Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, dans "France-Soir" du 28 février 2005, sur le déménagement d'une partie des services du ministère des affaires étrangères et sur la fonction de ministre des affaires étrangères.

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Média : France soir

Texte intégral

Q - Le Quai d'Orsay est une sacrée machine ?
R - Dix mille fonctionnaires, dont 4.200 en France et 3.000 à Paris dispersés dans onze endroits différents. Voilà pourquoi nous voulons vendre et construire un nouveau ministère. Vivre simplement avec notre temps tout en gardant notre âme.
Q - Où allez-vous vous installer ?
R - Il y a quatre sites possibles pour le moment : l'île Seguin, Issy-les-Moulineaux, Saint-Vincent-de-Paul, si le projet est compatible avec le pôle médico-social, et la ZAC rive gauche à proximité de la Grande Bibliothèque. Mais d'autres options peuvent encore se présenter.
Q - C'est impressionnant de succéder à Lamartine, Robert Schuman, Michel Debré
R - Cela oblige. Il faut être à la hauteur, s'inscrire dans une tradition mais aussi apporter une valeur ajoutée, imprimer sa marque. La mienne sera, je le souhaite, de faire vivre cette grande administration à l'heure européenne.
Q - Vous, le patron des diplomates, l'êtes-vous dans votre vie ?
R - J'aime le consensus, trouver des solutions, si c'est ça être diplomate : oui. Mais il m'arrive aussi de me mettre en colère quand ça ne va pas assez vite. Il faut convaincre les équipes et savoir les entraîner.
Q - Etre à un tel poste exige une sacrée ambition ?
R - Si vous trouvez un homme politique qui n'est pas ambitieux, il faut vous méfier.
Q - Vous êtes très proche du président Chirac ?
R - C'est une très grande chance d'être son ministre des Affaires étrangères. Il connaît tout le monde, tout le monde le connaît et le respecte.
Q - Où habitez-vous ?
R - Je loge juste au-dessus de mon bureau. Le ministre des Affaires étrangères doit être disponible 24 heures sur 24.
Q - Quelle est votre recette pour tenir ?
R - Pas d'alcool, garder des phases de sommeil, jogging deux fois par semaine, des collaborateurs compétents, une famille qui m'aide et me soutient.
Q - Ministre des Affaires étrangères, c'est aussi un fauteuil éjectable ?
R - On est tous de passage ici, dans ces lieux. Je veux simplement être utile, au service de l'Etat.
Q - C'est rare de ne pas être énarque à ce poste ?
R - Je suis, en effet, sorti de la même école (Ecole supérieure de commerce de Paris) et de la même promo (1972) que Jean-Pierre Raffarin !
Q - C'est quoi au juste votre philosophie ?
R - Ce que j'ai dit à tous nos ambassadeurs en août dernier : la France n'est pas grande quand elle est arrogante et elle n'est pas forte si elle est solitaire.
Q - Vous avez une vie en dehors de la politique ?
R - Ma famille, ma mère désormais seule en Savoie, mes amis et puis la campagne, les arbres, la nature.
Q - Quel rôle joue votre épouse Isabelle ?
R - Etre l'épouse d'un ministre des Affaires étrangères est une vraie mission. Isabelle m'accompagne, me précède parfois. Elle a aussi ses propres engagements pour Haïti, pour l'enfance maltraitée. Il lui arrive même de prononcer des discours à ma place !
Q - Etes-vous optimiste sur l'avenir du monde ?
R - Il y a depuis quinze ans davantage de démocratie dans le monde. Beaucoup de dictatures sont tombées. Il y a une espérance, mais encore beaucoup de désordre. Pour être plus sûr, il ne suffit pas que notre monde soit plus libre ; il doit aussi être plus juste.
Q - Croyez-vous à un troisième mandat du président ?
R - C'est possible. Ce n'est pas une question pour aujourd'hui et c'est Jacques Chirac qui y répondra.
Q - Un ministre des Affaires étrangères pratique forcément la langue de bois ?
R - Non, je n'aime pas la langue de bois et je ne m'interdis pas la spontanéité. Je préfère parler sans papier. Mais il faut en même temps être précis car, en diplomatie, chaque mot compte.
Q - Vous voilà en campagne pour le oui au référendum ?
R - Il faut expliquer et aussi écouter. Il ne faut pas ignorer ceux qui ont envie de voter non. Une campagne comme celle-là ne se gagnera ni avec des slogans ni avec des invectives. Apprenons à nous respecter, notre démocratie ne s'en portera pas plus mal. Le projet européen doit être conduit non seulement pour les citoyens mais avec eux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1e mars 2005)