Jospin. Elle ne nous a jamais gêné, cette phrase. Pourquoi, tout à coup, voudrait-on la brandir comme étant la preuve que ce traité est inacceptable ? C'est d'autant plus absurde de mon point de vue, que même si on vote "non", la phrase demeure, puisqu'elle date d'un traité précédent. On n'abolit pas le traité précédent. Si on vote "non", on reste avec le traité de Nice et cette phrase, qui porte selon les tenants du "non" tous les pêchés, elle demeure. En fait, la logique, c'est quoi ? C'est de voter "oui" ou "non" en fonction de ce qu'il y a de nouveau dans ce traité. Ce qui est nouveau, on en veut ou on en veut pas. Mais ce qui est ancien, ce qui a déjà été adopté, ce qui a déjà été voté et qu'on garde de toute façon, même si on vote "non", ce n'est pas ça qui doit rentrer en discussion.
Thomas, par exemple, qui est cinéaste-réalisateur, écrit ce matin
dans Le Parisien : "Ceux qui ont rédigé ce traité, cette Constitution sont totalement indifférents à la souffrance de millions de victimes immolées sur l'autel du marché libre. C'est la métaphore de la poire Williams : dès que la branche va porter son fruit, on la met au fond d'une bouteille, la poire se développe alors à l'intérieur de la bouteille et pour la poire, le monde est à jamais limité à cette bouteille. La poire ignore qu'il y a à l'extérieur un monde différent plus riche et plus vaste. Eh bien les partisans du "oui" sont des poires Williams, ils veulent rester protégés dans leur bouteille, ignorant le reste". Vous ignorez le reste ?
R- Je ne sais pas qui est la poire dans l'histoire, donc on ne va pas insister trop longtemps sur les fruits. Ce qui me paraît sûr, c'est qu'on entend aujourd'hui un déluge d'arguments des partisans du "non" qui disent absolument n'importe quoi ! Un jour c'est le "traité va empêcher l'avortement", il faut des jours et des jours pour que les journalistes disent que ce n'est pas vrai...
Q- C'est H. Emmanuelli qui l'a laissé entendre...
R- Oui c'est H. Emmanuelli ! Après, on me dit "le traité remet en cause la laïcité" et puis il faut des jours et des jours pour expliquer que c'est absolument faux. Et puis après, on sort n'importe quoi comme ça ! La réalité est simple : ce traité, pour la première fois, c'est qu'on ne fait pas que de l'économie, que de l'Europe économique, que de l'Europe des marchés, qu'on fait pour la première fois un début d'Europe politique et un début d'Europe sociale. Je comprends tous ceux qui disent que c'est décevant, qu'il fallait aller plus loin, qu'il n'y en a pas assez. Je comprends cela, mais je leur dis à eux, de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Une étape positive est une étape, même si elle n'est pas assez grande. Si on ne la prend pas, on risque de rester sur le bord de touche. "Luis Attaque", c'est quand même ici, on sait ce que c'est que d'être capitaine de l'équipe, comme la France l'a été en Europe depuis longtemps ou de rester dans l'équipe, mais rester dans l'équipe en étant sur le banc de touche. Voilà ce qui est devant nous. Ce qui nous attend, c'est de savoir si on veut continuer à conduire l'Europe dans le bon sens bien sûr, ou bien si on accepte d'être mis sur le banc de touche, parce qu'on trouve que l'Europe ne va pas assez loin. Le choix est simple.
Q- T. Blair sera probablement réélu jeudi en Grande Bretagne, il restera Premier ministre en Grande Bretagne. Est-ce que vous êtes un fervent admirateur du "blairisme" ? 4,7% le taux de chômage en Grande Bretagne, 10,3 % en France. Pourquoi ? En grande partie parce qu'en Grande Bretagne, il y a ce qu'on appelle la flexibilité de l'emploi, c'est-à-dire qu'un chef d'entreprise peut embaucher et licencier à sa guise...
R- Pardonnez-moi, la conclusion est un peu rapide. Je vais prendre les deux parties de la question : est-ce que je suis un fervent admirateur de Blair ? Je trouve que la méthode de T. Blair est une bonne méthode, c'est-à-dire qu'il est capable de prendre les questions, même les questions tabous et de dire que l'on va regarder ce que l'on peut faire de mieux pour rendre service à ceux que l'on veut aider, ceux qui sont les plus malheureux, ceux qui sont les plus démunis. Et ça, c'est une bonne méthode, ce n'est pas une méthode dogmatique, il n'y a pas de tabous, on peut avancer. Pour autant, ce qu'il a fait au Royaume Uni n'est pas obligatoirement transposable à la France : ce n'est pas la même histoire, ce ne sont pas les mêmes traditions, ce ne sont pas les mêmes syndicats etc. Sur la comparaison des taux de chômage, il n'y a pas de doute, il y a moins de chômage en Grande Bretagne que chez nous. La comparaison des chiffres n'est pas tout à fait juste, parce qu'il y a très peu d'incitation pour un Britannique à s'inscrire au chômage après quelques semaines ou quelques mois. Et dans ces conditions, il y a plein de chômeurs qui tout simplement ne s'inscrivent pas, parce que ça ne leur sert à rien. Et donc le chiffre n'est pas aussi faible que la statistique...
Q- Mais ils retrouvent du travail plus vite...
R- Ils retrouvent du travail plus vite... Mais on rejoint ce que vous disiez tout à l'heure sur l'article qui était cité par l'Humanité sur adapter le marché du travail à l'économie telle qu'elle existe aujourd'hui. Je ne dis pas qu'il faut de la flexibilité qui fragilise la situation du salarié, pas du tout. Mais on peut faire mieux fonctionner le marché du travail tout en garantissant les droits des salariés. Le problème dans notre pays, c'est qu'on a tellement peur - et c'est légitime d'avoir peur - de ne pas garantir les droits des salariés, qu'on ne veut pas bouger d'un seul centimètre sur le marché du travail. En fait, il faut bouger en accordant toutes les garanties nécessaires aux salariés. Mais ne pas bouger, c'est aussi mortel, parce que cela aboutit au bout du compte à ce qu'on soit incapable de résorber suffisamment le chômage. Je rappelle néanmoins que malgré ce marché du travail peu flexible, quand L. Jospin était Premier ministre, il y a quand même eu deux millions d'emplois créés et un million de chômeurs de moins, donc même là c'est possible...
Q- Avec une vraie croissance.
R- Oui , il faut une vraie croissance. Et pour une vraie croissance, il faut
une vraie confiance. On ne va pas revenir longuement là-dessus... Mais
il est faux de dire qu'il est absolument pas possible de réduire le
chômage. On l'a fait, je l'ai fait avec Lionel Jospin, pendant plusieurs
années, entre 1997 et 2000.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mai 2005)
R- Je pense qu'ils n'ont pas les mêmes motivations. Tous les deux veulent voter "non" pas pour les mêmes raisons. Mais ce qui est vrai, c'est que l'hétérogénéité même justement de ce "non" montre que ça n'offre pas une solution, ni au pays ni à l'Europe. On ne peut pas construire quelque chose sur la base de ce "non", parce qu'il est construit à partir de personnes et de mouvements politiques qui ne pensent pas du tout la même chose. Le résultat à l'arrivée est que si on veut un peu de cohérence, si on veut pouvoir avancer, c'est bien sur la base du "oui" .
Q- Mais est-ce injurieux que de comparer le "non" de monsieur Mélenchon au "non" de monsieur J.-M. Le Pen ?
R- Si je vous dis que c'est injurieux, c'est vous que j'injurie, alors il faut quand même que je trouve une solution entre les deux. Je comprends votre réaction parce que je trouve que, quand on est face à cette situation là, on est obligé de regarder les gens sur ce qu'ils disent - et c'est vrai qu'ils sont dans le même camp. Mais d'un autre côté je comprends la réaction de J.-L. Mélenchon, qui a toujours été un combattant contre l'extrême droite, contre le fascisme : se retrouver dans le même "sac" que J.-M. Le Pen, c'est difficilement supportable pour lui. Mais peut-être que justement, au bout du compte, il devrait en tirer les conséquences. Je ne confonds pas évidemment les deux, mais il devrait en tirer les conséquences et se dire que peut-être il se trompe à vouloir à tout prix défendre le "non".
Q- Est-ce injurieux de dire "oui" comme J. Chirac ou comme le Premier ministre J.-P. Raffarin ?
R- Non mais là, de nouveau, je ne dis pas "oui" comme J. Chirac. Je ne dis pas "oui" au traité pour les mêmes raisons que J. Chirac. Il faut aller au bout des questions. En réalité, ce qui compte, c'est ce que chacun pense lui-même et les raisons que je prends, que chacun peut avoir de voter "oui" ou de voter "non". Et de ce point de vue là, moi, que je mette le même bulletin dans l'urne que J. Chirac ne me dérange pas et donc je peux comprendre que J.-L. Mélenchon dise qu'il croit au "non" et que peu importe de savoir quels sont les autres qui disent "non"... Je le comprends. Mais derrière ça, il y a l'autre question qui est : qu'est-ce qui se passe si le "oui" l'emporte, qu'est-ce qui se passe si le "non" l'emporte ? Or, les tenants du "non" nous disent : ce n'est pas compliqué, si le "non" l'emporte, ce n'est pas bien grave, on refera un traité. Le problème est avec qui on le refera ? Et là, pour le coup, J.-L. Mélenchon, que j'aime bien au demeurant, ne va pas me dire qu'il va faire un traité en négociant avec J.-M. Le Pen. Il ne dira pas une chose pareille, il aura raison, il ne peut pas dire ça. Et c'est bien ce qui montre que le "non" est totalement hétérogène et que voter "non", ça ne permet pas de continuer après. Ce n'est pas très compliqué, cette histoire : si on vote "oui", on continue à avancer. On peut dire le traité n'est pas suffisamment comme ci, pas suffisamment comme ça, il ne me plaît pas pour telle raison, d'accord, mais il est clair qu'il n'y a rien de négatif dedans. Il y a peut-être pas toujours autant de positif qu'on l'aurait voulu mais il permet d'avancer. Voter "non", c'est repartir à zéro, c'est dire qu'il faut faire un autre traité. Et on ne sait pas vers quoi on s'aventurera. C'est la raison pour laquelle au bout du compte, il me semble que tous les Français, raisonnablement, quand ils vont se tourner, ce qui est le cas maintenant, à partir de ce début mai, sur le traité lui-même, ne pas avoir à l'esprit uniquement des considérations qui viennent de ce qu'ils n'aiment pas monsieur Raffarin, qu'ils en ont assez de la politique de Chirac, ce que je comprends tout à fait... Quand ils vont se recentrer sur le traité, ils vont s'apercevoir qu'il y a une seule solution raisonnable et positive, parce que ce traité est positif : c'est de voter "oui", tout en se disant que l'on n'est pas au bout du compte. Une fois qu'on aura voté "oui", il faudra continuer.
Q- Votre question aux auditeurs de RMC ?
R- J'ai une question sur la méthode, parce que, voyez-vous, grâce à ce référendum, on parle beaucoup d'Europe - et c'est bien ! Il y a du débat dans le pays, c'est le moins que l'on puisse dire, il y en a à la télévision, il y en a à la radio, il y en a dans les salles, il y a du monde qui vient. C'est bien. D'un autre côté, est-ce qu'on peut vraiment attendre de tous les Français qu'en rentrant chez eux le soir, ils ont du travail, ils sont fatigués, ils ont des enfants à s'occuper, ils vont prendre les 448 articles du traité, pour se les regarder les uns derrière les autres. Ce n'est pas raisonnable honnêtement, très peu vont le faire. Donc ma question c'est simple : c'est finalement est-ce que c'est une bonne méthode, pour un traité comme ça, aussi long, aussi compliqué, de vouloir passer par le référendum, plutôt que de passer par la voie traditionnelle qui est de faire voter "pour" ou "contre" le Congrès...
Q- Mais est-ce que vous n'encouragez pas l'abstention en posant cette question ?
R- Non, je pense que maintenant qu'on a le référendum, il faut y aller. Mais est-ce que d'avoir voulu ce référendum était obligatoirement une bonne idée, je ne suis pas sûr. Quand on fait à l'Assemblée une loi sur les faillites, on fait une loi sur la réforme du code pénal, on fait une loi sur la bioéthique, on ne demande pas à tous les Français, le soir chez eux, de prendre le crayon derrière l'oreille et puis de regarder chacun des articles, pour voir s'ils sont d'accord ou s'ils ne sont pas d'accord. On a une démocratie représentative : cela veut dire qu'on élit des députés, des sénateurs pour faire le boulot. Après, si l'on n'est pas content de ce qu'ils ont fait, on les change, mais à chacun son métier. Là, on retourne vers l'ensemble des Français. Evidemment, d'un certain point de vue, c'est très démocratique et c'est bien, ça fait le débat ; mais d'un autre, c'est un peu hypocrite, parce qu'on sait bien, sur une question aussi compliquée, un texte aussi long qu'ils n'auront pas le temps de le travailler.
Q- Donc concernant l'utilisation du référendum, c'est "non" ?
R- Je ne suis pas très pour... A la rigueur, comme les Irlandais, il y a quelque temps avec le référendum sur ""est-ce que vous êtes pour ou contre le divorce ?". C'est une question relativement simple, il n'y a pas à étudier pendant des heures. En revanche, sur un texte de plusieurs centaines de pages, plutôt non.
Q- Je regarde les arguments des partisans du "non" et je lis l'Humanité ce matin, qui cite les articles 184 et 194 qui "commandent de réduire les dépenses publiques". C'est vrai ou faux ?
R- Non.
Q- Est-ce que ce traité, s'il est adopté, réduira les dépenses publiques en France ?
R- Mais le traité est bien incapable d'imposer quoi que ce soit en matière de dépense publique en France ! On peut penser qu'il faut les réduire - c'est ce que dit le Gouvernement aujourd'hui -, on peut penser qu'il faut les garder comme ça mais qu'il faut les utiliser plus efficacement - c'est ce que dit la gauche -, c'est la politique française. En aucun cas le traité qui est devant nous ne réduit - ou n'augmente d'ailleurs - les dépenses publiques, bien sûr que non.
Q- Je continue à lire l'Humanité : la combinaison des articles 3-177, 178 et 185 qui font de l'Europe un marché ouvert où la concurrence est libre et de l'article 203 qui insiste pour que les marchés du travail soient aptes à réagir à l'évolution de l'économie, portent en germe la "barbarie sociale".
R- Oui, c'est ça ! Avoir un marché du travail qui est apte à réagir à l'évolution de l'économie, c'est la "barbarie sociale" !! Et un marché du travail qui est pas apte à réagir, c'est le chômage ! Il faut savoir ce qu'on veut ! Evidemment, c'est absurde ! Evidemment qu'il nous faut des marchés aptes à réagir. Le problème est de les réguler. On ne veut pas une concurrence sauvage, on veut une concurrence organisée. C'est ce que le traité propose. Et puis cette histoire sur la concurrence, ce fameux article sur la concurrence, "la concurrence libre et non faussée", que je vois brandi comme un drapeau partout, par tous les tenants du "non", quand même ! C'est nouveau dans le traité, ça ?! Ca y était déjà dans les traités précédents, c'était déjà dans le traité de Nice, d'Amsterdam, dans Maastricht en 92. Et c'était même dans l'Acte unique ! Et pourquoi ? Parce que c'est en fait à l'origine : dès 1957, dans le traité de Rome, il y a cette phrase. Et elle n'a pas empêché ni la nationalisation de Mitterrand, ni les 35 heures de L. Jospin. Elle ne nous a jamais gêné, cette phrase. Pourquoi, tout à coup, voudrait-on la brandir comme étant la preuve que ce traité est inacceptable ? C'est d'autant plus absurde de mon point de vue, que même si on vote "non", la phrase demeure, puisqu'elle date d'un traité précédent. On n'abolit pas le traité précédent. Si on vote "non", on reste avec le traité de Nice et cette phrase, qui porte selon les tenants du "non" tous les pêchés, elle demeure. En fait, la logique, c'est quoi ? C'est de voter "oui" ou "non" en fonction de ce qu'il y a de nouveau dans ce traité. Ce qui est nouveau, on en veut ou on en veut pas. Mais ce qui est ancien, ce qui a déjà été adopté, ce qui a déjà été voté et qu'on garde de toute façon, même si on vote "non", ce n'est pas ça qui doit rentrer en discussion.
Thomas, par exemple, qui est cinéaste-réalisateur, écrit ce matin
dans Le Parisien : "Ceux qui ont rédigé ce traité, cette Constitution sont totalement indifférents à la souffrance de millions de victimes immolées sur l'autel du marché libre. C'est la métaphore de la poire Williams : dès que la branche va porter son fruit, on la met au fond d'une bouteille, la poire se développe alors à l'intérieur de la bouteille et pour la poire, le monde est à jamais limité à cette bouteille. La poire ignore qu'il y a à l'extérieur un monde différent plus riche et plus vaste. Eh bien les partisans du "oui" sont des poires Williams, ils veulent rester protégés dans leur bouteille, ignorant le reste". Vous ignorez le reste ?
R- Je ne sais pas qui est la poire dans l'histoire, donc on ne va pas insister trop longtemps sur les fruits. Ce qui me paraît sûr, c'est qu'on entend aujourd'hui un déluge d'arguments des partisans du "non" qui disent absolument n'importe quoi ! Un jour c'est le "traité va empêcher l'avortement", il faut des jours et des jours pour que les journalistes disent que ce n'est pas vrai...
Q- C'est H. Emmanuelli qui l'a laissé entendre...
R- Oui c'est H. Emmanuelli ! Après, on me dit "le traité remet en cause la laïcité" et puis il faut des jours et des jours pour expliquer que c'est absolument faux. Et puis après, on sort n'importe quoi comme ça ! La réalité est simple : ce traité, pour la première fois, c'est qu'on ne fait pas que de l'économie, que de l'Europe économique, que de l'Europe des marchés, qu'on fait pour la première fois un début d'Europe politique et un début d'Europe sociale. Je comprends tous ceux qui disent que c'est décevant, qu'il fallait aller plus loin, qu'il n'y en a pas assez. Je comprends cela, mais je leur dis à eux, de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Une étape positive est une étape, même si elle n'est pas assez grande. Si on ne la prend pas, on risque de rester sur le bord de touche. "Luis Attaque", c'est quand même ici, on sait ce que c'est que d'être capitaine de l'équipe, comme la France l'a été en Europe depuis longtemps ou de rester dans l'équipe, mais rester dans l'équipe en étant sur le banc de touche. Voilà ce qui est devant nous. Ce qui nous attend, c'est de savoir si on veut continuer à conduire l'Europe dans le bon sens bien sûr, ou bien si on accepte d'être mis sur le banc de touche, parce qu'on trouve que l'Europe ne va pas assez loin. Le choix est simple.
Q- T. Blair sera probablement réélu jeudi en Grande Bretagne, il restera Premier ministre en Grande Bretagne. Est-ce que vous êtes un fervent admirateur du "blairisme" ? 4,7% le taux de chômage en Grande Bretagne, 10,3 % en France. Pourquoi ? En grande partie parce qu'en Grande Bretagne, il y a ce qu'on appelle la flexibilité de l'emploi, c'est-à-dire qu'un chef d'entreprise peut embaucher et licencier à sa guise...
R- Pardonnez-moi, la conclusion est un peu rapide. Je vais prendre les deux parties de la question : est-ce que je suis un fervent admirateur de Blair ? Je trouve que la méthode de T. Blair est une bonne méthode, c'est-à-dire qu'il est capable de prendre les questions, même les questions tabous et de dire que l'on va regarder ce que l'on peut faire de mieux pour rendre service à ceux que l'on veut aider, ceux qui sont les plus malheureux, ceux qui sont les plus démunis. Et ça, c'est une bonne méthode, ce n'est pas une méthode dogmatique, il n'y a pas de tabous, on peut avancer. Pour autant, ce qu'il a fait au Royaume Uni n'est pas obligatoirement transposable à la France : ce n'est pas la même histoire, ce ne sont pas les mêmes traditions, ce ne sont pas les mêmes syndicats etc. Sur la comparaison des taux de chômage, il n'y a pas de doute, il y a moins de chômage en Grande Bretagne que chez nous. La comparaison des chiffres n'est pas tout à fait juste, parce qu'il y a très peu d'incitation pour un Britannique à s'inscrire au chômage après quelques semaines ou quelques mois. Et dans ces conditions, il y a plein de chômeurs qui tout simplement ne s'inscrivent pas, parce que ça ne leur sert à rien. Et donc le chiffre n'est pas aussi faible que la statistique...
Q- Mais ils retrouvent du travail plus vite...
R- Ils retrouvent du travail plus vite... Mais on rejoint ce que vous disiez tout à l'heure sur l'article qui était cité par l'Humanité sur adapter le marché du travail à l'économie telle qu'elle existe aujourd'hui. Je ne dis pas qu'il faut de la flexibilité qui fragilise la situation du salarié, pas du tout. Mais on peut faire mieux fonctionner le marché du travail tout en garantissant les droits des salariés. Le problème dans notre pays, c'est qu'on a tellement peur - et c'est légitime d'avoir peur - de ne pas garantir les droits des salariés, qu'on ne veut pas bouger d'un seul centimètre sur le marché du travail. En fait, il faut bouger en accordant toutes les garanties nécessaires aux salariés. Mais ne pas bouger, c'est aussi mortel, parce que cela aboutit au bout du compte à ce qu'on soit incapable de résorber suffisamment le chômage. Je rappelle néanmoins que malgré ce marché du travail peu flexible, quand L. Jospin était Premier ministre, il y a quand même eu deux millions d'emplois créés et un million de chômeurs de moins, donc même là c'est possible...
Q- Avec une vraie croissance.
R- Oui , il faut une vraie croissance. Et pour une vraie croissance, il faut
une vraie confiance. On ne va pas revenir longuement là-dessus... Mais
il est faux de dire qu'il est absolument pas possible de réduire le
chômage. On l'a fait, je l'ai fait avec Lionel Jospin, pendant plusieurs
années, entre 1997 et 2000.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mai 2005)