Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, à "BFM" le 11 mars 2005, sur le mécontentement social dû à la baisse du niveau de vie, sur le projet d'une tarification spéciale de l'électricité pour les personnes en grande difficulté financière, sur le risque d'un manque d'approvisionnement d'électricité en cas d'hiver rigoureux.

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Média : BFM

Texte intégral

Q- Les responsables syndicaux en tête de la manifestation parisienne se sont réjouis hier de ce que la mobilisation avait bénéficié d'une forte participation du privé aux côtés du public, réclamant du Gouvernement maintenant, et du patronat, une nouvelle donne en matière salariale. Quelle réponse du Gouvernement ? Selon le Parisien, J.-P. Raffarin aurait demandé à ses ministres de poursuivre les efforts engagés avec les différentes organisations concernées. R. Dutreil devrait d'ailleurs proposer aux syndicats une réunion avant fin mars. J.-F. Copé rejette l'idée d'une conférence sur les salaires. La réponse n'est pas très claire... Que faut-il répondre aux syndicats ?
R- D'abord, il faut savoir quelles sont les causes. Les causes proviennent d'abord du fait que la croissance, dans toute l'Europe, est insuffisante. Deuxièmement, le fait que les 35 heures, quoi qu'on en dise, ont fait perdre des gains de productivité à l'ensemble de l'économie, et elle a essayé, naturellement, de se rattraper sur la modération salariale. La France est le pays dans lequel les salariés - et c'est pour cela qu'ils ont raison de manifester - ont le moins bénéficié, dans les années de croissance, d'une augmentation de leur pouvoir d'achat. La réponse à cela naturellement, c'est une politique de croissance plus active. C'est aussi une politique de soutien de la demande, comme nous l'avons fait. Nous allons d'ailleurs augmenter le Smic beaucoup plus que les années précédentes, sur trois années.
Q-... 11 %.
R- 11 %. C'est quelque chose de significatif et qui a un effet en chaîne, naturellement. Et puis aussi, il faut une politique de modération des prix à la consommation, parce que c'est bien vrai que la France est un des pays dans lequel les prix à la consommation sont ceux qui augmentent le plus vite.
Q- Justement, le pouvoir d'achat stagne, les Français ont le sentiment qu'il baisse. Quand on lit l'éditorial de J.-M. Lemétayer dans le Monde, "Distributeurs, où sont vos concessions ?". Bien sûr, il y a eu les accords Sarkozy qui ont permis d'arriver à des négociations, mais comment aller plus loin encore ? Comment contraindre la grande distribution à faire plus ?
R- La France fait l'objet d'un dispositif qui est assez complexe, qui est celui des marges arrière, et qui, en fait, aboutit, simplement à faire augmenter les prix. Ce dispositif des marges arrière sur lequel est calculé le seuil de la vente à perte est tout à fait pernicieux, il faut le réformer. Ce sera d'ailleurs l'objet du projet de loi Jacob qui va bientôt passer.
Q- A la fin du mois. Faut-il prendre également de fortes initiatives dans le domaine de la participation des salariés dans les entreprises ? Vous y étiez favorable, je crois.
R- Oui, je suis très favorable à cela. Naturellement, quand une entreprise va mal, les salariés en font les frais. Malheureusement, on leur explique que c'est logique sur le plan économique. Mais quand elle va bien, il faut qu'ils en profitent.
Q- La mobilisation d'hier, c'est aussi un défi pour votre Gouvernement, à l'approche du référendum. Le Gouvernement milite évidemment pour le oui ; de quelle manière cela pourrait-il nuire au oui selon vous ?
R- A l'évidence, la mobilisation d'hier n'est pas seulement une mobilisation sociale, c'est une mobilisation politique et les forces hostiles à la nouvelle Constitution européenne saisissent tous les motifs d'insatisfaction pour rassembler. C'est le cumul de l'insatisfaction qui fait le relatif succès de cette manifestation.
Q- Pour P. de Villiers, Bruxelles, c'est la cause principale du malaise social.
R- C'est quand même un peu rapide, parce que si nous n'avions pas l'Union européenne, si nous n'avions pas fait le marché unique, nos économies seraient dans un état déplorable.
Q- L'actualité aussi, ce matin, c'est l'annonce faite par la Tribune : Gaz de France, l'ouverture du capital aurait été avancée. On parle d'un placement le 2 mai ; vous êtes le ministre de l'Industrie, que pouvez-vous nous dire ce matin ?
R- Je vous dirais d'abord que la date n'est pas encore fixée. Mais il est certain que Gaz de France sera sans doute parmi les premières, voire la première entreprise qui fera l'objet de l'ouverture de son capital à hauteur de 30 %.
Q- Faut-il l'avancer à cause du référendum sur la Constitution européenne qui, on le rappelle, aura lieu le 29 mai ?
R- Je crois que ce sont les conditions de marché qui doivent servir d'indicateur. Il ne faut pas se poser là-dessus sur des questions politiciennes.
Q- Votre actualité, c'est également un déplacement que vous allez faire à Mantes-la-Jolie aujourd'hui. Vous aviez lancé le 10 décembre un groupe de travail, dont vous aviez annoncé la création au mois d'août, sur le renforcement du dispositif d'aide sociale en matière d'électricité. Un certain nombre de réunions ont lieu, qui ont permis de finaliser deux projets de décrets que vous nous présentez ce matin.
R- Oui, vous savez que l'hiver a été très rigoureux, donc, il y a des gens qui ne paient pas l'électricité et ils font l'objet de coupures, mais il y a tout un dispositif social pour les accompagner dans ces difficultés. Or, malheureusement, parmi ces personnes, beaucoup ne vont pas au devant des services sociaux, restent dans leur situation sans rien dire. Dorénavant, EDF pourra et devra signaler aux organes sociaux du département et des communes ceux qui sont dans une situation d'impécuniosité et qui ne paient pas l'électricité. Ainsi, les services sociaux pourront aller au devant des gens et mettre avec eux en place un dispositif pour les aider à faire face à ces difficultés. Donc, réduire très sensiblement le nombre des coupures.
Q- Voilà pour le premier décret qui concerne plutôt l'information. Ensuite, un deuxième décret étant le bénéfice de la tarification spéciale aux services liés à la fourniture, d'où une gratuité pour les personnes en situation de précarité.
R- Voilà. D'où une gratuité, d'où une réduction, surtout, des coûts de coupure, et puis, un dispositif de réduction de l'intensité de l'électricité livrée à ceux qui sont dans une situation difficile, afin qu'il n'y ait jamais de coupure mais que, progressivement, il y ait une réduction qui incite à la reprise du paiement.
Q- Puisque l'on parlait de l'hiver rigoureux, la CGT - la Fédération des mines de la CGT - accuse Gaz de France de ne pas disposer de capacités nécessaires pour faire face aux besoins suscités par les grands froids. J'ai l'impression que Gaz de France a un peu démenti assez mollement ; et vous ?
R- Oui, on peut démentir. Il est vrai qu'il y a eu des tensions, parce que l'hiver a été très rigoureux, parce que la consommation en électricité a été très forte et qu'il y a eu aussi de ce point de vue des insuffisances et donc, les stocks ont été très sollicités. Il est vrai que pour 200 entreprises qui sont abonnées au gaz, elles ont eu recours, à raison de 10 000 tonnes supplémentaires par jour, à une alimentation en fuel lourd. Donc, de ce point de vue, le stock de gaz n'a pas été trop sollicité, on a pu faire face à la difficulté.
Q- Mais y a-t-il vraiment un risque ?
R- Non, il n'y a pas de risque, cela a été un mode de gestion d'une situation qui était tendue parce qu'il y a eu une très forte consommation. Mais vous savez aussi que l'avenir, c'est à davantage d'interconnexion, en particulier avec les pays du Maghreb, en matière d'alimentation en gaz. Et donc, notre approvisionnement n'est pas menacé.
Q- Il n'empêche qu'il y a un vrai problème de fond face aux pics de la demande, que ce soit EDF ou GDF. Doit-on investir ? Doit-on importer ? C'est vrai qu'au rythme actuel, la mise en service de nouveaux moyens de production en France s'avère de plus en plus nécessaire,
non ?
R- C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a lancé le nouvel EPR à Flamanville, qui va fournir à terme - naturellement - parce que tout ceci est long à monter en puissance - des capacités nouvelles. Il est probable que nous devions continuer cet effort. La France a la chance d'avoir des centrales nucléaires qui lui permettent d'exporter pratiquement toute l'année environ 12 % de sa production. Elle peut faire encore mieux, parce que c'est l'Europe qui va avoir besoin de davantage d'électricité.
Q- Une dernière question : il y a encore eu un attentat contre la DDE en Corse cette nuit. Il y a eu deux blessés légers, deux jeunes enfants. Il y avait eu un attentat contre EDF également hier. Cela commence à faire beaucoup...
R- En Corse, l'approvisionnement en électricité est extrêmement tendu en raison de moyens de production insuffisants en Corse elle-même. Et aussi, en raison de liaison, soit avec la Sardaigne, soit avec la France, le territoire métropolitain plus exactement, qui également sont
insuffisants...
Q- Je vous parlais des attentats, spécialement.
R- Oui, mais les attentats sont souvent liés à cela, à cette situation insuffisante. Bien sûr, ces attentats sont tout à fait condamnables, mais nous avons connu une tension sociale en Corse, en raison précisément de la pénurie d'énergie.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 mars 2005)