Déclaration de M. Patrick Braouezec, député communiste, expliquant le refus du groupe communiste d'approuver les orientations du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, à Paris, Assemblée nationale, le 24 mars 2005.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le projet de loi d'orientation sur l'avenir de l'école, Paris le 24 mars 2005

Texte intégral

II a été dit que le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école avait été élaboré avec l'ensemble des acteurs concernés.
Or, que voyons-nous ? La jeunesse est en colère ! Certains lycées, après huit semaines de mobilisation, sont occupés ; d'autres sont bloqués par les lycéens pour une heure ou deux, voire une journée entière et, aujourd'hui même, ils sont là, à quelques centaines de mètres de nous ; ils veulent être entendus car ils ont des choses à dire sur l'avenir de leur école. Les futurs enseignants et leurs professeurs d'IUFM constatent que la formation initiale et continue des enseignants du premier degré fait l'objet d'une régression sans précédent. Quant aux professeurs, ils seront dans la rue le 2 avril...
L'ensemble des partenaires sociaux et des acteurs de l'école condamnent donc votre texte. Certains ont fait des propositions pour l'améliorer, mais vous refusez de les entendre, préférant user de méthodes qui relèvent du déni de démocratie. Ainsi, pour raccourcir les débats, vous n'avez pas hésité à déclarer l'urgence alors que nos travaux étaient déjà engagés. La précipitation qui a prévalu, ici-même comme au Sénat, a fait parler de marathon législatif.
Pour quel enjeu ? Certainement pas celui de garantir l'accession du plus grand nombre aux savoirs et à la réussite scolaire ! Qu'allons-nous gagner à un système éducatif guidé par le libéralisme ? Si l'on nous a imposé ce marathon, c'était pour supprimer toute possibilité de débat contradictoire. Le Gouvernement a failli en ne respectant pas les règles démocratiques, et c'est l'ensemble de notre système éducatif qui se trouve aujourd'hui mis en cause.
Ce projet de loi d'orientation devait remédier au constat - dressé de longue date et introduit de façon insidieuse dans l'esprit de nos citoyens - que l'école est malade. Malade, mais de quoi ? Ne doit-on pas plutôt se demander qui veut la mort de l'école et pourquoi ? Même si vous avez supprimé toute référence au baccalauréat, transformé le contrat individuel de réussite éducative en programme personnalisé de réussite scolaire, réintroduit l'enseignement des langues régionales, relevé le socle de connaissances et même introduit des éléments de programmation budgétaire, toutes ces concessions n'altèrent pas l'idéologie libérale qui imprègne le projet. Tout compte fait, vos propositions utilisent le contexte financier pour faire le procès des valeurs républicaines, au profit exclusif de la privatisation. Il n'est que de lire la presse pour connaître le nombre de fermetures de classes dans l'enseignement primaire - notamment à Paris et à Saint-Denis - et le nombre de postes supprimés. Pour couronner le tout, vous voulez installer une sélection encore plus drastique au collège, supprimer nombre d'options au lycée, remettre en cause les dédoublements et supprimer les TPE. Dans ces conditions, comment pourriez-vous remédier aux carences du système que vous avez énumérées dans l'exposé des motifs ?
Il eût fallu tenir compte des enjeux d'une réforme du système éducatif. En cédant à la facilité d'une CMP, vous prouvez que votre seul objectif est de réorganiser l'école à la va-vite, pour l'adapter aux exigences d'employabilité imposées par le marché. Parce que votre texte reste ultralibéral, nous persistons à en demander le retrait.
A y regarder de plus près, l'on constate que tous les textes que nous soumet le Gouvernement sont en congruence avec le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Finalement, la seule manière d'expliquer la façon délétère dont ont été menés les débats, c'est que l'ensemble des services publics doivent répondre au plus vite aux exigences posées à l'article du traité qui fixe les objectifs de l'Union ! Plutôt que de faire des choix de société qui engagent le pays, vous préférez brader les acquis en facilitant l'ouverture à la libre concurrence des activités d'éducation, de recherche et de culture. Et c'est pour vous donner bonne conscience que vous affirmez que l'école est malade ! Mais personne n'est dupe. Non, l'école n'est pas malade. La vérité, c'est que depuis la fin des années 1980, notre système éducatif a été soumis à une série de réformes qui, sous le prétexte d'améliorer les conditions d'enseignement, ne tendent qu'à organiser sa déréglementation. Nous sommes par conséquent fondés à considérer que ces mutations expriment la volonté d'ajuster l'école aux nouvelles exigences du libéralisme.
N'oublions pas qu'en 1994, lors de la signature des accords de Marrakech, la France a souscrit à l'accord général sur le commerce des services, ce qui n'est pas sans incidence sur les retraites, la protection sociale, le droit du travail et la fonction publique. Les négociations pour la mise en application de cet accord " en vue d'élever progressivement le niveau de libéralisation " sont en cours, et il semble bien que peu importe à notre Gouvernement s'il est conduit à remettre en cause certains des droits fondamentaux que sont l'éducation, la santé et le travail ! A travers la réforme de l'école, ce sont bien les principes de base du libéralisme qu'il entend en effet affirmer. Dans cette perspective, les savoirs scolaires doivent s'adapter à une vision moins-disante du monde dans lequel on veut faire vivre nos enfants.
Au reste, cette conception est conforme aux objectifs de la déclaration de Lisbonne de " construire une Europe de l'éducation et de la formation ", laquelle avait succédé à la table ronde des chefs d'entreprise organisée à Barcelone en 2000, où l'on a pu entendre qu'il fallait que l'école se mette en cohérence avec les besoins des entreprises, puisqu'à court terme, d'après les analyses de l'OCDE, " les métiers doivent être vus sous l'angle de niveaux de qualifications et de compétences. Il faut que la formation européenne s'adapte aux besoins des entreprises, à savoir entre 20 et 40 % de métiers non qualifiés et 30 à 50 % de métiers très qualifiés ". Une phrase du livre blanc de l'OCDE sur l'éducation et la formation devrait d'ailleurs nous inciter à la réflexion, puisqu'elle affirme que " cette main-d'uvre est indispensable à l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable, accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ". Autant dire qu'avec ce projet de loi, vous orientez l'avenir de l'école en la sommant de produire une main-d'uvre flexible, mobile, acceptant des niveaux de rémunération et des conditions de travail compétitives au plan mondial.
C'est ainsi que vous êtes conduits à proposer une réduction de la mission du système éducatif à l'acquisition d'un savoir minimum dans des écoles différenciées et pensées, pour celles concernant les milieux populaires, comme des lieux de pacification pour des jeunes déjà fortement stigmatisés par leurs origines sociales. Je ne prétends pas que l'école, à elle seule, pourrait résorber les inégalités sociales ; mais je me refuse à affirmer - comme nombre de ceux qui trouvent ce projet très cohérent ! - que l'école ne peut rien faire. L'école doit garder son ambition transformatrice et émancipatrice, car c'est ainsi que l'on évitera que l'échec scolaire frappe essentiellement les enfants des milieux populaires. Dès lors la question essentielle reste : quel projet de formation pour quelle société ? L'avenir de l'école ne peut reposer sur la position que vous défendez, laquelle présente l'accès à la connaissance comme une charge financière insupportable pour l'Etat. A l'inverse, notre projet serait d'investir prioritairement sur le terrain de l'éducation. Notre pays a besoin d'une école qui scolarise tous les jeunes, qu'ils soient porteurs d'un handicap, issus de familles appartenant aux gens du voyages ou sans-papiers. S'agissant de ces derniers, nous refusons que l'on vienne les priver d'école pour les jeter dans les centres de rétention, au seul prétexte que leurs parents sont en situation irrégulière, comme cela vient encore de se faire récemment ! Est-ce là la société que nous voulons ?
L'école pour tous doit être dotée de missions obéissant aux principes de laïcité, de gratuité tout au long de la scolarité, d'obligation scolaire et d'égalité. Elle doit permettre la construction des savoirs, afin que chacun soit doté d'une culture lui permettant de faire preuve d'un esprit ouvert et critique. Elle doit développer les capacités des uns et des autres, afin qu'ils puissent entrer en relation avec le monde, le comprendre et - pourquoi pas - le transformer. L'école publique est seule à même de garantir des programmes et des enseignements d'égale qualité sur l'ensemble du territoire. Toute tentative de marchandisation des services qu'elle rend est contraire aux principes républicains.
Il est grand temps d'envisager un système éducatif national cohérent, donnant à tous les mêmes possibilités d'accès à la formation. De nouvelles cartes des formations - générales, techniques et professionnelles - devraient être élaborées démocratiquement par l'ensemble des partenaires du système éducatif et du monde du travail, en accordant la priorité aux régions sous-équipées. Il apparaît également indispensable de faire entrer les écoles et établissements scolaires de l'ensemble du territoire dans une démarche interculturelle, impliquant l'ouverture sur l'extérieur, sur tous les milieux des différents pays européens et en direction des pays du Sud.
Pour nous, l'école doit lutter contre toutes les formes de marginalisation, et cela nous conduit à proposer des dispositifs d'intégration scolaire qui doivent être mis en uvre tout au long de la scolarité obligatoire. Les politiques d'intégration des élèves dans les cursus scolaires doivent être encouragées et accompagnées de moyens : par exemple, une formation adaptée et continue des enseignants, des conditions d'encadrement améliorées, du temps institutionnel prévu pour la concertation avec les familles et les équipes éducatives. Notre ambition d'une formation de haut niveau pour tous va radicalement à l'encontre de l'idéologie portée par votre projet politique et s'appuie sur le principe simple que tout le monde peut apprendre, quelle que soit son origine sociale, géographique ou son étiologie.
Nous pensons que l'investissement dans la formation n'est pas un coût mais le signe d'une société se projetant dans l'avenir. Pour cette raison, nous nous inscrivons dans une démarche de gratuité qui ne doit pas dépendre des enjeux politiques nationaux ou européens, et nous proposons de définir la base commune indispensable pour assurer un enseignement de qualité pour tous. Certes, cela suppose de dégager des ressources financières, ce qui pourrait se faire par un investissement sur cinq ans à hauteur de 7 % du PIB, et il est aussi indispensable de créer un fonds national d'action contre les inégalités à l'école. Nous avons formulé bien d'autres propositions, que mon collègue François Liberti a énoncées dans son intervention du 15 février.
Je terminerai, Monsieur le ministre, par ce constat terrible pour notre pays mais aussi pour l'Europe : vous avez choisi de servir les projets d'une Europe libérale au détriment d'une Europe sociale composée de citoyens responsables, puisqu'en affaiblissant le système éducatif et en renforçant sa capacité à organiser la sélection, vous refusez de reconnaître le droit de chacun à une éducation développant l'ensemble des compétences.
Non seulement ce texte bafoue le travail parlementaire et le dialogue social, mais il diminue le rôle de l'école, favorise la fuite vers le privé, crée les conditions d'une école à plusieurs vitesses en la livrant au commerce. Nous ne voulons pas sacrifier l'avenir de générations entières, et nous voterons conte ce projet.
(Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 29 mars 2005)