Texte intégral
Q- Conseil des ministres franco-allemand à Paris, J. Chirac et G. Schröder ensemble cet après-midi à la Sorbonne... Vous y serez sans doute ?
R- Oui.
Q- Cette fois, la France et l'Allemagne donnent l'impression de vouloir prendre les devants. Elles anticipent en lançant quatre projets industriels, sans doute préparés par J.-L. Beffa, des projets de technologie de pointe. Est-ce que cela veut dire qu'avant l'entreprise, l'emploi et les marchés, il y a d'abord les laboratoires, donc la recherche, c'est-à-dire vous ?
R- C'est un événement presque historique au fond, qui va se produire ce matin, puisque la France et l'Allemagne, qui étaient des concurrents depuis toujours sur le terrain industriel, décident de rassembler leurs forces, comme elles l'ont déjà fait par exemple pour l'Airbus, autour de projets industriels, autour de projets de recherche. Et c'est la seule réponse efficace à la mondialisation et aux risques de délocalisation : c'est le rassemblement des forces, des pays développés, et en particulier des pays européens, pour investir sur des nouvelles technologies qui vont permettre d'ouvrir des nouveaux marchés et de créer des nouveaux emplois.
Q- C'est-à-dire que cette fois les gouvernements, J. Chirac, J.-P. Raffarin et G. Schröder essaient de jouer les pionniers en Europe, pour éviter un jour - et sans doute bientôt - d'être écrasés par les produits, les technologies de pointe venues de Chine, du Japon - et de l'Inde qu'on oublie quelquefois, où la progression fulgurante -, anticiper pour éviter le protectionnisme.
R- Absolument, puisque l'Europe dépense beaucoup d'argent pour la recherche mais de manière désordonnée, de manière atomisée. Si on rassemblait cet argent, si on rassemblait nos équipes de recherche, si on mettait en oeuvre des stratégies de soutien à la recherche qui soit des stratégies européennes, alors on serait au dessus des Etats-Unis, et naturellement très loin devant la Chine et l'Inde, mais qui sont des pays qui sont en train de monter, qui ne sont plus seulement des pays producteurs, qui sont des pays maintenant qui investissent dans la recherche, qui investissent dans la technologie et qui constituent de ce point de vue là une menace qui doit nous stimuler.
Q- Et votre ministère a-t-il les moyens d'une politique active d'aide à la recherche, à l'innovation et aux chercheurs français, qui attendent votre réponse ?
R- Le président de la République s'est engagé sur une augmentation du budget de la recherche de six milliards d'euros en trois ans. On a mis un milliard d'euros, un changement de dimension de cette importance ne s'est jamais produit. Un milliard d'euros supplémentaires cette année ; en 2006 sur le budget, on va mettre deux milliards d'euros supplémentaires et en 2007, trois milliards d'euros supplémentaires. On est en train de recruter des jeunes chercheurs : 3.000 dans le budget 2006, c'est aussi considérable dans une perspective économique et financière qui n'est pas si bonne. Et surtout, on va réformer l'organisation de notre système de recherche, en particulier en matière d'évaluation, pour le rendre plus efficace.
Q- Et l'accord avec les chercheurs, est-il pour bientôt ?
R- L'accord avec chercheurs on y travaille. Il y a aujourd'hui des groupes qui fonctionnent sur tous les grands sujets avec les chercheurs et l'accord est imminent. Les chercheurs, ce n'est pas une communauté homogène, c'est plusieurs communautés qu'il faut mettre d'accord entre elles d'abord.
Q- Vous voulez dire, ils ne sont pas faciles ! Aujourd'hui, le textile : messieurs Schröder et Chirac peuvent-ils proposer une riposte commune à la Chine, qui réclame elle la liberté commerciale ? Faut-il faire monter François la pression d'un cran ?
R- Il faut simplement utiliser les règles qui sont prévues dans les accords. Il y avait un accord ; dans cet accord, il y avait une règle qui prévoyait la possibilité de modifier les équilibres s'il y avait, ce qui s'est passé, une invasion brutale du textile chinois en Europe et d'ailleurs dans le reste du monde. Eh bien, il faut utiliser cette clause de sauvegarde, elle est dans les textes, elle est faite pour ça.
Q- Ministre de l'Education nationale, vous êtes aussi concerné par ce qui va se passer sur les livres franco-allemands : à partir de 2006, les jeunes Français et les jeunes Allemands vont apprendre l'histoire commune, dans les mêmes livres. Pour quelles classes d'abord ?
R- Deuxième événement historique : jamais deux pays dans le monde n'ont tenté de concevoir ensemble un manuel d'histoire, c'est-à-dire d'imaginer l'histoire de l'Europe et du monde avec un regard commun.
Q- Pour quelles classes ?
R- Pour la classe de terminale en 2006, puis ensuite pour la classe de 1ere en 2007, puis pour la classe de seconde en 2008. C'est-à-dire qu'à partir de 2008, le lycée aura la possibilité d'utiliser un manuel d'histoire franco-allemand.
Q- Et pour quelles périodes de l'histoire ? On ne va pas remonter très loin...
R- Si, si, non toute l'histoire va être couverte mais la première période, ce sera la période 1945 à nos jours ; et puis en 2007, ce sera la période évidemment la plus difficile, puisque ce sera celle des deux conflits mondiaux.
Q- Les historiens des deux pays sont passés par là ; est-ce qu'ils ont banalisé, gommé certains événements ?
R- Non, ce n'est pas un compromis. C'est pour cela que ça a été difficile d'ailleurs, ça a été long : on a essayé de conjuguer les deux regards. Et c'est très intéressant, parce qu'on voit par exemple que l'Allemagne ne s'intéresse pas à la période de la colonisation, alors que pour nous, c'est évidemment un aspect très important de notre histoire. A l'inverse, nous ne donnons pas beaucoup de place dans notre manuel d'histoire à la réunification allemande, qui pour nous est une date, alors que pour les Allemands, c'est un exercice quotidien...
Q- Mais est-ce que justement ça a joué, le fait que l'Europe soit réunifiée, que l'Allemagne soit réunifiée, que le mur de Berlin et le système communiste se soient effondrés, dans les têtes des historiens des deux côtés ?
R- Cela a sûrement joué. Il est incontestable par exemple que les Allemands ont une vision de l'histoire qui est moins marquée par l'analyse marxiste que sans doute les Français et on va le retrouver dans ce manuel d'histoire. On va retrouver aussi des choses, j'allais dire, presque symboliques : on a découvert à l'occasion de la rédaction de ce manuel que dans la rédaction du traité de Versailles, dans la traduction du traité de Versailles en allemand, la "culpabilité" de l'Allemagne avait remplacé le mot de "responsabilité" qui était celui des rédacteurs. Quand on sait l'importance de ce traité... C'est donc un exercice qui démontre quelque chose qui, à mon avis, est fondamental pour l'histoire, pour l'avenir de l'Europe : c'est qu'il y a une vraie communauté de destin franco-allemande qui est très antérieure à la réconciliation.
Q- Les jeunes vont donc apprendre des deux côtés du Rhin, que nous sommes devenus amis héréditaires, luttant ensemble contre le nouvel ennemi commun - j'ai envie de vous dire, c'est qui maintenant ?
R- Le nouvel ennemi commun, c'est le déséquilibre mondial, c'est la pauvreté, qui engendre le terrorisme. C'est donc tout le travail que nous faisons en construisant un ensemble européen équilibré, qui défend un modèle de société face au modèle américain et face au modèle asiatique.
Q- L'Espagnol Zapatero sera bientôt en meeting à Paris. L'Allemand Schröder vient aider ses petits copains pour obtenir le "oui", parce que les Allemands sont inquiets de la montée ou de la présence du "non" ?
R- C'est très important que les Français se rendent compte que dans les autres pays européens, il y a une quasi unanimité autour du traité constitutionnel. Je prends deux exemples, les organisations syndicales européennes dans leur quasi-totalité ...
Q- Sauf la CGT...
R- ... sont favorables au traité constitutionnel. De la même façon, les plus conservateurs chez nous mettent en cause le traité sur des aspects liés à des problèmes de société, sur les problèmes du mariage homosexuel ou sur les problèmes du clonage thérapeutique. Eh bien, les pays les plus traditionnels et les plus catholiques en Europe, comme l'Irlande ou le Portugal, votent "oui" à la Constitution européenne. C'est dire si la France a une vision de ce traité constitutionnel qui n'est pas encore la réalité des choses...
Q- Entre nous, vous avez encore peur ?
R- Je pense que ce n'est pas gagné, c'est un débat difficile...
Q- Vous avez vu le sondage Ipsos-Le Figaro-Europe 1 : il constate la remontée de trois points du "oui" en une semaine, avec 48 %, derrière les "non" et leurs 52 %. Est-ce que c'est un signe ou du yoyo ?
R- Je pense que la campagne du "oui" a tardé à démarrer, que celle du "non" avait été très efficace, sur des slogans qui parlaient aux difficultés des Français. Les partisans du "oui" se sont réveillés, la campagne est commencée, le Président s'est lancé dans la bataille... C'est normal que les chiffres bougent.
Q- Est-ce qu'il va réintervenir, parce que depuis le débat...
R- Il va réintervenir. Il va réintervenir, cet après-midi à la Sorbonne, avec G. Schröder. Il va réintervenir à la télévision dans les prochaines semaines.
Q- Quand ça, comment ?
R- C'est lui qui vous le dira... Mais il est très important que le Président parle, parce que c'est lui qui peut incarner une ambition, qui est une ambition qui dépasse les problèmes quotidiens. Au fond, ce qu'il faut bien comprendre dans cette bataille pour le traité constitutionnel, c'est qu'on ne s'occupe pas, avec ce traité constitutionnel, des problèmes immédiats. On est en train de préparer 50 ans de paix pour le continent européen, donc on est vraiment en train de travailler pour nos enfants.
Q- C'est bien de parler de paix, de démocratie, de l'avenir à 50 ans...
R- Mais c'est important, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'endroits dans le monde où c'est une réalité.
Q- Vous avez un problème assez urgent à réécrire - pardon de vous le rappeler -, depuis que le Conseil constitutionnel a censuré deux articles sur 89 de la loi Fillon sur l'école. Où en êtes-vous ?
R- Cela n'aura aucun impact sur la réforme de l'école, puisque le Conseil constitutionnel pose un problème qui est un problème de forme, en disant au fond qu'il y a une partie de ce texte qui devrait être réglementaire et non pas législatif. Très bien, je m'incline...
Q- Mais vous ne l'avez pas pris comme un désaveu partiel et personnel ?
R- Non, cette partie sera mise en oeuvre de manière réglementaire. Et comme je l'ai indiqué la semaine dernière, les premiers décrets qui vont mettre en application la partie de la loi qui a été annulée par le Conseil constitutionnel, sont présentés aux organisations syndicales cette semaine, dans le cadre de la concertation.
Q- De la concertation ou de la négociation ?
R- Non, c'est une concertation, on demande l'avis des organisations syndicales. Mais naturellement, ce sont des aspects de la réforme qui sont contenus dans la partie législative, et qu'il faut maintenant mettre en musique.
Q- Il faut faire simple, parce que les syndicats ou le PS disent que ce qui disparaît, ce sont les promesses qui avaient été faites de recruter 300 infirmières par an, d'offrir 230 millions d'euros...
R- Le PS ne manque pas de culot, puisque c'est lui qui a demandé l'annulation de la loi, et c'est lui qui aujourd'hui évoque la disparition des chiffres que le Parlement avait voulu mettre ! J'ai pris l'engagement que dans le budget 2006, nous respecterions scrupuleusement les engagements financiers qui avaient été pris dans la partie annulée du texte.
Q- Et vous avez que vous avez la force politique pour mettre en oeuvre
la réforme dès la rentrée scolaire prochaine ?
R- Absolument, les mesures qui devaient s'appliquer à la rentrée scolaire prochaine - je pense au dédoublement des cours de langue par exemple ou à la mise en place du soutien scolaire - seront appliquées.
Q- Quand vous voyez ce qui va se passer, l'état de l'Europe, le chômage même en Allemagne, est-ce que le système éducatif français est aujourd'hui en mesure de préparer les nouvelles générations à l'Europe qui vient et à la mondialisation à la fois salutaire et impitoyable ?
R- Il faut que le système s'améliore. Il s'améliorera par des réformes successives. Celle que nous avons proposée a un objectif qui est un objectif qui doit rassembler tout le monde : c'est celui de faire en sorte qu'aucun élève ne sorte du système éducatif français sans un diplôme ou une qualification. Cela nous mettra au meilleur niveau européen, alors qu'aujourd'hui, on n'est pas dans les plus mauvais mais on est dans la moyenne européenne, ce qui n'est pas satisfaisant pour un grand pays comme la France.
Q- N'oublions pas l'Inde dont on a parlé, le Japon, la Chine etc.
R- Oui, mais qui ont encore des efforts à faire sur le plan de l'éducation.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 avril 2005)
R- Oui.
Q- Cette fois, la France et l'Allemagne donnent l'impression de vouloir prendre les devants. Elles anticipent en lançant quatre projets industriels, sans doute préparés par J.-L. Beffa, des projets de technologie de pointe. Est-ce que cela veut dire qu'avant l'entreprise, l'emploi et les marchés, il y a d'abord les laboratoires, donc la recherche, c'est-à-dire vous ?
R- C'est un événement presque historique au fond, qui va se produire ce matin, puisque la France et l'Allemagne, qui étaient des concurrents depuis toujours sur le terrain industriel, décident de rassembler leurs forces, comme elles l'ont déjà fait par exemple pour l'Airbus, autour de projets industriels, autour de projets de recherche. Et c'est la seule réponse efficace à la mondialisation et aux risques de délocalisation : c'est le rassemblement des forces, des pays développés, et en particulier des pays européens, pour investir sur des nouvelles technologies qui vont permettre d'ouvrir des nouveaux marchés et de créer des nouveaux emplois.
Q- C'est-à-dire que cette fois les gouvernements, J. Chirac, J.-P. Raffarin et G. Schröder essaient de jouer les pionniers en Europe, pour éviter un jour - et sans doute bientôt - d'être écrasés par les produits, les technologies de pointe venues de Chine, du Japon - et de l'Inde qu'on oublie quelquefois, où la progression fulgurante -, anticiper pour éviter le protectionnisme.
R- Absolument, puisque l'Europe dépense beaucoup d'argent pour la recherche mais de manière désordonnée, de manière atomisée. Si on rassemblait cet argent, si on rassemblait nos équipes de recherche, si on mettait en oeuvre des stratégies de soutien à la recherche qui soit des stratégies européennes, alors on serait au dessus des Etats-Unis, et naturellement très loin devant la Chine et l'Inde, mais qui sont des pays qui sont en train de monter, qui ne sont plus seulement des pays producteurs, qui sont des pays maintenant qui investissent dans la recherche, qui investissent dans la technologie et qui constituent de ce point de vue là une menace qui doit nous stimuler.
Q- Et votre ministère a-t-il les moyens d'une politique active d'aide à la recherche, à l'innovation et aux chercheurs français, qui attendent votre réponse ?
R- Le président de la République s'est engagé sur une augmentation du budget de la recherche de six milliards d'euros en trois ans. On a mis un milliard d'euros, un changement de dimension de cette importance ne s'est jamais produit. Un milliard d'euros supplémentaires cette année ; en 2006 sur le budget, on va mettre deux milliards d'euros supplémentaires et en 2007, trois milliards d'euros supplémentaires. On est en train de recruter des jeunes chercheurs : 3.000 dans le budget 2006, c'est aussi considérable dans une perspective économique et financière qui n'est pas si bonne. Et surtout, on va réformer l'organisation de notre système de recherche, en particulier en matière d'évaluation, pour le rendre plus efficace.
Q- Et l'accord avec les chercheurs, est-il pour bientôt ?
R- L'accord avec chercheurs on y travaille. Il y a aujourd'hui des groupes qui fonctionnent sur tous les grands sujets avec les chercheurs et l'accord est imminent. Les chercheurs, ce n'est pas une communauté homogène, c'est plusieurs communautés qu'il faut mettre d'accord entre elles d'abord.
Q- Vous voulez dire, ils ne sont pas faciles ! Aujourd'hui, le textile : messieurs Schröder et Chirac peuvent-ils proposer une riposte commune à la Chine, qui réclame elle la liberté commerciale ? Faut-il faire monter François la pression d'un cran ?
R- Il faut simplement utiliser les règles qui sont prévues dans les accords. Il y avait un accord ; dans cet accord, il y avait une règle qui prévoyait la possibilité de modifier les équilibres s'il y avait, ce qui s'est passé, une invasion brutale du textile chinois en Europe et d'ailleurs dans le reste du monde. Eh bien, il faut utiliser cette clause de sauvegarde, elle est dans les textes, elle est faite pour ça.
Q- Ministre de l'Education nationale, vous êtes aussi concerné par ce qui va se passer sur les livres franco-allemands : à partir de 2006, les jeunes Français et les jeunes Allemands vont apprendre l'histoire commune, dans les mêmes livres. Pour quelles classes d'abord ?
R- Deuxième événement historique : jamais deux pays dans le monde n'ont tenté de concevoir ensemble un manuel d'histoire, c'est-à-dire d'imaginer l'histoire de l'Europe et du monde avec un regard commun.
Q- Pour quelles classes ?
R- Pour la classe de terminale en 2006, puis ensuite pour la classe de 1ere en 2007, puis pour la classe de seconde en 2008. C'est-à-dire qu'à partir de 2008, le lycée aura la possibilité d'utiliser un manuel d'histoire franco-allemand.
Q- Et pour quelles périodes de l'histoire ? On ne va pas remonter très loin...
R- Si, si, non toute l'histoire va être couverte mais la première période, ce sera la période 1945 à nos jours ; et puis en 2007, ce sera la période évidemment la plus difficile, puisque ce sera celle des deux conflits mondiaux.
Q- Les historiens des deux pays sont passés par là ; est-ce qu'ils ont banalisé, gommé certains événements ?
R- Non, ce n'est pas un compromis. C'est pour cela que ça a été difficile d'ailleurs, ça a été long : on a essayé de conjuguer les deux regards. Et c'est très intéressant, parce qu'on voit par exemple que l'Allemagne ne s'intéresse pas à la période de la colonisation, alors que pour nous, c'est évidemment un aspect très important de notre histoire. A l'inverse, nous ne donnons pas beaucoup de place dans notre manuel d'histoire à la réunification allemande, qui pour nous est une date, alors que pour les Allemands, c'est un exercice quotidien...
Q- Mais est-ce que justement ça a joué, le fait que l'Europe soit réunifiée, que l'Allemagne soit réunifiée, que le mur de Berlin et le système communiste se soient effondrés, dans les têtes des historiens des deux côtés ?
R- Cela a sûrement joué. Il est incontestable par exemple que les Allemands ont une vision de l'histoire qui est moins marquée par l'analyse marxiste que sans doute les Français et on va le retrouver dans ce manuel d'histoire. On va retrouver aussi des choses, j'allais dire, presque symboliques : on a découvert à l'occasion de la rédaction de ce manuel que dans la rédaction du traité de Versailles, dans la traduction du traité de Versailles en allemand, la "culpabilité" de l'Allemagne avait remplacé le mot de "responsabilité" qui était celui des rédacteurs. Quand on sait l'importance de ce traité... C'est donc un exercice qui démontre quelque chose qui, à mon avis, est fondamental pour l'histoire, pour l'avenir de l'Europe : c'est qu'il y a une vraie communauté de destin franco-allemande qui est très antérieure à la réconciliation.
Q- Les jeunes vont donc apprendre des deux côtés du Rhin, que nous sommes devenus amis héréditaires, luttant ensemble contre le nouvel ennemi commun - j'ai envie de vous dire, c'est qui maintenant ?
R- Le nouvel ennemi commun, c'est le déséquilibre mondial, c'est la pauvreté, qui engendre le terrorisme. C'est donc tout le travail que nous faisons en construisant un ensemble européen équilibré, qui défend un modèle de société face au modèle américain et face au modèle asiatique.
Q- L'Espagnol Zapatero sera bientôt en meeting à Paris. L'Allemand Schröder vient aider ses petits copains pour obtenir le "oui", parce que les Allemands sont inquiets de la montée ou de la présence du "non" ?
R- C'est très important que les Français se rendent compte que dans les autres pays européens, il y a une quasi unanimité autour du traité constitutionnel. Je prends deux exemples, les organisations syndicales européennes dans leur quasi-totalité ...
Q- Sauf la CGT...
R- ... sont favorables au traité constitutionnel. De la même façon, les plus conservateurs chez nous mettent en cause le traité sur des aspects liés à des problèmes de société, sur les problèmes du mariage homosexuel ou sur les problèmes du clonage thérapeutique. Eh bien, les pays les plus traditionnels et les plus catholiques en Europe, comme l'Irlande ou le Portugal, votent "oui" à la Constitution européenne. C'est dire si la France a une vision de ce traité constitutionnel qui n'est pas encore la réalité des choses...
Q- Entre nous, vous avez encore peur ?
R- Je pense que ce n'est pas gagné, c'est un débat difficile...
Q- Vous avez vu le sondage Ipsos-Le Figaro-Europe 1 : il constate la remontée de trois points du "oui" en une semaine, avec 48 %, derrière les "non" et leurs 52 %. Est-ce que c'est un signe ou du yoyo ?
R- Je pense que la campagne du "oui" a tardé à démarrer, que celle du "non" avait été très efficace, sur des slogans qui parlaient aux difficultés des Français. Les partisans du "oui" se sont réveillés, la campagne est commencée, le Président s'est lancé dans la bataille... C'est normal que les chiffres bougent.
Q- Est-ce qu'il va réintervenir, parce que depuis le débat...
R- Il va réintervenir. Il va réintervenir, cet après-midi à la Sorbonne, avec G. Schröder. Il va réintervenir à la télévision dans les prochaines semaines.
Q- Quand ça, comment ?
R- C'est lui qui vous le dira... Mais il est très important que le Président parle, parce que c'est lui qui peut incarner une ambition, qui est une ambition qui dépasse les problèmes quotidiens. Au fond, ce qu'il faut bien comprendre dans cette bataille pour le traité constitutionnel, c'est qu'on ne s'occupe pas, avec ce traité constitutionnel, des problèmes immédiats. On est en train de préparer 50 ans de paix pour le continent européen, donc on est vraiment en train de travailler pour nos enfants.
Q- C'est bien de parler de paix, de démocratie, de l'avenir à 50 ans...
R- Mais c'est important, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'endroits dans le monde où c'est une réalité.
Q- Vous avez un problème assez urgent à réécrire - pardon de vous le rappeler -, depuis que le Conseil constitutionnel a censuré deux articles sur 89 de la loi Fillon sur l'école. Où en êtes-vous ?
R- Cela n'aura aucun impact sur la réforme de l'école, puisque le Conseil constitutionnel pose un problème qui est un problème de forme, en disant au fond qu'il y a une partie de ce texte qui devrait être réglementaire et non pas législatif. Très bien, je m'incline...
Q- Mais vous ne l'avez pas pris comme un désaveu partiel et personnel ?
R- Non, cette partie sera mise en oeuvre de manière réglementaire. Et comme je l'ai indiqué la semaine dernière, les premiers décrets qui vont mettre en application la partie de la loi qui a été annulée par le Conseil constitutionnel, sont présentés aux organisations syndicales cette semaine, dans le cadre de la concertation.
Q- De la concertation ou de la négociation ?
R- Non, c'est une concertation, on demande l'avis des organisations syndicales. Mais naturellement, ce sont des aspects de la réforme qui sont contenus dans la partie législative, et qu'il faut maintenant mettre en musique.
Q- Il faut faire simple, parce que les syndicats ou le PS disent que ce qui disparaît, ce sont les promesses qui avaient été faites de recruter 300 infirmières par an, d'offrir 230 millions d'euros...
R- Le PS ne manque pas de culot, puisque c'est lui qui a demandé l'annulation de la loi, et c'est lui qui aujourd'hui évoque la disparition des chiffres que le Parlement avait voulu mettre ! J'ai pris l'engagement que dans le budget 2006, nous respecterions scrupuleusement les engagements financiers qui avaient été pris dans la partie annulée du texte.
Q- Et vous avez que vous avez la force politique pour mettre en oeuvre
la réforme dès la rentrée scolaire prochaine ?
R- Absolument, les mesures qui devaient s'appliquer à la rentrée scolaire prochaine - je pense au dédoublement des cours de langue par exemple ou à la mise en place du soutien scolaire - seront appliquées.
Q- Quand vous voyez ce qui va se passer, l'état de l'Europe, le chômage même en Allemagne, est-ce que le système éducatif français est aujourd'hui en mesure de préparer les nouvelles générations à l'Europe qui vient et à la mondialisation à la fois salutaire et impitoyable ?
R- Il faut que le système s'améliore. Il s'améliorera par des réformes successives. Celle que nous avons proposée a un objectif qui est un objectif qui doit rassembler tout le monde : c'est celui de faire en sorte qu'aucun élève ne sorte du système éducatif français sans un diplôme ou une qualification. Cela nous mettra au meilleur niveau européen, alors qu'aujourd'hui, on n'est pas dans les plus mauvais mais on est dans la moyenne européenne, ce qui n'est pas satisfaisant pour un grand pays comme la France.
Q- N'oublions pas l'Inde dont on a parlé, le Japon, la Chine etc.
R- Oui, mais qui ont encore des efforts à faire sur le plan de l'éducation.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 avril 2005)