Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les négociations pour l'élargissement de l'UE, Versailles le 17 octobre 2000.

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Circonstance : 23ème conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) à Versailles le 17 octobre 2000

Texte intégral

Vous avez bien fait, messieurs les présidents, de consacrer une part importante des travaux de la XXIIIème session de la COSAC à cette question. Je vous remercie de m'y avoir invité.
Il importe en effet que les Parlements nationaux soient très bien informés et débattent plus souvent des grandes questions européennes, en particulier de l'élargissement. Cela ne peut que renforcer leur rôle dans la construction européenne.
L'élargissement n'est certes pas la seule priorité de l'Union européenne, mais c'est pour elle un horizon politique majeur qui justifierait, à lui seul, la réforme des institutions à laquelle nous travaillons.
L'heure n'est plus à se prononcer pour ou contre l'élargissement. C'est désormais chose faite : tout le monde est pour, puisque les négociations d'adhésion sont engagées. Il faut maintenant réussir l'élargissement, pour les pays candidats et pour l'Union européenne.
De nombreux responsables européens ont récemment souligné à juste titre que des efforts doivent être consentis pour que les progrès, les enjeux et les résultats des négociations en cours soient mieux compris. Ce n'est pas toujours le cas. On assiste parfois à une certaine confusion. L'explication doit être notamment le fait des Parlemente nationaux, qui devront dans la plupart des pays, ratifier les traités d'adhésion. Je vous dirai à cet égard comment la Présidence française entend, dans les mois qui viennent, exercer son influence pour faire avancer les choses.
L'Union mène aujourd'hui de front pas moins de douze négociations, six entamées en 1988 et six cette année. Il n'y a donc aucune commune mesure entre le processus en cours et celui qui a vu la communauté européenne passer successivement de six à quinze membres. Jamais l'Union n'avait ouvert autant de négociations simultanées, dont chacune est conduite en fonction des caractéristiques propres de chaque pays candidat. Ce principe de différenciation découle directement des conclusions du sommet de Santa Maria da Feira. Le déroulement des négociations ne dépend pas de telle ou telle sympathie ou affinité politique, mais de la capacité de chaque pays candidat à appliquer l'acquis communautaire, lequel est divisé, au plan technique, en 31 chapitres. L'ensemble des chapitres est adopté ou le sera au cours de l'an prochain par six des douze candidats : la Pologne, la République tchèque, la Slovénie, l'Estonie, la Hongrie et Chypre.
L'Union considère les négociations sur plusieurs chapitres - entre quatre et seize -, comme "provisoirement closes", ce qui est une commodité de langage, le principe de base étant que rien ne sera agréé tant que tout ne sera pas agrée.
Ainsi avons-nous achevé, à titre provisoire, les discussions sur la libre circulation des marchandises avec la République tchèque et celles sur la libre circulation des capitaux avec l'Estonie. Ce sont deux des quatre libertés du marché unique. Dans le domaine de la politique sociale européenne, auquel la France est très attentive, nous avons abouti avec Chypre et l'Estonie et sur l'énergie avec la Hongrie.
Ce ne sont que quelques exemples. Que les délégués des pays qui ne sont pas cités ne s'inquiètent pas !
Il faut poursuivre les négociations dans les domaines très sensibles de la PAC, de l'espace Schengen ou de l'environnement.
La seule solution consiste, dans un premier temps, à procéder à une analyse objective des problèmes. Des négociations conduites avec rigueur et sérieux sont à ce prix. On ne peut laisser de côté des problèmes par amitié ou par facilité. Il faut aller au fond des choses, sinon toutes les questions non traitées seront autant de bombes à retardement, qui se retourneraient tragiquement contre les pays concernés et contre l'Union. Le sérieux et la rigueur sont, dans cette phase de négociations, la meilleure réponse à l'impatience, souvent légitime, des pays candidats et aux préoccupations non moins légitimes des pays membres de l'Union. Il faut donc reprendre certaines négociations sérieusement et le plus vite possible, car je ne dis pas cela pour ralentir quoi que ce soit.
Dans cet esprit, la présidence française travaillera avec le Conseil pour mettre l'Union en mesure d'évaluer les progrès des pays candidats dans la reprise de l'acquis communautaire et leur capacité à l'appliquer.
La présidence française compte donc donner une nouvelle impulsion aux négociations. Cela commence déjà à se sentir, A la fin de la présidence française, les négociations seront ouvertes sur quarante-deux nouveaux chapitres avec chacun des six pays entrés en négociations. Ce sera donc plus de la moitié du domaine de l'acquis qui sera ainsi examiné. Nous allons aussi aborder ce problème de fond que constituent les demandes de périodes transitoires. Certaines, qui sont réalistes pourront être traitées au plan technique. D'autres, par leur ampleur, pourraient porter atteinte au principe de base de l'adhésion : la reprise de l'acquis communautaire. Certaines demandes nécessiteront des arbitrages politiques dans la phase finale des négociations, mais nous essaierons d'en traiter le plus grand nombre, afin de préparer le terrain à un accord d'ensemble.
Nous voulons aussi dégager des perspectives et mettre au point une méthode pour la suite du processus. Tel est le sens de la "vue d'ensemble" que nous préparons pour le Conseil européen de Nice. Il s'agit de faire le point, de manière précise et synthétique, sur les douze négociations en cours. Où en est chaque pays dans la reprise de l'acquis ? Respecte-t-il ses engagements ? Comment aboutir ? L'Union européenne elle-même a-t-elle des points à clarifier ? De la sorte, nous pourrons proposer à chaque pays candidat un scénario d'adhésion. Nous disposerons de tableaux synthétiques donnant une photographie de la situation pour le conseil des affaires générales qui aura lieu le 20 novembre.
L'Union européenne ne fixera pas pour autant une date d'adhésion, même si certains pays le souhaitent, estimant que ce serait un facteur de mobilisation interne. Il serait pour le moins arbitraire de fixer la date à laquelle devraient prendre fin les négociations. Du reste, cela ne s'est jamais fait. Quand nous sommes passés de six à neuf, de neuf à dix, de dix à douze puis à quinze, nous avons négocié de manière à trouver des solutions. C'est plus honnête et plus satisfaisant.
Au demeurant, comment pourrait-on fixer la même date pour tous ? Personne ne le souhaite. Il faudrait en réalité fixer une date par pays : on imagine les polémiques sans fin, les comparaisons déplaisantes que cela susciterait.
En fait, il existe déjà une date cible, qui peut mobiliser les pays membres comme les pays candidats : celle du 1er janvier 2003, fixée au conseil d'Helsinki, date à laquelle l'Union devra être prête à accueillir les adhérents qui rempliront les conditions. Il s'agit, pour l'Union européenne, d'une date contraignante. Respecter cette obligation suppose d'achever à Nice la négociation sur les quatre sujets de la Conférence intergouvernementale.
S'agissant de la Turquie, l'Union européenne a admis sa candidature à l'adhésion, après de longues discussions, au Conseil européen d'Helsinki, mais sans engager la négociation. On ne peut méconnaître le chemin qui reste à parcourir. La présidence française fera avancer le processus de pré-adhésion.
L'Union européenne doit tout faire pour réussir l'élargissement : cela implique une vision de l'Europe commune aux Etats membres et aux futurs adhérents. C'est pourquoi la France a lancé en 1997 l'idée d'une conférence européenne - idée d'ailleurs reprise d'une initiative antérieure qui n'avait malheureusement pas pris corps - afin de discuter de tous les sujets relatifs à l'Europe. Cette année, deux conférences vont se tenir : la première à Sochaux, le 23 novembre, au niveau ministériel, et la seconde à Nice, le 7 décembre, réunissant les chefs d'Etat et de gouvernement. Nous établirons à cette occasion un état des travaux relatif, à la réforme des institutions et pourrons engager une réflexion politique commune sur le fonctionnement de l'Europe élargie.
Nous avons la volonté d'aboutir, c'est-à-dire de réussir, de résoudre tous les problèmes, de sorte que l'Europe élargie soit forte et puisse développer son formidable potentiel.
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Vos interventions m'ont beaucoup intéressé car elles traduisaient avec force votre volonté d'entrer dans l'Union européenne. Votre impatience même me réjouit car elle démontre que l'Union, confrontée pendant tant d'années à tant de problèmes compliqués, a su les résoudre de manière à devenir attrayante pour beaucoup d'autres Etats.
J'ai dit tout à l'heure avec une franchise qui se voulait amicale et constructive la façon dont nous voyons la question de l'élargissement, mais j'entends bien le message que vous nous adressez. Je crois que le sommet de Nice aboutira à un accord, la réunion de Biarritz ayant clarifié la situation : nous avions bien avancé sur deux sujets. Sur les deux autres - l'avenir de la Commission et la question de la pondération -, les positions sont apparues inconciliables, en revanche. Mais l'on ne peut dire qu'il s'agit de sujets techniques : ils sont éminemment politiques, aussi, car il y va du fonctionnement de l'Union élargie. Régler ces problèmes est donc de l'intérêt de tous, Etats membres comme Etats candidats. C'est pour l'avenir commun que nous négocions ! Et, quelles que soient les difficultés, je suis persuadé que nous parviendrons à un accord. C'est légitimement que chaque pays de l'Union défend ses intérêts - comme vous le faites vous-mêmes dans la négociation préalable à l'élargissement.
Mais, au-delà, c'est l'intérêt général de l'Europe qui devra prévaloir, ce qui suppose des concessions et des compromis. J'éprouve, à ce sujet, un optimisme raisonné, fondé sur la volonté déterminée de respecter les engagements souscrits, volonté que je crois partagée. Dire cela, c'est déjà donner une réponse aux pays candidats qui observent et attendent, intéressés et inquiets. Dire cela, c'est affirmer que nous voulons aboutir, dire, aussi, qu'après le sommet de Nice, l'atmosphère sera plus détendue. Pourquoi ?
Parce qu'après Nice, plus personne ne pourra prétendre comme certains le font sans craindre le ridicule, que les Quinze se seraient lancés dans une réforme institutionnelle pour retarder l'échéance de l'élargissement. Après Nice, l'Union pourra proposer à chaque pays candidat un calendrier d'adhésion, en tenant compte des réformes abouties et de ce qui reste à faire. Le brouillard étant ainsi dissipé, les opinions publiques seront rassurées.
Il faut, j'y insiste, garder son sang-froid. Je sais la nécessité que suscite, dans les pays candidats, la question de l'adhésion, mais j'invite les autorités amies à se concentrer sur l'essentiel, en faisant fi des rumeurs et des on-dit : les candidatures ont été acceptées, des négociations sont ouvertes avec douze pays, l'indispensable réforme institutionnelle de l'Union est engagée, un calendrier est fixé, que nous respectons. C'est aussi simple que cela : une procédure a été définie, et elle est suivie. L'opinion publique des pays considérons doit en être informée.
Nous travaillons, ensemble, à assurer un rapprochement qui aura lieu à une date encore inconnue, mais suffisamment proche pour justifier un double effort : de réforme chez nous, de convergence chez vous. Je l'ai dit : nous savons qu'il s'agit pour les pays candidats, pour certains surtout, d'un effort considérable, qui demande un grand courage, et j'éprouve un profond respect pour les gouvernements qui conduisent ces politiques exigeantes, parce qu'ils sont conscients que tel est le prix de l'entrée dans l'Union et parce qu'ils savent, aussi, qu'au terme de la négociation, une Union élargie efficace verra le jour./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2000)