Conférence de presse de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, sur l'action de la France en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dix ans après la Conférence de Pékin, New York le 1er mars 2005.

Prononcé le 1er mars 2005

Intervenant(s) : 

Circonstance : 49ème session de la Commission de la femme des Nations Unies à New York le 1er mars 2005

Texte intégral

En quelques mots je voudrais vous dire pourquoi cette réunion est importante, pour la France et pour le monde entier, puisque nous sommes ici pour un exercice tout à fait fondamental qui s'inscrit dans le cadre de cette formidable espérance qu'a créée la conférence de Pékin en 1995 dont nous célébrons effectivement le 10ème anniversaire.
Nous pouvons considérer que nous sommes là pour un événement tout à fait considérable puisque nous réaffirmons dix ans après ce que la France considère comme un acquis pour les femmes du monde entier. Surtout, nous sommes sur le chemin du Sommet du Millénaire qui sera effectivement la grande rencontre, en septembre prochain, des dirigeants du monde entier sur le développement de la planète.
Cet événement est important parce qu'il a rassemblé des milliers de participants et je crois que la présence extraordinairement nombreuse à la fois des Etats mais aussi des ONG ou des différentes délégations, notamment celles des élus me paraît effectivement la preuve, la marque de l'importance de cette conférence et de l'espoir véritable qu'elle peut apporter aux femmes du monde entier. Nous parlons d'espoir mais nous parlons aussi de mise en oeuvre concrète des engagements de la plate-forme de Pékin. Nous devons tenir cette promesse de l'égalité et faire en sorte en effet que dans le cadre du prochain Sommet du Millénaire la question des femmes, le rôle et la place des femmes soient très explicitement intégrés aux objectifs du Millénaire.
C'est encore une fois l'engagement de la France qui se situe, vous le savez, pour le Président de la République Jacques Chirac, dans le cadre d'une mondialisation positive, qui à côté des forces du marché, met en place à la fois de nouveaux mécanismes de solidarité financière mais aussi favorise la réaffirmation des droits fondamentaux de la personne humaine.
La France s'est engagée. Cela fait maintenant plusieurs mois que nous avons mobilisé nos efforts au sein de l'Union européenne et je crois que c'est important de noter que l'Europe est présente dans cette enceinte avec une unité de pensée et d'action tout à fait exemplaire. Il en est de même de la Francophonie et la France s'est attachée depuis plusieurs mois à favoriser l'émergence d'une véritable solidarité internationale que nous avons mise en place sous le vocable de "Partenaires pour Pékin plus 10". L'idée étant de réunir tous les Etats qui aujourd'hui sont en attente d'une étape nouvelle dans l'affirmation et la mise en oeuvre des droits des femmes, bien sûr, mais au-delà, de l'égalité entre les hommes et les femmes conçue comme un facteur de développement et de progrès pour l'ensemble de l'humanité.
Ce que je puis vous dire à ce stade du déroulement de la Conférence c'est que la mobilisation d'une très grande majorité d'Etats dans le monde est absolument claire, en vue de faire en sorte que la déclaration qui est envisagée aujourd'hui soit une déclaration non négociée, non revue, conscients que nous sommes que toute réouverture d'un débat sur la plate-forme de Pékin risquerait de ne pas permettre l'aboutissement à un consensus. Or, ce qui est essentiel c'est qu'aujourd'hui nous soyons globalement d'accord pour réaffirmer les objectifs de Pékin sans qu'il y ait effectivement une renégociation de ces différents points.
La nouvelle étape sera l'inscription de ces objectifs dans le Sommet de septembre. La France a pris l'initiative au lendemain de cette conférence d'en appeler aux dirigeants mondiaux ainsi qu'aux ONG pour que la mobilisation que nous constatons très positivement aujourd'hui puisse se traduire en septembre prochain. Bien sur, personne n'ignore ici que les Américains ont déposé un amendement. Nous avons fait en sorte que les messages les plus nombreux leur soient adressés pour que, dans le cadre des Nations unies, nous puissions tous nous retrouver sur une plate-forme commune consensuelle qui est ce que les femmes attendent. Il ne s'agit pas seulement des femmes qui habitent les pays du Sud mais bien évidemment des femmes du monde entier car nous sommes tous solidaires aujourd'hui de la même exigence, c'est à dire de faire progresser là où nous sommes l'égalité et d'en faire véritablement un vecteur de développement durable et de progrès social et économique. Voilà l'état d'esprit dans lequel nous sommes aujourd'hui, avec une position claire, ferme mais aussi très soucieuse de faire évoluer l'ensemble des démarches, des débats vers un consensus que nous souhaitons naturellement fort. Avant de vous céder la parole, je voudrais avoir une pensée, parce qu'elle est française, et journaliste, pour Florence Aubenas et vous dire combien nous sommes tous très solidaires de sa situation et combien la France déploie ses efforts certes dans une discrétion obligée, pour favoriser sa libération.
Q - L'ambassadeur américain a dit hier que son but était de clarifier et non de réouvrir Pékin. Pouvez-vous commenter cette déclaration et nous dire si la France et l'Union européenne prévoient de s'opposer à l'amendement américain ?
R - Je crois que, dans cette affaire, nous sommes dans un esprit d'abord de dialogue et naturellement d'ouverture mais aussi de fermeté. Il nous paraît très important aujourd'hui que la déclaration telle qu'elle est conçue, présentée puisse être acceptée par consensus en l'état. Pourquoi dis-je en l'état ? C'est une question de fond mais aussi de perception. Il est en effet très important de ne pas donner de près ou de loin le sentiment au monde entier qu'il puisse y avoir une forme de recul ou d'interprétation parce, je pense à ce que m'a dit la représentante hier d'un pays musulman, toute interprétation qui pourrait sembler un recul pour vous, a t-elle dit, serait pour nous un drame. Un certain nombre de pays ne pourrait plus avoir l'autorité et la force d'avancer aussi délibérément sur ce chemin souvent difficile de l'égalité. Donc, nous avons entendu le message des Etats-Unis et je crois vraiment aujourd'hui que nous sommes tous très sensibles au fait que, quelles que soient les observations ou les réserves formulées par les uns et les autres, nous avons l'obligation d'avancer vers un consensus et ce consensus passe par l'adoption de la déclaration dans la configuration qui est aujourd'hui la sienne, car toute clarification en appelle une autre et je pense qu'aujourd'hui nous respectons véritablement les commentaires qui sont faits mais nous souhaitons aller à l'essentiel : obtenir un succès pour cette conférence. Je le répète ce ne sont pas les pays du Sud seulement qui l'attendent mais le monde entier.
Q - Votre opinion reflète t-elle celle de l'Union européenne ?
R - Oui. l'Union européenne est arrivée à cette conférence avec beaucoup de détermination et d'unité dans sa position. Cette position a fait l'objet d'une déclaration adoptée à l'unanimité des 25 Etats et qui a été défendue ce matin par Mme Jacobs avec beaucoup de talent et de détermination dans le respect, là aussi, de ce dialogue nécessaire entre les cultures, entre les peuples mais avec aussi le souci de donner un fort signal au monde et ce signal nous paraît être contenu dans la déclaration dans sa forme actuelle.
Q - Il y a ici une question fondamentale d'interprétation sur le fait de savoir si Pékin crée ou non des droits. Est-ce votre opinion que Pékin crée la base d'un droit international à l'avortement? Si ce n'est pas le cas, devrait-on le discuter ?
R - Il faut rappeler que la plate-forme de Pékin est avant tout une déclaration politique, mais qu'il est très important aujourd'hui de faire en sorte que les avancées internationales puissent servir à chaque pays pour progresser dans le respect de son droit, de sa législation, de sa culture. Il ne s'agit pas aujourd'hui de rouvrir une interprétation sur ce que dit ou non la plate-forme de Pékin, mais plutôt de se concentrer sur cette liberté fondamentale qu'ont les pays, naturellement, à évoluer en fonction de leur pratique législative et culturelle mais dans le même temps, d'être assez consensuels sur les aspects fondamentaux de l'évolution de l'égalité. Et il me semble aujourd'hui que la démarche américaine n'est pas opportune puisqu'elle conduirait à se ré-interroger sur la portée d'un certain nombre de dispositions et risquerait, par le même effet, pour certains autres pays, de rouvrir la discussion éventuellement sur d'autres points. Donc, la question est simple. Elle est de savoir aujourd'hui si nous sommes capables de réaffirmer ce qui a fait un consensus hier et d'avancer vers le Sommet, ou si nous discutons un certain nombre de dispositions. Aujourd'hui, nous connaissons bien la position américaine sur ces sujets et il est tout à fait loisible aux Etats-Unis de l'expliciter d'une manière peut-être encore plus personnelle ou différente. Mais il est clair que la base du consensus que nous avons établi pour Pékin + 5 et aujourd'hui pour Pékin + 10, doit être effectivement maintenue en l'état pour éviter, encore une fois, que d'autres pays considèrent que sur d'autres points ils ont peut-être des éclaircissements à formuler.
Q - Les Etats Unis demandent aussi à ce que l'on traite d'une manière ou d'une autre la question de la prostitution. La France a t-elle une position là dessus ?
R - Nous serions tout à fait aptes à ouvrir un débat sur les questions de la prostitution, du trafic des êtres humains sur lesquels un certain nombre d'Etats se sont d'ailleurs exprimés ce matin. Je crois que nous pouvons poursuivre ces discussions sur des sujets aussi importants mais, encore une fois, l'exercice qui nous est soumis aujourd'hui me paraît nécessairement circonscrit aux engagements essentiels qui ont été actés dans le passé et qui doivent aujourd'hui être confirmés. Sans aucune façon renoncer à une discussion sur ces sujets, il me semble que l'exercice doit être beaucoup plus de réunir le maximum d'Etats sur une démarche qui est extraordinairement emblématique, qui est extrêmement symbolique, et de ne pas essayer, en réouvrant tel ou tel sujet, de rouvrir une discussion globale. C'est cela, me semble-t-il, le sujet fondamental. Bien sûr, la France est particulièrement engagée sur le terrain de la question de la prostitution. Nous considérons naturellement qu'il s'agit d'une violence et non pas d'un choix. Dans l'immense majorité des situations, c'est bien évident. Mais je crois véritablement que là, le sujet pour nous est d'aller au consensus et au succès de cette conférence et nous aurons tout à fait la possibilité d'approfondir tel ou tel point qui intéresse les Etats-Unis de manière tout à fait légitime.
Q - Les 25 Etats membres de l'Union européenne ont-ils spécifiquement décidé de résister aux Etats Unis ?
R - La démarche européenne a repris un certain nombre d'engagements tout à fait essentiels de l'Union européenne, mais a été concentrée sur l'idée d'accepter une déclaration courte, forte, extrêmement engageante et d'aboutir là encore à un consensus. Il n'y a pas de débat entre l'Europe et les Etats-Unis ou entre la France et les Etats Unis. De quoi s'agit-il véritablement ? Il s'agit de la question des droits des femmes dans le monde et de la capacité qu'ont la majorité des Etats de la planète à se mettre d'accord sur un engagement, sur un texte, qui va trouver sa traduction en septembre dans les engagements du Millénaire. L'Europe s'est concentrée sur l'essentiel et oeuvre aujourd'hui avec les Etats-Unis pour que nous puissions parvenir à cet accord sur l'essentiel et en poursuivant naturellement les investigations, les approfondissements que chaque point requiert, mais surtout avec le souci de donner un signal très fort au monde, car n'oublions pas que cet exercice important, qui a rassemblé des milliers de personnes aux Nations unies, est un des exercices les plus essentiels de l'année et probablement des futures années. Nous sommes dans l'application de la grande conférence de Pékin, et nous devons absolument faire en sorte de tenir la promesse de l'égalité et de cesser effectivement de parler du droit pour parler de plus en plus de l'application du droit. Donc, il est clair que la volonté européenne est d'avancer, de progresser, et de franchir une étape majeure. Cette conférence n'est pas un point d'arrivée, c'est véritablement pour nous Européens, une étape nouvelle dans la progression du monde vers plus d'égalité. C'est un message que porte la France vous le savez et nous avons mobilisé nos efforts pour que l'Europe se mobilise sur cette idée très forte. Donc, la déclaration européenne de Mme Jacobs ce matin allait dans cet état d'esprit. Adoptons une déclaration courte, forte et extrêmement porteuse d'espérance et d'avenir et ne nous engageons pas dans une réouverture de questions qui peuvent conduire pour certains à des reculs et pour d'autres à des attentes plus fortes.
Q - Pourquoi le projet de déclaration final semble t-il vide de contenu ?
R - Certains intervenants ce matin ont parlé de base minimum. Mais je crois que cette déclaration d'abord réaffirme l'acquis, ce qui nous paraît pour nous être un acquis et c'est très important pour nous de parler d'acquis pour les droits des femmes qui, encore une fois, dans le monde, attendent beaucoup des conférences internationales et de cette expression collective. Et la France partage ce sentiment que les institutions internationales, que les organisations internationales dont les Nations unies évidemment au premier plan, portent véritablement cet esprit d'exemplarité, de modernité et d'accompagnement à l'action. Mais ce qui est important, c'est que cette déclaration réaffirme l'acquis et prépare le sommet de septembre et que, dans notre esprit, le travail dans les mois qui viennent, va être de préparer cette intégration de la Conférence et des acquis de Pékin dans les objectifs du Millénaire de manière à consacrer le rôle et la place des femmes dans le développement durable. Il faut donc considérer que cette base consensuelle qui pour les uns va trop loin, pour les autres est trop faible, est un compromis positif pour aller plus loin et préparer le grand sommet de septembre.
Q - Allez-vous intégrer la question des droits reproductifs dans le sommet ?
R - Nous allons travailler à ce sommet pour qu'effectivement l'ensemble des grandes exigences de notre temps puisse être prise en compte d'une façon ou d'une autre.
Merci infiniment
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 2005)