Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, dans "Le Monde" du 22 avril 2005 sur ses réponses aux inquiétudes des agriculteurs sur le traité constitutionnel européen.

Prononcé le

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Plusieurs sondages donnent le non majoritaire chez les agriculteurs le 29 mai. Cela vous surprend-il ?
R - Dans un sondage IFOP de mars, 69 % des agriculteurs ayant exprimé des intentions de vote se disent favorables au non, 42 % pensent cependant qu'il est trop tôt pour s'exprimer ou disent ne pas encore savoir. Il y a donc moins une hostilité qu'une grande incertitude. Les craintes portent sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) en 2006 et sur l'élargissement de l'Europe. Les agriculteurs se demandent également si cette nouvelle Europe, dont ils craignent qu'elle se dilue au profit d'une zone de libre-échange, ne capitulera pas lors des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce en fin d'année.
Q - Une partie de l'électorat rural se tourne vers l'extrême droite. La clientèle de la Coordination rurale est aussi anti-européenne. N'est-ce pas un paradoxe quand on est agriculteur ?
R - Les exploitants savent ce que la construction européenne a apporté à l'agriculture. Leur forte abstention actuelle témoigne de leur réticence à mettre en péril cet acquis. Bruxelles ne doit pas être un bouc émissaire.
Q - Le rejet de l'Europe est-il récent ?
R - Le contexte aujourd'hui est particulier. La mise en place, dans le cadre de la nouvelle PAC, de la conditionnalité des aides, qui a provoqué de vives réactions, se fait de façon pragmatique. Les procédures ont été simplifiées et les sanctions financières limitées aux cas graves. Dans quelques jours, le ministère va distribuer largement un guide du contrôle. Sur l'élargissement, chacun doit savoir que les pays de l'Est sont des marchés très importants pour notre agriculture.
Q - Comment le gouvernement peut-il les faire changer d'avis ?
R - Il peut expliquer que, dans le traité constitutionnel, il n'y a rien de nature à inquiéter les agriculteurs, bien au contraire. La Constitution reprend le traité de Rome : accroître la productivité de l'agriculture, assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements, assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Certains, d'ailleurs, reprennent ce point de façon démagogique ou imbécile en disant que l'objectif serait en fait la baisse des prix pour les agriculteurs.
Avec la loi d'orientation agricole, qui sera présentée devant le Parlement fin juin, nous voulons redonner confiance en l'avenir. Le gouvernement a affirmé ses choix : un développement équilibré des territoires ruraux, une agriculture "économiquement efficace et écologiquement responsable", selon les termes de Jacques Chirac.
Q - Avez-vous élaboré un plan stratégique d'ici au 29 mai ?
R - Le projet de loi sera présenté en conseil des ministres début mai. Cette démarche ne participe pas d'un plan prédéfini pour "acheter" le vote des paysans. Hervé Gaymard -ministre de l'agriculture de 2002 à 2004- avait préparé le texte et nous sommes prêts. J'ai transmis tous les éléments d'information aux parlementaires qui font campagne pour le oui. Les forces politiques engagées en faveur du oui doivent apporter des réponses aux craintes légitimes des exploitants. Mais il faut aussi que des personnalités, comme Luc Guyau ou Jean-Michel Lemétayer, favorables au traité à titre personnel, fassent campagne.
Q - Vous avez aussi fait quelques gestes : congés payés pour les éleveurs, crédit d'impôt pour l'agriculture biologique, TIPP...
R - Les deux premiers points sont dans le projet de loi, l'autre est le prolongement d'un allégement existant, vu la hausse du pétrole.
Q - La réforme de la PAC ne contient-elle pas des menaces ?
R - Au contraire. Elle "sanctuarise" les aides communautaires et met l'accent sur le respect de l'environnement, la santé animale et végétale.
Q - L'agriculture et les paysans français ont-ils plus à gagner en votant oui ?
R - Avec, entre autres, les processus de codécision et de majorité qualifiée, le traité fait entrer plus de démocratie dans l'Europe. La PAC se décidera davantage demain sous l'oeil des peuples, à Strasbourg, que sous la domination des bureaucrates.
Les agriculteurs doivent aussi évaluer les risques de perte d'influence que court la France, par rapport à ce qu'elle reçoit de l'Europe. Si le non l'emporte, j'imagine aisément l'offensive de nombreux pays pour remettre en question l'accord qui consolide financièrement la PAC jusqu'à 2013. Je songe aussi au conseil des ministres de l'agriculture du 30 mai à Bruxelles, où la Commission va présenter des propositions sur la gestion des crises. Je me vois mal intervenir au nom d'une France politiquement affaiblie.
Une Europe affaiblie aurait aussi moins de poids à l'OMC. Notre chance, c'est de ne pas être 60 millions de Français mais 460 millions d'Européens face aux Etats-Unis et aux pays du groupe de Cairns (Australie, Brésil, Canada, Argentine...). C'est important quand on a des produits à défendre.
Propos recueillis par Laetitia Clavreul et François Grosrichard

(Source http://www.u-m-p.org, le 22 avril 2005)